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Réalisme/Historique
calouet : La pêche aux anguilles
 Publié le 16/03/08  -  17 commentaires  -  5167 caractères  -  63 lectures    Autres textes du même auteur

Un extrait d'un recueil ferroviaire, écrit voilà deux ans environ... Un gamin étouffé, des trains, et encore des trains. Une vie de merde, qui débute. Et des rêves.


La pêche aux anguilles


J’avais toujours en moi la curieuse sensation que tout changerait. Comme une force invisible mais cruciale, qui faisait que, quoi qu’il puisse se passer, je savais que je tiendrais bon. On habitait à Beaujardin, dans une de ces maisons d’ouvriers comme on en faisait dans les années cinquante, en périphérie des grands centres urbains. Fallait bâtir vite, à défaut de le faire bien. Et surtout caser tous ces gens qu’on faisait bosser, à défaut de le faire bien.


On était donc entassés ma famille et moi dans cette petite cahute en fausses pierres à pas cher, coincés entre deux autres tribus de cheminots aux demeures identiques à la nôtre. En face, sur le mail, rouillait une vieille micheline sans vie, glorieux ancêtre ferroviaire local ; une idole, presque… Faut dire que quand on vit du rail, qu’on en bouffe à toutes les sauces, et que tout le quartier est logé à la même enseigne, ça finit par tourner le ciboulot. On apprend à apprécier ce qu’on voit, un genre de reconnaissance du ventre...


Mon vieux, il était manœuvre. C’est lui qui fixait les traverses, installait les aiguillages, mettait en place le ballast. Toute la merde, quoi. Mais ça ne l’empêchait pas de vibrer pour son boulot… La micheline pourrie qui nous bouchait l’horizon et attirait les merdes de pigeons, il l’aimait comme un paysan aime sa terre. Ça se voyait quand il m’en causait, et que ses yeux se mettaient à briller parce qu’il l’avait vue rouler, la carcasse, quand il avait mon âge…

C’était un gars bien mon père, un rêveur, un de ces gusses qui ne font chier personne et qui essayent de toujours faire au mieux pour arranger tout le monde. Son seul défaut, c’est qu’il s’était marié avec Maman. C’est pour ça qu’un matin de l’été cinquante-quatre, il s’est tiré à la pêche à l’anguille, et qu’il s’est laissé dériver pour toujours.


Faut dire que, même s’il tenait à nous, il y avait de quoi rester avec les anguilles... Avec le recul aujourd’hui je comprends mieux tout ça ; que l’on n’est pas forcément toujours amoureux de celle avec qui on a fait des gosses. Que parfois, on étouffe, et qu’il faut prendre une goulée d’air sous peine de crever. Que l’ambiance Papa bricole, Maman picole, Mamie tricote, c’est pas ce qu’il y a de plus épanouissant, ce qui donne envie de rentrer à la maison le soir, le dos broyé par dix heures de pose de traverses… C’était un rêveur mon père, un gars qui croyait que la vie pouvait être belle, et c’est pour ça qu’il s’est tiré. On pourrait y voir de la lâcheté, moi j’y verrais presque une forme de courage.


On n’avait pas un rond quand il était encore là, on n’en a pas eu plus quand il est parti. À partir d’un certain niveau d’emmerdes financières, on finit par ne plus trop sentir les à-coups… Disons qu’on avait la chance d’avoir un toit, et d’être suffisamment bien élevés pour ne pas avoir vraiment faim tous les jours. Fallait juste que Maman puisse trouver de quoi se piquer la ruche, c’était la seule vraie priorité de notre quotidien, rythmé par ses gueulantes pestilentielles et les assourdissants passages de trains sur la voie en contrebas. Les deux arrivaient à faire trembler les murs, certains jours.


Quand ça braillait trop, et comme j’étais le plus petit, Mamie m’emmenait me promener à la Javel-Lacroix, comme elle disait… Ah c’était le bon temps ! Là où ils lavaient tous leur linge, avant que leur putain de lessive ait rendu la rivière trop sale pour continuer à le faire… Enfin, c’est ce que je comprenais de ses anecdotes séniles, qu’elle jugeait sans doute intéressantes pour un pauvre gamin de huit ans… Mais elle était comme ça ma grand-mère, fallait éviter les blancs, et donc faire la conversation à tout prix. Quitte à raconter vingt fois l’histoire lamentable de la Javel-Lacroix… Notre chemin empruntait immuablement une grande passerelle métallique, au-dessus des voies. Là, elle ralentissait, et me demandait si j’avais peur de passer là-dessus, de voir le vide en dessous, et je lui disais que oui ; sûr que ça lui faisait plaisir… Elle par contre, je crois bien qu’elle n’en menait pas large, surtout quand sous nos pieds passait un convoi.

« Oh regarde ! Le beau train ! Tchou-tchou ! » qu’elle me disait en faisant semblant de tirer la chaîne d’une chasse d’eau… Elle me prenait vraiment pour un con, à essayer de m’amadouer avec des enfantillages pareils ! Qu’est-ce qu’elle croyait ? Que j’entravais que dalle à ce qui se passait dans ma vie ? Que je ne le voyais pas, l’avenir qui m’était promis ?… Moi comme j’étais trop petit et trop gentil pour lui dire tout ça, je regardais le train disparaître d’un air vaguement intéressé, pendant qu’elle me tenait par le col, avec des rides autour de sa bouche pincée, comme un vieux trou de balle flétri.


Les trains, je les regardais passer pourtant, souvent et tout seul. Je les voyais venir de loin, assis sur la passerelle, et secoué d’euphorisantes trépidations… J’imaginais que le chauffeur me voyait, se souvenait de moi et me faisait signe… Alors moi des fois, je lui faisais signe aussi. Et puis je me disais que peut-être un beau jour il m’emmènerait, me prendrait à bord pour partir, comme on part à la pêche aux anguilles…


 
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   strega   
16/3/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Grosse grosse boule dans la gorge...

C'est tout simplement beau, si ce terme convient. Ce style, d'un langage parlé, mur, amer, sous les traits d'un enfant. C'est très dur. Un homme dans le corps d'un enfant. C'est hallucinant la fluidité de ce texte, je voyais les paysages et avais l'impression que cette histoire m'était personellement racontée.

Il n'y en a ni trop peu ni pas assez, juste équilibre entre amertume et espoir. C'est un texte très juste, qui sonne vrai. Un peu court peut-être? Qu'importe...

Juste une chose. Y aura-t-il une suite...? Pitié, dites oui...

Bravo et merci pour cette plongée dans le réalisme.

   widjet   
16/3/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Un texte d'écorché vif. Un style fluide, c'est vrai, un vocabulaire familier (pas toujours bien approprié en revanche et qui manque parfois de "percussion") mais une description assez visuelle d'une vie difficile, chaotique, precaire. C'est écrit comme un entretien particulier dont le lecteur se sent immédiatement prit en témoin. Ecrit avec sincérité et sans misérabilisme. Plutot convainquant donc. Calouet fait de jolies choses.

Widjet

   pounon   
17/3/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Si Coluche était encore là je crois qu'il en aurait fait son texte...
Fils d'ouvrier et petit fils de cheminot je suis touché par cette histoire... assez remué quoi ! Merci calouet.

   Anonyme   
17/3/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un condensé d'émotions et de réalisme. Calouet, ça il sait faire...

Toujours ce langage familier teinté de sentiments... J'aime presque toujours ses nouvelles, elles ne laissent jamais indifférent. Putain d'vie d'ouvrier, putain d'manque de caillasse...

Ce n'est pas "agréable" à lire, ce n'est pas "beau", c'est évident, sincère et bénéfique. Point de fioritures, d'envolées, de "je me regarde écrire et bordel qu'est-ce-que j'écris bien".

Tu touches ta cible à chaque fois quand je te lis.

Bravo, toi aussi t'as l'air d'être un bon gusse...

   David   
17/3/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Calouet,

De l'intensité, une belle écriture, bravo !

   fufaru   
18/3/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Un texte dramatique bourré d'émotions. J'ai beaucoup aimé les passages du genre : "Fallait juste que Maman puisse trouver de quoi se piquer la ruche, c’était la seule vraie priorité de notre quotidien", en lisant j'ai eu pleins d'image fortes qui cognait à mon cerveau et qui disait "laisse moi entrer", c'était tellement joli que j'ouvrais la porte à chaque fois. Merci encore et bravo !

   nico84   
19/3/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Tant de'émotion en si peu de mot. Tant d'anecdote, d'intensité. Du nectar de sensation, de l'essence d'humainité, de tristesse, de fatalisme reéaliste.

Vraiment, grand bravo à calouet que je ne lis pas souvent mais que j'apprécie tout le temps. Belle plume.

   jensairien   
19/3/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Un beau texte noir charbon qui se laisse conter, très touchant. Plutôt d’accord avec Widget sur quelques ratés stylistiques (surtout dans les premiers paragraphes), à l’image de la répétition « à défaut de le faire bien » pas franchement bien venue. Et puis cette description acerbe de la mamie m’a fait mal au cœur. Qu’a-t-elle de si détestable ? Et bien il faudrait une suite à tout ça

   marogne   
21/3/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
court, percutant, plein d'émotion. J'ai tellement été emporté que je n'ai pas fait attention au style. Un bien joli texte.

   Cassanda   
23/3/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Très beau texte qui arrive et percute avec aisance ! Le style convient bien malgré quelques dissonances, mais c'est rempli d'émotion et laisse libre cours à un rêve.
Merci beaucoup pour cette lecture !

Cass

   lynxly   
2/4/2008
belle et triste description! j'ai bien aimé, ça m'a rappelé les romans d'Emile Zola que j'ai lu avec à la fois beaucoup de plaisir et de tristesse.

   Anonyme   
16/4/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Moi aussi je suis émue par ce ( trop ) court texte. Vraiment, j' ai presque envie de pleurer. Plein d' amertume et d' espoir. Le vocabulaire est bien choisi. " se piquer la ruche " ? C' est picoller ?

   Anonyme   
10/5/2008
Toujours d'attaque cher Calouet... Cette nouvelle est superbe, ça prend aux tripes, c'est du " calouet pur et dur ", c'est beau !!

Le mélange des genres est détonnant, comme Raimu explicant le fameux apéro de Marius, c'est mi-fiction...mi-historique...mi-réalité...mi-poésie... mais c'est du 100 % Calouet..

Merci et bon dimanche. maurice

   Flupke   
29/10/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Calouet,
Très bien écrit. Réalisme émouvant et saisissant. La classe !
Bravo. Amicalement, Flupke

   Menvussa   
12/4/2009
 a aimé ce texte 
Bien
Un texte bien écrit. tranche de vie esquissée, les ressentis d'un môme qui entrave plus qu'on pourrait le croire.

   Anonyme   
26/10/2010
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Je cherchais sur le Net ce qui se rapportait à l'expression "se piquer la ruche" et je suis tombé par hasard sur votre texte.
C'est excellent ! C'est du niveau de ce que j'ai lu de meilleur.
Charles Bukowski a eu cette cette phrase, s'agissant de sa découverte de John Fante : "C'est comme si j'avais trouvé de l'or à la décharge publique"
Cher Calouet, vous êtes un alchimiste... et pas de la trempe de ce triste Coelho... non !... de ceux qui transforment en or ce qui nous plombe.

   victhis0   
15/1/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Rien que pour le plaisir de la contradiction, je pointerais bien le misérabilisme un peu poussé de ce (très) beau texte. C est sur qu on la larme plus facile quand on cumule pauvreté alcoolisme et déceptions...


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