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Réalisme/Historique
Boudhah : Mes premiers pas
 Publié le 18/07/13  -  7 commentaires  -  7768 caractères  -  82 lectures    Autres textes du même auteur

Un homme, seul, se remémore sa vie alors qu'il s'apprête à commettre l'impensable.


Mes premiers pas


Ma main droite, crispée, tient solidement un barreau. Lâche, ma main gauche pend inutilement dans le vide. Mes jambes flageolantes s'engouffrent dans d'immenses bottines, agrippées à un métal qu'à défaut de sentir, j'imagine glacial.

Je sais qu'ils m'observent tous. Je respire si fort. Même eux, aussi loin soient-ils, doivent l'entendre. Hommes, femmes et enfants ; je n'ai pas besoin de les voir pour sentir qu'ils me regardent comme s'ils n'avaient jamais vu ça, comme s'ils n'allaient plus jamais le voir, comme s'ils doutaient même que cela était en train d'arriver. Peut-être ont-ils raison. Je ne sais pas si j'oserai, ou si Dieu me le permettra.

Tout autour est silence, calme. Pas de vent, pas de bruit, je suis simplement baigné d'une lumière blanche, pure. Je prends encore un instant pour considérer mon hérésie, le geste que je m'apprête à commettre. Alors, lentement, mes doigts se desserrent. Mes semelles se détachent. Et ma vie défile devant mes yeux.


*


Je suis né en 1930, dans l'Ohio. La Prohibition devait encore durer trois ans. Mes parents n'avaient jamais souffert d'alcoolisme mais cette loi eut tout de même des conséquences sur mon existence ; mon père, d'origine écossaise, était commissaire aux comptes : son travail consistait en la vérification des comptes des entreprises et commerces. Il aimait à dire que sous chaque plancher qu'il visitait se trouvait une rivière de billets verts dont la source était faite d'alcool. Il n'a jamais été bon orateur. Toujours est-il que le Volstead Act fit son fond de commerce et, en seulement trois ans, il fut affecté à quatre localités différentes ce qui, pour ma mère et moi, signifia autant de déménagements. Cela n'eût pas été gênant – car je n'avais pas encore âge de raison – si sa carrière s'était arrêtée en même temps que la Prohibition. Mais sa capacité était prouvée et, dans les onze années qui suivirent, nous et nos cartons visitions – quoique nous n'eussions parfois pas le temps d'en inspecter la moindre allée – seize autres villes.

Je n'avais donc jamais eu le temps de lier d'amitiés ; chaque enfant que je rencontrais semblait un ami de vacances : jumeau un jour et oublié la semaine suivante. Mon enfance fut donc faite d'une relative solitude, épargnée seulement par ma sœur et mon frère, tous deux beaucoup plus jeunes que moi. Cet isolement me permit de développer ma curiosité : j'aime à croire qu'il n'existe aucun livre écrit dans ces années-là que je n'aie pas lu. Mon appétit intellectuel donna, par l'intermédiaire de mes résultats scolaires, satisfaction à mes parents étonnés de ne pas me voir plus bousculé. Je ne souffrais pas de dépaysement car, où que je sois, je voyais toujours les mêmes étoiles.

Parfois notre maison se situait à l'écart des villes. Je profitais alors de mes après-midi pour parcourir les champs et les prairies qui me rappelaient les histoires que mon père me racontait maladroitement à propos de son pays. Les épopées de ces guerriers m'ayant marqué (j'ai amené le tartan de notre clan jusqu'ici), je ne rechignai pas quand, bien plus tard, je fus appelé pour le service militaire au milieu de mes études d'aéronautique. Deux ans plus tard, j'officiais comme pilote d'avion dans la guerre de Corée.


*


Me voilà, tout habillé de blanc, un phare suspendu au milieu du néant. Il n'y a plus rien entre le sol et moi que la distance. Mon cœur bat frénétiquement. Dans chaque articulation, chaque recoin de mon corps, je sens le sang gonfler mes veines puis, un instant plus tard, se retirer. Marées incessantes.


*


Je survolais vers l'amont un fleuve au nom imprononçable. Mon avion, un Panther noir au fuselage acéré, progressait vers le levant. Le soleil, gigantesque disque rouge à l'horizon, reflétait ses rayons dans les vaguelettes de l'onde. Ces éclats me ravissaient, quand ils ne m'éblouissaient pas. Mes oreilles, envahies par le vrombissement du moteur de mon coucou, se repliaient chaque seconde un peu plus sous l'agression de cette cadence endiablée. Hypnose. Ma mission était de bombarder un pont. Je n'étais à vrai dire pas tout à fait sûr duquel il s'agissait. Il me semblait confusément me rappeler que ma cible était le troisième et dernier bien que, sur le plan, j'en aie compté quatre. J'avais déjà passé deux enjambements mais je ne voyais que la rivière depuis plusieurs dizaines de minutes déjà. Peut-être mon but m'avait-il échappé, camouflé par un faisceau de lumière inopportun. De ce brouillard de couleur et de bruit naissait le doute.

L'astre rubescent, prenant de la hauteur, dissipa la brume en éclairant le pont. Large construction de pierre, il joignait les deux rives à leur endroit le plus rapproché, au point d'en paraître carré. Sur son dos, une cohorte d'êtres et de chariots s'activait, comme un manège de fourmis rouges. Cette vision absurde me fascina mais je ne pus la contempler que quelques instants avant de larguer la bombe avec mes remords, laissant derrière moi une boule de feu écarlate projetant ses éclats.

Pris entre deux feux, je ne l'ai pas vu à temps, n'ai pas pu l'éviter : un gigantesque câble tendu devant mon nez. L'aile droite de mon zinc fut arrachée. Ballotté en tous sens, je connus une panique que je n'expérimenterais plus jusqu'à aujourd'hui. Forçant, tirant sur chaque levier qui tombait sous mes mains gantées, poisseuses de sueur, je réussis à stabiliser l'appareil endommagé et, par un dernier effort, m'en éjectai ; en plein territoire ennemi.


*


J'ai fait la guerre. J'ai tué pour mon pays. Mais je ne suis plus militaire aujourd'hui. Après ce moment, quand j'aurai touché le sol, que j'y aurai laissé mon empreinte, comment se souviendra-t-on de moi ?


*


C'était une pièce sombre et froide. Une ampoule, unique et fatiguée, l'éclairait de son mieux. Les murs, peints d'un blanc qui me semblait noir, étaient débarrassés de toute décoration. Tout dans cette pièce était lisse, aucun détail ne venait distraire mon regard. On aurait dit le rêve d'un simple d'esprit. J'étais assis, seul en face d'eux. Ils m'observaient d'un air avide, attentifs.


– Répétez.


Déjà, j'avais subi "l'examen médical" ; long et douloureux processus à la suite duquel ils avaient laissé les autres partir. Mais pas moi. Et ils semblaient à ce moment avoir trouvé un nouveau moyen de torture. Ma gorge était sèche, ma langue douloureuse. Pas d'eau, ils jugeaient probablement cette séance anodine, n'avaient pas pensé qu'elle pût être éprouvante pour moi, en qui ils plaçaient leur espoir. Je n'étais qu'un coffre à leurs yeux, un réceptacle vide tout prêt à recevoir ce rêve qu'ainsi ils faisaient mien.


– Répétez !


Pour eux, pour les contenter, je proférai cette litanie une fois de plus, pour la centième, la millième fois. À force de répétition, je n'y trouvais plus de sens. Je détachais chaque mot, chaque syllabe, m'accrochant à leur sonorité pour ne pas laisser paraître que je ne les comprenais plus.


– Encore.


Je me rappelai les fourmis rouges, piégées dans une ronde infinie.


*


Voilà si longtemps que j'ai lâché prise. Je tombe doucement, comme si rien n'était autorisé à briser le calme en ce lieu. Ces quelques centimètres m'en paraissent des milliers. Chute interminable. Le goût de ma salive afflue dans ma bouche. Je déglutis. J'essaye de me calmer, d'arrêter mon souffle, mon sang, ma morve, mes larmes.

Et là, si loin de tout et de tous, alors que mon pied est sur le point de toucher la surface tant désirée, je prononce ces mots qu'Ils m'ont fait répéter encore et encore, jusqu'à ce qu'ils me viennent plus facilement que mon propre nom :


– C'est un petit pas pour l'homme, un bond de géant pour l'humanité !


 
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   Anonyme   
28/6/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Joli ! J'attendais bien sûr tout à fait autre chose et étais prête à râler de ne pas en savoir davantage sur les causes du suicide du narrateur. Ben non, voilà, il s'agit de Neil Armstrong qui marche sur la Lune.

La séance de "torture" pour bien lui planter dans le crâne la phrase à prononcer, j'y ai cru. Et, après la lecture, je me dis que le texte parle de l'aliénation, bien sûr, de l'instrumentalisation de chacun, à commencer par le père du narrateur. Le thème est évoqué de manière insistante. Bonne construction, pour moi, chaque épisode dessine un tableau sinistre et la phrase de fin lui donne un éclairage tout particulier : ce tableau sinistre vaut pour tous, y compris ceux que les dirigeants "glorifient". Je ne sais pas si je vous suis jusqu'au bout de ce pessimisme, en tout cas c'est nettement exprimé.

   brabant   
18/7/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour Boudhah,


Ainsi, "l'impensable", ce serait l'alunissage... après que vous nous ayez baladé des Incorruptibles à la Guerre de Corée. Y a-t-il un rapport avec la biographie de Neil Armstrong (famille, parcours militaire...) ?

Que voulez-vous démontrer ? Que nous sommes tous des rouages d'un système qui nous formaterait... Cela on le sait déjà.
Ben oui quoi ! Pourquoi être sibyllin ?


Peut-être serait-il intéressant de définir le mot "humanité"... ou est-ce un nouveau leurre dans votre esprit vu que "l'homme" en est déjà un, de leurre ?

Dans l'attente d'un (+) je m'en tiens donc au (-)...

lol

   Robot   
18/7/2013
 a aimé ce texte 
Un peu
Certes, la rédaction est fort correcte mais je n'ai pas accroché. Peut-être parce que je n'ai pas saisi de lien entre la vie antérieure de cet homme avec le pas sur la lune.
Rien ne nous mène même discrètement vers la chute. Il n'y a pas de fil caché qui nous conduirait à dire à la fin:
"Ah oui, BIEN SÛR, il s'agissait d'Armstrong!"
Là, sans la phrase célèbre le personnage aurait pu être un plongeur pêcheur d'huitre anonyme. Il me semble que l'effet de surprise est gâché justement parce que rien ne nous y emporte. Pour moi, je me suis dit:
"Bon, c'était une mini biographie d'Armstrong". sans ressentir en quoi que ce soit qu'il ait pu éprouver de la frustration.
Je dirais que l'ensemble manque de consistance.

   toc-art   
19/7/2013
j'aime bcp l'idée, très originale mais bcp moins le traitement qui en est fait. Les flash-back sont trop destinés à distiller d'éventuels indices en restant très factuels, presque journalistiques alors que l'angle choisi étant les pensées du narrateur, ces retours en arrière devraient à mon sens être bcp plus personnels et entrer dans l'intimité psychologique du narrateur. L'auteur pour moi est resté prisonnier de son idée, de son canevas, et n'a pas osé "tricoter" vraiment sur la psychologie et la "chair" même du personnage, c'est dommage.

par ailleurs, question écriture, j'ai trouvé que ça manquait parfois de fluidité avec une maîtrise aléatoire de certaines concordances de temps et quelques formulations approximatives.

Cependant, je le répète, je trouve l'idée de départ drôlement chouette et très originale.

   Acratopege   
21/7/2013
 a aimé ce texte 
Un peu
Comme d'autres, j'ai été agréablement surpris par l'originalité du texte, bien écrit même si j'aurais désiré davantage de "coutures" entre les diverses parties. Je veux dire que l'ensemble m'a paru un peu décousu, ce qui a rendu ma lecture un peu laborieuse et m'a empêché de comprendre tout de suite le propos au moment de la chute. Le saut depuis le territoire ennemi jusqu'à l'interrogatoire qui mène au grand pas pour l'humanité a été un peu trop long pour moi: je ne me suis pas cassé la figure, mais bien tordu une cheville quand même. Peut-être, à mon goût, y-a-t-il dans votre récit trop de théâtres d'opération en quelques paragraphes. Une histoire mieux développée, donc plus longue, m'aurait davantage séduit.
Je dirai aussi, comme d'autres: bravo pour l'idée originale.

   Anonyme   
27/7/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
C' est une façon très particulière de traiter ce sujet. J' hésite entre le réalisme et la fiction. Je me suis demandée pourquoi la torture... et j' ai compris que c' était du «bourrage de crâne», passez moi l' expression. Ce qui me manque c' est le ressenti du personnage. Était-il fière ou pas. On a plus l' impression que c' était un calvaire plutôt qu' un honneur. J' ai beaucoup aimé le style d' écriture limpide et clair. Merci de m' avoir fait passer un bon moment de lecture.

   AntoineJ   
15/8/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↓
pas mal, je ne m'attendais pas du tout à la chute et du coup toute l'histoire prend un autre sens ... excercice intéressant ma foi !

j'ai du coup été jeter un oeil à "http://fr.wikipedia.org/wiki/Neil_Armstrong" .. votre histoire tient debout ...

Manque à mon avis des liens pour permettre à un candide d'avoir une idée de ce qui se passe ...

je trouve sinon les passages dans le "présent" assez fade au final par rapport à l'évènement lui même ...

certaines tournues sont à mon avis à revoir (même si le tout semble vous avoir fait plaisir en l'écrivant) comme : "Il n'y a plus rien entre le sol et moi que la distance"


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