Il y a une chose que je déteste par-dessus tout, dans la vie, c’est le ménage. Et ça ne date pas d’hier ! Déjà, petite, je faisais régulièrement honte à ma sœur. Il n’y avait de jumeau, dans notre chambre, que le mobilier. Pour le reste, autant sa partie était nickel, autant la mienne ressemblait à l’étal d’un chiffonnier. Rien dans les placards et tout par terre.
Son humiliation était à son paroxysme quand notre mère avait la malencontreuse idée de faire visiter la maison aux invités. Prévoyant le coup, je me précipitai, dès leur arrivée, dans la chambre pour tout bazarder sous le lit. Le malheur résidait dans le fait que mon lit était juste en face de l’escalier et chacun pouvait admirer au fur et à mesure qu’il se rapprochait du palier le résultat de mon ingéniosité. Je n’ai jamais eu l’idée de fermer la porte, ni ma sœur non plus d’ailleurs !
Les choses se sont améliorées quand je suis devenue mère. Peut-être était-ce dû à l’instinct animal de construire un nid propre et confortable. C’était sans doute, et plus sûrement, la peur du regard des autres.
Maintenant que mes enfants ont tous quitté le domicile, j’ai repris mes vieilles habitudes de laisser-aller. Je ne mets de l’ordre que dans les grandes occasions, quand ils viennent me rendre visite, la plupart du temps accompagnés de leur conquête du moment. Il ne faudrait pas qu’ils aient honte de leur mère !
Mais, cette semaine, je vais bien être obligée de ranger et d’astiquer, et pour cause : je déménage. J’entame donc la fastidieuse corvée des cartons. C’est fou ce qu’on peut entasser. En débarrassant les placards, je découvre parfois un témoignage de mon passé dont j’avais oublié l’existence : de vieilles photos de famille, des cartes postales… et plein d’objets inutiles, souvent offerts, et que j’avais remisés, sans oser les jeter.
Là, je n’hésite pas. J’en emplis deux gros cartons destinés à la déchetterie.
Ça me rappelle quand il est parti, dix ans auparavant. J’avais mis du cœur à l’ouvrage pour débarrasser l’appartement de tout ce qui lui appartenait. Il tardait à récupérer ses affaires, alors j’avais fini par les emballer et les coller sur le palier.
Je dois tout préparer pour vendredi. Il est prévu que nous consacrions la soirée à transporter les cartons dans mon nouveau chez-moi. Il ne restera plus que les meubles à transporter le lendemain.
Ma foi ! Un déménagement n’est pas toujours une partie de plaisir, surtout à mon âge, mais là, je dois dire qu’il y a une ambiance du tonnerre. En deux temps trois mouvements, et dans la bonne humeur, mes « gros bras » se sont plus qu’honorablement acquittés de leur tâche. Il est à peine neuf heures, nous décidons donc de finir la soirée dans un karaoké.
Ce choix n’est pas anodin, mes compagnons et moi partageons l’amour du chant. Nous nous retrouvons tous les mercredis soir dans les locaux de la chorale de ma petite ville. Hervé, notre baryton, s’essaie à une chanson de Johnny, tandis que Pierre, un haute-contre au timbre cristallin, amuse la salle en faisant une imitation très réussie de Mylène Farmer. Notre ténor de service, Alain, ne prend aucun risque en choisissant « Mexico ». Quant à moi, j’interprète le rap de Kamini. À mon âge, le ridicule ne tue plus !
Hervé me couve toujours de son regard chaud. Depuis six mois, il me fait une cour assidue. Je sais que ce veuf veut se remarier. Ses motivations ne sont pas claires, et je le soupçonne de vouloir surtout une bobonne à la maison. Très peu pour moi ! Ce que je recherche, de mon côté, c’est un homme qui partagerait des moments conviviaux et culturels. Alors, je le mène un peu en bateau. Il ne comprend pas mes hésitations.
Nous serions bien restés plus longtemps, s’il n’y avait pas la perspective d’un samedi bien rempli. Nous nous éclipsons vers vingt-trois heures.
Franchement, je n’aurais jamais cru que ce déménagement aurait été aussi rapide. À onze heures, il ne reste plus que le lit à transporter dans le fourgon. Mes acolytes me font comprendre qu’ils y arriveront tout seuls. Je les regarde donc faire. Alain se charge du matelas. Il le désolidarise du sommier.
Et là, horreur !
Entre le sommier et le matelas, apparaît une dizaine de photos de femmes à poil, dans des positions on ne peut plus suggestives… Mon Hervé ricane, en me lançant un regard entendu.
- Tu aurais pu nous parler de tes penchants…
Je vire au rouge écarlate. Jamais, depuis le départ de mon ex, je n’avais eu l’idée de retourner le matelas.
Ah ! Satané dégoût du ménage ! Ma nouvelle réputation va faire jaser dans les chaumières !
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