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Réalisme/Historique
Bliss : Jamais personne ne nous séparera...
 Publié le 04/03/08  -  15 commentaires  -  8140 caractères  -  59 lectures    Autres textes du même auteur

Quand l'amitié détruit tout...


Jamais personne ne nous séparera...


Je m'appelle Anaïs, j'ai vingt-deux ans. Il y a encore peu de temps, je vivais avec ma meilleure amie, Christina…

Christina, c'était ma moitié, elle était tout ce que j'aurais voulu être : grande, les cheveux noirs, très longs, les yeux noisette, piercée, tatouée : magnifique.

Extravertie, enjouée, rebelle aussi parfois. Souvent…

Et moi, j'étais tout son contraire : petite, sans personnalité, transparente.

Timide, introvertie, peur de tout et de tout le monde…

Nous étions les totales opposées, mais on se ressemblait tellement !


Ça faisait deux ans qu'on se connaissait, elle m'était apparue par hasard, un jour à la bibliothèque. Elle m'a demandé si elle pouvait s'asseoir à ma table, et puis on ne s'est plus quittées.


Au bout de six mois, on a décidé de prendre un appart en coloc. Elle était étudiante en licence d'anglais, ce que j'avais toujours voulu faire ; mais bien sûr, j'avais raté mes études et j'étais vendeuse dans une minable boutique de fringues tout aussi minables, payée à coups de pieds au cul bien sûr !


Christina est entrée dans ma vie du jour au lendemain, et l'a totalement bouleversée.

Elle m'a appris à être sûre de moi, m'a motivée à changer de garde-robe et de look. Grâce à elle, j'ai changé du tout au tout, je suis sortie de ma coquille…

Elle m'a emmenée faire une petite virée chez le pierceur et le tatoueur, chez le coiffeur : le fade de mon blond paille s'est soudain transformé en rouge pétant, tout le monde se retournait sur mon passage ! Du jour au lendemain, je suis passée d'une fille banale, vide, à un pur canon ! Je suis devenue celle que j'avais toujours voulu être.


Je suis devenue Christina nº 2 !


Bon c'est vrai, il arrivait parfois qu'on s'engueule, et quand ça pétait, ça pétait !!! Les voisins devaient en prendre plein les oreilles ! Nos disputes ressemblaient souvent à des scènes de ménage, et parfois Christina partait en claquant la porte, ne revenait que le lendemain, voire plusieurs jours plus tard, souvent complètement défoncée. Dans ces moments j'étais folle de jalousie, car je savais qu'elle n'avait pas été seule durant ces jours d'absence… Je ne savais pas où elle allait, et je ne le saurais sans doute jamais, mais le principal, c'est qu'elle est toujours revenue, et qu'on oubliait tout ça.


Je crois qu'en fait, on ressemblait plus à un couple d'amoureuses qu'à des colocs. D'ailleurs, après des soirées bien arrosées, enfumées, empoudrées, ou pour nous réconcilier de nos fréquentes disputes, il n'était pas rare que nous finissions dans le même lit, à faire l'amour comme un vrai couple. Mais cela restait très exceptionnel et n'entachait en rien notre amitié profonde.


On semblait bizarres, oui. C'était souvent que, dans la rue ou dans le bus, les gens nous dévisageaient ou s'écartaient, comme par peur. Au début, je me demandais pourquoi. Aujourd'hui, maintenant qu'elle est partie, j'ai compris…


Et puis, petit à petit, nous nous sommes désocialisées…

Nous vivions à part, nous étions dans notre monde, notre bulle, complètement isolées du reste du monde. Nous n'avions pas d'amis, et pas besoin d'amis, nous nous avions, nous. Nous n'avions pas de mecs non plus, nous nous satisfaisions nous-mêmes, sentimentalement et physiquement. Et si un garçon s'intéressait à l'une de nous, il ne restait jamais longtemps, sans doute effrayé par la jalousie de l'autre.


Sans doute…


Nous avons vécu ainsi pendant longtemps, sans nous soucier des autres, ni même de nos familles. Plus rien ne comptait.


Nous ne sortions plus de chez nous, loquant dans notre appartement miteux avec une petite chatte noire et blanche que nous avions recueillie et appelée Domino. Elle seule comptait pour nous.

Nous ne répondions ni au téléphone ni à la porte, nous ne nous lavions plus, nous ne mangions presque plus, nous forçant simplement à sortir pour acheter à manger pour Domino.

Et d'ailleurs, les jours de déprime et de grosse flemme, il nous arrivait de piocher dans ses boîtes, afin de ne pas mourir de faim. Les volets restaient désespérément clos, les déchets s'amoncelaient sur le sol, l'odeur nous prenait la tête quand nous rentrions dans l'appartement.


Les seules choses qui nous gardaient en vie et nous motivaient à bouger notre cul, c'était nos doses quotidiennes d'héroïne qu'on s'injectait mutuellement dans les veines.

Nous étions de véritables mortes-vivantes, pleurant dans les bras l'une de l'autre sur notre sort, nous mutilant parfois pour nous prouver que nous étions toujours en vie, pour faire sortir cette douleur omniprésente.

Souvent la folie nous prenait, on criait, on hallucinait, des visions horribles courant devant nos yeux ; on s'arrachait les cheveux, se tapait la tête contre les murs, balançait des assiettes, des verres contre les murs… Et, une fois la crise passée, on ne se souvenait plus de rien…


C'est ainsi qu'un jour, nous avons retrouvé Domino morte au pied du lit. Était-elle morte de faim ? Lui avions-nous fait du mal pour finalement la tuer ? Je ne le saurais jamais. Tout ce que je sais, c'est que cette perte nous a fait définitivement péter les plombs. Nous nous sommes mises à nous engueuler violemment, nous accusant mutuellement d'être coupables de la mort de Domino, jusqu'à nous battre et nous blesser. Il m'est arrivé de me réveiller avec des bleus, les yeux au beurre noir, des touffes de cheveux en moins, les bras et les joues lacérés. Il en était de même pour Christina, et à chaque fois nous nous réconcilions, des larmes dans les yeux, pour mieux recommencer le lendemain…


Nous avions touché le fond, et personne ne pouvait plus rien pour nous aider. Nous étions seules au monde, et le monde nous rejetait, ignorait même notre existence.


Puis un jour, après une énième crise de folie, je me suis réveillée dans une chambre d'hôpital, entourée de mes parents et mon frère, tous effondrés.


Je me suis redressée, paniquée et cherchant des yeux dans tous les recoins de la pièce mes deux seuls amours, Christina et Domino (que nous avions décidé de garder dans l'appartement malgré l'odeur pestilentielle du corps en décomposition).

Je criais, m'arrachais les cheveux, insultais mes parents, comme folle, souhaitant une seule chose, que Christina soit avec moi.


Une infirmière est alors arrivée et m'a injecté une dose de sédatifs. Calmée, shootée, mes parents m'ont tout expliqué, calmement, bien que, encore aujourd'hui, enfermée dans cet asile de cinglés, je ne sois pas totalement convaincue…


À ce moment-là, j'ai pris une énorme claque : Christina était partie, pire, elle n'était jamais venue, n'avait jamais existé, sauf dans ma tête…


Il paraît qu'on appelle ça la schizophrénie, et c'est cette double personnalité qui m'aurait complètement anéantie. Le pire c'est que ce phénomène serait arrivé par hasard ; un jour, mon esprit aurait "vu", inventé Christina et l'aurait adoptée, la fille idéale à mes yeux, celle que j'aurais voulu être.


D'une certaine façon, j'y suis arrivée…


Mais je n'y crois pas, enfin, j'ai du mal à y croire, c'est impossible.


Nous avons vécu de si merveilleuses années, elle m'avait tellement aidée psychologiquement, nous étions des phénomènes à nous seules, les gens nous regardaient bizarrement, comme par peur.


Bizarrement, comme par peur…


"Cette fille est folle, elle parle toute seule"


Non, ce n'est pas possible.


Aujourd'hui, je suis enfermée dans un hôpital spécialisé, entourée de malades mentaux, je me fais soigner, mais je ne suis pas malade ! JE NE SUIS PAS MALADE !


Je sais que j'ai raison, Christina va revenir, j'entends déjà ses pas, sa voix dans le couloir, elle va venir me chercher, me tirer de cette merde après m'y avoir laissée seule si longtemps…


Mais je m'en fous, Christina, reviens, je t'aime


Je t'aime…


Des fois, je l'entends qui me parle, qui me rassure. Elle me dit qu'elle ne peut pas venir me chercher, m'enlever de ces tyrans, mais que moi, je peux la rejoindre, qu'il suffit que je prenne cette lame de rasoir, ou que j'enroule ce lacet autour de mon cou…


J'arrive Christina…


Je t'aime trop pour te perdre à jamais…


J'arrive…



 
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   clementine   
4/3/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Cette nouvelle a su me captiver.
J'ai lu rapidement, et presque jusqu'au bout, je n'ai pas vu venir la chute.
L'écriture est très plaisante.
Sale maladie qui vous vole l'âme.Tu l'as très bien décrite.

   Anonyme   
4/3/2008
c'est touchant, le style est tout naturel, tout de go comme on dit, sans ambages, cash...

   strega   
4/3/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Et bien Bliss, rassures-toi, perso' je n'ai pas vu venir la chute, mais alors pas du tout.

Sinon, purée (pour rester polie) que ça m'a captivée. Je suis absolument cliente de ce genre d'histoires là. L'histoire est raccontée sans fioritures, sans détours, dans un langage à la limite du langage parlé et c'est très bien pour cette tragédie urbaine.

C'est absolument réaliste, c'est très facile à lire (dans le bon sens) parce que c'est racconté sur un rythme rapide. La déchéance se voit très bien aussi, jusqu'au sordide passage de la conservation du chat.

Vraiment j'ai adoré. (encore)

Bravo et merci pour cet urbanisme, ce rapport à la ville contemporaine, sale, gris, destructeur et pourtant si réel. M'écouterais bien un petit Ministry sur ta nouvelle moi tiens ;)

Encore bravo.

   marogne   
4/3/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
"Figth club" au féminin.

J'ai bien aimé le crescendo dans la "déchéance" et la violence, et la folie. Ce double idéalisé qui vous conduit trop loin si on n'arrive pas à le maitriser.

J'ai bien aimé le style le langage, moderne, pas sophistiqué, et ça donne un coté plus sincère à la fin, on arrive à croire à l'histoire.

j'avais beaucoup aimé "figth Club" et avait été presque aussi surpris par la fin (bien que quelques scènes permettent de sentir vers où on se dirige vers la moitié du film), et puis encore, on ne peux pas ne pas citer le divin Hitchcock. Pourquoi ces citations? Je trouve qu'un texte est d'autant plus réussi qu'il permet de ressentir, de retrouver d'autres images, d'autres textes, d'autres situations, c'est là qu'il démontre son authenticité. Oui, deux références à des films superbes pour qualifier ce beaux texte.

   studyvox   
5/3/2008
Moi aussi, je n'ai pas deviné la fin.
L'analyse clinique est digne d'Oliver Sacks.
J'ai cru relire des passages de "l'homme qui prenait sa femme pour un chapeau"
C'est très bien écrit et la note de 16 est tout à fait méritée.
Bravo pour cette réflexion

   Toscanelli   
5/3/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai envie de dire que c'est vraiment bon, et je le dis d'ailleurs.
Merci pour cette histoire.

   widjet   
6/3/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
En effet, l'auteur ne cherche pas à enjoliver cette maladie avec des effets de style littéraire : c'est direct et d'une confondante sincérité. Ce choix tout à fait respectable m'a au final empêché de ressentir l'émotion de cette histoire pourtant terrible qui paradoxalement manque de force (enfin pour moi) et de fluidité. Enfin, à vouloir tout et trop expliquer (quitte à se répéter) j'ai également eu la sensation que l'auteur craignait que le lecteur ne puisse pas comprendre ce qui se tramait. Cela étant et une fois encore, l'auteur ne triche pas et dit les choses avec une authenticité touchante. Merci BLISS.

Widjet

   aldenor   
6/3/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Prenant, surprenant.

   Anonyme   
6/3/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Ca se lit de bout en bout aisément.

Dérangeant, sans complaisance.

Fort.

   jensairien   
6/3/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une histoire poignante. Ecrite comme un témoignage, sans fioriture, sans véritable style (sauf à la fin je trouve), telle qu’une jeune fille douée pour l'expression écrite aurait pu déposer dans la rubrique courrier des lecteurs d'un mensuel pour jeunes adultes.
C’est un peu dommage donc, à mon goût, que ce texte ne possède pas l'élan d’une véritable nouvelle littéraire.
Cela dit, la dernière partie, quand la narratrice se retrouve dans son hôpital confrontée au réel, la puissance évocatrice du texte prend une toute autre dimension. Une très belle histoire en tout cas.

   champagne   
9/7/2008
j'ai bien aimé cette nouvelle.
Bizzarement j'avais songé au personnage à deux personnalités, quand tu mentionne le fait qu'elles dorment dans le même lit et que les gens avaient peur d'elles...C'est peut-être parce que j'ai déjà écrit une nouvelle qui traite du même sujet. ça m'a fait penser au film "Fight club", avec Norton et Brad Pitt.
donc bien que peu surprise par la chute, j'ai apprécié te lire !

   xuanvincent   
19/7/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai apprécié cette nouvelle, sur le thème (non attendu, comme studyvox, je ne l'ai pas vu arriver) de la schizophrénie.

L'histoire m'a paru bien écrite et de lecture aisée. Le(s) personnage(s) féminin(s) m'ont/ m'a intéressée.

La fin m'a émue.

   Bidis   
28/3/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Scotchée !
Le style accroche et l'histoire se déroule crescendo jusqu'à l'uppercut final.

   Anonyme   
28/3/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Waou...
je suis passé complètement à côté de ce texte poignant, fort, cruel presque...

J'ai adoré... c'est très finement écrit, magnifiquement amené...

Dès le moment où l'on entre à l'hosto, c'est le grand frisson !

merci Bliss, une très chouette claque

   Mimi-Crazy   
30/5/2010
 a aimé ce texte 
Bien
J'aime beaucoup cette nouvelle qui, tout comme pour marogne, m'a directement fait penser à Fight Club quand la fin arrive. Le sujet est vraiment fort, et la nouvelle captivante.


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