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Réalisme/Historique
bernalot : Grandeur d'âme
 Publié le 25/11/07  -  5 commentaires  -  8477 caractères  -  22 lectures    Autres textes du même auteur

Sur les pas d'un passé riche en enseignements.


Grandeur d'âme


En passant devant le café à l’angle du boulevard Raspail et du boulevard Edgar Quinet, une bouffée de souvenirs me submergea. Je les revoyais : elle avec son chignon et son manteau de fourrure, lui avec ses lunettes de myope. Il était accroché à son bras tant il avait de difficultés à marcher. Tous deux entraient dans le bar, comme à leur habitude, pour prendre leur petit déjeuner. Chacune de leur rencontre me provoquait toujours beaucoup d’émotion. Presque chaque matin, je croisais Simone de Beauvoir et Jean Paul Sartre.


Mais je n’étais pas là pour eux, j’étais sur les traces d’un autre fantôme de mon passé. Je caressais la folle espérance de retrouver Nourredine bien que je sache qu’ il ne fréquentait plus l’Ecole Spéciale d’Architecture, ayant obtenu son diplôme l’année d’avant. Tout comme moi, ancienne étudiante de l’établissement voisin du sien.


Mais ce n’était pas lui qui m’interpela. L’appel de mon prénom m’extirpa brutalement de mon pèlerinage. Une fois la surprise passée, j’eus peur !


- Qu’est-ce que tu deviens ? me demanda-t-elle.

- … Je… Je travaille depuis la rentrée pour le département du Val-de-Marne.


Je m’attendais à ce qu’elle m’agresse physiquement, l’angoisse me nouait la gorge.


- Je suis contente pour toi !

- ??????

- Je ne t’en veux pas. Tu sais, à ta place j’aurais fait la même chose !


Je ne me rappelle plus comment j’ai mis un terme à cette conversation, je n’avais qu’une envie, m’échapper. Je rebroussai chemin vers le métro, renonçant à mon projet initial. Dans la rame, je me calmai petit à petit.


Pendant mes études, je louais une petite chambre dans le foyer de jeunes filles à même les locaux de mon école d’assistante sociale. Je croyais m’y être faite de nombreuses amies. J’avais quitté ma province et une famille extrêmement stricte. J’abusais donc de ma nouvelle liberté. Je vivais autant la nuit que le jour. Nous sortions, certaines voisines de chambre et moi, souvent ensemble, profitant de notre jeunesse dissipée. J’accumulais les rencontres d’un soir, celles qui insistaient pour arriver à une fin qui était toujours la même, tant je ne savais pas dire non. Je voulais une histoire d’amour, mais visiblement, je m’y prenais de la mauvaise manière !


Dans ce foyer, je n’étais pas la seule à accumuler les expériences malheureuses. En ce début des années soixante-dix, l’émancipation de la femme nous jouait un bien vilain tour.


En principe, héberger quelqu’un était interdit. Certaines de mes camarades étaient passées outre ce point de règlement : une nouvelle tête apparut alors que j’entamais ma deuxième année de scolarité. Une de mes copines Fenchie avait introduit le loup dans la bergerie.
Le loup s’appelait Claude. Même son prénom manquait de féminité. Quant au reste !!!
Une démarche de camionneur, un blouson de motard en cuir noir, des cheveux presque rasés… Je me prenais en pleine tête une réalité que j’avais ignorée auparavant, l’homosexualité.
« Tu comprends, me dit Fenchie, elle est extraordinaire ! Jamais un homme ne m’a aimée comme elle ! Et puis, elle sort de prison, il faut bien l’aider ! » Je n’y voyais aucun inconvénient.


Elles voulaient me convaincre des bienfaits de l’homosexualité, elles me traînèrent donc dans une boite de nuit uniquement consacrée aux femmes et me présentèrent à la D.J. caressant le secret espoir que je tombe dans ses bras. En dehors du fait que cette dernière était laide, cette soirée m’a confortée dans mes pulsions hétérosexuelles. La nuit était trop avancée pour que nous réintégrions le foyer, fermé après une heure. Nous nous retrouvâmes donc dans un appartement inoccupé dont Claude avait forcé la porte quelque temps auparavant. Elle y entreposait des monceaux de chaussures neuves. Elle n’avait, de toute évidence, pas renoncé à son passé de voleuse. Elle m’offrit une paire de bottes. Trop petites pour moi, je n’ai jamais pu les mettre.
Je ne faisais pas partie à proprement parler de leur bande, bien qu’il m’arrivât de sortir avec elles.


Un matin, alors que j’étais à la caisse d’une supérette pour régler quelques emplettes, je me rendis compte que mon carnet de chèques et ma carte d’identité n’étaient plus dans mon sac. Je mis ces disparitions sur le compte de ma négligence proverbiale, bien que j’étais intriguée par la coïncidence de cette double perte. J’ai immédiatement envoyé une lettre d’opposition à l’agence bancaire qui gérait mon compte ainsi que ceux de mes parents.
Quinze jours plus tard, je reçus un coup de téléphone de ma mère affolée.


- Tu as un découvert énorme !

- Impossible !

- Le directeur a fait un scandale devant tout le monde et t’a traitée de voleuse !

- Mais j’ai fait opposition !


J’étais dans de sales draps, par la faute, je le saurais plus tard, du sous-directeur qui n’avait pas pris en compte ma lettre. En outre, je réalisai que j’avais bel et bien été volée. Il n’y avait pas trente-six solutions, ma chambre avait été visitée, mon sac ne me quittant jamais lorsque je m’absentais. Cela restreignait le champ des suspects aux résidentes du foyer. Je fermais toujours ma porte à double tour, dérisoire précaution, la plupart de leurs clefs fonctionnant parfaitement dans ma serrure.


La banque m’ayant obligée à porter plainte pour récupérer les six mille francs qu’elle avait du remettre sur mon compte, j’allai donc au commissariat. Je ne pensais pas que ma petite histoire intéresserait à ce point les policiers de la brigade anti-criminalité. Peut-être n’avaient-ils rien d’autre, ce jour-là, à se mettre sous la dent ? S’ensuivit une enquête qui dura six mois. J’avais bien ma petite idée quant à l’auteur de ce larcin. Mais je me gardai bien d’en faire part aux policiers, tant j’avais conscience des conséquences de telles accusations. Ma conviction avait été forgée suite à la découverte des photocopies de chèques. L’orthographe des sommes inscrites était consternante. J’écartai donc de ma liste des suspects, la totalité des résidentes « légales » du foyer, toutes en études supérieures.


Je n’arrivais pas à prendre vraiment au sérieux ce qui m’arrivait et ce qui m’amusait le plus était la vie autonome de mon carnet de chèques sans moi.
Il avait été plusieurs fois au restaurant, dans des boutiques de vêtements, et avait servi à régler un achat massif d’alcools forts pour une soirée à laquelle j’avais été conviée. On avait même eu la délicatesse de me demander quel était mon apéritif préféré. Je l’enviais ! En temps normal il ne servait qu’à régler des dépenses incontournables de la vie estudiantine. Rarement, je payais quand il m’arrivait de sortir. Mes compagnons d’un soir ne rechignaient pas à sortir leurs portefeuilles et attendaient le retour sur investissement.


Trahie par ses tatouages sur les bras, alors qu’elle remplissait un de mes chèques pour régler une note de restaurant, (en ce temps-là, les tatouages sur des bras féminins étaient plus que rares !), Claude a été officiellement inculpée du vol, six mois plus tard. Récidiviste, elle s’est retrouvée derrière les barreaux de la prison de Fresnes dans l’attente de son jugement.
Le jugement la condamna à neuf mois de prison ferme.


La pauvre a payé pour ses complices qui n’étaient autres que mes « collègues » d’alors : de futures assistantes sociales. L’une d’elles me l’a avoué alors que la police n’avait pas encore bouclé les investigations. « Nous t’avons volée car nous ne pouvions pas te saquer ! ». Je ne m’attendais pas à autant de haine, je les considérais presque comme des amies. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi. Jamais aucune d’entre elles n’avait été désagréable à mon égard. Tout au contraire !


Avec les enquêteurs, j’étais en porte-à-faux. Pesait sur mes épaules le poids de leurs futures carrières. Si je les mettais en cause, leur avenir professionnel était compromis. Je choisis donc de me taire. Cela n’a pas échappé aux policiers qui m’en ont fait la remarque. Mais sans mon témoignage, ils ne pouvaient pas les mettre en cause.


Alors, quand je l’ai rencontrée ce matin-là sur le boulevard Raspail, j’ai senti le boulet siffler à mes oreilles. Je m’attendais à ce qu’elle se venge de son séjour en prison.
Mais au lieu de ça elle a dit : « Si j’avais été à ta place, j’aurais fait la même chose. »


Trente ans après, je suis encore émue de sa grandeur d’âme, qualité qui a fait cruellement défaut à ses comparses qui sont devenues d’honnêtes fonctionnaires, des professionnelles de la compassion !


 
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   Maëlle   
26/11/2007
 a aimé ce texte 
Pas ↑
Texte avec une certaine qualité d'ambiance, et un contenu qui sonne juste. Mais je l'ai parcouru le texte en aveugle: sans savoir ou j'allais. Passer d'une intro trés "rives gauche" à une chronique étudiante en passant par une enquéte policière sans suspens, et en mentionnant une romance sans plus s'y arrêter... Cette chronique là était possible, sur la même trame, en 80 pages. En 2, c'est un survol, auquel je n'ai pas troué le moyen d'accrocher.

   pounon   
28/11/2007
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Ce texte me plait peut-être à cause du prénon de Claude.
C'est le mien. Pourquoi regretter un roman de 80 pages. C'est une nouvelle dont la vertu est d'être courte, j'ajoute que c'est une des caractéristiques de la nouvelle. On découvre enfin que l'on peut être instruite et malhonnête...

   strega   
30/11/2007
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Absolument d'accord avec pounon. C'est tellement écrit justement que les possibles ellipses passent à la trape. Cette nouvelle en forme de morale est un reflet réel mais au combien triste de la société.

   Anonyme   
30/11/2007
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Il y a le bernalot poète et le bernalot nouvelliste. Ce dernier n'arrive pas à la cheville de l'autre incisif mordant puissant brillant. Ici le style est morne et triste. Je te le dis d'autant plus facilement connaissant tes poèmes. Il n'y a pas cette vigueur que j'attendais trouver ici. J'étais venu avec une certaine curiosité ne te connaissant pas dans ce genre. Ceci dit il y aura un sursaut. Te connaissant...

   jensairien   
15/1/2008
Tous les éléments étaient réunis pour faire de cette petite chronique une bonne nouvelle. La peinture d’un milieu petit bourgeois estudiantin, les années 70 avec l’arrivée de la pilule, le mouton noir homosexuel et de surcroît délinquant, les futures aides sociales pas vraiment altruistes… Ce qui cloche alors c’est la forme narrative. Tu survoles trop ton sujet. Tu exposes tous les éléments requis pour faire un bon gâteau et tu oublies de faire lever la pâte. Je suis donc d’accord avec Pissavy pour le style morne. Tu racontes ton histoire au passé depuis le présent hors tu devais l’écrire DANS le passé (j’étais là, j’ai fais ci, j’ai fais ça, j’ai rencontré truc) et non pas « le jour que je faisais ça il m’était arrivé ci, c’était l’époque où j’avais rencontré truc »…
Et effectivement tu t’attaches surtout à décrire le contexte au lieu de raconter les faits (d’où peut-être ce rendu morne et plat)

J’ajouterai une dernière chose :
Il y a dans cette nouvelle ce qui fait défaut à beaucoup de textes (je me sens à peine visé…) et qui pourtant me semble être le fondement et la richesse de presque toute littérature : le portrait de « vrais » gens avec leurs rencontres et les conflits engendrés.
De ce point de vue ta petite chronique ne manquerait pas de sel si seulement si…


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