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Aventure/Epopée
boutros : Entre les dunes
 Publié le 01/10/13  -  9 commentaires  -  8632 caractères  -  126 lectures    Autres textes du même auteur

Nous traversions le Sahara occidental, cette bande de terre célèbre pour les féroces « rezzous » qui attaquaient les aviateurs tombés du ciel à l’époque de l’Aéropostale.
Un matin m'apparut une créature enveloppée de voiles agités par le vent du désert…


Entre les dunes


Il était une fois trois compagnons qui traversaient le Sahara en minibus. Chaque soir ils quittaient la route et campaient sur le sable fin d'une dune, là où les serpents ne vont pas, leur avait-on dit. Couchés sur le dos sous de grandes couvertures, ils résistaient le plus longtemps possible au sommeil pour contempler les étoiles les plus brillantes qu'ils aient jamais vues. Puis ils s'endormaient, épuisés par les heures de route.

Un matin, l'un des compagnons, réveillé le premier, s'éloignait un instant du campement. Il s'aperçut avec inquiétude que leur trajet la veille les avait éloignés de la route, invisible à présent. Quelle direction devraient-ils prendre ? Soudain surgit, on ne savait d'où au milieu de la plaine infinie, une silhouette tout emballée d'amples étoffes bleues et noires. S'il s'attendait à rencontrer une beauté orientale il dut s'exhorter à la patience car le temps n'était pas encore venu : une voix d'homme sortit des textiles.


– Salam aleïkoum.

– Oua aleïkoum as-salaam.

– Ça va ?

– Ça va. Et toi, ça va ?

– Ça va bien.


L'être tout emballé attendit un peu, puis parla :


– Tu n'as pas encore vu l'endroit où atterrit le Petit Prince ?

– Non. C'est près d'ici ?

– Pas loin. Tu ne savais pas ?

– Non, je ne savais pas. Est-ce qu'on y voit les restes de son engin inter-spatial ?

– Non, pas du tout. Seulement c'est là qu'il est arrivé en premier, longtemps avant de rencontrer l'aviateur de chez vous, Saint-Exupéry.

– Avant Saint-Exupéry ? Et qu'est-ce qu'il a fait, le Petit Prince, en l'attendant ?

– Ça je ne le sais pas exactement, mais si ça t'intéresse, tu peux demander au Hakim. C'est lui qui a gardé la chronique de la commune. Il a écrit sur des peaux de gazelle, c'est solide, ça dure des siècles. Mais c'est en arabe, bien sûr.

– Vous avez un manuscrit qui raconte l'histoire du Petit Prince avant sa rencontre avec Saint-Ex et personne ne l'a encore traduit ?

– Tu peux demander au Hakim. Il est là-bas, dans sa bibliothèque, un bâtiment à moitié ensablé vers le puits, là-bas, derrière ces dunes. Tu veux venir ?

– C'est que mes compagnons ne sont pas encore réveillés…

– Ce ne sera pas long. On y va avec ma Jeep. Si tu veux.

– Bon, l'occasion est trop belle. Je laisse un mot et je viens.


Un peu plus tard – le soleil torride avait supplanté la nuit glaciale –, le deuxième compagnon se réveilla. Il lut le message du premier compagnon et s'éloigna un instant du campement. Surgit devant lui, sorti de nulle part au milieu de la plaine infinie, un homme tout emballé d'amples étoffes bleues et noires.


– Salam aleïkoum.

– Oua aleïkoum as-salaam.

– Ça va ?

– Ça va. Et toi, ça va ?

– Ça va bien.


L'homme tout emballé attendit un peu, puis parla :


– Tu n'as pas encore visité notre musée du désert ?

– Qu'est-ce que c'est que ce truc pour attirer les gogos de touristes ?

– Ce n'est pas un truc pour attirer, ce sont des peintures du musée de Barcelone. Elles ont été amenées ici en 1936, pendant la guerre civile espagnole. Le conservateur du musée, à Barcelone, était un partisan anarchiste. Quand les franquistes ont pris le dessus, il s'est enfui avec tout ce qu'il pouvait emporter et il est venu se réfugier ici, au fin fond du Rio de Oro.

– Dans une colonie espagnole ? Ça ne tient pas debout ton histoire.

– C'était le seul endroit où il pouvait aller sans passer de frontière. Avec son chargement de tableaux, il ne pouvait passer aucune douane sans prendre de gros risques.

– Admettons. Et il a réussi à cacher toutes ces peintures ?

– Ici, dès que vous sortez de la route, il ne passe jamais personne, à part les bergers sahraouis.

– Alors vous avez de belles peintures ?

– Très belles : Velázquez, El Greco, Nicolas Poussin, Titiano, même un Vermeer.

– Ça alors. Mais… vous ne les montrez jamais au reste du monde.

– Quand le conservateur de Barcelone est mort, il nous a demandé d'attendre jusqu'à ce que le Sahara soit libéré des occupants étrangers, jusqu'à ce qu'il ait retrouvé son autonomie. Donc nous attendons.

– Mais… et entre temps ?

– Entre temps, nous conservons soigneusement. Et nous ne montrons ces tableaux qu'aux voyageurs égarés, à condition qu'ils acceptent d'être ensuite ramenés à la route les yeux bandés. Tu veux venir voir ?

– C'est que mon compagnon dort encore…

– Laisse-lui un mot. Il viendra nous rejoindre quand il se réveillera. J'ai la Jeep, là.


C'est ainsi que le deuxième compagnon quitta le campement.


Quand, bien plus tard, en plein cagnard, le troisième compagnon se réveilla, il trouva les mots de ses deux compagnons. Encore un peu vaseux, il s'éloignait du campement un instant quand surgit devant lui, sortie de nulle part au milieu de la plaine infinie, une silhouette tout emballée d'amples étoffes bleues et noires. La silhouette écarta les tissus qui couvraient son visage. C'était une femme d'une beauté à couper le souffle.


– Salam aleïkoum, dit-elle.

– Oua aleïkoum as-salaam, répondit le troisième compagnon.

– Ça va ?

– Ça va. Et toi, ça va ?

– Ça va bien.


La femme attendit un peu, puis parla :


– Tu es seul ?

– Apparemment mes compagnons se sont absentés.

– Tu n'as pas encore fait tes offrandes pour les futures générations sahraouies ?

– Quelles offrandes ?

– Chez nous c'est une coutume. Si tu passes, tu peux nous offrir une nouvelle, un tuyau, une histoire inédite et plus si entente. Nous avons besoin de sang frais, quoi.

– Si c'est une coutume, je m'y plierai bien volontiers, répondit poliment le compagnon.

– Il faut gazouiller comme les oiseaux, dit un proverbe chez nous. Tu peux venir dans ma tente quelques minutes. Ce n'est pas loin, derrière les dunes là-bas.

– C'est que je dois attendre mes compagnons…

– Ne t'inquiète pas. Laisse-leur un mot. On y va avec ma Jeep.


C'est ainsi que le troisième compagnon quitta, les jambes flageolantes, le campement à son tour.

La matinée passa.

Pendant que le soleil était si haut que toute ombre avait disparu, trois véhicules déposaient, à bonne distance l'un de l'autre dans la vaste plaine nue, les trois compagnons – et repartaient, laissant le silence sans faille retomber d'un horizon à l'autre dans la chaleur de l'après-midi. Les compagnons se dirigèrent lentement vers le lieu où ne restait, de leur campement, qu'un jerrican contenant vingt-cinq litres d'eau légèrement saumâtre. Sur le jerrican, une carte de visite de grand luxe, lettres en relief sur papier gaufré où on pouvait lire :


Avec les compliments de

Son Excellence Fatma Abdaham

déléguée territoriale du Front de Libération du Sahara.

et ses remerciements pour votre minibus,

important soutien à notre juste combat.

Soyez les bienvenus sur tout le territoire du Sahara.

Les transports vous sont assurés gratuitement,

ainsi que le coucher et le couvert dans toutes les villes

où nous avons une représentation.

P.S. : Une attention toute spéciale à celui d'entre vous

que ni l'impatience du matin, ni le désir de voir n'a détourné

de moi. Je donne plus à voir que le voyant, plus à entendre

que le poète et plus à admirer que le peintre, car je n'ignore

rien du cœur des hommes.

Signé : Fatma.


* * *


Après cette histoire, je décidai que les machines, quelles qu'elles soient mais surtout les minibus, n'ont décidément aucun intérêt. Je confiai cette conclusion finale à Seïf-al-islam ("le sabre de l'islam"), un mystique soufi avec qui je buvais un thé brûlant à l'heure de la sieste, dans une de ces bibliothèques ensablées de la triste ville sainte de Chinguetti, à moitié engloutie par l'avancée des dunes. Le saint homme se redressa brusquement pour corriger mon français :


– Les machines quelles qu'elles fussent ? Et la machine à laver le linge ? Vous ne pouvez dénigrer ce don du Ciel. Béni soit celui qui a reçu l'inspiration de construire ce moulin ailé qui allège les épuisantes tâches domestiques.

– Je suis d'accord avec vous, la lessive sans machine, c'est l'enfer.


Je formai le vœu pieux que les dames de Chinguetti disposent (pardon : disposassent) de machines à laver le linge. Seïf-al-islam se tourna lentement vers l'Orient, leva ses longues mains fines et dit :


– Paradis ou Enfer, les deux sont Tes Créatures, ô Seigneur. Pourquoi aurais-je une préférence pour l'un ou pour l'autre, alors que partout je suis auprès de Toi, Amour parfait ?


Je m'abstins bien sûr de tout commentaire sur cette profession de foi. Je notai cependant qu'elle ouvrait des perspectives intéressantes, puisqu'elle rendait tout, absolument tout, acceptable et même recommandable.


** ** **


 
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   Anonyme   
1/10/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
C'est insolite et plutôt plaisant, ce mélange de conte et de réalité bien triviale (l'appropriation du minibus). Soit dit en passant, Fatma remercie particulièrement le troisième voyageur qui s'est intéressé à elle plutôt qu'aux merveilles qu'elle proposait de voir, mais d'emblée elle s'est présentée à lui comme une femme, tandis que les deux autres ont vu un homme ! Pour moi, c'est plutôt injuste.

Sinon, je le répète, j'ai bien aimé cette ambiance à la fois détachée du réel et ancrée en plein dedans, et la "coda" de la fin a prolongé le dépaysement. Le texte, de ce point de vue, réussit à mes yeux l'exercice difficile de garder un équilibre entre rêve et prosaïsme (l'éloge de la machine à laver par un soufi, je trouve ça extraordinaire !)... ça me plaît, je suis déroutée de manière subtile, sans grands effets littéraires mais avec efficacité.

   Acratopege   
6/2/2014
 a aimé ce texte 
Bien
Récit agréable à lire, qui rappelle heureusement le Petit Prince au jour. La structure du récit est sans faille, sa tonalité plutôt sérieuse, voire dramatique, mais le contenu un peu abracadabrant fait contraste et empêche de se plonger vraiment dans cette ambiance. J'ai assez aimé cela, qui m'a fait penser à un conte pour adultes sans vraie morale. La fin est suffisamment énigmatique, en effet, pour qu'on ne sache plus quel pied danser. Mais peut-être suis-je trop inculte pour ce qui concerne cette région du monde, ce qui m'empêcherait de comprendre tout le sel de cette conclusion...

   Pimpette   
1/10/2013
 a aimé ce texte 
Passionnément
Que c'est bien!

Le sujet, l'humour l'écriture( l'être tout emballé), ce Sahara que je ne connais pas...et bien entendu cette histoire magnifique!

Nouvelle pas trop longue comme j'aime!
pas trop de temps pour le com mais le coeur y est!

   Pepito   
1/10/2013
Forme : très agréable, le style d'un conte des 1001 nuits.
Juste la phrase "le troisième compagnon se réveilla, il trouva les mots de ses deux compagnons." contient un peu trop de compagnons à mon gout... ;=)

Fond : ben, c'est le désert... vide et plein à la fois, très beau dans tous les cas.
Qu'un "Sabre de l'islam" se préoccupe de lessive est peu probable, de toute façon, les machines à laver modernes ne fonctionnent pas très bien juste avec du sable.
Si le texte comportait un message Politique, je ne l'ai pas saisi, mais sa lecture a été très agréable et c'est déjà pas si mal.

Merci pour le rêve.

Pepito

   dowvid   
1/10/2013
Il est sûrement trop tôt pour cette lecture. Je n'y comprends rien.
Le type à la fin qui parle des machines, il vient faire quoi dans l'histoire ? C'est quoi le rapport entre le vol du minibus et sa conclusion que les machines ne valaient rien ? Et qu'est-ce que la finale avec le seigneur a à faire dans tout ça ? Pourquoi les salamalecs "Oua aleïkoum", suivis immédiatement de tutoiement ?
"Le saint homme se redressa brusquement pour corriger mon français :" Je ne lis pas de correction de français par la suite, sauf un temps de verbe...
Je vous le dis, je n'ai rien compris. Pas beaucoup aimé non plus. Désolé.

   placebo   
3/10/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Beaucoup aimé. La dimension du conte, et de contes dans le conte m'a beaucoup plu : au fond, cette capacité à emmener l'auditeur (ici au sens propre) est ce qu'on attend. Pourquoi douter, tant qu'on peut rêver ?

La structure du texte me plaît beaucoup, l'écriture également, et même les personnages esquissés en deux lignes ne sont pas en carton.

Bonne continuation,
placebo

   senglar   
17/10/2013
Bonjour Boutros,


Bon, j'avouerais que je n'ai pas très bien compris (et peut-être mon com sera-t-il totalement à côté de la plaque...) hormis le fait que les trois compagnons cherchent les Mille et Une Nuits là où il n'y a que du sable et des étoiles, et sont typiques de la crédulité des touristes en mal d'absolu ; et aussi qu'ils ont affaire à trois malicieuses canailles, le "sabre de l'Islam" venant ponctuer et conclure le tout dans un français zitronesque avec un humour tout britannique.

J'ai lu ici une farce, comme on en faisait chez nous au Moyen Age, avec une Arabie en carton pâte et une sagesse à la Voltaire (Paradis ou Enfer...") voire à la Oscar Wilde parodiant la sagesse orientale. Authentique sagesse en l'occurrence.

"Entre les dunes" ou '''Comment faire prendre des vessies pour des lanternes"' pour ne pas proposer un titre plus trivial ('''V... dans les dunes''') lol

Euh... ce com à prendre au second degré n'est bien entendu pas péjoratif hein :)))

Je n'irai cependant pas jusqu'à noter :)


Senglar-Brabant

   aldenor   
17/10/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Trois crédules compagnons bernés par le front de libération du Sahara.
L’énormité des appâts est cocasse, que ce soit le petit prince antérieur à Saint-Exupéry ou les peintures du musée de Barcelone en plein désert. Et les dialogues sont ici vifs et amusants.
Le troisième prétexte est plus banal.
Et la conclusion me laisse perplexe. J’ai bien aimé la situation, avec le mystique maniant le plus-que-parfait, mais je ne vois pas en quoi cette scène éclaire le texte.

   fergas   
2/4/2014
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bonjour Boutros,

Ça commence bien, avec la triple répétition du départ des trois compères. Le premier avec le « petit prince d’avant Saint Exupéry », est un régal. Le deuxième, celui du musée, est bien. Le troisième, avec la belle femme, est banal.

Le paragraphe suivant, le retour des trois compères, est peu accrocheur. Une phrase grandiloquente pourrait carrément être supprimée: «…et repartaient, laissant le silence sans faille retomber d’un horizon à l’autre dans la chaleur de l’après-midi. ».

La chute est bonne, avec la découverte du message, mais pourquoi sur «une carte de visite de grand luxe… » ?

Et là il fallait s’arrêter ! Le verbiage sur les machines, le soufi, les accords de conjugaison, est sans intérêt.

Un texte court, qui gagnerait à être encore raccourci, pour faire ressortir la chute.

Fergas

P.S. mon père a rencontré Saint Exupéry pendant la guerre (débarquement de Provence). Il me racontait que Saint Ex était assez redouté de ses compagnons en raison de sa distraction légendaire. Il ne trouvait pas facilement d’équipiers prêts à voler en formation avec lui.


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