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Laboniris
Charivari : Si "je" est un autre, alors "tu", c’est qui ?
 Publié le 09/07/16  -  18 commentaires  -  17057 caractères  -  503 lectures    Autres textes du même auteur

Voici un petit jeu d’écriture : les discours direct, indirect et indirect libre sont inversés pour mieux mettre en valeur les pensées intérieures de tout un chacun et la vacuité des conversations réelles. On ne discute bien qu’avec soi-même, pour résumer. Ici, le discours direct retranscrit les pensées du narrateur, le discours indirect est attribué aux passages descriptifs et narratifs, tandis que les vrais dialogues sont écrits pêle-mêle sans aucune indication de l’identité des interlocuteurs.


Si "je" est un autre, alors "tu", c’est qui ?


Le réveil, d’une sonnerie brève et stridente, me crie qu’il est temps de me lever, car il est sept heures trente a.m.


– Allez debout, me dis-je.

– Pfff, non, encore dix minutes, me réponds-je, d’une pensée lasse.

– D’accord, mais juste dix minutes, sinon…


Je n’articule pas la fin de ma réflexion, ce n’est pas la peine, je me suis parfaitement compris. Le réveil, sous la pression de mon index, accepte, résigné, de se taire. Il réitère son appel, exactement dix minutes plus tard, comme convenu.


– Une nouvelle journée qui commence, pensé-je. Qu’est-ce que je fais d’abord, je fume un café ou je bois une clope ?

– Plutôt un café, me réponds-je. Je fume un café, je bois une clope… C’est quoi ça comme trope, un métaplasme?

– Non, pas métaplasme, le métaplasme c’est juste phonétique… Métalogisme ? Non plus… Hyperbole ?

– Hyperbol de café fumant !

– Très drôle… Non, sérieux, c’est quoi comme figure de style ?

– On s’en fout.

– Bien sûr qu’on s’en fout, n’empêche que si je ne colle pas un nom dessus, ça va m’énerver toute la journée.

– Épanode ? Hypozeuxe ?

– Si ça se trouve ce n’est rien d’autre qu’un calembour foireux.

– Non, c’est peut-être foireux mais ça doit bien porter un nom, comme figure… Adynaton, anadiplose… Bon tant pis, j’abandonne.

– Tant mieux… Ah ! Un bon café fumant le matin, tout seul en tête-à-tête avec soi-même, il n’y a rien de mieux, n’est-ce pas, me lancé-je, tout en m’adressant un sourire interne.

– À qui le dis-je ! répliqué-je en silence.


L’escalier proteste en crissant sous les pieds des enfants qui le dévalent en galopant.


Salut mes p’tits chéris, déjà levés ? B’jour papa, b’jour papa, smack smack, tu nous prépares le petit déjeuner ? Euh, oui, oui, mais attendez que j’aie fini mon café d’abord, d’accord papa, on peut regarder la télé pendant ce temps ? Oui mon chéri mais pas trop fort, faut pas réveiller maman.


La télé, tout à coup, se met à brailler et chanter des jingles de pubs à tue-tête.


– Pfff… On ne peut jamais avoir la paix cinq minutes dans cette baraque.


Chut, je vous ai dit de ne pas mettre la télé à fond, les mômes, mais papa, non, il n’y a pas de papa qui vaille, j’éteins, mais papa…


La télécommande, actionnée par mon doigt, fait cesser les hurlements du poste.


Rhôô papa, allez s’il te plaît quoi, c’est samedi aujourd’hui, vous n’avez qu’à lire un peu avant le petit déjeuner, pfff, papa c’est pas marrant… Écoutez, je n’ai pas le temps de discuter, c’est comme ça. Ce matin je dois travailler, rhôô mais papa…


L’escalier grince doucement pour m’annoncer l’arrivée de ma femme.


C’est quoi tous ces bruits ? Les gosses, désolé, ils t’ont réveillé ? À ton avis ? Mais tant pis, de toutes façons c’était presque l’heure de me lever. Bien dormi chéri ? pffff, et toi ? fff aussi… Café ? Non, plutôt clope. Avec deux sucres, comme d’habitude ? Oui, merci. Tiens au fait tu pourras acheter le pain avant de rentrer à la maison ?


– Épanalepse ! Ça y est ! C’est ça !

– Mais non, n’importe quoi, Ô triste, triste était mon âme, de Verlaine, c’est une épanalepse et ça n’a rien à voir avec "fumer un café"…

– Et le fait de demander à ma femme si elle veut deux sucres dans sa clope, c’est quoi ?

– Un lapsus, mais ce n’est pas du tout une figure de style, ça…

Tu m’as entendu, chéri ? Hein, pardon ? Tu peux acheter le pain en rentrant ? Tu sais, c’est assez énervant, quand tu ne m’écoutes pas… Oh pardon, mon amour, oui le pain, tu as raison, j’étais dans la lune.


Nos lèvres se disent "smack smack", pour clore l’incident.


– Polyptote…

– Arrête un peu, ça viendra quand ça viendra, me réprimandé-je, pense plutôt aux cours de ce matin.

– Bah, il n’y a qu’une heure et demie, aujourd’hui…

– Peut-être, mais avec les seconde B…

– Oh, p… ! C’est vrai ! Je n’ai rien préparé ! Qu’est-ce que je leur raconte ?

– Panique pas, panique pas, réfléchis…

– Épanorthose ?

– Stop ! Ne nous éparpillons pas.

– Bon… Je fais comme d’hab… Non ? Je baratine un peu, lecture d’un texte du bouquin, explications, questions, la dernière à l’écrit, comme ça ils se taisent pendant la dernière demi-heure…

– Et après, tout le week-end pour corriger, pfff…

– Oui, j’ai raison, pffff… Mais il n’y a pas le choix, j’aurais dû préparer mon cours avant.


La demi-heure suivante, je dialogue avec le reflet du miroir de la salle de bains, puis fais chanter le pommeau de la douche, couiner l’armoire de la chambre, susurrer mes vêtements sur ma peau. Au moment de sortir de la maison, la porte me réclame, comme chaque jour, d’être graissée. Ma voiture toussote un peu avant de ronronner intensément pendant vingt minutes. Je laisse la radio converser avec elle sur le chemin du lycée.


– Phébus, galimatias ? Non ! Merde, qu’est-ce que c’est ?

– Bon, ce n’est pas tout, m’interromps-je, mais il est huit heures et quart, je suis en avance, qu’est-ce que je fais, je passe par la salle des profs ?

– Pour fumer un café fumant à la machine ? Et si Dupré est là ?

– M’en fous, je lui dis qu’il dégage ce gros con avec son ajustement des unités didactiques en accord avec la nouvelle réforme de l’orthographe.

– Je dis ça mais chaque fois que je le croise, je ferme ma gueule comme un gros lâche…

– Non mais cette fois il va m’entendre, ce con. Je me le jure.


Oh, monsieur Dupré ! Ça va ? Oui, ça va bien, au fait, j’aurais absolument besoin de vos unités didactiques réactualisées en accord avec la nouvelle réforme orthographique pour les envoyer au rectorat. Oh, c’est vrai, désolé, monsieur Dupré, demain, sans faute, enfin je veux dire, lundi, à la première heure, vous les avez dans votre casier. Oui, j’espère bien, parce qu’on est en retard, là ! Ne vous inquiétez pas…


– Ça y est, il est parti, on lui a bien rivé le clou, hein ! m’exclamé-je.

– Je crois ? Vraiment ? me demandé-je sur un ton ironique.

– N’empêche que ses unités didactiques, il peut toujours se brosser pour les avoir lundi, ricané-je en dedans, pour essayer de m’auto-convaincre.


Le café me dit "slurp" en entrant dans ma bouche. La sirène beugle et les pieds des élèves qui courent dans les couloirs m’indiquent qu’il n’y a pas de temps à perdre. La porte de la salle de cours ferme son clapet derrière moi et fait cesser le brouhaha des chaises et des pupitres.


Un peu de silence, je vous prie, et asseyez-vous. Bon voyons voir. Abou Myriam ? Présente. Bernard Quentin ? Présent. Charpaud, Yvan ? Non ? Où est-il, Charpaud Yvan ? Il est malade, m’sieur…


– Tant mieux… Ça nous fera des vacances.

– Bon, à part faire l’appel, je fais quoi? J’y ai pensé ?

– Euh… Pourquoi pas le texte de Rimbaud ? C’est à peu près au milieu du bouquin en plus il y a dix questions en fin de texte, j’embraie un peu sur le discours rapporté et s’il y a le temps je fais chercher des termes dans le dico…

– Antipépiphore.

– Ah non, ce n’est pas le moment !

– Pardon, pardon ! Oui, OK pour le texte.


Zygmanowski, Juliette ? Oui, présente ! D’accord… Bon, chut, taisez-vous, et écoutez-moi, merci. Ouvrez vos livres à la page 124. Oui, Nathan, vous aussi. J’ai oublié mon livre, m’sieur. Lisez avec votre voisin, alors. Je l’ai pas non plus m’sieur, mon livre. Je ne sais pas moi, qui peut prêter un livre ? Marine ? Ah non, pas moi, je suis désolée, mais moi je lui prête pas mon livre ! Ce n’est pas très gentil ça, Marine… Oui, mais moi, j’en ai marre de prêter mes affaires à Nathan. Il a qu’à pas tout oublier chez lui et puis c’est tout… C’est aussi un peu vrai, je vous le concède. Nathan, la prochaine fois que vous oublierez votre livre, vous copierez dix fois le texte travaillé en cours, vous avez compris ? M’sieur, allez cinq fois, s’il vous plaît, dix fois c’est vach’ment ! Nathan, d’abord on ne dit pas vach’ment, mais beaucoup. Ensuite, si dorénavant vous apportez votre livre, vous n’aurez rien à copier du tout, je vous l’assure. N’empêche que dix fois c’est vach’ment beaucoup. Chut, affaire classée. Donc je disais, page 124… Euh… Voyons voir, qui a oublié son livre ? Tout ça ? Bon, vous, vous changez de place, ici un livre pour deux, vous ici, vous là, ouah tu fais chier, mais arrête, dégage ! Qu’est-ce qu’il se passe, là-bas au fond ? C’est Marius, il a froissé mon livre, ouais mais Théo, il veut pas le mettre au milieu aussi ! Arrêtez tout de suite, on dirait des gamins de 6ème ! Donc, keuf keuf, ouvrez à la page keuf keuf 124. Qui veut lire ? C’est à quelle page ? 124, je viens de le dire. Oui, mais Camille elle a toussé, j’ai pas entendu. Il a dit quelle page, le prof ? 124, je crois, j’suis pas sûre. J’ai dit page 124, le texte d’Arthur Rimbaud, lettres du voyant. Quelle page ? Je l’ai déjà dit trois ou quatre fois, page 124. Ah d’accord, m’sieur. Qui veut lire ? Myriam ? J’ai pas mon livre, m’sieur… Yvan ? Il est pas là, il est malade, m’sieur ! Ah oui c’est vrai ! Maeva alors. C’est à quelle page monsieur ? 124 ! Pas la peine de crier, m’sieur, je suis pas sourde. Bon.


Arthur Rimbaud, lettres du keuf keuf voyant. Je veux êt-reu poè-te et je tra-vaille, wouah l’autre hé… Nathan, chut ! À me ren-dreu voyant. Vous ne compren-drez pas tout et je ne sauras, euh non, pardon, saurais, pres-queu vous ex-pliquer. Il s’a-git d’a-rri-ver - à l’in-co- nnu, ah ah hi hi trop drôle, Nathan, chut ! par le dé-règle-ment de tous les sens les sou-ffrances. Non, Maeva, faites un effort, enfin, il y a un point après "les sens". Recommencez, je vous prie. Depuis le début ? Oui. Mais c’est super long ! Allez-y, recommencez et respectez un peu la ponctuation, s’il vous plaît, mademoiselle. Bon allez, d’aaaaaccord, on y va, pffff… Je veux êt-reu poète, etj’travaillàmerendreu voyant vousn’comprendrépatout, et je nananana expliquer. Nananana keuf keuf, atchoum, chut, dérèglement de tous les sens – POINT –, les souffrances sont énormes, mais…


– Bon, je me fâche ou je la laisse massacrer Rimbaud sans rien dire ?

– Non, laisse tomber, va, tant pis. Il est quand même super dur ce texte pour des seconde. À cet âge-là, les gosses ne peuvent pas comprendre ce genre de concept…

– Ah oui, je veux rire ? Et à quel âge il a écrit ça, Rimbaud ?

– Ouais… C’est vrai, ça. Et en plus il n’arrêtait pas de sécher les cours


M’sieur, m’sieur, y a une erreur dans le livre ! Ah oui ? Quelle erreur, Jéremie ? C’est marqué "je est un autre", m’sieur, c’est pas plutôt "je suis un autre" ? Ah tiens, c’est vrai ça, j’avais pas remarqué ! Mais non, ça, c’est le verbe avoir, comme par exemple "mon iPhone il est cassé mais je est un autre chez mon beau-père". N’importe quoi ! Mais non, mais si, mais non je te dis ! M’sieur, hein que c’est ça, m’sieur ? Silence ! Merci. Messieurs, mesdemoiselles, je peux vous assurer que c’est parfaitement écrit dans le livre, c’est bien "je est un autre", avec le verbe être à la troisième personne de l’indicatif. Et à votre avis, pourquoi Arthur Rimbaud a écrit ça ? Moi, moi ! Oui, Quentin ? Moi, je crois qu’en fait, Arthur il dit que Je est un autre, parce qu’en fait, c’est un rebelle, alors il refuse d’être lui, il préfère être un autre, et quand les autres lui disent pourquoi tu fais ceci ou cela, lui il répond que c’est pas moi, c’est l’autre… Euh… Oui, c’est assez intéressant ce que tu dis là, Quentin, pas forcément très bien exprimé, mais bon… M’sieur, m’sieur, moi j’ai une explication, m’sieur ! Oui ? Peut-être qu’il est bipolaire, Arthur, et du coup il entend des voix dans sa tête ! Mais non, bipolaire, c’est pas ça, les mecs qui parlent dans leurs têtes c’est pas des bipolaires, c’est des schizos ! Mais non, c’est des bipolaires ! Schizos, je te dis, oui, non, oui, non, m’sieur, m’sieur ? Quelqu’un qui parle dans sa tête c’est un schizo ou un bipolaire ?


– Pfff… soupiré-je en mon for intérieur… On n’a pas encore commencé le commentaire, ça va être chaud…

–Au fait, les schizophrènes parlent vraiment dans leur tête ?

–Je n’en sais rien, ils ont des hallucinations, ça oui, mais se parler à soi-même, je n’en sais rien, je ne suis pas schizophrène, moi.

– N’empêche, c’est incroyable ces mômes qui zappent tout, incapables de se concentrer sur une même idée plus de deux minutes d’affilée…

– Synesthésie ! Synesthésie ! Comme Rimbaud et son poème "Voyelles" ! Je bois une clope, Je fume un café, c’est une interversion des perceptions sensorielles.

– Mouais… Pas convaincu, quand même.

– C’est un peu capillotracté, mais il y a de ça, non ?

– Non, tranché-je. Et en plus, je ferais mieux de faire attention à ma classe, il y a Quentin et Marine sur le point de se bastonner au sujet des maladies mentales…


Bipolaire, je t’ai dit ! Bipolaire, toi-même ! Stop ! Arrêtez tout les enfants ! Silence ! Et écoutez-moi…


Ma craie crisse sur le tableau noir et parvient à clouer le bec de la trentaine d’adolescents assis devant moi. Elle continue de discourir, pendant une bonne demi-heure, sur les différenciations à effectuer entre narrateur, personnage et auteur, évoque tantôt Proust, tantôt Flaubert, en suivant un schéma complexe et néanmoins concis et didactique, dont je suis assez fier. Les stylos Bic des élèves répètent sur les cahiers les enseignements révélés par la craie. Ensuite, ces mêmes stylos soliloquent, en silence, pour répondre aux dix questions posées par le livre. Finalement, trois quart d’heure plus tard, la sirène clame avec fracas, tel le clairon sonnant une armistice, la fin du cours.


– Ce ne serait pas un chiasme, des fois ? me demandé-je tout d’un coup, en savourant les premières gorgées de ma cigarette, à la sortie du lycée.

– Oui, ou alors une aposiopèse…

– Hé, le pain ! J’allais oublier le pain, dis donc !


Une petite clochette, d’un ding-dong feutré, salue mon entrée dans la boulangerie.


Bonjour monsieur. Bonjour ! Qu’est-ce que ce sera ? Une baguette. Bien cuite la baguette ? Oui, s’il vous plaît. Et avec ça, ce sera tout ? Euh, oui… Tiens, non, donnez-moi aussi un rhum au baba, s’il vous plaît. Un rhum au baba ? Ah, ah, ah ! Ça, c’est un joli pataquès, monsieur !


– Pataquès ? J’ai bien entendu ? Il a dit pataquès ? me demandé-je à brûle-pourpoint.

– Oui, oui… Il a bien dit pataquès… La phrase "je ne sais pas à qui est-ce", devient "je ne sais pataquès", c’est une déformation involontaire du code oral, quand on a la langue qui fourche, quoi…

– Ça alors ! m’exclamé-je. Fumer un café et boire une clope, c’est donc un pataquès !

– Bon sang mais c’est bien sûr ! Eurêka ! m’écrié-je, en moi-même.


Ben dites donc, mon bon monsieur, ça a l’air de vous mettre en joie, le pataquès ! Ah, oui ça m’amuse beaucoup, merci, merci beaucoup pour ce joli mot ! Y a pas d’quoi monsieur. C’est une expression qu’employait souvent mon père, il était de Marseille et il aimait dire "mais qu’est-ce que c’est ce pataquès ?" Ici on dit plutôt carabistouille, mais chez nous c’était charabia, ou pataouète, ou alors pataquès…


Une demi-heure plus tard, la porte d’entrée de ma maison réclame, de nouveau, d’être graissée, et la télé chante encore des pubs idiotes dans le salon, exactement comme à huit heures du matin.


Bonjour les enfants ! J’ai dit bonjour les enfants ! Les enfants, vous n’avez pas entendu que votre père vient de rentrer et qu’il vous dit bonjour ? Hein ? Quoi ? Bonjour les enfants ! B’jour papa, b’jour papa… Alors, tu as passé une bonne matinée, mon chéri ? Oui, oui, plutôt. Et tu as apporté le pain ?


– Non, ça ne peut pas être pataquès, pataquès c’est quand on fait une erreur grammaticale, et là ce n’est pas le cas.

– C’est pas pataquès alors ?

–Non.

– Pas même un petit peu ?

– Non, désolé.

– Et meeeeerde !


Chéri ? Chéri ! Je t’ai demandé si tu as acheté le pain ? Hein ? Quoi ? Tu as acheté le pain ? Oui, oui, bien sûr, voilà le pain, pardon j’étais justement en train de penser à un truc… Et à quoi tu pensais, on peut savoir ? Euh oui, je pensais que tu devrais mettre cette robe plus souvent, ça va très bien avec tes boucles d’oreilles. En plus, assorti avec le vert de tes yeux, tu es très jolie aujourd’hui. Oh, tu as remarqué mes boucles d’oreilles ? Que c’est gentil, mon amour !


Nos bouches poursuivent la conversation en mâchouillant des mots tendres et mouillés.


– Alors là, chapeau bas ! Bravo pour ce sens de la repartie ! Dire qu’elle était sur le point de me passer un savon…

– Et ce n’est pas tout ! Figure-moi que j’ai enfin trouvé… Et cette fois-ci c’est définitif… Une hypallage !

– Voyons voir… Hypallage… Figure qui consiste à attribuer à certains mots d’une phrase ce qui convient à d’autres mots de la même phrase.

– Prévert avait fait une hypallage avec le vers "un vieillard en or avec une montre en deuil" si je ne m’abuse.

– Oui, tout à fait. Boire une clope c’est exactement la même chose.

– Ça m’en bouche un coin, hein ?


Pendant ce temps, ma langue bavarde avec celle de ma femme, qui argumente, elle aussi, de bien belle manière. Un beau débat, qui ne manque ni de piquant, ni de sel, pour une rhétorique tout ce qu’il y a de mielleuse. Ça, c’est l’effet rhum au baba, et nos deux langues qui fourchent, c’est un double pataquès.


 
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   hersen   
20/6/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Ah, voilà un texte vivifiant, plein d'humour qui égaie ma journée.

Je suis très fan de ce style décalé, on est à la fois dans du sérieux et dans un monde où tout est relatif, où rien n'a tant d'importance (sauf penser à rapporter le pain, peut-être)

Mais j'ai bien failli passer à côté ! car il est affublé d'un incipit rébarbatif au possible. Franchement, il m'a cassé mon début de lecture ( après je l'ai purement et simplement oublié). Pour moi, " Je fume mon café" aurait été bien plus interpellant, incitant à la lecture.

Une fois passé ce gros rocher inamovible sur mon chemin, alors je m'éclate, tout simplement. C'est vif, décalé mais cependant très réaliste. On ne perd jamais pied (même si j'aime ça aussi). La recherche tout au long du jour du nom de la figure de style est drôle, j'ai cherché dans le dictionnaire ceux que je ne connaissais pas (un bon truc pour occuper les élèves quand on n'a pas préparé son cours...) et je me suis empressée de les oublier, l'humeur n'est pas à ça pour ce texte.

Entre la vie de famille (où je regrette un poil que la lecture soit proposée comme "punitive", il faut bien que je trouve deux-trois bricoles...) et la vie de prof, (où je pense qu'en écrivant P.124 au tableau le prof se simplifiait la vie, mais d'un autre côté, ça me privait de 4 ou 5 lignes du texte, donc à tout prendre...) il y a un pur bonheur.

Bon, en territoire onirien, il est sans doute normal qu'il y ait tant de prof au Km carré. Je dis ça pour ceux qui penserait que la vie d'enseignant revient souvent; mais c'est rarement aussi joyeux, et j'adore dans cette nouvelle l'impression donnée d'aimer sa classe.

Bien sûr, savoir qui est qui, on illustre par Rimbaud, tout se tient.

Et puis la fin. Bon allez, on craque, évidemment. Parce qu'en plus on s'attache à lui !

Un bien joli coup que ce texte !

   vendularge   
28/6/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,

Je trouve l'idée intéressante et très drôle, c'est bien écrit avec un sorte de rapidité dans l’auto-dialogue (puisque monologue viendrait immédiatement insinuer l'idée qu'il parle seul, alors qu'il s'adresse à l'autre). Les autres dialogues sont enchaînés sans retour à la ligne, ce qui accentue le côté logorrhéique et finalement très naturel des situations.

C'est désopilant, cocasse, et très malicieux, bref, un plaisir de lecture de bout en bout
Merci
Vendularge

   Jean_Meneault   
9/7/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Voici une nouvelle très intéressante!

Tout d'abord, elle se lit aisément, la complexité des entremêlements ne se transforme pas en complication de lecture. Elle est en outre très bien construite : j'apprécie dans un écrit cette manière de poser les éléments de manière "anodine" au départ, pour que le lecteur se rende compte au fur et à mesure combien leur emboitement donne une autre dimension à la nouvelle, qui est plus qu'une simple histoire.

On connaît tous ces dialogues avec soi, entre soi pourrait-on dire. Toutefois les mettre en scène, les utiliser comme matière première est un défi que, me semble-t-il, vous relevez non sans talent.

On peut rajouter à ce cocktail votre humour qui nous fait traverser cette page de vie ordinaire avec recul. J'aime les récits qui abordent cet ordinaire, qui l'évoquent par plusieurs angles (humour donc, dialogues intérieurs, recours à un narrateur par moments...) et lui donnent donc plus de corps, qui le "transcendent" en quelque sorte.

Bon, comme vous le voyez, j'ai vraiment aimé votre nouvelle et vous remercie pour ce moment de lecture.

   Charivari   
10/7/2016

   JulieM   
17/7/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Plutôt drôle, cette matinée où le dialogue intérieur-extérieur perturbe et obsède le narrateur ! Une obsession - très bien rendue - qui est le fil d'Ariane du récit tout en étant trivialement obligé de donner son cours, penser au pain, embrasser sa femme, "reprendre" les enfants...
Un joli charivari dans la tête et du lecteur et du narrateur, très réaliste cependant et bien amusant.
Merci en passant pour tous les termes de stylistique (j'en ai pour un moment pour les digérer !).
Merci.

   placebo   
11/7/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Beaucoup aimé, ces verbes sonores incongrus se glissant dans les descriptions, ces dialogues qui se compactent en paragraphes et ces monologues qui se dédoublent.

Le je-je m'a fait penser à un texte que j'avais commencé où j'utilisais tous les pronoms personnels sujets pour que le narrateur se parle - ça mène souvent à des crises identitaires ces questions.

Tant de mots pour des figures de style, j'en reste baba ;)

Bonne continuation,
placebo

   Vincente   
11/7/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonsoir Charivari,

Je viens sur votre texte à rebours de la chronologie habituelle. Le titre m'avait bien titillé (l'incipit moyennement, fleurant un peu trop l'exercice de style désincarné), je comprendrais mais j'avais sans insister considéré que le temps m'étant compté, que j'y reviendrai plus tard. En fait, je risquais de le laisser partir "aux oubliettes" selon l'expression très à propos que j'ai pu lire "sur les lèvres" de quelques Oniriens.

Et puis, vous êtes apparu en forum pour remercier, etc... et Jean_Meneault a fait part de son étonnement du peu de commentaire, et m'a re-titillé. J'ai lu de suite, j'avais un heure devant moi. Cette chose très prenante ne m'a pris que quelques minutes, ça se lit tout seul et ça brille de bien des " intéressences" !

Cette coulée au cœur de l'esprit de votre quotidien développe une narration omni-directionnelle. On y suit le narrateur depuis son éveil dans son premier degré de perception, on l'y entend exprimer ce qu'il voit de lui, de sa vie, on l'entend se parler à lui-même et se conseiller dans une dissociation complète. Ce décalage intra-personnel crée des décalages dans l'expression, dans la contextualisation et dans l'interprétation. C'est très réussi, amusant, flamboyant.

Une mise en scène à la Woody Allen drainée par une poésie assez surréaliste, une dose psychanalytique et une réflexion sociologique. Ce n'est pas un film, mais il m'est apparu court métrage, à la fois très évocateur et enrichissant.

Au plaisir de vous lire.

   caillouq   
12/7/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Très bonne surprise en espace lecture.
A la (très rapide) relecture, la personnification du réveil, au début, est assez inutile et redondante (il y a déjà deux personnes dans la tête du narrateur, ça suffit !). Idem pour le café, la porte, la voiture etc.
Et le résumé, lourdement pédagogique, empêche le plaisir de la découverte.
Mais le reste, c'est que du plaisir (ah, la poésie des termes réthoriques !!! Et le jeu autour des interventions des élèves !!!), c'est fin ça se mange sans faim.

   Kvalcade   
12/7/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Charivari

Me dis-je, me réponds-je, pensé-je.... J'avoue que comme ça, en entrée, tout de suite, c'est roboratif. Heureusement cela disparait assez vite et la lecture s'allège. C'est rigolo, ça sent le vécu, mais quand même... Je ne me souviens pas de ma seconde, mais ces enfants me paraissent un peu trop puérils. En tout cas, vous prenez la fabrication d'un texte à contrepied et c'est rigolo, vivant. Agréable à lire. Un bon moment auquel chacun peut s'identifier. C'est bien vu.
Merci

   GillesP   
18/7/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Très drôle, cette petite nouvelle! J'aime beaucoup le ton, vif et rappelant le langage oral, mais néanmoins travaillé. Cela me donne envie de relire Céline, tiens!
Et puis, étant moi-même enseignant de français, ça me parle (il m'arrive évidemment de soliloquer à propos d'éléments dont tout le monde se moque, moi y compris, comme le nom d'une obscure figure de style).
Je suppose que vous êtes vous-même enseignant, car ça sent le vécu, tout cela... Un tout petit détail: vous êtes sûr qu'il y a encore des lycées où il y a des cours le samedi matin?

   Pouet   
21/7/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour charivari,

Le dernier poème de l'auteur publié ici (que j'avais fort apprécié),
"Le poème de nos corps", nous parlait déjà des mots parfois un brin étranges qui qualifient les figures de style littéraire. Il y a récidive ici, attention que cela ne vire pas à l'obsession... :)

J'avais lu votre nouvelle il y a quelques jours, je reviens ce matin pour y laisser un commentaire.

La nouvelle est assez subtilement décalée, j'en apprécie le ton, il s'en dégage de plus une certaine "tendresse" en plus de l'humour.
Le procédé sur le "discours intérieur" est agréablement posé.

Concernant le pataquès, l'auteur doit certainement connaître l'anecdote qui serait à son origine:

(1784) Déformation de la phrase « Je ne sais pas à qui est-ce », devenue « Je ne sais pataquès ».
L’origine de ce mot la plus souvent rapportée est celle dont fait état Gilles Henry dans son Petit dictionnaire des expressions nées de l’histoire (Paris, Taillandier, 2003), où on lit l’anecdote suivante:

« Un soir, au théâtre, un jeune homme est installé dans une loge, à côté de deux femmes du demi-monde peu discrètes et encore moins cultivées mais qui veulent se donner l’air de parler le beau langage en faisant des liaisons. Un éventail tombe à terre. Le jeune homme le ramasse et dit à la première :
« — Madame, cet éventail est-il à vous ?
« — Il n’est point-z-à moi.
« — Est-il à vous ? demande le jeune homme à la seconde.
« — Il n’est pas-t-à moi.
« — Il n’est point-z-à vous, il n’est pas-t-à vous, mais alors, je ne sais pas-t-à-qu’est-ce ? »

"S’il n’est pas sûr que l’histoire soit authentique, elle est néanmoins charmante ", ajoute Gilles Henry.

J'aime bien pour ma part connaître l'origine plus ou moins farfelue des mots ou expressions, à l'instar de "En trois coups de cuillère à pot" qui viendrait de l'époque d'Henri IV qui serait né, rapidement du coup, "En trois coups de cul, hier, à Pau" :)

Pour ce qui est de l'écriture du texte, je n'ai rien relevé de particulier qui aurait pu me déplaire foncièrement. Les dialogues sont bien vus, l'ambiance de la salle de classe bien rendue.

J'aurais peut-être bien vu un peu plus de phrase du style "je fume un café ou je bois une clope", genre "tu n'oublieras pas d'acheter la maison avant de rentrer dans le pain" ou autre.

Un vrai bon moment pour ma part, ludique et instructif.

Bravo.

   Anonyme   
15/8/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un vrai bon moment, j'ai adoré : sympa, vrai, pas prise de tête, du vécu quotidien porté par l'écriture!

   Cairote   
24/9/2017
 a aimé ce texte 
Passionnément
Un vrai tour de force, ce texte en dérapages maîtrisés, cette joyeuse glissade qui se donne des airs de délire, mais qui colle pourtant à la réalité. Je me suis amusé comme lors de ces descentes en folie sur les pentes enneigées de mon enfance (y compris les frissons, face à ces ados renacleurs).

   Damy   
28/9/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Je me suis vraiment amusé dans cette obsession à trouver absolument le nom de la figure de style littéraire d'un simple "pataquès" que moi j'aurais nommé: un génial charivari.
Mais, dites-moi, existent-elles toutes dans notre littérature ou bien en avez-vous inventé ? Je me sens tout petit, moi qui ne connaît pratiquement que la métaphore pour éviter de dire la vérité.
Amusant aussi le fait d'aller à la ligne avec un tiret dans les monologues et de ne pas le faire dans les dialogues.
Amusant le contraste entre les préoccupations littéraires du professeur et le langage des djeuns qui ne sont pas si bêtes que ça dans l'analyse du pourquoi "Je est un autre".

Bref, j'ai passé un excellent moment de lecture. Mais la question reste entière: "Qui es tu ?"

   Ynterr   
27/8/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Agréable découverte, qui tient bien sa place dans le laboniris. Je ne sais que dire de différent des autres commentateurs; c'est frais, original, je pourrai sans problèmes lire un livre entier de ce concept.
Pour résumer, belle œuvre , drôle, (même si ce n'est peut-être pas ton but premier ?) qui m'a fait passer un agréable moment.

   Anonyme   
14/6/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour

J'ai aimé cette écriture légère, frite dans l'huile de la rhétorique et relevée par le sel de l'humour !
Le texte nous amuse et nous instruit à la fois. Cependant, une petite question qui me paraît inévitable: y a-t-il une logique dans la réflexion que mène le prof sur le procédé stylistique qui lui a posé problème ?
Sur les 20 figures de style mentionnées dans le texte, seul le pataquès lui était nouveau, si je me rappelle bien ! Toutes les 19 autres figures, il les connaissait déjà. Déjà rien qu'à la maison, avant de sortir, il en a évoqué une douzaine, qui ne sont pas des moindres! Cela suppose qu'il avait une compétence rhétorique, peut-être un peu au-dessus de la moyenne, et pourtant il avait un certain blocage. Et c'est à ce niveau que se situe ma petite remarque: si l'on demande à un prof, connaissant assez bien la rhétorique, d'identifier la figure qui existe dans l'énoncé-problème, il va ou bien répondre d'entrée de jeu que c'est une hypallage, ou bien, le cas échéant, hésiter entre des figures très proches: ça ne devrait pas sortir, dans tous les cas de figure, des figures de la construction! Son hésitation, si hésitation il y a, devrait refléter quand même un tant soit peu sa compétence rhétorique! Il n'ira sûrement pas jusqu'à supposer des figures de répétition comme le polyptote ou anadiplose pour n'en pas citer trop. Cela paraîtrait un peu invraisemblable, à en juger par le critère de compétence que je viens d'évoquer, mais j'avoue que je peux me tromper, dans la mesure où l'humour se moque parfois de notre raison, sans raison aucune! Et là, c'est sur une autre dimension, qu'il faudrait relire cet écrit !
Pour finir, cette autre question: Et si, pour saluer votre humour, je vous dis "bravivari", c'est quelle figure ? (sourire)
Amitiés

   Anonyme   
4/11/2020
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonsoir,
Je me suis bien amusée avec votre nouvelle. Ce jeu avec les nombreuses figures de style ne manque pas d'humour. Et aussi, il y a une sorte de mise en scène qui se passe dans une classe de seconde. Le narrateur est obsédé par la ribambelle de figures d'style que je pris pour un vrai pataquès. En plus le "je" étant un autre sert bien au jeu avec les différents types de discours réunis en une seule personne.
Je vais surement relire cette nouvelle où tous les bruits (des éléments inanimés servant à l'ambiance) agissent comme des vrais personnages.

   Anonyme   
18/9/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un prof en cuir ouvrant son cartable amnésique...


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