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Fantastique/Merveilleux
CeeM : Éclaboussures
 Publié le 14/12/08  -  6 commentaires  -  21914 caractères  -  36 lectures    Autres textes du même auteur

Lorsque tous les objets se liguent contre un apprenti écrivain pour l'empêcher d'écrire quoi que que ce soit d'intéressant, ce dernier finit par se demander s'il n'est pas lui-même la cause de ses problèmes, si ce n'est pas son manque d'expérience, et l'absence d'idées qui en découle, qui poussent feuilles et stylos à se jeter par la fenêtre.


Éclaboussures


Les bruits devenaient vraiment perturbants. Je n'arrivais pas du tout à me concentrer.

C'eût été bien utile, au vu de mon insondable vide d'idées. La feuille blanche me lançait des petits coups de coude dans les côtes. Elle semblait vouloir me rappeler à quel point ma tentative était vouée à l’échec ; l'enfant était mort-né.


Pour avoir quelque chose à raconter, si beaux soient les mots employés, il fallait avoir vécu des expériences bouleversantes, enrichissantes, uniques... En fait, il fallait vivre.

Ce que, et c'était une torture d'y penser, je n'avais jamais vraiment fait.

Les cris finirent par percer le plafond, comme des milliers de minuscules aiguilles furieuses.

De tout petits trous filtraient la lumière de l'appartement du dessus.

Une nuée d'étoiles pleurait sur le plafond.

C'était obsédant.

Je ne pouvais détacher les yeux de ce que je ne voyais pas. Je m'imaginais toutes les situations qui pouvaient se dérouler chez les voisins. Les lourdes chutes s'accumulaient, de sorte que la surface du plafond semblait respirer par à-coups. J'entendis le bois craquer dans un grand chuintement, suivi de longs soupirs vides. C'était tout de même un peu triste.


Mon stylo essayait de s'en aller depuis presque un quart d'heure.

Il avait compris bien avant moi qu'il ne servirait à rien.

Longtemps, j'avais pensé que c'était l'accumulation de toutes ces distractions, de tous ces sabotages, de tous ces petits riens, des objets rebelles et nerveux, qui m'empêchait d'écrire quoi que ce soit.

Longtemps je m'étais trompé ; pire, je m'étais voilé la face.

Je me rendais compte à l'instant, comme il était naturel de leur part de fuir. C'était moi qui les y obligeais. C'était dans ma main qu'ils étaient inutiles. Tout venait de moi...

Quand mon crayon s'éclipsait dans un coin d'ombre, quand ma feuille sautait par la fenêtre, quand la lampe, comme prise d'hystérie avait bondi contre le mur, la tête en avant, des petits éclairs acérés giclant de son crâne éclaté, bref, quand tous semblaient se liguer contre moi, j'étais le seul responsable. Mon accusation envers eux était absurde. C'étaient moi et mon absence d'idées qui les poussions à fuir, parfois même à se donner la mort.

Chaque jour je passais mon temps à leur rappeler combien leur existence était futile entre mes doigts. C'était normal qu'ils craquent au bout d'un moment.

C'était rude de s'en rendre compte.

Je ne savais quoi faire.

J'avais honte.

Ainsi, lorsque je relâchais l'étreinte autour de mon crayon et qu'il en profita pour sauter sur la commode, où le four lui faisait des petits signes, qu'il rentra à l'intérieur et que ce dernier explosa, je fus empli de tristesse et de compassion, m'accablant la responsabilité de leur disparition.


On commençait à apercevoir des petites griffures lumineuses qui mangeaient mon plafond. Les trous s'élargissaient. On eût dit un gigantesque gruyère lumineux, vivant.

C'était beau.

Les cris redoublaient et retournaient vite se cacher.

Ça faisait un moment que ça durait maintenant.

Il ne restait plus sur la table, que mon tabac, mes feuilles à rouler et une bouteille de bière à moitié vide.

Les seuls objets vraiment utiles entre mes mains. Ils en étaient si fiers qu'ils lançaient de petites insultes douces et sournoises à la face des autres, cachés dans l'ombre aux quatre coins de la pièce, et qui, le dos courbé, croulant sous la honte, s'essuyaient les yeux d'un revers de manche et couraient se pendre.

Je n'aimais pas ce spectacle répugnant ; j'abhorrais la conduite infecte des utiles.

Cela me rappelait du même coup ma propre et implacable inutilité. J'étais en rage.

Des petits sursauts de colère s'accumulaient derrière mes yeux, qui dégueulaient de leurs orbites et j'eus l'envie puissante de foutre une raclée à ces sales choses, imbues de leur personne, qui envoyaient les autres à la potence, avec dans leurs sourires hypocrites et pleins de suffisance, des petits bouts de mort.

Des vagues amères me souillèrent les lèvres mais je ne pus me résoudre à me débarrasser de ces charognards. Après tout ils étaient les seuls à m'être vraiment utiles. Je ne pouvais les envoyer paître.

Comme pour illustrer mon raisonnement, ma main soutira un petit fouillis de tabac du paquet et l'autre la rejoignit rapidement avec une feuille à rouler. Le briquet fit de grands signes humiliants pour les pauvres hères de l'ombre et alluma gaiement ma cigarette. Je bus quelques gorgées de bière et m'enfonçai plus profondément dans mon fauteuil. Je recrachai des petits nuages périssables, et souris comme un imbécile. J'étais comblé.

C'est en ce moment privilégié que les cris se décidèrent à devenir insupportables.

Je m'extirpai de mon hébétude dans un grand bruit de succion et entrepris l'ascension de l'étage supérieur.


En longeant l'appartement coupable, je remarquai des fissures qui en déchiraient le mur avec de grands renforts de mots pointus. J'eus plaisir à sonner, puisque immédiatement, surgit un air paisible, se déplaçant en petits gestes gracieux, doublés d'une cadence infernale.

Les bruits cessèrent immédiatement dans l'appartement et j'entendis bientôt un cœur prendre son souffle derrière la porte. Un type d'un âge probable s'inscrit dans l'encadrement de bois.

Son air agacé se liquéfia quand il me vit, et c'est avec la tête ruisselante et couverte d'étincelles, les bras levés vers l'infini que sa bouche épaisse expulsa de manière joyeuse :


– Voisin ! Quelle surprise !

– Oui... Bonjour Voisin.

– Appelez-moi Monsieur, je ferai de même.

– D'accord...

– Comment ça va toutes vos sottises de feuilles à écrivain, et de crayons à la con ?

– Eh bien en fait je venais pour ça, je...

– Ah, je suis content de vous voir Monsieur, mais je n'ai pas le temps d'écouter une ligne de votre prose. Hum, je suppose que vous voilà triste.

– Non, euh, en fait je n'arrive pas à travailler... et... voilà... je... je m’interrogeais sur la nature des bruits.

– Ah... ?

– Oui.

– Qu'est-ce que Monsieur veut savoir ? Quel type ? Enfin, vous savez je suis pas spécialiste, hein.

– Ah...

– Mais entrez donc !

– Bien, bien...


Lorsque je pénétrai dans l'appartement je vis tout le mobilier démembré, gisant en bouts épars à travers l'unique pièce. On entendait encore les râles des agonisants.

Je repris :

– Vous savez, c'est plutôt les bruits qui viennent de chez vous dont je voulais parler.

– Ah...

– Qu'est-ce qu'il se passe ? On dirait une émeute.

– Bah non, c'est juste que j'étais en train de battre ma femme.

– ...

– Ah oui, tiens d'ailleurs, que je suis malpoli. Monsieur je vous présente ma femme. Ma femme je te présente Monsieur.


Elle était recroquevillée dans un coin, derrière les décombres d'une lourde armoire, si bien que je ne l'avais pas vue en entrant. Elle me salua d'un geste affamé. Se rapprochant et semblant penser que je n'avais pas dû bien saisir la situation, elle me souffla :

– Il me bat.


Puis elle courut jusqu'à l'armoire en me tirant la langue de manière obscène.

Je demandai alors :


– En quoi est-ce que ça consiste exactement ?

– Vous ne l'avez jamais fait ?!

– Bah non.

– Ah, Jésus, Marie, Joseph, vous n'êtes pas marié, pas vrai ?

– Non...

– Même pas de flirt, comme ça, pour s'entraîner ?

– Si bien sûr, mais je n'ai jamais battu qui que ce soit.

– Hum... Bah il n’est jamais trop tard pour apprendre.

– Vous êtes bien aimable.

– Oui.

– Et donc comment ça se passe ?

– Bon alors ça peut varier selon l'humeur et les personnes, mais nous on fait ça en deux phases.

– Ah.

– Oui d'abord je lui balance tout ce qui traîne à la gueule.


En observant attentivement les ruines de l'appartement je ne distinguai que deux objets encore entiers. J'entraperçus l'imminence probable du silence.


– Vous semblez avoir bientôt terminé, non ? En quoi puis-je me rendre utile ?

– Tenez, prenez cette lampe et lancez-la-lui dessus de toutes vos forces. Mais prenez votre temps pour viser, et n'hésitez pas à faire quelques feintes pour la fatiguer. La bougresse ! Elle esquive presque tous mes tirs.

La femme s'était redressée et se trémoussait à l'autre bout de la pièce, lançant des grimaces, aguicheuse et menaçante.

– C'est sa phase préférée, précisa le Voisin.

– Ah, fis-je, très bien...


Malgré toute la meilleure volonté, la lampe éclata à trois bons mètres de la voisine, cassant à l'impact un petit morceau de mur.

Un fin rayon de soleil en profita immédiatement pour s'y faufiler et éblouit le voisin au passage.

La table de nuit qu'il venait de lancer manqua elle aussi sa cible.

Il sortit un petit sécateur de sa poche et rugit :


– Et merde ! C'est à cause de ce foutu soleil ! Il y en a de plus en plus en ce moment...


Il s'approcha doucement de la base du rayon en sifflotant distraitement pour donner le change.

Lorsqu'il fut près du trou par lequel le rayon s'était faufilé, il fit mine de partir dans l'autre direction, se retourna d'un bond en poussant un hurlement et saisit d'une main ferme la base du rayon qui se mit à remuer dans tous les sens, essayant d'échapper à son agresseur. Le Voisin lui tordit le cou. La lumière se dressa dans un dernier spasme lorsque les lames du sécateur la décapitèrent cruellement.

Quel sale type. Je n'aimais vraiment pas ça.

Il fit un petit tas avec le cadavre, ouvrit le poêle rugissant, et le déposa dans le brasier en crachant dessus. Puis il se signa, agenouillé par terre, et marmonna quelques Jésus et autres festivités.

Je me retins de lui faire part du dégoût qu'il m'inspirait. D'un autre côté il valait mieux qu'il soit du mien si je voulais que les bruits cessent.

Je fis donc comme chacun.

Je me tus.

Il s'approcha de moi, les mains encore souillées de sang lumineux, un grand sourire derrière les yeux et me proposa :


– Bon maintenant, on passe à la deuxième phase. Vous n'avez qu'à vous approcher discrètement d'elle puis vous la saisissez par les épaules et lui tenez les bras dans le dos. Je m'occupe de lui donner des coups. Et vous me remplacerez un peu, si le cœur vous en dit.

– D'accord, mais pas trop longtemps. C'est que j'ai du travail vous comprenez.

– Bien sûr, bien sûr. Rassurez-vous ce sera rapide. En tout cas je suis content que vous soyez venu, j'étais crevé aujourd'hui ; je sais pas si j'aurais tenu tout le long.


Alors que je longeai le mur, le Voisin faisait des menaces protubérantes pour faire diversion.

La femme n'avait d'yeux que pour lui. Elle répondait aux menaces par des petits hochements d'épaules et il s’échappait de sa chevelure des cris de souris acculée dans un coin. Je fus derrière elle sans même qu'elle ne s'en rende compte.

Elle exulta lorsque je l'attrapais par les épaules, et le voisin surgit en deux sauts de fauve.

Je n'avais pas encore essayé de bloquer ses bras, qu'elle les mit d'elle-même entre les miens.

Le voisin frappait. Des rigoles de sueurs lui coulaient sur les joues, une mare de hargne se forma à nos pieds, dégoulinant des jambes de la femme et des yeux son mari.

Lorsque celui-ci se préparait à lancer son poing, elle semblait vouloir le précéder et s'élançait à sa rencontre avec une force inouïe. À chaque impact son cri me vrillait les tympans et remuait un fond de nausée tout au fond de mon être.

Je trouvais ça répugnant.

Je lâchai la femme et baissai les yeux.

Quel spectacle abominable.

Et j'y participais... Je dis doucement :


– Il faut arrêter maintenant.


Ils ne semblèrent pas m'entendre et continuèrent leur besogne.


– Il faut arrêter, répétai-je plus fort.


Ils se figèrent. Quatre yeux semblèrent glisser sur mon visage, teintés de mépris et de curiosité. Le Voisin devint cramoisi, et les lèvres tremblantes il articula :


– Pardon ?...


Je ne savais plus trop quoi dire. Ils finissaient par me faire peur. Du bout des doigts je marmonnai :


– Je pense que ça suffit... Non... ?


Ses yeux se révulsaient comme ceux d'un cheval ivre. Il s'insurgea :


– Comment ça, ça suffit ? ! Jésus, Marie, Joseph... Qu'est-ce que c'est que ces histoires ? Hein ?


La femme était juchée sur son dos, elle me scrutait comme une bête de cirque.

On aurait dit un énorme monstre bicéphale.

Je ne pouvais me résoudre à accepter le poids de la différence. Et comme pour nier cette dernière, et échapper à la réaction du couple, je me répandis en fausses excuses :


– Eh bien, je m'inquiète à propos de l'état des murs. On y voit presque à travers maintenant. Si les cris continuent, tout va finir par s'effondrer et on sera bien embêté... Non... ?

– Ah... Si ce n'est que ça, il n'y a pas de soucis à avoir, cher Monsieur.

– ...

– Vous savez, nous avons l'habitude. En fait, elle crie moins fort pendant cette phase-là. N'est-ce pas ma femme ?

– Oui oui, parfaitement.

– Alors les cris ne sont pas suffisamment puissants pour abîmer les murs ; qui commencent même à se reprendre, hein ma femme ?

– Oui, oui, il a raison.

– Ah...

– Eh, oui, Monsieur. Comme quoi la nature est extraordinairement bien pensée. Tout est fait pour fonctionner. Ce sont ces inexplicables liens entre les choses, grâce auxquels tout concorde, qui me font, chaque jour, réaliser combien notre Seigneur est grand et comme son œuvre est parfaite.

– Hum...

– Voyez ces mains robustes, puissantes ! Il les a faites à l'image de l'usage auquel elles sont destinées.

– Oui...

– Croyez-vous que ma femme, avec ses toutes petites mains, pourrait me battre ?

– Euh.

– Eh ben non. Parce qu'elles ne sont pas faites pour ça. Simplement. Ah ah, si ce n'est pas extraordinaire. Jésus, Marie, Joseph, merci Seigneur !


Il frappa sa femme du revers de la main et tous deux tombèrent à genoux, se signèrent et commencèrent une sorte de litanie à la gloire de Dieu. J'en profitai pour tenter de m'éclipser discrètement car je me sentais vraiment de plus en plus mal dans leur appartement, et si le Voisin revenait à la charge pour que je l'aide à battre sa femme, je serais obligé de leur avouer que ça ne me plaisait pas du tout, et donc, du même coup, leur faire part de ma toute récente découverte : je n'étais pas normal.

Ça me foutait un coup cette idée.

Le Voisin se releva d'un bond et me retint alors que j'escaladais la carcasse d'un meuble.


– Allez cher Monsieur, maintenant que vous voilà rassuré, vous me feriez bien l'honneur de m'aider à finir le boulot. Y en a plus pour longtemps. Quelques coups dans les côtes et une ou deux claques tout au plus. Hein ma femme, qu'est-ce que t'en penses ?

– Oui oui, peut être un ou deux coups de genoux, non ?


Le Voisin sourit, il marmonna doucement, avec l'air de réfléchir :


– Un ou deux coups de genoux...


L'idée semblait particulièrement lui plaire. Il fit un clin d'œil à sa femme, me donna une grande tape dans le dos, et d'un air malicieux me glissa à l'oreille :


– Vous vous offrirez bien ce petit plaisir.

– C'est que...

– Allez. Vous me vexeriez, je vous l'offre de bon cœur.

– J'ai du travail, alors...

– Tatata, j'ai jamais vu personne qui préférait travailler plutôt que de...


Sa bouche se figea et il me fixa bizarrement. Ses yeux creusaient un trou dans ma chair. Sa femme sembla comprendre en même temps. Elle se racla la gorge, cracha, et me méprisant de tout son être, elle dit :


– On dirait qu'il n'aime pas ça...


Affolé, je bafouillai :


– Si bien sûr, mais...

– Mais quoi, coupa le mari.

– En bien... Je ne sais pas... Je veux dire...

– Attention à ce qui va sortir de votre bouche, Monsieur. J'aime pas trop les dingos...


J'articulai pathétiquement :


– Mais... elle ne vous a rien fait... Si ?...


Il éclata d'un rire énorme, presque bienveillant, à la fois choqué et étonné.


– Ah ah ah ! Et bah ça c'est la meilleure. Comme si ça nécessitait une raison. Je commence à croire que vous avez un grain, Monsieur mon voisin...


Le rire de la femme rugit comme un écho lointain aux paroles de son mari. Elle semblait prise d'hystérie :


– Pleutre, incapable ! On devrait t'enfermer dans un asile. Tu fais honte.


Je restais immobile, osant à peine respirer, le regard perdu dans les plaies du sol qui se refermaient avec un bruit strident. On pouvait presque apercevoir mon bureau à travers le carrelage éthéré.

Sans même y penser je lâchai doucement :


– Je n'aime pas ça.


Ça y était, les mots étaient lancés. Je ne savais trop quoi faire.

Les Voisins s'enfoncèrent le poing dans la bouche, les yeux horrifiés, le cœur dégoûté. Ils me jetaient à la face de grandes vagues amères de mépris.

Je reculai lentement vers l'entrée de l'appartement, manquant de chuter à chaque pas car les débris des meubles participaient à la tôlée et me faisaient des petits croche-pattes.

Mon esprit lançait de longs soupirs. L'air de dire qu'il m'avait toujours prévenu, sans que je ne l'écoute : « Tu es différent ».

Ce n'est que quand la phrase fut prononcée que je m'en rendis subitement compte. Je me mis à ramper, traînant ma différence derrière moi. Je n'arrivai pas à franchir les débris qui s'étaient accumulés afin d'empêcher mon évasion. Ils suintaient de mépris. Le sol devenait glissant. Le couple retrouva sa voix.

Le mari explosa :


– Pauv'taré ! Sors de chez moi avant que je ne te fasse changer d'opinion. Allez dégage !

– On devrait prévenir le Ministère, susurra la femme.

– Ça oui, on pourrait...


Je tentai de me reprendre :


– Non... Enfin... Je...

– Dégage !

– ... Vous ne comprenez pas... je... je me suis mal exprimé...


La gorge du mari se déversa en ces termes :


– J'ai très bien compris. T'es qu'un sale handicapé, un malade mental ! Y a des endroits prévus pour les types comme toi ! Barjot !


Pendant ce temps je m'escrimai à escalader un monticule de débris qui me barrait la route.


– Reste là, sauvage ! Je vais t'apprendre les bonnes manières, vociféra le voisin.


Je finis par atteindre une énorme armoire. Elle était couchée sur le flanc, agonisante, et brassait l'air de ses portes. Elle se battait contre l'éternité avec la rage du condamné. Soudain, semblant se résigner, elle laissa échapper un long râle sourd et s'affaissa de tout son poids. La terre trembla.

Contrairement aux autres, elle ne suintait pas le mépris.

Je me glissais en son sein quand le Voisin arriva au sommet du tas de débris qui me soutirait à sa vue, quelques instants plus tôt. Il sembla surpris de ne me voir nulle part, et après avoir jeté sa tête un peu partout, il cracha un gros étron brûlant, se signa, et entreprit la descente du monticule. Je l'entendis crier quelque chose à sa femme, à l'autre bout de la pièce. Elle avait pris des dimensions considérables.

Tout était flou dans mon crâne. Les choses venaient de se révéler et ça m'effrayait quelque peu.

L'intérieur de l'armoire était une immense caverne, humide et chaude, dont s'échappait un parfum entêtant. Enivrant. À la fois paisible et fougueux. Un endroit d'une paix intègre. Je me sentais moins seul. Il me sembla un instant que je n'avais aucun souci à me faire. Je n'entrais pas dans la norme. Et alors ! Peut-être étais-je différent mais finalement, ce n'était pas forcément un mal. Je vivais bien avec cette tare depuis ma naissance.

Sans m'en rendre vraiment compte, je me couchai sur le sol bouillonnant, les membres tremblants, et fermai les yeux pendant une minuscule seconde d'éternité.

Puis mes pas me ramenèrent à l'entrée de la caverne et je quittai l'armoire, serein. Au loin, derrière la butte, j'entendais dans un souffle, les cris aigus de la femme qui s'amenuisaient. Le voisin avait raison, ils n'étaient plus assez puissants pour abîmer les parois qui se reconstituaient paisiblement.

Je fondis sur la porte d'entrée, arrachant au passage dans un geste rageur, un pan entier du mur fatigué. Des dizaines de rayons éblouissants en profitèrent pour surgir immédiatement dans la pièce et inondèrent l'espace d'or en fusion. Ils illuminaient l'ensemble de la tour.

C'était magnifique. Bouleversant.

Aussitôt j'entendis le Voisin hurler des litanies suffocantes.

Les murs étaient presque redevenus opaques et la scène était aveugle à nouveau.

Tandis que je me harnachais pour redescendre au rez-de-chaussée, le voisin hurla comme un damné, et après quelques bruits de lutte, alors que j'entamais la descente, les mâchoires du sécateur claquèrent plusieurs fois en une musique funeste. Je perçus le souffle froid de l'ombre me caresser le corps entier.

J'eus un moment d'absence en pensant à cette beauté assassinée, mais rapidement un sourire se peignit sur mes lèvres. Je venais de me rendre compte que j'avais quantité de choses à raconter, et, avant même d'y penser, mon premier récit s'inscrivit dans mon esprit de manière indélébile, presque douloureuse.

Je touchai bientôt terre et, levant les yeux, je distinguai les dernières lueurs se faire doucement avaler par les murs des Voisins. Les cris de la femme s'étouffaient, et finissaient par disparaître dans des petits flops de fumée.


Alors le silence se fit.


Lorsque je pénétrai dans mon appartement, j'avalai tout l'air disponible et poussai un hurlement si lourd, qu'un morceau entier du mur se détacha. Saisissant un couteau, j'entrepris de rompre les derniers liens fibreux. Aussitôt la carcasse tombée au sol, une flopée de rayons lumineux rugit à travers tout l'appartement. L'air semblait se répandre en larges flaques d'or. La paix régnait.

Sans même y penser, je me retrouvai assis devant ma feuille blanche. Elle arborait un grand sourire. Le crayon, honteux, un peu pataud vint se nicher au creux de ma main. La bouteille de bière s'avança gaiement. Le briquet aidé par la règle alluma ma cigarette en un saut rocambolesque.

La bière rugit dans ma gorge serrée. La cigarette, aimable se laissait faire. Je crachais des petits nuages ocre, qui aussitôt, étaient transpercés par des milliers de lingots d'or.

Je grattai mes yeux, fatigués et dépassés par les évènements, souris béatement, et, le souffle court, me mis à griffonner la page vierge.


 
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   Menvussa   
14/12/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Merveilleux, je ne sais pas, fantastique c'est sûr. J'ai eu un peu de mal à accrocher au début, restant scotché à quelques discordances de temps mais rapidement ça s'est emballé. Très original, l'absurde qui prend le dessus.

   xuanvincent   
14/12/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Le thème de la feuille blanche m'a intéressée. J'ai surtout apprécié le passage de l'irruption du personnage du Voisin. Ensuite, j'ai moins aimé (je ne pensais pas que l'histoire irait dans ce sens), car le quotidien m'a paru primer sur le côté fantastique. La partie de la caverne par contre m'a plu, pour son côté fantastique.

Cette nouvelle m'a paru bien écrite dans l'ensemble.

La partie des dialogues entre le narrateur et ses deux voisins m'a fait penser à une petite pièce de théâtre, amusante.

J'ai apprécié la fin.

   Anonyme   
14/12/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Jésus, Marie, Joseph!!!! Que de violence chez ce Voisin! Même les meubles gémissent!

C'est une lecture dont je me suis régalée. La scène chez le Voisin (même si elle est un peu longue) est proprement surréaliste. Et délectable.

Plein d'humour, ce récit. C'est cela que je retiendrai, étant moins sensible au fantastique.

   jensairien   
16/12/2008
il y a des idées mais je trouve que c'est un peu fouillis, enfin que ça manque de concision, les phrases sont trop longues, les images quand même un peu bizarres parfois (le voisin qui tord le cou aux rayons de lumière). En enlevant le début de l'écrivain devant sa feuille blanche qui t'as juste aidé à trouver ce que tu pouvais raconter et en te concentrer sur ce gars qui tombe sur des voisins sadomasochistes et se rend compte qu'il n'est pas normal, ta nouvelle pourrait être meilleure. A mon avis, car l'idée n'est pas mauvaise.

   CitizenErased   
15/2/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Les dialogues entre le voisin et la voisine m'ont fait pensé à Ionesco. J'ai trouvé l'écriture bonne et les idées fortes.
Merci et bravo !

   Anonyme   
15/2/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Ca me rappelle un conseil pronant la longévité du mariage : "Bats ta femme tous les jours, si tu ne sais pas pourquoi tu le fais, elle, elle le sait."
J'ai bien aimé. J'ai même bcp aimé.
Il m'est arrivé, au cours de la lecture, d'imaginer l'auteur assis à sa table, en train de rattraper les idées qui tentaient de se faire la malle avant qu'il n'ait le temps de les coucher sur sa feuille.
On dirait parfois que le récit a un sens premier, établi, et que de temps en temps, il dérape, s'échappe, alors l'auteur l'empoigne violemment, se rassoit, et le maintient sur la feuille d'une main ferme.
Ce n'est pas sans charme, comme écriture.
J'aime bien l'idée de vivre une expérience unique, de voir des choses incroyables, pire de les vivre et de ne pas se rendre compte qu'on tient là l'idée qu'on cherche partout.
L'auteur s'en rend compte, puisque c'est la finalité de cette nouvelle mais moi, qui le lisais, je me demandais quand il allait en prendre conscience.
J'aime aussi l'image du soleil étranglé.
J'aime aussi que les objets me parlent et se moquent d'eux entre eux.
J'aime le décalage entre les bruits perçus au plafond, en début de la nouvelle, qui est une piste d'extrapolations diverses pour le chercheur d'idée en panne d'inspiration et le fait qu'il ne s'en rende pas compte.
J'ai savouré les dialogues. Absurdes et très amusants.
On parle souvent du ton décalé d'une nouvelle ou d'un roman et bien là, à mon sens, j'en lis un parfait exemple.
Tant pis pour les répétitions : j'aime.
Le sacro-saint style (incontournable) est à revoir parfois, mais ça ne gêne que furtivement la lecture.
J'ai passé un bon moment de lecture.
PS : j'ai bien aimé (lol) cet autre décalage dans la normalité. Et l'image : il traîne sa différence derrière lui.
Décalé, déjenté, absurde, et ce qui me surprend le plus c'est qu'en général, je n'accroche jamais à ce genre d'histoire.


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