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Fantastique/Merveilleux
bird : Hadidane le Futé
 Publié le 01/01/12  -  4 commentaires  -  22450 caractères  -  60 lectures    Autres textes du même auteur

Ce texte raconte les aventures de Hadidane. Ce conte oral est largement répandu en Afrique du Nord.


Hadidane le Futé


Il était une fois un homme dégourdi et respecté qui prenait plaisir à élever deux chamelons de race pure, l'un jaune et l'autre lilas. Dans sa pensée, ces bêtes une fois adultes lui serviraient de montures pour accomplir le saint pèlerinage à La Mecque. C'est pourquoi il s'occupait d'elles avec la plus tendre sollicitude. Le jour tant attendu arrivé, il réunit ses trois fils et leur demanda :


— Quelqu'un d'entre vous veut-il faire ce voyage avec moi ?


Tous voulurent l'accompagner. Le père reprit alors de sa voix ferme et grave :


— Écoutez-moi bien, mes fils. Le voyage du Maghreb jusqu’en Orient sera long et pénible. Celui d'entre vous qui sera fatigué ne sera pas autorisé à monter ni sur le chameau jaune ni sur le chameau lilas. Ces bêtes ne doivent servir qu'à porter nos provisions. Il vous faudra marcher à pied, vous savez que c'est la façon la plus méritoire d'accomplir le pèlerinage. Réfléchissez bien, car ce périple sera extrêmement dur.


Aucun des enfants n'ayant voulu rester, le départ eut lieu le surlendemain à l'aube. Les trois fils se placèrent au-devant des deux chameaux, le père derrière. Et tous crièrent, tournés du côté de La Mecque la vénérable : « Il n'y a de Dieu que Dieu et Mahomet est l'envoyé de Dieu. » Heureux, ils entendirent ces paroles monter comme un parfum vers le ciel. Cependant, dès le cinquième jour du voyage, le fils aîné montra des signes de grande fatigue et déclara qu'il n'en pouvait plus.


— Mets-moi sur un chameau juste le temps de me reposer un peu, implora-t-il son père.

— Impossible, mon pauvre enfant, répondit le père. Je t'aime, le Ciel m'en est témoin. Mais j'aime aussi mon chameau jaune et mon chameau lilas. Ne doivent-ils pas me permettre d'atteindre le tombeau du prophète ? N’est-ce pas dans ce but que je les ai élevés de ma main? S'il plaît à Dieu que tu aies plus tard des enfants, si grande que soit ton affection pour eux, ne feras-tu pas la même chose ?


Ayant prononcé ces mots, le père fit halte et se mit à construire une hutte pour loger son fils. La végétation poussait avec abondance dans cette contrée. Les trois enfants s’en allèrent couper les roseaux et ramasser la paille clairsemée dans les parages. Aidés par leur père, ils mélangèrent les brins de la paille à de la terre mouillée puis lissèrent cette pâte sur les roseaux. Aussitôt la hutte construite, le père laissa à son fils aîné une outre pleine d'eau et une jarre de farine. Puis, suivi des deux autres fils, il s'en alla en montrant du doigt la rive en face :


— Tu n'es pas seul ici, puisque voilà tant de vignes, de figuiers et une maison de l'autre côté de l'oued. Tâche de rester ici jusqu'à mon retour !


Mais bientôt le deuxième fils voulut s'arrêter à son tour ; cette fois-ci, le père et ses fils coupèrent de grosses branches et construisirent une hutte en bois. Avant de prendre congé de son deuxième enfant, le père lui remit une outre d'eau et des provisions considérables et il poursuivit son voyage. Enfin, ce fut au tour du plus jeune de capituler. Celui-ci, maigrichon mais très agile, s'appelait Hadidane le Futé (1).


— Hélas ! Mon père, dit-il, je ne saurais aller plus loin. Mais je ne veux pas d'une hutte de roseaux ni de bois. Tu vois ce tas de ferraille ? Aide-moi à me construire une hutte en fer.


Et c’est ainsi que le père et le fils enfoncèrent ensemble les barres de fer l'une contre l'autre et fixèrent les baguettes par-dessus. Ce faisant, Hadidane avait eu soin de ménager une petite fenêtre du côté d'où il pouvait voir une maison en face. Quand tout fut terminé, le père lui donna à son tour une outre d'eau et des vivres à profusion ; puis il partit avec ses chers chameaux.


Demeuré seul dans sa hutte, Hadidane se hâta de cadenasser la porte puis passa le reste de la journée à sa fenêtre. La créature qui habitait en face de lui demeura chez elle toute la journée. Mais quand la nuit fut venue, elle se dirigea vers la hutte, tâta ses parois et Hadidane l'entendit chantonner en colère :


— Comme c'est solide, tout ça !

Bon sang de bon sang !

Pas moyen de le croquer, celui-là !


À l’entendre parler ainsi Hadidane sut que sa voisine n’était autre qu’une ogresse et il eut très peur non pas tant pour lui-même que pour ses frères qui habitaient l’un dans une hutte en terre et l’autre dans une hutte en bois. Il se dépêcha de demander à l’ogresse :


— C'est donc toi ma tante l'ogresse qui aurait probablement déjà mangé mes frères ?

— Non, pas moi, riposta-t-elle en avalant sa salive, mais j'ai entendu dire qu'ils avaient été pris au piège par mes sœurs les ogresses.


Hadidane eut un pincement au cœur, pourtant il refusa de croire ses paroles. Les jours suivants, il continua à surveiller l'ogresse. Celle-ci avait une fille d'une dizaine d'années. La petite qui avait hérité plus de la lourdeur d’esprit des ogresses que de leur férocité vint faire un tour du côté de la hutte en fer. À l'abri derrière sa fenêtre, Hadidane n'eut pas de peine à se montrer gentil et aimable. D’une nature joviale et exubérante, il avait toujours été le farceur dans sa famille. Cette fois encore, il ne désirait retenir de son triste sort que le côté favorable.


— N'aie pas peur, viens bavarder avec moi, fille de ma tante l'ogresse. Tu verras comme je suis bien dans ma hutte. Il ne me manquait en vérité qu'une chose, le plaisir de ta compagnie !


La petite ogresse avait pris l'habitude de venir le plus souvent possible en cachette de sa mère se planter devant la fenêtre du joyeux lutin. Au fil du temps, quand ils furent devenus une paire d'amis, Hadidane hasarda un matin entre deux plaisanteries une question qui depuis un moment déjà lui tenait très à cœur :


— Je n’ai pas aperçu ta mère hier ? Qu'a-t-elle fait toute la soirée ?

— Elle est revenue avec un agneau de lait.


Puis, comme si elle craignait d'en avoir trop dit, la petite ogresse fit mine de s'en aller.


— Hé quoi ! Tu pars déjà ?

— J'ai peur que ma mère me surprenne en train de te parler.

— Alors promets-moi de revenir cet après-midi.

— Oui, je viendrai dès que je serai sûre que ma mère sera endormie.

— Merci, merci, merci, chantonna Hadidane en sautant de joie. Et à quoi verras-tu qu'elle dort pour de bon ?

— Maman dort les yeux ouverts, expliqua-t-elle. Mais les proies qu'elle a mangées profitent de son sommeil pour crier et chanter dans son ventre.

— Oh ! fit Hadidane, comme c'est amusant ! Et comment chantent-elles, fort ? Doucement? Tu les entends clairement ?

— Si je les entends ! En prêtant l'oreille, tu pourrais les entendre d'ici.

— Et tu arrives à comprendre ce qu'elles disent ?

— Bien sûr. Chacune parle dans sa langue. J'entends tantôt « Cot cot », tantôt « Hi han », tantôt « bêêe bêêe », tantôt « Lâche-moi, lâche-moi ».

— Un de ces jours, éclata de rire Hadidane, ce sera peut-être mon tour de faire de la musique dans le ventre de ta mère.

— Et dans le mien aussi, ricana la petite.


Ce faisant, la petite avait retroussé ses lèvres. Hadidane remarqua qu'elle avait déjà des canines longues et pointues.

« Quelle horreur ! » pensa-t-il troublé. « Oh ! La sale bête ! Ma foi, au moins je connais son secret maintenant ! »

Et c’est à partir de ce moment que chaque fois qu'il entendait les braiements, les bêlements, les cris et les ronflements provenant de la cabane, Hadidane s’empressait de sortir de sa forteresse. Vite, il allait à la source remplir son outre, ou bien il grimpait sur les figuiers qui ombrageaient celle-ci et savourait les figues les plus mûres.


L’été approcha et la chasse devenait de moins en moins bonne pour les ogres. Un jour, rentrant bredouille d’une tournée, l'ogresse, affamée et accablée de fatigue d’une si longue journée, vint frapper à la porte de Hadidane et lui dit :


— Hadidane mon fils, viens, allons chercher de l'eau à la fontaine.

— Ma tante l’ogresse, mon outre est déchirée ! rétorqua Hadidane. Attends-moi juste le temps de la raccommoder pour que je puisse venir avec toi !


Tout comme Hadidane l’avait imaginé, l'ogresse aussi sotte que de coutume, rentra chez elle, déchira son outre et se mit à la recoudre. Ainsi pensa-t-elle sortir en même temps que le jeune garçon pour pouvoir enfin l'attraper. Entre-temps, Hadidane en profita pour aller puiser de l'eau à la fontaine, ensuite il s'amusa à brouiller la source en retournant le fond à l'aide d'un bâton de sorte qu'il ne restât plus pour l'ogresse pour se désaltérer qu'un sale bourbier. Lorsqu’elle eut fini le raccommodage de son outre, l'ogresse retourna chez Hadidane et de nouveau lui dit :


— As-tu fini Hadidane ? Allons à la source chercher de l'eau ensemble !

— Bien fait pour toi ! lui répondit Hadidane d’un air enjoué. Non seulement j'ai déjà ramené mon eau mais je t’ai aussi brouillé la source !


Étant donné que l'ogresse avait toujours très soif à son réveil, grande fut sa colère à la vue de la source embourbée. Se tournant vers la hutte de fer, elle glapit soudain en détachant les syllabes comme autant de coups de dents :


— Hadidane le Futé,

Certain jour viendra pourtant, ce jour-là

De ton sang je ne ferai qu'une gorgée,

De ta chair qu'une bouchée

Et de tes os je m'aiguiserai les dents.


Plusieurs heures s’écoulèrent. L’ogresse, tenaillée de plus belle par la faim, revint frapper à la porte de Hadidane en lui disant :


— Hadidane mon enfant, oublie mes menaces de ce matin. Je te promets que je ne te ferai aucun mal. Viens, allons chercher des figues !


Et Hadidane rétorqua :


— Mère l’ogresse, mon panier est troué ; je dois d’abord le coudre !


Et la nigaude déchira son panier, puis se mit à le recoudre. Dans l’intervalle, Hadidane sortit furtivement de son refuge et cueillit pour lui les figues les plus mûres. Puis il demeura perché au sommet du figuier. Lorsqu’elle eut fini de coudre son panier, l’ogresse se rendit à la hutte, demanda si Hadidane aurait terminé de rapiécer son couffin pour aller ensemble chercher des figues. Elle attendit un moment au seuil de la porte. Comme la hutte demeura silencieuse, elle s’en alla bredouille près de la source. L’ayant aperçue de loin, Hadidane se mit à appeler à la façon des campagnards :


— Ô ô ô ma tante l'ogresse ! Viens goûter ces figues délicieuses.


L'ogresse s'approcha lentement de l’arbre avec sa fille.


— Hadidane le Futé, fit-elle en s'efforçant de mettre moins d'aigreur dans sa voix, pourquoi nous invites-tu à partager ton déjeuner ?

— Parce que les figues trempées de rosée matinale adouciront peut-être votre cœur en même temps que votre palais, lui répondit Hadidane. Or vous êtes trop petites, ta fille et toi, pour atteindre les plus mûres et vous ne pouvez pas grimper sur l'arbre comme moi.

— Eh bien ! répondit l'ogresse, je te promets pour prix de ce service de ne pas chercher à te dévorer, tant qu'il y aura des figues. Tu vas pouvoir descendre de ton perchoir et jouer avec ma fille en toute tranquillité.

— Entendu, ma tante l'ogresse, répondit Hadidane, la bouche encore pleine. Attention. Ouvrez les mains. Goûtez d'abord ces deux-ci. Et puis ces deux-là…


Choisies parmi les plus pourries, les figues venaient s'écraser sur les yeux des deux ogresses. Aveuglées par les figues, celles-ci s'efforçaient de s'en débarrasser ; mais leur gourmandise était si grande qu'elles cessaient de se nettoyer les yeux pour se pourlécher les doigts. Elles n'avaient pas encore pu décoller leurs paupières qu'Hadidane descendit lestement à terre et courut vers sa hutte.


— Ah ! Ah ! Ma tante l'ogresse, criait-il en riant depuis sa maisonnette, n'ai-je pas bien su choisir les figues ? Et maintenant écoute ceci : j'aime mieux jouer tout seul dans ma hutte en fer qu'avec ta fille aux dents pointues et aux pieds griffus. Je sais que je dois un de ces jours aller dans votre ventre, toi et ta fille. Mais auparavant n'est-il pas juste que vous souffriez un peu ? Aussi j'espère, avec l'aide de Dieu, vous en faire voir de toutes les couleurs !

— Rentrons, ma fille, grommela l'ogresse. Aujourd’hui sa ruse a vaincu la mienne.



********



Et les jours s’écoulèrent. Bientôt Hadidane imagina un nouveau jeu. L'ogresse possédait un âne dont elle se servait pour rapporter son eau, son bois et toutes ses provisions. L'animal venait souvent paître à proximité de la hutte de Hadidane, attiré par des chardons qui y poussaient abondamment. Hadidane choisit le moment où l'ogresse était chez elle encore endormie et, armé d'un bâton, il s’élança sur l'âne, l'enfourcha puis l'obligea à s’approcher de la maison de l'ogresse. Fou de joie, il gambadait en poussant des cris de triomphe. Lorsque éveillée par ce vacarme l'ogresse parut sur le seuil de sa maison, Hadidane se dépêcha de s’enfermer chez lui. Un œil à demi-ouvert, l'autre fermé, elle était très en colère :


— Ah ! Voilà maintenant que tu oses sauter sur mon âne, siffla-t-elle de sa voix terrible. Quel toupet ! Un de ces quatre matins, les barreaux de ta hutte me serviront de gril pour rôtir tes côtes. Ta graisse arrosera le feu et ce sera mon tour de pousser des cris de victoire quand le vent m'en apportera l'odeur !


La saison des moissons arriva, et avec elle la chaleur. Aussi, l’ogresse fit-elle coucher tous ses moutons dehors. Un soir, Hadidane l'appela depuis la fenêtre de sa hutte :


— Ô ma tante l'ogresse ! Vite, viens voir ce que font tes moutons ! Regarde comme ce vieux cornu fait bouger son museau de droite à gauche. C'est pour se moquer de toi. Moi, je ne mime pas les mouvements de ta bouche, tout de même !


« C'est pourtant vrai », se dit-elle. Puis d’un coup de griffe, elle faucha la tête de l’innocente bête. Voyant son voisin bouger aussi son museau de droite à gauche, puis de gauche à droite, l’ogresse tua le mouton à son tour. Excitée par l'odeur du sang chaud, l’ogresse finit par les faire mourir tous les uns après les autres en grinçant des dents.


Hadidane se mit alors à danser en poussant des cris de joie.


— Qu'est-ce qui te prend ? grogna l'ogresse.

— Dieu t'a donné de quoi manger un bon bout de temps, ma tante l'ogresse, répondit Hadidane. Ainsi, tu ne penseras plus jour et nuit à me croquer.

— Je vais te montrer de quel bois je me chauffe !


Puis se tournant vers sa fille, elle lui dit :


— Nous voilà roulées encore une fois. C'est notre tour de montrer à ce diablotin qui nous sommes !


Et ainsi, chaque fois que l’ogresse partait à la chasse, Hadidane quittait sa hutte pour aller s’amuser dans la vallée. De plus, il se faisait un plaisir d’importuner sa fille, parfois même de la frapper et de lui prendre l'âne pour monter dessus. Un jour, alors que l'ogresse déambulait tout en réfléchissant à un piège, elle rencontra un vieil homme sur son chemin ; jugeant qu’il était bien trop vieux pour le manger, elle se plaignit à lui des ruses de Hadidane et promit qu’elle ne s’en prendrait jamais à lui s’il acceptait de l’aider à résoudre son dilemme. Et sans attendre de réponse, elle relata au vieil homme toutes les misères que lui faisait subir Hadidane. L'homme tremblant de peur et voulant à tout prix se tirer d’affaire lui préconisa de mélanger de la glu extraite de la résine des plantes à de l’huile bien chaude et d’en enduire le dos de sa monture afin d’engluer le gamin.


Le lendemain, dès l’aube, l'ogresse et sa fille conduisirent leur âne à la recherche de la résine. À la tombée de la nuit une corbeille fut pleine de cette substance. Elles se levèrent au petit matin, la mirent à chauffer avec de l'huile dans une vieille poêle. Quand la glu fut à point, elles en enduisirent le dos et les flancs de l'âne qui ne tarda pas à prendre selon son habitude le chemin de la hutte en fer. Comme on peut l’imaginer, Hadidane n'avait pas pu résister à l'envie de gambader à dos du bourricot.


Soudain, l'ogresse sortit de chez elle suivie par sa fille. Hadidane s'efforça de sauter à terre, mais ce fut en vain. Les plis de sa tunique ainsi que ses chaussures s’étaient bel et bien collés au corps de l’âne. Pris au piège, il se trémoussa. Il s’agita. Mais chacun de ses efforts ne faisait qu’aggraver l'étreinte de la glu. Déjà l'ogresse, toutes griffes dehors, bouche ouverte et baveuse, lui souffla en plein visage son haleine empestée en criant :


— Et que vais-je faire de toi maintenant ? Je te croque vif ou je te mijote dans une marmite ?


Vaincu, Hadidane, tête baissée, réfléchissait profondément.

« Jusqu'ici la ruse m'a sauvé la vie ! » se disait-il. « Hadidane, tu es bel et bien pris au piège, Vite, trouve-toi encore une astuce pour ton salut ! »

Pendant qu'il attendait une inspiration, la fille lui pinçait les jambes jusqu'au sang avec ses griffes aiguisées.


— Ne me pique pas ainsi, lui dit-il, tu vas me faire maigrir !


Puis il se tourna vers l'ogresse et d'un air dolent lui parla :


— Ton expérience, ma tante l'ogresse, a fini par l'emporter sur ma jeunesse. Consens toutefois à m'écouter un instant, car ce que j'ai à te dire est davantage dans ton intérêt que dans le mien. Tu m'as déjà tâté les côtes et tu n'y as pas trouvé une once de chair. Il ne tient pourtant qu'à toi de m'engraisser jusqu'à ce que je devienne un morceau de roi. Pourquoi ne pas m'enfermer dans un cuveau avec des dattes, des amandes, des noix, des figues et deux aiguilles, une grosse à coudre les matelas et une petite à coudre les tissus fins. Chaque jour tu me demanderas si je suis devenu gras ou si je suis encore maigre. Tant que je te présenterai la petite aiguille, cela voudra dire que je suis encore maigre. Le jour où je te présenterai la grosse aiguille, tu iras inviter les ogresses du voisinage au festin. Comme elles savent toutes que j'ai été longtemps le souci de tes nuits, il est juste qu'elles me voient être l'ornement de ta table. Pendant ce temps, ta fille qui me déteste encore plus que toi aura la joie de me faire rôtir !


L'ogresse ayant accepté, le pauvre Hadidane fut placé tout nu dans le cuveau. Chaque matin, il lui fallait répondre au sinistre interrogatoire :


- Rrrr ! Rrrr ! Hadidane le Futé, es-tu encore maigre ou gras ?


Vivement la petite aiguille sortait d’un trou du cuveau.


- Pas encore ? Rrrr ! Rrrr ! grognait l’ogresse toute seule.


Certains jours cependant, l'ogresse ne prenait pas la peine de s'enquérir. Elle avait fait une bonne chasse et satisfaisait largement sa gloutonnerie. Ces jours-là, Hadidane entendait de tout près pendant des heures les cot cot, les braiements, les bêlements, ou les lâche-moi. Mais il sentait le cœur lui manquer chaque fois que l'ogresse, pressée par la faim, s’approchait du cuveau ; c'était d'une main tremblante qu'il présentait alors la petite aiguille. Quand enfin dégoûté de mener la vie d'un ver, il résolut de tenter sa chance en mettant sans plus tarder à exécution le plan qu'il a avait eu tout le loisir de mûrir.


— Rrrr ! Rrrr ! Hadidane le Futé, es-tu maigre ou gras ?


Cette fois ce fut la grosse aiguille qui sortit.


— Ah ! Ah ! ricana l'ogresse. Maintenant, nous y voilà !


Et elle annonça la bonne nouvelle à sa fille puis lui ordonna ceci :


— Allume un grand feu. Ensuite occupe-toi de finir avec ce Hadidane sans écouter son bavardage. Sors-le du cuveau, coupe-le en morceaux et mets-le à cuire dans cette marmite. Moi, je vais chercher nos invités !


Ce disant, elle partit en courant. La fille aida Hadidane à enjamber le cuveau, tant il semblait alourdi par la graisse.


— Ainsi, tu vas me tuer, soupira-t-il une fois dehors.

— Bien sûr, répondit-elle, qu'as-tu à m'examiner ainsi ?


Le visage de Hadidane exprimait en effet la surprise.


— Je t'ai quittée enfant, dit-il, je te retrouve maintenant jeune fille. Mais pourquoi laisses-tu tes cheveux couvrir tes oreilles ? Dès que tu m'auras mis à cuire, je te conseille de raser le pourtour de ta tête. Ensuite tu te peigneras et tu disposeras tes nattes comme un diadème au-dessus de ton front. Crois-tu que ta mère aurait trouvé un mari si elle ne s'était pas faite belle ? Peut-être le festin de ma mort sera-t-il celui de tes fiançailles !

— Voilà, ma foi, une bonne idée, dit la petite ogresse. Mais voyons Hadidane, je n'arriverai jamais à bien me dégager sur les côtés et surtout par-derrière. C'est toi qui vas consacrer tes derniers instants à ma coiffure.

— Volontiers, répondit-il. Ne suis-je pas ton prisonnier ?


Il commença par lui savonner le front, les tempes, la nuque. Puis, saisissant le couteau qu'elle lui tendait, il fit tomber une grosse touffe de cheveux en disant d'une voix douce :


— Regarde-toi dans la glace… tu vois. Tout ça était de trop. Oh ! Comme tu vas être belle. Ne bouge pas. Crrac !...


Hadidane lui coupa la tète.

Et voilà la petite ogresse par terre.


Avant de retourner se barricader dans sa hutte, Hadidane creusa sur le flanc où l’ogresse habitait à l’intérieur de sa maison en fer, une tranchée le long des barreaux qu’il remplit de bois sec arrosé d'huile. Un peu plus loin, il approfondit un grand trou, y déposa plusieurs outres pleines d'eau. La mère ogresse et ses invitées ne tardèrent pas à arriver, l'appétit aiguisé par la course. Se mettant à l'abri dans le trou au milieu des outres, Hadidane mit le feu. Quand les parois de la hutte commencèrent à rougir, il dissimula les braises sous un peu de terre et cria de toutes ses forces :


— Ma tante l'ogresse ! Je ne suis pas mort. C'est ta fille que vous allez manger, toi et tes invités.


Toutes les ogresses accourent, poussant des cris de rage et cherchant le meilleur moyen de l'atteindre.


— Je sais, leur dit-il, que je ne puis désormais vous échapper, race de dévorants ! Donc le plus tôt sera le mieux. Un dernier conseil : jetez-vous toutes ensemble sur ma hutte !

— C'est ce que nous allons faire, serpent, rugit l'ogresse.


D'un seul élan, la troupe d'ogresses vinrent frapper leur front, à la façon des boucs, contre les barreaux de la hutte brûlants. Et voilà comment elles s’abattirent toutes, dans une horrible odeur de cheveux et de cuir brûlés.


À quelque temps de là, le père revint de la Mecque accompagné de son chameau jaune et de son chameau lilas. Il se reposa longuement dans la maison de son cadet. Puis tous deux reprirent le chemin de leur pays…



____________________

(1) Hadidane vient du mot « hadid » en arabe, qui veut dire fer. Ce conte remonte probablement à des temps immémoriaux, quand le fer fut découvert.


 
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   Anonyme   
4/12/2011
 a aimé ce texte 
Bien
Eh bien, un joli conte, qui reprend des thèmes connus aussi en Occident : le malin qui se sort de toutes les situations grâce à sa ruse, c'est plutôt classique. J'aime bien le dépaysement de cette histoire située dans un contexte oriental, même si les contes ne constituent pas ma littérature préférée.

   Anonyme   
1/1/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Bird,

En voyant le titre de cette nouvelle, j'ai eu un grand sourire pareil à celui que j'avais quand ma mère nous racontait cette histoire, c'est différent par quelques détails, mais le reste est le même, écrit d'un style fluide et minutieux qui arrive parfaitement à décrire ce monde merveilleux.

Je ne saurai ainsi décortiquer ce texte, je l'aime tout simplement.

Merci beaucoup pour cette lecture.

   Palimpseste   
2/1/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↓
J'adore les histoires qui commencent par "il était une fois..."

J'ai par contre été surpris par la note de fin qui fait remonter le conte à des temps immémoriaux. J'ai cru dur comme fer que c'était une transposition des Trois Petits Cochons. Où est-ce justement le trio porcin qui dérive de l'histoire de Hadidane ?

Sur la narration, il y a quelques petites choses que je n'ai pas bien compris, notamment pourquoi l'ogresse déchire son outre ou lacère son sac? J'ai pas bien pigé.

Le récit est également assez déséquilibré entre l'histoire du Pélerinage et la partie strictement liée à Hadidane: on n'a aucune nouvelle de ses frères et le retour au père tient en deux lignes. Dommage car le conte qu'on débute sur un pélerinage, un père, ses trois fils et ses deux chameaux débouche sur autre chose (Hadidane et les ogresses).

Dernière chose, je croyais qu'on disais "glue" pour la colle

Donc, "bien" pour ce bon moment de lecture mais un "-" à cause des petits défauts dans la structure.

   Anonyme   
6/1/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une fort jolie histoire ! Vivement menée, ce qui rend sa lecture agréable ! Personnellement je crois qu'elle mériterait d'être encore un peu dynamisée en élaguant certains passages...
Mais l'ensemble est très agréable, malgré quelques petits défauts d'écriture à corriger mais qui qui se noient au final dans l'ensemble ("marcher à pied" !!!....)

Seul petit bémol, la fin qui me parait un peu expéditive !!! C'est le seul regret !

Bon moment de lecture !
merci


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