Port du Havre, 18h17 div align=right >
- Consultation apéritive -
Vous comprenez Docteur, un boa constrictor c’est n’importe quoi… Et puis comment expliquer que le monstre ait laissé le naufragé en vie, après lui avoir sauvagement broyé les côtes ? Non… Non décidément, ça ne tient pas. Hein Doc ? Au fait, ça ne vous dérange pas, que je vous appelle Doc ?…
Ok. Dans ce cas Doc, tu vois… J’ai quand même ma petite idée sur tout ça : parce que ces histoires de tarés, avec Sergent, le Général, le constrictor vicelard et tous ces œufs, ça cache forcément des choses. Ou plutôt ça en montre. Enfin, je vais pas t’apprendre ton métier. Tu le sais mieux que moi, l’inspiration elle croît toujours en fonction d’un substrat donné, c’est justement ce qui en fait la richesse et le charme : elle est infinie dans sa pluralité, dans son imprévisibilité ; parce que justement on est tous façonnés par notre parcours, le son de notre voix c’est toujours un peu celui des casseroles qui nous pendent au cul…
Moi, quand je relis ce que j’ai écrit, quand je repense à tous ces trucs qui me germent dans le crâne depuis quelques temps, à cette drôle d’histoire qui brinqueballe là-dedans, je me dis que quelque chose ne tourne pas rond… C’est pas très sain d’inventer des histoires pareilles. C’est complètement incohérent, et en même temps c’est sûrement indispensable à mon équilibre mental… Enfin l’histoire du garde-fou, disons que c’est la branche à laquelle je m’agrippe quand je me demande pourquoi j’écris tout ça. Sûrement, ça me permet de ne pas sombrer complètement, dans l’omelette baveuse et noyante qui fristouille dans ma tête… Et puis, comme la méthode Coué a ses limites, je vais aussi consulter. Comme ce soir.
Le spécialiste, ou plutôt la spécialiste, ne bronche pas. Elle absorbe consciencieusement mes paroles et mes doutes, échafaudant sans doute derrière ce minois que je n’ai fait qu’entrapercevoir les théories les plus ingénieuses pour expliquer ma déroutante logorrhée littéraire. Sûr qu’elle saura trouver les bons mots, à force d’y réfléchir. Qu’elle parviendra à me comprendre, me rassurer.
Elle dodeline un peu, j’aime assez. Pour vingt euros en chambre, c’est du grand art… Je n’avais pas remarqué ce petit tatouage, en bas de sa nuque. Un petit serpent. Et voilà que je me redemande pourquoi le boa ne l’a pas tué, l’autre con.
***
Chapitre III
- Où le Baron Dechaise s’occupe des quiches -
Parce qu’il était d’un naturel passionné – je crois vous l’avoir déjà dit, parce qu’il était terriblement anxieux à l’idée de devoir ferrailler en public avec le Baron Dechaise pour reconquérir le cœur de sa belle et le reste, mais aussi parce qu’il était un homme extrêmement prévoyant, le Général Potame révisait avec une application de petit chanteur à la croix de bois le stratagème savamment mis en place par ses soins et l’entremise involontaire de Major, afin d’accéder promptement à l’entrejambe entretenu de Gloria d’Entretouffe, comme pour mieux entretenir la flamme de l’espoir qu’il entrevoyait plus distinctement que jamais. Cela fait beaucoup de « entre » je vous le concède…
- Bonsoir ! Entrez…
Et le Général entra dans l’antre de son rival, se fendant pour l'occasion d'un entrechat.
Dans les yeux irradiait la froide résolution qui anime parfois les hommes justes.
Une soubrette ravissante, de celles qui se font régulièrement culbuter dans certains films peu recommandables en gloussant sottement des pléiades de « Oh noooon, Monsieur le Marquis ! », posa l’impeccable imperméable du Général sur un perroquet du Gabon qui malgré ses prometteuses origines n’avait jamais été fichu de prononcer un traître mot de français, de gabonais ou d’araméen. Le Général se répétait à voix basse sa tactique par crainte d’en oublier les détails, sous le regard interrogatif de quelques convives déjà passablement grisés par l’absorption du punch royal aux noisettes du Siam offert aux nouveaux arrivants…
« Alors c’est tout simple mon ptit bonhomme… » chuchota-t-il, car le Général avait pris la sympathique habitude de s’appeler « mon ptit bonhomme » lorsqu’il se parlait à lui-même, moyen comme un autre de tenter de lutter contre sa galopante propension au narcissisme, forme d’auto-flagellation artisanale et prévoyante.
« Alors c’est tout simple mon ptit bonhomme. Tu te poses tranquill… » ; en fait, le Général ne répéta pas vraiment « alors c’est tout simple mon ptit bonhomme », puisqu’il l’avait déjà dit quatre lignes plus haut. Mais je me dois, pour la logique et la cohérence du développement qui suivra brillamment cette entrée en matière, de vous retranscrire dans leur intégralité les paroles de notre héros. Je reprends, donc.
« Alors c’est tout simple mon ptit bonhomme. Tu te poses tranquillement près du bar, sans jamais entrer en contact direct avec le Baron, et en évitant au maximum l’ensemble de sa cour. Tu bois quelques verres nonchalamment, mais pas trop, quitte à arroser un peu les Spatiphyllums au passage (le baron était fan des Spatiphyllums, et le Général le savait : c’était inscrit dans le rapport n°15,87 AX3 du SLIP, intitulé « Les Barons sont nos amis » répondant avec pertinence au n°15,86 AX3 « Pourquoi ne plus trancher la tête des aristocrates, puisqu’il en reste ? »), et tu attends bien patiemment l’arrivée de Major. Dès qu’il se pointe, accompagné de son ignoble sœur Jeaninent (ainsi nommée pour des raisons géographico-linguistiques que vous imaginez sans doute), tu te jettes sur elle, si possible sous le regard verdoyant de Gloria. À cet instant précis… »
- Bijoouuur mon Général ! lui sortit alors une créature inconnue dont la voix lui rappelait les accents obséquieusement érotiques des sculpturales potiches blondes qui accompagnaient naguère Eddy Richmond dans « La Dernière Séance », matinée de fragrances orientales difficilement reconnaissables.
- Hem !… Bonjour… répondit à regrets Potame, craignant d’être reconnu avant même l’arrivée de son ami et du laideron-faire-valoir.
- Li Major ni pas lààà ?…
- Lee Major ? L’homme qui tombe à pic ?
Le Général, troublé par la bouche de Lascaux de la belle orientale, ne s’aperçut qu’après coup de sa connerie. Il y avait en effet fort peu de chances que cette jeunette (pas plus de vingt ans, estima-t-il à la louche, au vu des deux globes encore charnus qui lui servaient de repose-miettes) ait pu voir la fameuse série dans laquelle Lee Major incarnait un cascadeur chanceux et bagarreur, puisque « L’homme qui tombe à pic » n’était plus diffusé depuis une douzaine d’années, et encore, sur le câble en sixième partie de soirée… L’éclat charolais des yeux de la gracieuse inconnue, à la simple évocation du pourtant fameux Lee Major, lui confirma ses présomptions. Il se servit un peu de punch dans un verre à moutarde qui traînait sur la table, pour se donner contenance.
L’autre Major, celui du SLIP, n’allait plus tarder. Le Général ne pouvait pas se permettre le moindre contretemps désormais. D’autant qu’il avait le palais en feu. Il se débarrassa donc de la jeune maghrébine, faisant preuve pour l’occasion d’une maestria assez impressionnante et d’un sang froid rappelant qu’il avait autrefois été amateur de Mister freeze : sans se départir de sa légendaire courtoisie, il lui vanta par un discours proprement indigeste les raisons de l’évidente supériorité de l’homme qui valait trois milliards (alias Steve Austin, alias Lee Major) sur l’homme qui tombe à pic (alias Colt Seavers, alias Lee Major), malgré le postulat évident que ce dernier avait pour lui l’immense avantage de toujours tomber à pic, tandis que l’autre était simplement hors de prix, seuls quelques nababs fanfarons ayant eu un jour l’audace de dire qu’ils s’étaient payés l’homme qui valait trois milliards, mais c’est une autre histoire… Bref, après avoir démontré de façon tout à fait chiante la supériorité d’un homme sur un autre homme sachant qu’ils ne font qu’un… et aussi, soyons francs, grâce à son imparable botte secrète (c’est d’ailleurs l’un des principes de base d’une botte secrète, à Nevers ou ailleurs, que d’être imparable, au risque de passer pour un nul) : les excroissances calleuses et jaunâtres laissées par la télécommande au creux de sa main droite, épousant peu ou prou la forme longiligne de l’engin, que la jeune femme - ayant sans doute les idées placées très bas - trouva effrayantes, le Général Potame put enfin prendre congé et se frayer un chemin jusqu’au bar. Le verre à moutarde contenait en effet encore pas mal de moutarde, et il lui fallait absolument maîtriser au plus vite l’incendie buccal qui le dévorait.
Si vous tenez le choc, ça reste à suivre !