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Humour/Détente
Cairote : Le crapaud et le bœuf
 Publié le 26/11/17  -  12 commentaires  -  7247 caractères  -  104 lectures    Autres textes du même auteur

La véritable histoire de la grenouille et du bœuf, racontée par un témoin auriculaire.


Le crapaud et le bœuf


En fait ça c’est pas du tout passé comme ça.

D’abord Guizo c’était un crapaud, pas une grenouille. C’était mon copain, Guizo, je sais de quoi je parle.

Et puis ce bœuf on le connaissait bien, nous, c’était pas n’importe quel bœuf qui se trouvait là par hasard. Je pourrais vous raconter comment on l’a connu le bœuf, et aussi comment on s’est connus moi et Guizo, mais bon, on n’a pas toute la journée. Alors je vais aller à l’essentiel.

Donc voilà, Guizo était allé voir le bœuf, ce bœuf-là. Mastoc qu’on l’appelait, c’est vrai qu’il était costaud. C’est vrai aussi que devant un bœuf, même un tout petit bœuf, un crapaud ça fait pas le poids. Mais pour dire que c’est moins gros qu’un œuf, là, il faut pas exagérer. Guizo il était au moins aussi gros qu’un gros œuf. Il voulait faire une rime ce type, ce La Fontaine, voilà tout ! Aux frais de Guizo. Évidemment les rimes en « euf » ça court pas les rues, je veux bien l’admettre. Mais c’est pas une excuse, ça. Il aurait pu trouver autre chose, changer le bœuf en taureau par exemple, pour aller avec « pas bien gros ». Il a bien changé un crapaud en grenouille ! Bon, je passe là-dessus, ça n’est pas si important.

Non, le pire, c’est ce qui vient tout de suite après. Traiter Guizo d’envieux ! Ça alors ! Et envieux d’un bœuf ! Pourquoi est-ce qu’un crapaud voudrait avoir l’air d’un bœuf ?

La vérité, le fond de l’affaire, la raison de tout ça, c’est Lulu. Ah, Lulu ! Quelle grâce, quelle élégance ! Une vraie princesse, Lulu. Ceux du marais, ils en étaient tout retournés quand elle passait. Pas une crapaude qui ne sautillait comme elle, qui avait son rond de bedaine, ses jolis doigts si fins, ses adorables pustules, ses gros yeux marbrés. Et cette façon désinvolte qu’elle avait de gober les mouches, comme en passant, sans se presser ! On aurait dit qu’elles y allaient d’elles-mêmes, les mouches.

Déjà têtards, il l’avait remarquée, à ce qu’il disait. Cette façon qu’elle avait de zigzaguer, ce petit coup de hanche distingué et provocateur en même temps, ça l’avait rendu dingue. Une fois leurs queues s’étaient touchées. Bien sûr il en avait plus de queue maintenant, mais il me jurait qu’il avait encore la sensation de ce premier contact là – le premier et le dernier d’ailleurs, à mon avis. Rien que d’en parler il était tout étourdi, comme égaré. Elle, déjà grande dame, elle avait rien laissé paraître, mais lui il était sûr et certain que depuis cette affaire-là elle avait su, qu’elle avait compris qu’il existait plus que pour elle, dans l’attente d’être avec elle un jour, avec sa Lulu. Et qu’elle l’attendait, elle aussi, d’une certaine façon. C’est depuis ce temps-là qu’elle était devenue son but, son rêve, son obsession. Son inaccessible étoile, comme il disait. Pauvre Guizo.

Elle, elle le voyait même pas, Guizo. On le savait, nous, ça se voyait. Lui croyait dur comme fer qu’elle affectait de l’ignorer. Un jeu, quoi. Ses jolis yeux lui demandaient de faire les premiers pas, c’était clair pour lui. Mais lui n’était pas prêt, il n’était pas assez bien pour elle. Pas encore. Il devait bien se préparer, qu’il nous répétait, il lui manquait tant de choses. Ça viendrait. Nous on n’était pas si sûrs, on voyait rien venir. En tout cas c’est pour ça qu’il consultait pas mal de monde, la fourmi pour lui enseigner la persévérance – comme s’il en avait besoin ! –, la cigale pour lui apprendre le chant. Comment est-ce qu’une cigale peut apprendre à un crapaud à croasser en mesure, je vous le demande ! C’était tout Guizo, ça.

Et puis il s’est mis aussi à vouloir devenir fort, Guizo. Les gros muscles, ça l’avait jamais vraiment intéressé, c’était pas trop son genre, mais il y avait cette brute de crapaud-buffle qui tournait autour de Lulu depuis quelque temps. Il avait décidé qu’il lui tiendrait tête, à ce mufle de buffle. Bœuf, buffle, ça avait dû tout se mélanger dans sa tête, et il était allé voir Mastoc : il l’avait supplié de lui livrer son secret, de l’entraîner à devenir fort, fort comme un bœuf.

L’autre avait bien essayé de lui faire comprendre, mais il s’était vite fatigué d’argumenter. C’est pas obstiné un bovidé, ça peut pas lutter contre la ténacité d’un batracien. C’est habitué à faire ce qu’on lui dit. De toute façon avec Guizo ça ne servait à rien, y a rien de plus résistant qu’un amoureux buté qui espère contre tout espoir. Moins il en a de l’espoir, plus il en bouffe, ça le tient.

Le Mastoc, il avait donc laissé Guizo l’accompagner aux travaux des champs, s’atteler avec lui à la charrue, ce genre de choses quoi. C’était pas très pratique, ça n’allait pas vraiment. Au bout de quelque temps Guizo a dû se dire que l’important après tout c’était seulement qu’il ait l’air d’être fort. Autrement dit qu’il soit gros. Parce qu’il s’est mis à manger, à manger sans arrêt : tout ce qu’il voyait, de grosses bestioles déjà mortes, des trucs pas possibles, pas santé du tout. Et puis il retournait voir Mastoc, lui demandait ce qu’il en pensait, s’il était aussi gros qu’un crapaud-buffle, et tout ça. L’autre ne savait pas quoi répondre, l’encourageait peut-être, par pitié, de sorte que Guizo en remettait.

Bon, ça allait de mal en pis pour Guizo, c’était pas difficile de voir qu’il était à la dérive. D’abord il avait tellement engraissé qu’il se traînait au lieu de sautiller comme tout le monde ; et quant à vraiment sauter… Il avait une mine affreuse, des yeux bizarres. Les belles nuances vertes de sa peau avaient disparu, il restait plus que du gris; ça c’était le foie pour sûr. On avait beau lui dire qu’il allait jamais l’atteindre son étoile s’il continuait comme ça, il écoutait plus, même quand on lui parlait de Lulu.

On a vu qu’il débloquait vraiment quand il s’est mis à se gonfler. Il était tout fier de nous dire qu’il avait enfin compris qu’il lui suffisait d’avoir l’air d’être gros, après tout. C’était ridicule, pathétique, on le voyait partout se gonfler, comme les crapaudes qui veulent pas se faire tripoter. Il ne parlait plus de Lulu, il devait même plus savoir pourquoi il voulait tant se grossir.

Ce jour-là, donc, ce fameux jour, il va chez Mastoc et lui dit que cette fois ça y est, qu’il est gros comme je sais pas quoi, une citrouille ou un chou-fleur, regarde ça Mastoc, tu vas voir ce que tu vas voir. Alors il se met à se gonfler si incroyablement, si affreusement que Mastoc finit par se détourner, tout à fait écœuré. Guizo devait avoir tellement pratiqué cet exercice stupide qu’il pouvait se transformer en une chose qui ne ressemblait plus à rien de connu, une sorte de croisement entre une soupière et un biniou, en plus gluant.

C’est là qu’il a entendu ce drôle de blop, Mastoc, une sorte d’explosion molle, si ça se peut. Bien sûr, en se retournant, l’idée de ce que ça pouvait être a dû lui traverser l’esprit, comme une flèche ; mais vraiment ça semblait trop incroyable ; pire, trop comique. Jamais il aurait pu le croire s’il avait pas vu cette horrible boue verdâtre sur le sol.


Voilà, c’est comme ça que ça s’est passé. Ni plus ni moins.


Et puis s’il y a une morale à cette fable, c’est que si l’espoir fait vivre, comme dit le proverbe, il peut aussi vous tuer, si vous faites pas attention. Voilà !


 
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   Louison   
26/10/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
L'histoire se laisse lire avec plaisir. Je trouve que les négations volontairement manquantes gênent un peu la lecture:
elle avait rien laissé paraitre,
il écoutait plus
Il y en a d'autres , et un n' ne nuirait pas, enfin, c'est mon avis.
La vraie morale de la fable n'est pas que l'espoir fait vivre, mais qu'il ne faut pas être envieux. Libre à vous de la changer, mais la vôtre est un peu plate. Dommage.
Cependant, je me suis amusée.
Louison

   Alexan   
27/10/2017
 a aimé ce texte 
Bien
Très sympa ce texte qui vient revisiter une fable célèbre. Un rigolo petit blasphème que je trouve bien choisi, car personnellement, ce n’est pas ma fable préférée du grand La Fontaine. Donc, je suis assez content de connaitre la « vraie » version ! 😉
Ça démarre plutôt bien avec une phrase d’intro qui met dans l’ambiance et annonce la suite. Alors on découvre que le narrateur connait personnellement les personnages. Et on pourrait presque entendre sa voix s’exprimer tant le ton est familier, spontané et badin. Ce qui n’empêche pas pour autant une jolie écriture ; la description de Lulu est magnifique et tordante !
Cela m’a bien pu. Sans pour autant que j’en sois tout émoustillé. Mais sans aucun doute une lecture agréable et réjouissante.

   Asrya   
28/10/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Un style d'écriture qui me plait, me parle, j'entre dedans facilement et suis prêt à entendre votre version du crapaud et du bœuf.
J'aime beaucoup l'idée, c'est intéressant, sympathique, une vision romantique, avec une morale également, différente mais qui se vaut tout de même.

J'ai senti quelques couacs à la lecture ; le lire oralement aide à le voir. Votre texte manque, à certains endroits, de ponctuation, de lien entre les phrases parfois et... c'est beaucoup plus repérable en le lisant à voix haute que dans sa tête ; on sent mieux les sonorités qui vont de travers.

Sur le fond, j'ai beaucoup aimé, peut-être qu'il faudrait approfondir encore et... insister davantage sur le complexe d'infériorité de Guizo, son manque de confiance en lui ; mais s'il y a quelque chose à changer, ce serait plus sur la forme, avec quelques passages à retravailler juste pour que ce soit plus fluide et plus mélodieux.

Ceci dit, j'ai passé un bon moment à vous lire,
Merci pour la lecture,
Au plaisir de vous lire à nouveau,
Asrya.

   GillesP   
31/10/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai beaucoup aimé et beaucoup souri. C'est plein de trouvailles, cette réécriture de la fable de La Fontaine. Le style est truculent. Vous avez réussi à allier oralité et littérature, ce qui n'est pas toujours facile. En plus, cela colle bien avec le genre choisi: les fables de La Fontaine sont d'autant plus fortes lorsqu'elles sont bien récitées, lorsqu'on parvient à restituer la vivacité du rythme de l'écrivain. Luchini le fait très bien, par exemple.
Dans votre récit aussi, le rythme est vif, on a l'impression, quand on vous lit, d'entendre un conteur contemporain raconter à sa façon l'éternelle histoire de cette grenouille qui se veut faire aussi grosse que le boeuf.

J'ai passé un très bon moment. Merci pour cette lecture très agréable.

   Tadiou   
31/10/2017
 a aimé ce texte 
Bien
(Lu et commenté en EL)

Bon, c'est un petit texte simple qui se lit bien. C'est sans prétention, le style en est alerte, rien n'y est sérieux.

Inutile d'y chercher de grandes idées métaphysiques.

Agréable petit moment de lecture, avec du sourire...

Tadiou

   Anonyme   
26/11/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
...me souviens plus de la note que j'ai eue à la récitation de cette fable de M Lafontaine, et peu importe, cette explication de texte est un régal

le style que je crois emprunté de la rue (de la mienne en tout cas) me convient parfaitement et me semble bien servir les propos

et pis qu'il est nco ce GrasPaud !

Sylvain

   Vincendix   
26/11/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,
Après le chat, voici le crapaud, quel animal sera la prochaine vedette de votre bestiaire?
Un texte agréable à lire même s’il n’est pas très académique par endroit.
La Fontaine, plagiaire notoire, revisité et je trouve plus logique de mettre en scène, dans ce mélodrame, un affreux crapaud plutôt qu’une charmante grenouille, votre « petit doigt » ne s’est pas fourvoyé.
Vincent

   plumette   
26/11/2017
 a aimé ce texte 
Bien
bonjour Cairote

je quitte cette lecture avec le sourire. Donc voilà déjà un de vos objectifs atteint.
j'ai bien aimé cette façon de revisiter la célèbre fable de Monsieur De La Fontaine.
la description de lulu est un régal et le malentendu amoureux est facilement transposable au monde des humains.

Le ton utilisé donne un rythme et une actualité à cette histoire.

un bon moment de lecture

Plumette

   jfmoods   
27/11/2017
"En fait ça c’est pas du tout passé comme ça." -> En fait ça s’est pas du tout passé comme ça.

Cette fable constitue une parodie réussie.

1) Un récit à l'oralité assumée

- négations sans ne ("c'est pas", "c'était pas", "ça court pas les rues", "on voyait rien venir")
- pronom démonstratif contracté ("ça")
- pronoms anaphoriques ("Ceux du marais, ils", "lui il était sûr", "Nous on")
- pronoms cataphoriques ("on l'a connu ce boeuf", "il lui tiendrait tête, à ce mufle", "il en a de l’espoir", "il allait jamais l’atteindre son étoile")
- anacoluthes ("Mastoc qu’on l’appelait", "Il devait bien se préparer, qu’il nous répétait")
- "moi et Guizo" au lieu de "Guizo et moi"
- verbes ("bouffe", "débloquait").
- utilisation de l'italique comme clin d’œil ironique au style noble ("elle affectait de l’ignorer", "qu’il ait l’air d’être fort")

2) Une remise en cause de l'original

- prose à la place du vers
- rabaissement de l'écrivain à l'homme du commun ("ce type"), du grand prosateur à l'écrivaillon peu inspiré ("Il voulait faire une rime... / ce La Fontaine", "Il aurait pu trouver autre chose, changer le bœuf en taureau par exemple")
- jeu de rectifications ("c’était un crapaud, pas une grenouille", "Mais pour dire que c’est moins gros qu’un œuf, là, il faut pas exagérer", "Traiter Guizo d’envieux ! Ça alors ! Et envieux d’un bœuf ! Pourquoi est-ce qu’un crapaud voudrait avoir l’air d’un bœuf ?")
- longue digression de huit paragraphes (de "La vérité..." à "... tant il voulait se grossir") mettant en scène Lulu, un troisième personnage

Merci pour ce partage !

   hersen   
27/11/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Petit texte très marrant et assez bien réussi dans la parodie.
La vivacité de ton porte très bien la "critique" de "ce" de la Fontaine et tout ce petit monde animalier s'anime sous ta plume.

Bon petit moment de lecture,

hersen

   mimosa   
29/11/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonsoir Cairote,

Et merci pour cette détente: j'ai passé à te lire quelques minutes de plaisir et de sourires.
Cette interprétation d'une fable de La Fontaine très originale, et en tant qu'ancienne enseignante, je l'aurais saisie avec joie pour mes élèves!

Je partage le bémol concernant l'absence de négations, elles n'auraient rien ôté à la légèreté de ton récit.
à bientôt de te relire,
Mimosa

   vb   
8/2/2018
 a aimé ce texte 
Pas
Bonjour Cairote,
Comme j'avais beaucoup aimé ta nouvelle au sujet du chat de S., je m'étais promis de lire celle-ci qui a recu (au contraire de l'autre) de nombreux hommages.
Peut-être que l'humour est quelque chose de très personnel. Toujours est-il que, moi, ton histoire ne m'a pas du tout fait rire. J'ai même eu difficile de la lire jusqu'au bout. Surtout que la fin est plus ou moins connue et que de savoir de qu'elle manière Guizo va exploser n'est pas vraiment une intrigue passionnante.
J'ai aussi buté sur quelques détails qui m'ont déplu (mais cela ne te surprendra pas, car tu connais mes goûts - mes lubies diras-tu peut-être).
L'usage des virgules! Pourquoi ne mets-tu pas de virgules autour de "ce boeuf" dans "Et puis(,) ce boeuf(,) on le connaissait bien"? ou bien pourquoi ajoutes-tu une virgule après "boeuf" dans "on l'a connu le boeuf, et aussi". C'est une énumération, n'est-ce pas?
Tu te doutes bien qu'il ne s'agit que d'exemples, que je pourrais continuer comme ca longtemps et que cela ne servirait strictement à rien; mais, bon, on ne se fait pas refaire!
Plus sérieusement, la référence à Brel et son inaccessible étoile m'a semblé un peu lourde.
À la prochaine,
Vb


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