Ce texte est une participation au concours n°13 : L'amour, c'est mieux à deux ! (informations sur ce concours).
Le co-auteur de ce texte est wancyrs.
– Ne t'inquiète pas, cousin, ce n'est qu'une enquête de routine.
Ousmane adresse un sourire crispé à son interlocuteur. Trois jours se sont écoulés depuis qu'Élodie et lui ont reçu cette lettre du procureur, une convocation pour deux entretiens séparés au sujet de leur projet de mariage. Le jeune homme se remémore tout ce qu'il a vécu depuis son arrivée, et se demande où il a fauté.
– C'est une nouvelle habitude depuis que les lois sur l'immigration se sont resserrées, plus une formalité qu'une enquête sérieuse. Le maire qui devait vous marier a dû penser à une entourloupe, et dans ce cas la loi l'oblige à en informer la Cour.
Tonton Awilo a pris un ton faussement rassurant pour convaincre son client, mais celui-ci reste dubitatif. Les deux hommes sont installés sur la terrasse d'un café place Pigalle. Il est sept heures et déjà le lieu est noir de monde. Dans trois heures Ousmane sera face au procureur, et juste à cette pensée, son sang ne fait qu'un tour. On lui avait pourtant dit qu'il n'y aurait pas de complications, que tout marcherait comme sur des roulettes… Awilo est son contact avec le « réseau », un groupuscule qui monte des combines pour faire passer de façon légale les Africains en Europe. C'est toujours par un tiers qu'on a leur contact ; ils prennent une avance de fond en début de contrat et ne réclament le reste qu'une fois celui-ci rempli.
Pour Ousmane, le coût de l'opération s'élevait à deux millions de francs CFA, à peu près trois mille euros. Une somme colossale, absolument inaccessible pour lui. Mais au pays, le bonheur des uns fait forcément celui des autres, alors face aux situations difficiles, on a coutume de se serrer les coudes. Aussi, le conseil familial s'est réuni pour cotiser la somme. Ousmane est devenu l'espoir de tout son village, car en Afrique, aider son prochain, c'est investir à long terme. Restait à bien placer cet argent, et le jeune homme exigea des informations détaillées sur l'opération.
« Très simple, lui avait répondu tonton Awilo. Nous ne te demandons qu'un passeport valide et le reste nous nous en chargeons. Si tout va bien, en trois semaines tu auras ton visa touriste. La veille de ton départ, tu appelleras à un numéro que nous te fournirons et quelqu'un ira te chercher à l'aéroport. Suis-le, il t'hébergera pour un temps, en principe deux semaines, au cours desquelles on te mettra en contact avec des Françaises d'environ la quarantaine en quête de sensations fortes, le genre de femelle impressionnée par les stéréotypes sur la virilité des Blacks. Tout ce que tu auras à faire, c'est assurer : nous appelons ça le “baise-ness”. »
Oui, mais Élodie, sa future épouse, ne faisait pas partie de la combine. Ousmane l'a rencontrée tout seul, sans l'intermédiaire d'Awilo. Techniquement, ce n'est pas tout à fait du « baise-ness ». Mais ça, c'est au procureur de le dire. Dans trois heures…
***
« Oui, d'accord, vous êtes follement amoureuse… Mais vous ne trouvez pas, tout de même, qu'un mois et demi, c'est peu pour prendre une telle décision ? »
Élodie s'attend à cette question. Elle a deux possibilités. Soit elle répond :
« Monsieur le procureur, quand on aime, on ne compte pas », et poursuit un discours aussi mièvre que peu crédible, soit elle raconte la vérité :
« Bien sûr que c'est trop tôt, mais on n'a pas le choix ! C'est vrai, je ne suis pas encore sûre que ce soit l'homme de ma vie, je sais juste que j'aimerais l'aimer et que je ne veux pas le perdre. Alors je prends ce risque, vous comprenez, monsieur le procureur ? »
Oui, mais, ça, Ousmane est farouchement contre.
« Surtout, ne lui dis pas ça, Élodie. Ne parle jamais de papiers, jamais ! Parle-lui d'amour, seulement d'amour, avec ton sourire angélique et ta voix de petite fille, ça va le faire fondre. »
Ousmane, adorable Ousmane… Mais qu'est-ce qu'il connaît des mœurs occidentales, lui ? Ici, les contes de fées, ce n'est pas plausible, on ne se marie pas comme ça avec le premier prince charmant venu pour vivre heureux et avoir beaucoup d'enfants, non : on cohabite d'abord, on apprend à se connaître, on planifie…
Déjà huit heures. Elle devrait se dépêcher pour aller travailler au moins une heure ou deux avant son entretien. Mais elle ne parvient pas à sortir de sa torpeur, à quitter le lit. Ousmane est parti tantôt, sans même l'embrasser. Dans deux heures, il subira l'interrogatoire, puis ce sera le tour d'Élodie. Le procureur veut leur parler séparément. Pour mieux les coincer, pardi. Les mariages blancs sont passibles d'un à cinq ans de prison. Elle a lu ça sur Internet, avant-hier.
« Oui, mais nous, on s'aime, ce n'est pas de la fraude. T’en fais pas, Élodie, il n'y a rien à craindre, va… »
Elle s'empare de son portable sur sa table de nuit et appelle le chef du personnel. Elle n'ira pas au boulot aujourd'hui, c'est décidé. Au travail, elle n'a rien dit. À sa mère non plus, ni à son amie d'enfance. Elle ne sait pas bien pourquoi. Ou plutôt si : pas envie qu'on la traite de folle, de naïve, qu'on essaie de la dissuader. Pas envie d'entendre la vérité, en somme…
« Tu ne serais pas en train de faire une énorme connerie, toi, des fois ? »
Cette pensée a pour effet de la réveiller tout à fait.
« Bah… Qui ne risque rien n'a rien. Si ça ne va pas, je me séparerai, et puis c'est tout. »
Elle se traîne vers la salle de bains et d'un geste las, fait tomber sa chemise de nuit, et ne peut s'empêcher de jeter un œil sur son reflet dans le miroir. Elle est normale, désespérément normale. Pas vraiment laide, mais pas mignonne non plus. Ni jeune, ni vieille : trente-cinq ans, avec des poches sous les yeux, déjà quelques cheveux blancs, des seins trop petits et des paquets de cellulite qui s'agglutinent sous la fesse.
« Qu'est-ce qu'il peut bien me trouver, Ousmane ? Ça, oui, je suis blonde, peut-être qu'il trouve ça exotique, après tout… »
En sortant de la douche, elle sourit en voyant les affaires de toilette de son fiancé, méticuleusement rangées sur l'étagère, avec sa petite serviette pliée en huit, façon militaire, pour occuper le moins d'espace possible. C'est ça qu'elle aime, chez lui : son côté méthodique, minimaliste, et puis sa discrétion. Rien à voir avec ses anciens fiancés, ces enfants gâtés qui prenaient toute la place. Ousmane, lui, il est toujours d'accord, toujours partant, il s'accommode de tout. Réservé, serviable, mais à la fois, si décidé… Oui, il sait ce qu'il veut, Ousmane, il prend ce dont il a besoin, mais se contente de peu. Le jour même de son installation dans l'appartement, il s'est aménagé un petit coin dans la chambre et dans la salle de bains, pour y installer son barda, le strict minimum. Mais sans demander l'autorisation à Élodie pour déplacer ses affaires. Elle s'en était offusquée.
« Je te prends un tout petit espace, c'est tout, mon amour. Mais si c'est trop, tu me le dis. »
Elle lui a répété plusieurs fois que ce n'était pas une question d'espace, mais, manifestement, il ne comprenait pas quel était le problème.
« Si tu veux que je retire mes affaires, je les mets sur le balcon. »
Elle a fini par éclater de rire devant le désarroi de l'Africain. L'intimité, les petits jardins secrets, dans sa culture, ça ne doit pas trop exister…
Tout en se coiffant, Élodie se demande si ce genre de détails intéresserait le procureur. Non, à tous les coups, les questions seront beaucoup plus grossières, plus générales, du genre :
« Et vous ne craignez pas qu'il se marie par intérêt ? »
D'un brusque coup de brosse, elle écrase une mèche rebelle, avant de répondre à voix haute :
« Mais monsieur le procureur, si Ousmane n'avait aucun intérêt à se marier, alors là, franchement, je me poserais des questions ! »
Elle regarde son reflet dans la glace, satisfaite : l'espace de quelques secondes, elle s'est trouvée belle, effrontée, radieuse.
Oui, Ousmane se marie par intérêt, et c'est aussi ce qu'elle aime chez lui. Marre de ces petits copains adolescents attardés qui ne savent pas ce qu'ils veulent, qui fuient les responsabilités et sont incapables de prendre une décision.
« Voyez-vous, monsieur le procureur, notre vrai point commun, à tous les deux, c'est l'intérêt. Lui, il veut ses papiers, une situation. Moi, un mec qui assume, et l'assurance d'avoir un homme à moi pendant au moins un an. C'est facile à comprendre, monsieur le procureur, non ? Quoi, ce n'est pas ça, l'amour ? Vous savez, peut-être, ce que c'est, vous, l'amour ? Vous en avez, de la chance ! »
Non, décemment, elle ne peut pas répondre ça ! Elle doit au moins mentir un petit peu, édulcorer… Elle s'empare de sa trousse de maquillage, et commence à appliquer sur ses joues du fond de teint. Sans trop forcer non plus, pour ne pas avoir l'air d'une salope ou d'une midinette. « Un maquillage réussi offre à la femme son aspect le plus naturel. » Elle se souvient, amusée, de cette phrase entendue à la télévision. Au fond, c'est ce que lui demande ce juge : ne pas vraiment mentir, mais enjoliver, embellir son sentiment, cacher les points noirs, masquer les rides et atténuer les cernes, pour paraître plus vraie, plus authentique. Sans ça, sa manière d'aimer, à la lumière de la justice, sera jugée affreuse, scandaleuse, illégale.
***
Neuf heures du matin, le temps avance à pas de géant. Bientôt l'heure du rendez-vous. Ousmane repense au jour de son départ ; famille et amis sont venus lui souhaiter bon voyage, et au passage, lui rappeler qu'il allait en mission et non en visite de courtoisie. Sa situation était précaire au pays, celle de ses frères et sœurs aussi. Il était aux yeux des siens l'éclaireur qui allait préparer le terrain pour les autres. Pas question de retourner chez lui sans avoir rien tenté.
En arrivant à Paris, tonton Awilo l'entraîna dans les milieux où il pouvait se taper sa « vieille », mais Ousmane ne connut pas le succès escompté. Pas assez drôle, pas assez à l'aise dans son rôle de gigolo, au fond ces cougars le dégoûtaient, et ça se sentait. Dépité, le jeune homme avait changé ses plans et s'était attaqué à des femmes plus jeunes. C'est ainsi qu'il séduisit Élodie…
Awilo n'aimait pas trop ce revirement de situation. Il pensait que c'était une perte de temps, qu'Ousmane n'arriverait pas à convaincre cette Française de se marier en si peu de temps. Mais s'il s'y connaissait bien en « baise-ness », il avait peu d'expérience en relations classiques. Au pays les jeunes adolescents ont une éducation sexuelle particulière ; on enseigne aux filles à torturer les mâles avant de céder peu à peu des parcelles de leur corps, on apprend aux garçons l'art de séduire par les mots, par l'attitude, comme un chasseur ferait avec une proie difficile, perspicacité et patience. Avec Élodie la partie était gagnée d'avance : à trente-cinq ans, sans enfants, elle abordait l'âge où la femme seule panique pour son futur. Après une « banale » conversation avec elle, il savait tout de ses ex, par ricochet ce qu'il fallait éviter de faire.
– Dis tonton, quel type de question penses-tu que le procureur va me poser ? – Les questions de type informatif telles « comment as-tu rencontré ta copine, son nom, son âge, sa famille… » Rien de bien compliqué. Il n'osera pas trop te pinailler car on pourrait l'accuser de racisme, et cet argument est assez puissant pour dissuader même les plus tenaces. – Donc je ne risque vraiment rien ? – En dehors d'une dénonciation ou d'un revirement de ta copine, rien du tout. Mais dis-moi, ça se passe bien avec elle ? Je veux dire tu la travailles bien au corps ? – Non seulement au corps, mais dans sa tête aussi.
Les deux hommes rient de bon cœur. Puis Ousmane paie l'addition et s'en va. Quelques minutes plus tard, le voilà qui tangue au rythme du métro qui l'emmène au palais de justice. Les regards des autres passagers sont froids et fuyants. Ils ne savent même plus sourire, ni socialiser, comme si rendre un salut pouvait leur écorcher la bouche. Ousmane se souvient d'un proverbe de son village qui dit qu'un sourire peut ouvrir toutes les portes. Son village, égaré dans la savane du nord Cameroun. Quelques cases en briques de terre séchée, un toit de chaume. Le soir, le fumet qui s'en échappe… Mame Aïcha aux fourneaux, le fufu et le foléré au menu… Partager la même assiette, manger assis par terre, comme le veut la tradition, avec la main. La plonger dans le bol de fufu, ensuite l'enduire de foléré… Ses trois frères et deux sœurs qui partagent tout, même la couche : les hommes dans un même lit, les femmes dans un autre… Certes, Ousmane a quitté la campagne, adolescent, pour aller à l'école en ville, mais son esprit est resté avec les siens. C'est en pensant à cette misère qu'il décida d'aller se « chercher » en Europe.
***
Une fois dans sa chambre, Élodie choisit un jean, un chemisier et une veste plutôt chics, une tenue qui convient bien à l'image qu'elle veut donner : celle d'une femme « cool » au look plutôt jeune, mais à la fois active et responsable. Elle sait que l'on parle beaucoup actuellement des mariages « gris », ces escroqueries sentimentales pour obtenir un permis de séjour, et elle n'a pas du tout envie de passer pour une victime. Il y a huit ans d'écart entre elle et Ousmane, ce n'est pas tant que ça, mais ça peut paraître suspect à des yeux hostiles, d'autant qu'elle n'est pas vraiment belle. Il s'agit donc à tout prix de montrer de l'assurance, de l'aplomb face à l'homme de loi.
« Quelle hypocrisie, quand même, cette histoire de mariage gris… Monsieur le procureur, je trouve cela très gentil de vouloir me protéger, mais je suis une grande fille, moi, assez grande pour décider toute seule. Vous savez combien de fois je me suis fait arnaquer par les mecs, dans ma vie ? Combien d'entre eux sont partis juste après avoir goûté leur quatre heures ? Est-ce que la police était là pour les arrêter ? Non, alors fichez-moi la paix, merci. L'escroquerie sentimentale, vous vous en foutez éperdument, sauf si l'escroc est étranger, bien sûr, alors là, vous jouez les preux chevaliers pour défendre les pauvres petites femmes fragiles. Si je me fais entuber, je m'en remettrai toute seule, ne vous en faites pas, j'ai l'habitude, et je ne suis pas assez conne pour lui faire un môme tout de suite. On attendra au moins un an. S'il a ses papiers et qu'il décide de rester avec moi. »
Elle prend son café dans la cuisine. Comme d'habitude, Ousmane a lavé sa tasse et rangé aussi bien que possible tous les ingrédients de son petit déjeuner. Mais même comme ça, il prend beaucoup de place, son petit déjeuner. Déjà, il y a tout l'attirail pour son sacro-saint rituel du thé. Pour faire un vrai thé à la camerounaise, il faut d'abord sélectionner les feuilles avec minutie, d'un côté les rondes, de l'autre les longues, puis les mettre dans une première bouilloire. La seconde, c'est pour la menthe. Ensuite, transvaser plusieurs fois le contenu des deux récipients, jusqu'à l'obtention d'une espèce de mousse… Ça prend presque une demi-heure, plusieurs fois par jour, il vaut mieux ne pas être pressé. Et ce n'est pas tout : le matin, Ousmane se prépare du Kounou, une espèce de bouillie faite à base de maïs moulu, qu'il accompagne avec des Dakkere, des boulettes de pâte de mil séché.
« Absolument impossible à avaler sans s'étouffer… Et dire qu'il a remué ciel et terre pour en trouver à Paris ! » « Et comment vous vivez, au jour le jour ? » « Très bien, monsieur le procureur ! On se partage les tâches équitablement ! Moi, je bosse, je fais les courses, la tambouille, le ménage, et lui, il prépare du thé ! »
Élodie ne peut s'empêcher de rire.
« Non, sérieusement, monsieur le procureur : Ousmane est très serviable. Mais, comprenez, il ne sait pas encore utiliser les électroménagers ni les produits d'entretien français, alors je préfère m'occuper de tout. Au début, c'est lui qui préparait à manger, mais j'en avais assez du mil ou du riz tous les jours, donc… Mais il faut laisser le temps au temps, qu'il s'acclimate. » « Comment comptez-vous vivre, à l'européenne ou à l'africaine ? Il est musulman, n'est-ce pas ? »
Africain, et en plus, musulman… Tout pour éveiller la suspicion, évidemment.
« Oui, Ousmane est musulman. Il croit en Dieu, mais il n'est pas pratiquant. Il boit de la bière… J'imagine qu'on vivra à l'européenne, de toutes façons, je ne saurais pas vivre autrement, moi. Quant à lui, c'est difficile à dire, ça ne fait qu'un mois et demi qu'il est là, vous savez. Il a encore du mal à comprendre comment ça fonctionne, ici. Des fois, il reste en retrait, et il regarde, l'air étonné. Il faut dire qu'il vient d’un petit village du Sahel : tout à coup, Paris, ça fait une sacrée différence… Enfin, j'espère qu'il réussira à s’intégrer peu à peu. Mais c'est vrai qu'il a du mal à demander de l'aide ou des conseils pour les choses du quotidien. Même, en général, il parle peu de ce qu'il a sur le cœur, Ousmane… Des fois, je ne sais pas bien ce qu'il pense. »
Non, ça ne va pas. Trop sincère, encore une fois. Elle doit réfléchir un peu plus sur cette partie de l'entretien. Montrer qu'elle a les idées claires, et puis insister sur la serviabilité d'Ousmane, quitte à mentir un peu sur ses facilités d'adaptation. Élodie demeure songeuse. Elle essaie d'imaginer sa vie dans quelques années. Son mari, qui revient du travail avec un grand bouquet de fleurs, et une adorable gamine, avec ses petites nattes, qui accourt pour l'embrasser. L'image du bonheur… Elle a un peu de mal à y croire, mais après tout, pourquoi pas ?
***
Dix heures moins le quart, l'heure du rendez-vous approche. Ce matin le jeune Africain est parti sur la pointe des pieds, pas question de déranger sa copine.
« Elle est bizarre quand même, pense-t-il. Elle qui a voulu que j'emménage chez elle, mais elle est incapable de me céder un bout de son territoire ! Ah, les femmes occidentales ! Elles veulent tout et son contraire ! Que je regrette les femmes de mon pays, dociles et conciliantes ! Ici, c'est toujours à moi d'être partant, pour tout ! Mais bon, comme on dit chez nous, quand tu sais d'où tu viens, tu sais où tu vas ; je dois continuer le jeu. »
Élodie… Est-elle capable de changer d'avis, de le trahir, si le procureur se met à la menacer ? C'est, d'après ce que dit son mentor, tonton Awilo, le grand risque aujourd'hui. Ousmane essaie de deviner les réactions de sa future épouse au cours de l'entretien, mais il n'y parvient pas. Au fond, il ne la connaît pas du tout, c'est un vrai mystère pour lui. Une fois, elle lui a dit :
« Tu sais ce que j'aime par-dessus tout chez toi ? C'est que tu me laisses vivre ma vie, sans essayer de me changer, sans rien me reprocher, alors qu'on est tellement différents. Moi aussi, je te laisserai toujours faire ce que tu veux, tu sais. Ce serait si beau d'arriver à s'aimer sans jalousie, sans s'enchaîner, en restant libres… Je ne sais pas si c'est possible, mais ça vaut la peine d'essayer, tu ne crois pas ? »
En guise de réponse, Ousmane la serra fort dans ses bras. Il ne comprenait pas très bien ce que ces mots signifiaient. Comment peut-on aimer sans jalousie ? Élodie était pour le moins paradoxale : elle, qui se donnait si facilement, avait la hantise d’être dominée.
« Au fond, elle est plus farouche encore que les filles du pays, se dit-il. Autant oublier de la conquérir, vu qu'elle est déjà conquise, ça m'évitera de faire une gaffe. »
À partir de ce soir-là, il se contenta de rester là, à ses côtés, de l'écouter, et même, de s'absenter de temps à autre… Et cette stratégie, toute bête, fonctionna à merveille. En y réfléchissant bien, il n'est pas si mal tombé que ça, avec Élodie. Il fait ce qu'il veut ou presque, elle est plutôt bandante, elle possède un emploi stable et elle est disposée à passer ses vacances au Cameroun, quand tous les papiers seront en règle. Finalement, ce n'est pas un si mauvais parti, songe Ousmane. Si seulement il arrivait à comprendre quelque chose à ce qu'elle a dans la tête !
La bouche de métro crache son flot de monde. Ousmane réajuste son col et sa cravate. Il a l’impression d’être déguisé, dans cette tenue, sans sa gandoura. Plus que quelques mètres avant d'entrer au palais. Il se demande si finalement sa copine est allée travailler un peu ou a pris son congé. Elle était très tendue ces trois derniers jours. Il espère que l'entrevue la libérera enfin. « Si tout va pour le mieux, bien sûr. » C'est le moment de tout récapituler : elle s’appelle Élodie Dubois, née à Tourcoing le 15 août 1977. Fille unique, secrétaire de direction pour une compagnie d’assurances. On a décidé de se marier parce que…
Bonne question ! Pourquoi au juste ? Ousmane s'arrête un instant pour réfléchir. Que répondre à une telle question sans se confondre ? Le coup de foudre c'est un peu dépassé dans ce pays où les gens sont si calculateurs. Dire que c'est par peur de se perdre l'un l'autre, ça ne tient pas la route, le procureur pourrait lui répliquer qu'il est possible de retourner chez lui, inviter sa fiancée et se marier là-bas, pour ensuite entamer les démarches administratives. Et ça, pas question ! Il n'est pas sûr qu'Élodie soit amoureuse au point d'aller se marier en Afrique. Il faut trouver un argument solide, mais lequel ? Et puis merde ! C'est révoltant quand même, non ? N'importe quel gigolo blanc peut épouser une riche femme de sa race sans qu'aucun maire ne vienne fourrer son nez dans ses affaires, mais parce qu'un Noir veut épouser une femme blanche il faut qu'il passe par tous genres d'interrogations ?
Une image vient à l'esprit d'Ousmane, celle d'immigrants africains qui dans les années 90 s'agrippaient au tarmac de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle afin de protester contre leur rapatriement… Une vraie honte !
– Monsieur Dan Fodio ?
Ousmane sursaute. Il est entré dans le hall du palais de justice sans se rendre compte.
– Oui, c’est moi. – Maître Philippe Lemeur vous attend, bureau 6. Premier couloir à droite, juste après l’ascenseur.
***
Un bref coup d'œil sur le réveil, au-dessus du micro-ondes, soustrait Élodie à ses rêveries. Neuf heures vingt, déjà ! Elle doit partir.
Dans le métro, elle récapitule les questions qu'elle prépare avec Ousmane depuis trois jours.
« Où vous êtes-vous connus ? » « Station Barbès. Il était complètement perdu devant le distributeur de tickets de métro, je l'ai aidé. Et comme on allait tous les deux vers Sarcelles, on a voyagé ensemble. À la sortie, il m'a invitée à prendre un pot. J'ai accepté. » « Comment vous a-t-il demandée en mariage ? » « Cela faisait déjà deux semaines qu'on sortait ensemble. Un jour, il m'a expliqué qu'il valait mieux rompre, parce qu'il était tombé amoureux et que notre relation ne menait à rien, puisqu'il allait repartir dans son pays. C'est moi qui lui ai proposé le mariage. » Ça, ce n'est pas totalement faux, mis à part que c'est bel et bien Ousmane qui a parlé de mariage en premier. « Que savez-vous de lui ? Comment s'appellent ses frères, sa mère, son père ? Quand et où est-il né ? » « Le 8 juillet 1985. À Maroua, près de la frontière du Tchad et du Nigéria, dans le Nord. » Ça, il faudra le dire en faisant semblant de réfléchir, que ça ne paraisse pas trop appris par cœur. « C'est l'aîné de trois frères : Boubacar, Youssouffa, Abdoulaye ; et deux sœurs, Aïssa et… Ouayatou. Non, Awa et Aïssatou. Merde ! Comment c'était déjà ? »
Ses mains se crispent sur son sac. Elle ne peut plus appeler Ousmane : à l'heure qu'il est, il doit déjà être entré dans le palais de justice, et ils ont reçu l'ordre formel de ne pas communiquer entre eux le jour de l'entretien.
« Aïwa, Wassatou ? Yayatou et Sasawa ? Ouah ouah toutou ? »
Bon, elle le dira vite, c'est tout. Et si par hasard elle se trompe, tant pis, c'est compréhensible, avec ces noms à coucher dehors.
« Bon sang, décidément, tout est à l'envers. Tout ce qui paraîtra vrai, ce sera de l'esbroufe, et si je doute, ce sera sincère, mais ça passera pour de l'escroquerie ! »
Pour se tranquilliser, elle décide de penser à autre chose et d'arrêter net toutes ces conjectures. Elle verra bien comment ça se passe. Si le procureur est humain et fin psychologue, elle pourra prendre quelques libertés. Si c'est une peau de vache, elle se cantonnera à réciter le joli mensonge préparé à la maison. Un point c'est tout. Et les sœurs d'Ousmane s'appellent Awa et Aïssatou, sûr et certain.
Elle est enfin arrivée. Onze heures moins vingt, pas le temps de réfléchir. En sortant dans la rue, elle vérifie pour une énième fois ses papiers, la lettre du procureur. Oui, tout y est. Le palais de justice est juste en face, de l'autre côté de l'avenue. Une fois à l'intérieur, on la fait attendre quelques minutes dans le hall. Elle ne tient pas en place.
« En un mot, pourquoi vous l'aimez ? » « Parce qu'il me b… merveilleusement bien ! »
En imaginant cette réplique, Élodie a bien failli éclater de rire au beau milieu de la salle d'attente. Elle réussit, in extremis, à se ressaisir. Non, décidément, elle n'a le droit de rien dire. Elle doit parler d'amour mais sans sexe, et de projet commun sans mentionner l'argent ou les papiers.
– Mademoiselle Élodie Dubois. Bureau numéro 6, s'il vous plaît !
« Bon, ça y est. C'est le moment d'assurer. Courage, ma vieille », pense-t-elle, peut-être à haute voix.
***
Le parfum d'Élodie flotte encore dans la salle, apportant un brin de légèreté dans ce bureau rempli de tensions. Philippe Lemeur relit consciencieusement les notes prises au cours des entrevues de monsieur Dan Fodio et de mademoiselle Dubois. Un autre mariage multiracial, une autre enquête de routine : ça n'en finit plus.
– Monsieur Dan Fodio, vous êtes arrivé en France le 2 juillet 2011 et six semaines après vous publiez les bans pour vous marier, comment est-ce possible ? Connaissiez-vous déjà mademoiselle Dubois ? – Non, nous nous sommes rencontrés ici. – Six semaines, c'est quand même un peu tôt pour parler mariage non ? – Qu'est-ce que j'en sais ? Les choses sont allées très vite et j'en suis le premier surpris. Nous nous sommes rencontrés, sommes sortis ensemble et nous avons constaté que nous avions des points communs, et voilà ! – Parlez-moi un peu de ces sorties…
Ousmane se lança dans un discours ordonné, sans trop chercher ses mots ; certainement un scénario qu'il s'était joué et rejoué. Philippe l’a laissé faire, notant au passage quelques détails, et une fois la déclaration achevée :
– Il y a quand même quelque chose que je trouve curieux… J'ai ici les photocopies des documents que vous avez fournis à la mairie en vue de la publication de vos bans : copie de votre acte de naissance, de votre justificatif d'identité, de votre justificatif de domicile, le tout certifié dans votre pays ; manifestement, vous avez tout préparé à l'avance. Savez-vous que les mariages gris en France sont passibles de cinq ans d'emprisonnement ? – Je le sais et notre mariage ne l'est pas. – Et comment expliquez-vous cette anticipation sur les événements à venir ? – Très simplement. Je vis dans un pays où il est recommandé d'être prêt pour n'importe quelle situation… Les choses se passent souvent très vite et seul celui qui prévoit a la chance de réussir. – Donc, un mariage, c'était prévu ? – Oui et non. Qui sait ce que réserve l'avenir ? rétorqua Ousmane en souriant.
Le procureur fixa le jeune homme pas le moins du monde intimidé. Au fond il lui était sympathique. Son histoire pouvait être vraie ou tissée de toutes pièces. En tout cas, il était bien renseigné et savait qu'il ne risquait pas grand-chose, sauf s'il était dénoncé par un tiers ou par sa copine. Dénoncé… Oui, c'était sur ce registre qu'il fallait jouer… Car en réalité, ce n'était pas ce petit immigrant qui intéressait le procureur, mais un bien plus gros gibier. S'il jouait bien, ce jeune homme pouvait l'aider à lui mettre le grappin dessus.
– Depuis votre arrivée, on vous a plusieurs fois vu en compagnie d'Alioum Wallid Lokum alias Awilo, proxénète, escroc et faussaire, bien connu des nos services de police, qu'on fait suivre depuis déjà quelques mois. Pouvez-vous me dire ce que vous trafiquez ensemble ?
Ousmane accusa le coup, mais se reprit très vite.
– Tonton Awilo est mon oncle, le frère de mon père. – Sur vos documents figure le nom de votre père, mais je ne vois aucune similitude avec celle du dénommé Awilo. – Oui, je sais. Je ne mens pas. Chez nous les frères ne portent pas toujours le même nom de famille. Parfois, dans mon village, les noms sont donnés selon un code bien établi. Ainsi, un enfant pourrait porter le nom d'un ami de son père, par reconnaissance pour une bonne action.
Décidément, ce garçon avait réponse à tout ! Et il devait avoir peur, car la vengeance d'un homme comme Awilo peut s'avérer redoutable… Philippe décida d’abattre sa dernière carte.
– Écoutez monsieur, c'est assez facile de prouver vos liens de parenté avec monsieur Alioum Wallid Lokum. Savez-vous que mentir à la justice constitue un délit grave ? Si c'est votre oncle, vous n'avez rien à craindre, mais si ce n'est pas le cas, je vous suggère de collaborer. Allons… Parlez-moi d'Awilo, et je vous laisse vous marier en paix…
Du bluff, bien entendu : Philippe ne pouvait absolument pas réclamer un document officiel sans rapport avec le mariage, et l'enquête sur le proxénète n'avait encore rien d'officiel. Le procureur laissa le jeune homme réfléchir : il semblait mal en point, en proie à un combat intérieur… Trahir ? Non, ça jamais ! On ne le lui pardonnerait pas au pays. Les hommes comme Awilo sont d'une aide précieuse pour la communauté de par leurs dons et multiples implications dans la vie communautaire. Bien que résidant en Europe, il était aussi présent dans les villages que des personnes physiques pouvaient l'être… Trahir ? C'était sceller le sort de ceux pour qui il « se battait » en France.
– Je veux un avocat, finit par dire Ousmane.
Philippe venait de perdre la partie. Dans le dossier qui lui était arrivé du Cameroun, il n'avait rien trouvé d'illicite, et il commençait à se demander s'il n'y avait pas une pointe de vérité dans l'histoire de l'immigrant… Sa fiancée arrivait dans quelques instants, il allait en avoir le cœur net. Il décida de clore la session avec l'Africain, afin de disposer d'un peu de temps pour préparer l'entretien suivant.
Pour Élodie, il changea de tactique. Il entra tout de suite dans le vif du sujet, le plus sèchement possible. Il cherchait à la déstabiliser, par tous les moyens, pour qu'elle finisse par renoncer au mariage.
– Quand votre petit ami a-t-il pris la décision de se marier ? – Cela faisait déjà deux semaines que nous sortions ensemble, mais notre projet était impossible, alors on… – Non… Je ne vous demande pas quand vous avez parlé ensemble de mariage pour la première fois, mais quand lui, Ousmane Dan Fodio, a pris la décision de se marier. Ou si vous préférez, à quel moment votre fiancé a-t-il entamé ses démarches administratives ?
Comme prévu, la jeune femme était complètement déboussolée. À en juger par son attitude, elle n'entrait pas dans la combine d'Awilo, c'était certain.
– Je ne comprends pas bien votre question… On a décidé de se marier, et après, on a commencé les démarches, logiquement… – C'est faux, mademoiselle. Vous mentez. – Ah non, monsieur, je vous jure que je ne mens pas ! – Si vous ne mentez pas, alors, c'est qu'on vous a menti. Regardez ces documents, mademoiselle : ils viennent du Cameroun. Vous voyez les dates ? Oui, bien avant le départ d'Ousmane. Ce qui prouve de manière irréfutable que votre fiancé avait une idée en tête bien avant de vous connaître : il devait à tout prix se marier, avec n'importe qui, pourvu qu'elle soit française. Je regrette de vous en informer, mademoiselle, mais c'est un cas assez clair de mariage frauduleux.
Philippe la tenait entre ses griffes. Il attendit un moment, avant de lui assener la réplique finale :
– De deux choses l'une, mademoiselle. Soit vous êtes complice, soit vous êtes victime. Si c'est le cas, il vous faut absolument effectuer une déclaration écrite, sinon, vous risquez d'être inculpée.
Mais là, la petite eut une réaction totalement inattendue. Alors qu'elle était au plus bas, confondue, humiliée, elle se dressa tout à coup sur sa chaise pour lancer, rageuse :
– Il cherchait à se marier avec n'importe qui ? Vraiment ? Mais moi, je ne suis pas n'importe qui, monsieur le procureur ! Et puis qu'est-ce qui vous fait croire ça ? Parce qu'il a préparé ce type de papiers, « au cas où », avant son voyage ? Alors, vous, vous pensez que quand un homme garde un préservatif dans son portefeuille, « au cas où », ça veut automatiquement dire qu'il est prêt à baiser avec n'importe qui ? Désolé, monsieur le procureur, mais moi, je ne signe rien. Je ne suis ni victime ni complice, ou plutôt si, Ousmane et moi, nous sommes complices… Quoi, ce n'est pas légal, l'amour complice ?
Philippe se rendit aussitôt compte de son erreur : il était allé trop vite en besogne, avec un ton accusateur bien trop marqué. Et du coup, elle avait réagi comme un animal blessé, et elle lui avait sauté à la gorge. Dès lors, il n'y avait plus rien à faire. Pendant tout le reste de la séance, elle resta campée sur ses positions, à la défensive. Il l'avait mal jugée, assurément. Elle était beaucoup moins naïve que prévu, mais beaucoup plus fragile. Ce n'était pas la candeur ni la sottise qui motivaient sa démarche, non, son mariage était un acte désespéré, le dernier pari d'une femme seule et trop souvent bafouée, souffrant probablement de carences affectives depuis l'enfance. Au bout de vingt minutes, l'entretien était devenu un vrai dialogue de sourds, Philippe essayait de poursuivre l’interrogatoire, mais les réponses d'Élodie n'avaient plus rien de rationnel, elle parlait de ses désillusions sentimentales, de sa vie triste et routinière de célibataire endurcie, et même de sa mère qui ne l'avait jamais vraiment aimée. Il fallait abréger au plus vite, alors Philippe la rassura :
– Tranquillisez-vous, mademoiselle, je vais vous laisser vous marier. Mais je suis désolé : je ne peux pas non plus fermer le dossier dans ces conditions. Vous recevrez très certainement la visite d'un inspecteur, au bout d'un an de mariage.
La jeune femme partit sans demander son reste, extrêmement confuse.
Philippe relit les deux déclarations, puis se met à rédiger le compte-rendu des deux entretiens. À la fin du dossier, il écrit : « Enquête auprès du couple au bout d'un an de mariage fortement conseillée. » « Enfin, si dans un an, le couple existe encore », pense-t-il.
***
Deux heures du matin. Ousmane entend la porte de l'appartement s'ouvrir. C'est Élodie. Il se rue vers elle. Elle pue l'alcool et le tabac :
– Chérie, j'étais mort d'inquiétude ! Où tu étais ? – Toi, mort d'inquiétude ? Tu te fous de moi ? Ah, oui, bien sûr, j'oubliais, tu es pressé de savoir si je t'ai balancé, c'est ça ? T'en fais pas, mon petit chocolat d'amour, Élodie c'est une bonne poire… Élodie, elle est trop gentille pour te dénoncer.
Ousmane est désemparé. Il essaie de s'approcher, de la prendre dans ses bras.
– Non, ne me touche pas, salaud ! N'essaie pas de m'amadouer, je connais ta combine, va… Pas besoin de me baratiner ou de te mettre à roucouler, tu sais… Tu veux tes papiers, il n'y a que ça qui t'intéresse, pas vrai ? Eh ben, on s'arrangera, on fera semblant. Moi je m'en fous. Je ne te demanderai même pas d'argent, tiens. Par contre si tu veux baiser, tu iras voir les putes, parce que moi j'ai décidé de ne plus jamais baiser de ma vie avec un salaud ! Fini !
Élodie part en titubant dans sa chambre et Ousmane reste dans le canapé du salon, sans broncher, abattu. Tout à coup, il éprouve une profonde lassitude, une peine accablante, sans vraiment savoir pourquoi. Pourtant, aujourd'hui, il devrait se réjouir, célébrer sa grande victoire, l’obtention de son visa pour l'Europe, son seul objectif depuis des mois. Mais non, il ne s’est jamais senti aussi triste et seul depuis son arrivée en France. Bien sûr, c’est à cause d'Élodie. Sa détresse vient de l’émouvoir au plus haut point. C’est la première fois qu’il la voit ainsi, si malheureuse, si désappointée, au fond, si humaine. Il voudrait faire quelque chose pour elle, mais sait bien que c’est impossible. Un mélange amer de regrets, d'empathie, de désirs frustrés lui saute au visage, oppresse sa poitrine et trouble son esprit… Et il se met à pleurer, sans raison. Qui sait, peut-être par amour.
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