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Sentimental/Romanesque
CharlesMark : Amours étrangères
 Publié le 26/02/17  -  8 commentaires  -  32580 caractères  -  101 lectures    Autres textes du même auteur

L'Amour est un isolement que l'on vit à deux.
Florian Zeller


Amours étrangères


Tout endolorie encore du plaisir de la nuit, elle savourait paresseusement le délicat moment du réveil. Une fine brise agitait sa longue chevelure, ramenant peu à peu son esprit à la vie. Depuis longtemps elle n'avait plus connu une nuit si agréable, une nuit qui n'avait pas été interrompue par les orages déchaînés par la folie des hommes. Elle sentait en elle un doux sentiment de bien-être la réchauffer de l'intérieur par picotements de plaisir évanescents, cendres encore ardentes d'ébats passionnés. Cela faisait de longs mois que Jean ne lui avait plus fait ainsi l'amour. Depuis que les ennuis au bureau et les mauvaises nouvelles de l'étranger s'étaient accumulés, le faisant revenir chaque soir un peu plus maussade et sinistre. Cette nuit avait donc été comme le retour du printemps après un long hiver. La vie l'emplissait. Le soleil, qui chauffait par la vitre son corps nonchalamment étendu sur les draps soyeux, tout cela lui donnait envie de crier son bonheur, de réveiller ce monde endormi par ces longues années de malheurs. Pourtant, elle ne pouvait se résoudre à quitter son lit, auquel elle s'accrochait désespérément, comme à son bonheur, par crainte de le voir s'envoler au loin au moindre relâchement.


Jean était parti tôt chercher des cigarettes. Elle lui avait fait promettre plusieurs fois qu'il disait bien la vérité et qu'il ne devrait pas se rendre au bureau avant le milieu de l'après-midi. Ils avaient la journée devant eux, une journée qui serait pleine de plaisirs continués, elle en était certaine. Prise d'un élan soudain, elle lui avait jeté des liasses de billets, lui disant d'aller leur chercher un rôti, s'il pouvait en trouver un. Elle pensait maintenant à ce rôti, la manière dont elle l'accommoderait, le sourire de contentement de Jean pendant qu'il la regarderait préparer le repas, tout en roulant une de ses cigarettes. Son penchant pour le tabac était le seul défaut qu'elle lui connaisse. Après en avoir longtemps été exaspérée, elle avait fini par avoir une certaine tendresse pour ce vice innocent. Elle continuait à lui faire des scènes à ce propos de temps à autre mais, secrètement, elle guettait l'odeur de tabac froid, si particulière, qui précédait et annonçait sa venue, et s'en repaissait avec discrétion. Ce matin encore, elle s'était amusée à le sermonner, lui rappelant les folles dépenses et les risques insensés des combines auxquelles l'obligeaient la satisfaction de son addiction. Lui, calme, comme toujours, conservant son air sérieux, l'avait laissée dire, se contentant d'éteindre ses remontrances d'un baiser avant de partir d'un pas vif.


Maintenant elle attendait son retour, guettant le moindre bruit dans l'allée qui menait à leur petite maison. Elle refusait toujours de quitter le confort douillet du lit. La vie était trop fatigante ! Qu'il serait doux de rester là pour toujours, simplement à attendre le retour de l'être aimé. Attendre sans songer au futur incertain. Attendre sans rien faire ; pour ne s'animer que dans les bras aimants d'une étreinte vigoureuse, la délivrant de sa voluptueuse paresse. Mais l'air, qui agitait les rideaux de la fenêtre, se faisait plus vif, gênant sa torpeur et ses rêveries. Violant son sanctuaire, la nature embaumait la chambre du parfum de son propre réveil, odeur de musc et d'herbe mouillée apportée par la nuit pluvieuse qui avait protégé leur tranquillité. Fragrance exotique, presque irréelle, amenée du loin au cœur de la grande ville, tirée peut-être de contrées exotiques où la paix régnait et l'on pouvait encore se laisser aller à rêver. Le mauvais temps de la nuit n'était pas encore complètement évacué. La journée serait chaude, mais orageuse. Une tempête autrement moins dangereuse que celle que menacerait de réveiller une éventuelle accalmie. N'y tenant plus enfin, Hélène jaillit du lit pour se précipiter vers la fenêtre, afin de retourner rapidement à sa quiétude. Dès son premier geste, elle sut que c'était gâché, la magie passée, une nouvelle journée commençait. Elle ne se recoucha pas. En bas, dans le petit jardin commun, la voisine, la vieille Trompeur, s'activait fébrilement, bêchant nerveusement le petit potager qui lui servait à améliorer son quotidien.


Espiègle, Hélène lui jeta un salut enjoué de la fenêtre ouverte. L'autre, bien qu'elle sursautât un peu, fit mine de ne rien entendre et, sans même lui jeter un coup d'œil, se remit à sa pénible tâche. Rien d'étonnant. Cela faisait des mois maintenant que les rapports entre les voisins se réduisaient au strict minimum, et à rien pour les deux femmes. Autrefois pourtant, elles avaient pu passer pour de bonnes amies, leurs deux hommes étant très proches. Le mari de l'autre, Hugues, était un géant qui cachait sous un physique menaçant une nature douce et un cœur tendre. D'une timidité extrême (il n'avait même jamais osé regarder Hélène dans les yeux), il avait pourtant tout de suite fait un très bon accueil au jeune couple, tout content de retrouver en Jean un camarade originaire de son terroir natal. À sa manière maladroite, il avait tenté de prendre son cadet sous son aile, l'introduisant dans le service, puisqu'ils étaient aussi collègues, et lui montrant les pièges de la vie citadine à éviter pour un jeune provincial monté à la capitale. Les deux ménages s'étaient rapidement rapprochés, dînant fréquemment ensemble dans le petit jardinet quand le temps s'y prêtait, ou partageant même parfois les longues et froides soirées d'hiver, économisant ainsi un peu de chauffage, surtout quand il avait commencé à manquer.


Comme pour tous, mais ici plus brutalement encore, tout avait changé avec les événements. Jean avait en effet connu une ascension fulgurante, obtenant promotion sur promotion, tandis que Hugues, que Jean lui avait dit être regardé d'un œil de plus en plus soupçonneux par la hiérarchie dans le service, croupissait toujours au même poste subalterne. Une fois, le colosse était monté chez eux. Hélène lui avait ouvert, heureuse tout en étant étonnée de la visite, déjà devenue inhabituelle. Il arborait l'air gêné qu'il avait toujours en sa présence, mais semblait aussi visiblement agité par autre chose, tortillant de ses gros doigts rugueux son képi dans tous les sens. Elle l'avait fait rentrer et ils avaient attendu longuement ensemble le retour de Jean, s'échangeant des banalités entrecoupées de longs silences. Sans savoir exactement pourquoi, quelque chose la retenait de lui demander la raison d'une visite si formelle, et il ne semblait pas vouloir en dire plus, visiblement agité au-delà de l'inconfort d'être seul avec la jeune femme. Quand Jean était enfin rentré, elle les avait laissés. Jamais elle n'avait exactement cherché à savoir ce qu'ils s'étaient dit mais le ton de son mari avait monté à travers les murs de la cuisine jusqu'à résonner dans tout le petit logement. La voix du colosse, tout aussi distincte à cause de ses accents rocailleux, conservait le ton calme et le débit un peu lent qui la caractérisait toujours, mais, quand après plusieurs heures il était venu prendre congé, elle fut troublée de le voir bouleversé jusqu'aux larmes, image grotesque mais troublante chez ce géant qui semblait taillé dans le roc et à la figure d'habitude inexpressive. Son mari quant à lui semblait ivre de rage et ne lui avait pratiquement pas adressé la parole de toute la soirée après le départ du visiteur, s'isolant dans un coin pour y regarder fixement le mur. Sur le coup il ne lui avait pas dit ce qui s'était passé, par la suite elle n'avait pas osé demander, un peu effrayée de l'avoir vu ainsi.


Depuis ce jour, les rapports des deux couples avaient été réduits à pratiquement rien. Quand il lui arrivait de les croiser, Hugues les saluait toujours poliment de sa voix rauque, mais baissait la tête et s'empressait de rentrer chez lui, sans jamais oser les regarder dans les yeux. Dans ces instants Jean oscillait entre un air las et pensif, ou au contraire furibond, qu'elle ne lui voyait qu'en ces moments-là. S'abstenant bien de répondre, il fusillait Hélène du regard quand elle le faisait. Il s'était même un jour à nouveau vraiment emporté, une fois rentrés chez eux, marmonnant d'un ton haineux : « Cet imbécile ne comprendra jamais que nous n'avons pas le choix ! Heureusement que le pays n'est pas peuplé que de lâches de son espèce ! »


Si l'attitude du voisin, bonhomme avant tout, était craintive, celle de sa femme devint rapidement détestable. Bien qu'elles aient pu entretenir quelque temps l'illusion de bons rapports, au temps des amitiés de leurs hommes, Hélène se disait rétrospectivement que l'autre devait toujours l'avoir un peu haïe en cachette. Elle n'avait que quelques années de plus qu'elle, mais son corps était déjà ruiné, prématurément vieillie par une vie de labeur commencée jeune, là où elle-même n'avait, pour ainsi dire, jamais su ce que pouvait signifier le travail. Même quand leurs maris se fréquentaient encore, il lui arrivait de surprendre des regards furtifs et envieux sur ses jolies mains blanches et immaculées. À côté d'elle, l'autre semblait une vieillarde, faisant deux, voire trois fois son âge, les mains ravinées des crevasses profondes propres aux fileuses d'usines, et un visage décharné qui s'enlaidissait encore dans ces années de vache maigre. À coup sûr, c'était elle qui avait dressé son bêta de mari contre Jean. Elle ne devait plus supporter de voir la réussite s'étaler si proche et pourtant inatteignable, contrastant si fortement avec son morne quotidien. Plusieurs fois auparavant, et déjà avant la guerre, Hélène avait entendu les reproches qu'elle adressait au grand Hugues sur son absence de promotion et ambition. L'homme encaissait les remontrances sans répliquer, sa femme ne cessant de le houspiller, le poussant à agir et à se plier aux nouveaux ordres, qui avaient si bien réussi à leur jeune voisin. Toujours aussi soumis en apparence, l'Hercule, soudain moins timide, ne démordait pas pourtant de sa position, et toutes les conversations qu'elle avait pu surprendre ainsi s'étaient terminées en hauts cris furieux, qui ne semblaient jamais l'avoir infléchi. Frustrée sans doute de ne pouvoir renverser, et encore moins fracasser, le roc inamovible qu'était son mari, la mesquine voisine avait transformé son dépit en haine. Non pas à l'égard de Jean, envers qui elle affichait un respect mêlé de crainte quasi superstitieuse, mais contre sa jeune et indolente épouse, sur laquelle elle déversait sa bile à longueur de journée. Le dédain qu'elle venait d'afficher, et dont elle ne démordait pas en présence d'Hélène, passait presque ainsi pour une marque d'affection, en comparaison des horribles ragots qu'elle avait colportés sur elle dans le voisinage. Elle accusait publiquement le couple de bénéficier d'avantages indus, propos graves en période de pénurie. Quand tous se serraient la ceinture, ceux qui passaient pour des profiteurs pouvaient rapidement voir se cristalliser sur eux la grogne ambiante, et plusieurs fois Hélène avait dû essuyer des regards rien moins qu'amicaux en attendant dans la file pour faire ses courses. Heureusement que Jean avait toujours su dans son métier se faire aimer de ses concitoyens, et bien peu au final alléguaient les propos de la jalouse en la matière.


Elle avait donc changé de stratégie, et concentré ses attaques directement sur Hélène, affirmant à qui voulait l'entendre que pendant que le mari trimait pour entretenir la Belle, elle n'hésitait pas à racoler les autres hommes et notamment son propre mari. Faisant fi du ridicule de la situation, la mégère mimait devant son public les soi-disant gestes aguicheurs de sa catin de voisine. Comment elle aurait abusé du moindre geste de bonté de son simplet de Hugues pour tenter par tous les moyens de l'envoûter, comme elle avait sans doute dû le faire avec monsieur Jean, qui, aveuglé d'amour, ne voyait rien à tout ce manège. D'un air pathétique, la Trompeur déclamait son boniment devant les autres femmes, goguenardes, qui l'écoutaient décrire le supplice du pauvre Hugues : « Vous comprenez, gentil comme il l'est, il n'est pas même capable de la repousser. Le pauvre homme vient me trouver chaque soir pour tout me raconter, tout effrayé d'être surpris alors qu'il est harcelé par cette fille à tout le monde ! » Quand ces bruits lui étaient arrivés aux oreilles la première fois, Hélène s'était décidée à n'y opposer que le dédain que ces racontars sordides méritaient. Après tout, qui serait assez bête pour porter du crédit aux allégations d'une vieille frustrée rongée de jalousie ? Elle avait la vérité pour elle. Son bon droit ferait vite taire les mauvaises langues. Mais la rumeur avait enflé jusqu'à ne plus pouvoir être ignorée. On la dévisageait dès qu'elle quittait la maison. Les hommes laissaient échapper de gros rires sur son passage, et sortir devenait un supplice quand chaque rencontre était l'occasion de frottements abjects, même si apparemment innocents. Elle avait réellement pris peur quand, attendant dans une file, elle avait senti derrière elle de grosses mains frustes tenter de se faufiler à travers ses vêtements. Elle s'était débattue d'un geste vif et dégagée, mais alors seulement avait-elle pris conscience de l'ampleur que prenaient les choses. Mon Dieu, qu'elle avait haï sa mesquine voisine ! Combien de larmes avait-elle versées dans la solitude d'une maison qui était devenue sa prison, en imaginant ce que pourrait aller à penser Jean si tout cela lui venait aux oreilles ! Si amoureux, si innocent, il ne le supporterait pas ! Les gens pouvaient être si méchants, déversant leur bile dès qu'ils en trouvaient le prétexte, jalousant la réussite des autres au point de ne souhaiter semble-t-il que le malheur universel aujourd'hui si bien réalisé ! Pas étonnant que l'époque soit si sombre. Au fond, tous ces imbéciles n'avaient que ce qu'ils méritaient.


Hélène croyait avoir refoulé toute cette noirceur qui habitait son quotidien, mais sa taquinerie d'avant avait suffi à la faire remonter, et achever de détruire toute trace des effets bénéfiques de la nuit. Perdue dans ces sombres pensées, la jolie jeune femme contemplait toujours le temps qui empirait par sa fenêtre maussade. La météo serait décidément mauvaise. Et avec tout ça Jean qui n'était toujours pas rentré. Que pouvait-il donc bien faire ? Il n'avait jamais voulu lui révéler les endroits où il s'approvisionnait, disant toujours que ce n'était pas là des lieux où s'aventuraient les femmes respectables, au surplus aussi ravissantes, mais d'habitude ses sorties ne s'éternisaient pas. S'il ne rentrait pas bientôt, la petite fête qu'elle s'était faite d'avance, son gigot, tout cela était compromis. Il devrait repartir à son satané bureau et elle resterait là à l'attendre, avec pour toute compagnie son balai, ses brosses, et les regards haineux de la voisine.


À trois heures, elle commença réellement à s'inquiéter. Jamais il ne s'était absenté aussi longtemps sans prévenir. Elle l'imaginait mal la délaissant pour aller taper le carreau dans un bistrot du quartier. Ce n'était vraiment pas son genre. Il lui avait promis qu'il serait là et jamais encore il n'avait failli. Elle craignait vaguement qu'il ait pu être appelé en urgence au travail. L'actualité récente rendait plus que probable cette éventualité. Certains soirs, il avait été ainsi gardé jusque tard, rentrant en plein milieu de la nuit, éreinté, la réveillant quand il s'effondrait finalement sur le lit, sans même prendre parfois la peine de se déshabiller complètement. Plus le temps passait, plus elle était sûre que ses craintes étaient fondées, la journée se révélait finalement vraiment décevante. Tout de même, il aurait pu avoir la délicatesse de la prévenir. Il avait d'habitude toujours eu au moins cette attention, sauf dans les situations vraiment urgentes. Décidément, il devait se passer quelque chose de grave. En désespoir de cause, elle se prépara un repas froid avec le peu qu'elle put rassembler dans la cuisine. Il n'y avait pas de raison pour qu'en plus elle se laisse mourir de faim ! Tout en mangeant elle continuait à réfléchir. On vivait certes une époque dangereuse, mais le travail de Jean consistait surtout en paperasses, il ne prenait que très rarement part aux actions sur le terrain. Pas d'inquiétude donc, c'est ce qu'il lui avait toujours dit. Elle ne lui connaissait pas vraiment d'ennemis, il semblait même avoir une capacité naturelle à susciter l'amitié chez ses interlocuteurs, si on exceptait les quelques jaloux qui eux-mêmes préféraient apparemment la cibler elle. Elle se rappelait encore comment ce trait de caractère l'avait marquée lors de leur première rencontre, et immédiatement séduite. Toujours souriant, il avait pour chacun un bon mot.


Le téléphone sonna soudain, seul luxe véritable dont la nouvelle position de Jean avait orné le domicile. « Enfin ! se dit-elle. Il m'aura presque laissée mourir d'inquiétude sans me donner de nouvelles ! » Malgré cette remarque intérieure, elle avait le sourire en décrochant, elle savait bien que son homme ne pouvait l'abandonner ainsi bien longtemps, aussi urgentes que soient les affaires à traiter… La voix glacée du divisionnaire la saisit jusqu'aux entrailles et elle eut l'impression de sentir son sang se pétrifier dans ses veines. C'est comme une somnambule qu'elle répondit aux questions saccadés de son interlocuteur, sans même bien comprendre les mots qu'elle prononçait. « Non », elle n'avait pas vu son mari depuis la fin de la matinée, « non » il ne lui avait pas fait part de projets ou de quelconques dérangements, en fait elle croyait qu'il était parti directement au bureau. Dans une crise de larmes, elle raconta toute l'histoire des cigarettes, l'attente, et finalement ce coup de téléphone qui la prenait de court. L'autre, de son ton froid et perçant, essayait maladroitement de la consoler, lui disant que la situation n'était pas encore très grave, que tout était fait pour retrouver son mari, qu'il ne servait encore à rien de s'inquiéter outre mesure. Finalement, il finit par lui promettre de lui rendre rapidement visite, pour l'interroger directement afin d'orienter les recherches.


Elle se traîna jusqu'à la porte quand elle entendit les coups frappés. Elle avait continué à beaucoup pleurer et ne s'était même pas arrangée pour la visite du commissaire. Elle songea un moment, avant d'ouvrir, qu'elle devait avoir l'air horrible. La vérité c'est que, défaite, elle restait fort charmante, d'une beauté touchante de fragilité éveillant l'envie de la protéger. Le policier ne l'ignora pas. Elle n'avait pratiquement jamais eu l'occasion de rencontrer l'homme courtaud, engoncé dans un imper' trop grand, qui se tenait devant elle, mais Jean, depuis sa nomination, ne tarissait pas d'éloges. Elle décida que malgré son physique déplaisant, ses yeux fuyants, qui détaillaient un peu trop ses formes à son goût, elle devait s'en remettre complètement à lui, comme Jean l'aurait voulu. En le faisant rentrer, elle eut pourtant un mouvement de recul devant l'effluve nauséabond, mélange de l'odeur rance de fluides corporels et d'une mauvaise cuisine à l'ail, qui envahit la pièce. S'ensuivit une conversation fort désagréable. Elle n'arrivait pas à se concentrer, tant son esprit était saisi par les bouffées qui la prenaient à la gorge. Les questions posées n'apportèrent guère d'éléments utiles. « Jean l'avait quittée vers 11 h, 11 h 30, elle ne l'avait plus revu depuis. Il lui avait dit qu'il irait chercher du tabac, elle ne savait pas où. » Son interlocuteur lui demanda à quoi ils avaient employé leur journée auparavant, elle fut gênée par son sourire lubrique quand elle répondit qu'ils étaient restés au lit.


Un malaise l'envahissait. Elle était épuisée, déroutée. L'homme enchaînait les questions, semblant ne prêter guère d'attention aux réponses. C'était comme si déjà il savait, et qu'il ne voulait pas consacrer trop d'efforts à une cause pour lui perdue d'avance. N'y tenant plus, elle finit par interrompre au bout d'un moment : « Pensez-vous que mon mari soit encore vivant ? » La question crue, le ton brutal, semblèrent un instant le désarçonner. Puis elle vit comme une flamme traverser un instant les petits yeux sournois lui faisant face. L'homme essaya bien de prendre une attitude qu'il voulait sans doute compatissante, mais son regard restait animé d'un éclat mauvais, sorte de jouissance perverse se nourrissant du chagrin d'autrui. Se rapprochant d'elle, il lui saisit d'un coup les mains. Les siennes étaient moites, presque gluantes, elle essaya bien de se dégager mollement mais l'abominable odeur qu'il exhalait par tous les pores, encore plus forte à présent qu'il s'était rapproché, lui faisait perdre toute force et elle sentait son corps s'engourdir, sans volonté, presque sur le point de défaillir alors qu'elle essayait de saisir le sens des mots que l'autre prononçait : « Vous savez sans doute madame que votre mari occupe depuis peu un poste de responsabilité, très exposé, où il a à gérer des activités extrêmement sensibles. Malheureusement, les résultats préliminaires de notre enquête semblent suggérer qu'il a pu être victime de ces voyous qui envahissent le pays… Dans les cas similaires auxquels nous avons dû faire face par le passé, je suis au regret de vous informer que nous avons bien rarement eu des nouvelles des disparus, et jamais positives. Bien sûr… »


Il continua à parler longtemps mais Hélène n'écoutait plus, elle se contentait de temps à autre de hocher la tête, le regard perdu dans le vague. Que Jean ait pu disparaître lui paraissait inconcevable, qu'allait-elle devenir ? Il était le centre de sa vie, sa raison d'être, sans lui rien n'avait plus de sens, comment pourrait-elle continuer son existence ainsi ? À quoi bon ? Au bout d'un moment, sans doute une éternité, mais elle avait perdu le sens du temps, les blancs dans la conversation (le monologue serait plus exact) se firent plus fréquents. Son interlocuteur lui jetait de temps à autre des regards inquiets, sans savoir comment se dérober. Il faut dire qu'elle devait offrir un tableau effrayant : pétrifiée comme si tout son corps était devenu de glace, le regard perdu vers un avenir insaisissable, elle n'était plus qu'un spectre dont tout souffle s'était brutalement retiré, ne laissant comme marque de vie que le battement sourd et régulier du sang à ses tempes. Finalement l'autre amorça sa retraite, ne cessant de la fixer d'un drôle d'air en partant, visiblement pressé de s'éloigner de la tragédie qu'il avait pourtant pris plaisir à provoquer. Il lui promit qu'on la tiendrait au courant, qu'on s'occuperait d'elle, qu'elle n'aurait pas de souci à se faire pour subvenir à ses besoins, puis partit en claquant la porte.


Les mois qui suivirent ne furent qu'une longue agonie. Elle n'eut jamais plus de nouvelles de la Préfecture, ce qui n'était pas vraiment étonnant vu les événements qui se précipitèrent à l'été. Au début, elle toucha sa pension, puis le versement prit fin lui aussi avec le déménagement des administrations. De toute façon l'argent ne valait plus grand-chose. De temps à autre Hugues lui ramenait quelques provisions, ce qui lui permettait de survivre, additionné avec le peu qu'elle arrivait à glaner par-ci par-là, surtout qu'elle ne s'alimentait presque plus depuis l'annonce de la disparition. Quand elle se rendit compte qu'elle avait du retard, elle n'y fit d'abord pas vraiment attention, mettant ça sur le compte de la sous-nutrition. Puis, ses règles ne venant toujours pas, elle avait fini par comprendre ce que les premières nausées, quelques semaines plus tard, n'avaient fait que confirmer. Les plaies de son âme, qui commençaient tout juste à cicatriser, se rouvrirent, suppurantes de chagrin. Elle avait pleuré, pleuré, pleuré sur cet enfant qui ne connaîtrait jamais son père, pleuré sur le sort de Jean qui avait si longtemps désiré un enfant et ne saurait sans doute jamais que son vœu avait été exaucé. Pleuré enfin sur son propre sort, abandonnée de tous, sans ressources, ne pouvant pas même se laisser mourir maintenant qu'elle avait cette vie en elle à protéger. Que celle-ci ait été engendrée le jour même où lui avait été arraché son Jean ne faisait qu'accroître sa détresse, comme si le destin avait voulu lui jouer un mauvais tour jusqu'à la fin.


Après une courte période où elle avait sombré dans un abattement encore plus profond, où elle avait même songé (Dieu lui pardonne) que, peut-être, arracher au tourment de la vie cet enfant à naître serait en réalité un acte de miséricorde, elle avait fini par reprendre courage. Non pas pour elle-même, mais pour lui : l'enfant de Jean, sa prolongation sur cette terre, qu'elle chérirait comme elle avait chéri son auteur ! Elle avait alors entamé sa bataille, harcelant l'administration pour récupérer le bénéfice de sa pension de veuve tandis que les choses finissaient par se calmer dans le pays et que, le gouvernement revenu, les affaires commencèrent à retourner à la normale. Après de longues semaines à envoyer courrier sur courrier, à attendre dans les antichambres sinistres des administrations, en compagnie de la masse pitoyable et affligée, tout aussi sinistre, qui est la clientèle habituelle des temps de crise, on avait fini par donner suite à sa demande, et elle avait obtenu un rendez-vous avec le nouveau commissaire divisionnaire.


Quand elle pénétra dans le bureau, elle fut frappée du calme qui y régnait, contrastant si fortement avec le tumulte des couloirs où résonnaient les cris, les gémissements même parfois, d'une humanité encore toute désorientée d'un vent de l'Histoire ayant tourné si brusquement. L'homme qui la reçut se leva immédiatement pour lui offrir très galamment un fauteuil confortable, ce dont elle lui fut fort reconnaissante – son ventre avait commencé à grossir et il lui était désormais désagréable de rester longtemps debout. Ce n'est que quand il se rassit et qu'elle put le contempler de face qu'elle vit qu'il était totalement défiguré. De la partie droite de sa tête, qu'elle n'avait pu voir immédiatement, ne subsistait qu'une masse informe de chair atrocement brûlée. On ne discernait plus ainsi les contours du visage, et il eût été fort difficile de reconnaître là un être humain si l'autre côté n'avait pas été absolument intact. Le contraste était cependant peut-être encore plus horrible à voir, étalant la déchéance possible du corps, car l'homme, indéniablement, avait été beau, et avait sans doute dégagé beaucoup de charme autrefois. L'œil qui lui restait, vif, traduisait l'intelligence, et le petit sourire qui tordait en permanence le côté préservé de sa bouche, loin d'exprimer la souffrance, donnait l'impression qu'il se moquait en permanence du monde qui l'entourait, comme s'il souriait à une blague intérieure que lui seul pouvait comprendre. C'est cette impression moqueuse mais sympathique qui prédominait d'ailleurs chez lui, et malgré ses horribles blessures il émanait du personnage une ardeur juvénile effaçant l'horreur de la première impression. En d'autres temps, elle lui aurait souri.


Il l'observait également, installé dans le beau fauteuil Empire, calme et sûr de lui comme quelqu'un habitué depuis longtemps à jouir du pouvoir, ou du moins à en jouer la comédie. Il l'interpella finalement d'une voix chaude, d'où transpirait aussi une assurance presque moqueuse :

« Je vois que mon apparence ne vous choque pas outre mesure madame, j'en suis heureux. Les gens ont tendance à attacher trop d'importance à ce souvenir qu'ont jugé bon de me laisser nos amis communs avant de partir. »


Hélène rougit et baissa les yeux, elle s'était bien sûr renseignée sur le jeune commissaire, même si personne n'avait osé lui mentionner le détail de son apparence. Il était déjà de toute façon une sorte de célébrité dans le quartier. Son comportement héroïque pendant la guerre, les souffrances sans nom qu'il avait endurées, tout cela lui avait valu une éphémère gloire à la fin du conflit. Il continua d'un air contrit :

« Pardonnez-moi, j'ai du mal à contenir un cynisme déjà trop présent en ces temps. Je ne voulais pas vous blesser. Je sais que vous-même avez beaucoup perdu et êtes en deuil. »


Elle voulut lui assurer que ce n'était rien, mais il ne lui en laissa guère le temps, la coupant. Il semblait qu'il était bien décidé à mener la conversation :

« Pas de fausses civilités entre nous, je vous en prie. Je dois vous avouer que si je vous ai accordé cet entretien, ce n'est que par égard pour votre état. »


Puis son sourire s'effaçant un instant, et son unique œil se figeant dans le vague, il continua :

« Ma femme attendait aussi un enfant quand nous fûmes pris, comprenez-vous. »


Son regard se fit soudain dur, et il reprit d'un air plus sévère :


– Quoi qu'il en soit je tenais à vous dire personnellement que notre nouveau gouvernement ne pourra officiellement accéder à votre demande, et verser ne serait-ce qu'un franc de la pension que vous réclamez.

– Mais mon mari… commença-t-elle en éclatant.

– Je sais malheureusement très bien quel genre d'homme était votre mari ! la coupa-t-il brutalement, dans un éclair de haine presque déplacé dans ce regard mutilé mais doux.


Puis, prenant un ton plus doux :


– Mais je ne vois pas de raison pour que vous et votre enfant souffriez des erreurs du père. Je n'approuve guère le zèle des exaltés à la mode, que je trouve bien anachronique, maintenant les combats passés. Aussi rassurez-vous, j'ai pris des mesures et vous ne manquerez de rien. Votre dossier a été enregistré sous votre nom de jeune fille, et l'enfant à naître comme pupille de la Nation.


Elle en resta bouche bée, ne sachant que dire, tout étonnée, coupée net dans une indignation qu'elle s'était apprêtée à déchaîner. Les larmes lui vinrent rapidement aux yeux, devant la bonté dont faisait preuve à son égard cet étranger, de manière gratuite et après avoir été tant éprouvé dans sa chair. Dans un élan instinctif, elle se précipita vers lui, voulant le serrer dans ses bras au-dessus du bureau. Il se dégagea, prestement mais sans animosité, la couvant un instant de son regard estropié, où s'exprimait à la fois lassitude et pitié. Il se leva ensuite, se dirigeant vers une porte dérobée dans un coin, avant de se retourner pour lancer d'un air grave : « Je n'aurais qu'une seule condition, que vous examiniez le dossier posé devant vous attentivement. Je crois qu'aujourd'hui nous avons besoin de la vérité plus que de toute autre chose. Permettez-moi de prendre congé maintenant. Signalez au planton de garde quand vous aurez fini. »


Hélène resta figée un moment, hésitante dans le grand bureau, regardant l'homme sortir sans un mot, puis attendant encore. Son esprit étouffait sous l'abondance de sentiments ambivalents qui l'étreignaient. Très doucement, elle se rapprocha de la table et, d'un geste presque amoureux, languissant, ouvrit la serviette. Ce qu'elle vit fit battre son cœur à tout rompre mais elle ne pouvait plus s'offrir le luxe de l'étonnement. Sa vie dénudée de toute joie ou chaleur, elle avait aussi renoncé au mensonge. À l'intérieur de la chemise, une simple photo, prise sans doute avec un de ces appareils instantanés qui avaient tant étonné avant la guerre, et que tous les envahisseurs allemands avaient ramenés dans leurs bagages. Un cliché souvenir, pris en 1942 comme l'indiquait la légende. On reconnaissait bien son Jean au milieu, beau et bien bâti, seyant dans son uniforme de gendarme. Il était tout sourire, ce sourire qu'elle aimait tant, encadré de part et d'autre de deux gaillards aux visages germaniques et tout aussi jovials, arborant l'uniforme noir frappé des deux éclairs qu'avaient appris à craindre tous les peuples d'Europe. Au fond, un décor de miradors et barbelés, à travers lesquels on distinguait des visages apeurés et grimaçants. Et à côté du groupe, au premier plan, une petite chose misérable qui n'avait pas d'abord attiré son attention. On y reconnaissait un enfant, le visage entièrement dissimulé par la grosse main d'un des SS, qui lui caressait la tête d'un geste paternaliste. La seule chose qui l'identifiait encore c'était l'énorme étoile à six branches ornant sa poitrine, recouvrant quasiment la totalité du petit corps malingre. Fascinée et tétanisée un instant devant le spectacle de la vérité crue, Hélène prit la photo dans ses mains et, délicatement, l'embrassa, comme elle l'avait fait tant de fois avec les lèvres de Jean. Son Jean, qui, de l'éternité, lui adressait toujours son beau sourire. L'homme qu'elle aimait, le père de son enfant.


 
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   Anonyme   
29/1/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Je trouve cette nouvelle très habile, par sa construction, la manière dont vous installez le lecteur dans la situation avec naturel, sans didactisme mais par immersion, enfin par sa fin très parlante, qui, pour moi, sonne vrai : l'aveuglement total d'une femme amoureuse ; devant la photo témoignant des horreurs dont s'est rendu coupable son mari, tout ce qu'elle retient c'est le "beau sourire" de celui-ci !
Et, suprême habileté, vous vous débrouillez (en tout cas en ce qui me concerne) pour que cette femme frivole et égoïste ne soit même pas vraiment antipathique, parce que l'histoire est racontée de son point de vue, qu'elle n'est pas insensible et souffre vraiment...

Je trouve l'écriture par moments trop chargée, voire précieuse, comme par exemple ici :
Violant son sanctuaire, la nature embaumait la chambre du parfum de son propre réveil, odeur de musc et d'herbe mouillée apportée par la nuit pluvieuse qui avait protégé leur tranquillité.
Bon, c'est mon goût ; pour moi, cela ne sied pas très bien au sujet, quelque chose de plus sec, plus direct conviendrait mieux. Bien sûr, c'est à vous de voir.
Peut-être aussi l'histoire s'attarde-t-elle un peu trop sur la montée des ragots contre Hélène, j'ai eu le sentiment que ce n'était pas l'essentiel.

Mais, dans l'ensemble, pour moi la narration est affirmée, bien menée et sonne juste psychologiquement parlant.

   vendularge   
26/2/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,

Dans cette histoire, c'est la narration, la construction qui est surprenante et très bien menée jusqu'à son terme. Le point de vue de l'épouse, toute à son amour est presque touchant, jusqu'à ce que dans les dernières phrases, on comprenne qu'elle regarde une vérité qu'elle connaît, qu'elle a toujours connue. C'est finement mené. Il faut tout détricoter à l'envers.

L'écriture ample et dense aurait pu bénéficier d'une ou deux dialogues qui auraient un peu allégé certaines phrases, j'ai lu cette nouvelle avec à chaque partie l'envie de lire la suite. C'est donc que l'écriture nous y conduit.

Merci et bravo
vendularge

   Anonyme   
26/2/2017
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bien raconté. J'ai raté la cuisson des tagliatelles à cause de vous. Je pensais ne lire que deux ou trois blocs avant de les égoutter, et je les ai oubliées sur le feu.

J'ai buté une seule fois, quand j'ai lu "le ton de son mari avait monté à travers les murs de la cuisine jusqu'à résonner dans tout le petit logement. La voix du colosse, tout aussi distincte [...]", puis, juste après "Sur le coup il ne lui avait pas dit ce qui s'était passé, par la suite elle n'avait pas osé demander, un peu effrayée de l'avoir vu ainsi." La femme est amoureuse, certes, mais pas sourde.

Encore bravo. Je ne vous demande pas si vous publiez, c'est du travail de pro.

   Anonyme   
26/2/2017
 a aimé ce texte 
Un peu
Vous écrivez très bien, c'est indéniable, mais la longueur du récit, n'est pas à la hauteur de la conclusion.
J'ai trouvé l'histoire assez plate, pour exprimer un drame de cette époque, qui reste d'ailleurs figé dans un fond de cadre, avec la disparition de Jean, inexpliquable, et inexpliquée d'ailleurs, à part cette photographie où l'on se doute que c'était un collabo.
Ce qui me gêne, et c'est mon ressenti, alors que cette photo aurait dû être la clef, permettant d'ouvrir toutes les portes parsemées dans la narration, et qui devait être en quelque sorte l'apothéose de votre histoire, car cette image, à elle seule, éclaire les parts d'ombre, comme, pourquoi la dispute entre les deux hommes, etc, a fait sur moi, finalement, l'effet contraire, car ce qu'elle a éclairé, manquait cruellement d'épaisseur.
Vous êtes resté sur un registre trop linéaire à mon goût, j'aurai aimé un peu plus de folie. Cependant votre écriture ne m'aura pas laissé indifférent.

   plumette   
27/2/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour CharlesMark,

voilà une nouvelle bien différente de la précédente dont la lecture, intéressante, m'avait parue plus ardue.

Toujours une écriture soignée, affûtée, mise au service dans ce texte d'une narration intéressante car ménageant avec habileté l'intérêt du lecteur.

ça commence en douceur, comme une histoire qu'on pourrait imaginer " à l'eau de rose" et puis, petit à petit, des éléments discrets nous informent de l'époque ( vague, on sait juste qu'il y a la guerre et des restrictions) et on sent quelque chose d'un peu étrange, difficile à situer: La brouille avec les voisins, cet antagonisme où là encore vous nous mettez sur une fausse piste en nous laissant croire que la jalousie est l'unique moteur des médisances de la voisine.
Cette disparition de Jean est aussi ambigue, car dans l'imaginaire de la lectrice que je suis, partir chercher des cigarettes cela peut signifier, disparaître volontairement pour changer de vie ! ( cf l'italien , la magnifique chanson de de Regiani)

Et puis ce n'est qu'avec la fin que l'on peut retricoter l'histoire, et en avoir une autre lecture. c'est vraiment très réussi de ce point de vue.

mais, car j'ai un petit mais! J'ai eu l'impression parfois d'éléments un peu caricaturaux qui m'ont arrêtée dans ma lecture: la visite du supérieur de Jean par exemple ou le visage mutilé du nouveau commissaire. En même temps; je me rends compte que ces éléments très typés donnent du relief à votre texte;

Un bon moment de lecture

Plumette

   Brume   
28/2/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour CharlesMark

Vous avez une belle écriture et le sens du suspense. J'ai lu votre histoire avec grand intérêt avec l'envie pressante de connaître enfin la vérité. Et je peux vous dire que la fin est une réussite, ce dernier paragraphe jusqu'à la dernière ligne est énorme.
En revenant en arrière un passage du paragraphe 7 devint soudain révélateur:

_ " L'homme encaissait les remontrances sans répliquer, sa femme ne cessant de le houspiller, le poussant à agir et à se plier aux nouveaux ordres, qui avaient si bien réussi à leur jeune voisin."

Quand je lis que cette femme embrasse la photo de son mari collabo je me dis qu'elle était au courant de son passé.
D'ailleurs j'ai relu votre nouvelle avec un œil nouveau sur la psychologie d'Hélène.
En première lecture je l'ai trouvé assez inintéressante, superficiel, sans caractère, sauf vers la fin où elle se décide enfin de se battre pour réclamer sa pension de veuve. Un trait de sa personnalité qui n'a rien à voir avec un manque de relief dû à votre écriture mais c'est réellement ce que votre personnage dégage. Ce passage n'a fait que confirmer mon impression:

- "et sortir devenait un supplice quand chaque rencontre était l'occasion de frottements abjects, même si apparemment innocents" - Frottements abjects mais apparemment innocents?...ok d'accord.

En seconde lecture je l'ai trouvé en plus méprisable:

- "une nuit qui n'avait pas été interrompue par les orages déchaînés par la folie des hommes." - Sans blagues!

- "Les gens pouvaient être si méchants," - Sans blagues!

Et son comportement aberrant envers cette photo monstrueuse démontre qu'elle vit totalement hors de la réalité ou bien qu'elle déteste autant les Juifs comme son mari.

Petits bémols:

1- Les passages sur les ragots de la voisine, beaucoup trop long.
2- Paragraphe 16 Hélène souhaite récupérer sa pension de veuve ce qui veut dire que son mari disparu a été retrouvé mort, mais rien ne le dit clairement, et j'aurais aimé lire au moins une ligne sur la façon dont il est mort.

J'ai bien apprécié ma lecture.

   Bidis   
1/3/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
C’est un texte qu’on ne lâche pas, ce que j’admire.
Cependant, j’aurais deux petits reproches quant au fond :
- Pendant le passage où l’on parle de l’animosité entre les deux femmes, je me suis crue devant une émission de télé parlant de litiges entre voisins avec des conflits au ras des pâquerettes. Et je commençais à m’ennuyer quand le retard inquiétant du mari a heureusement ravivé mon intérêt.
- « Au début, elle toucha sa pension, puis le versement prit fin lui aussi avec le déménagement des administrations. De toute façon l'argent ne valait plus grand-chose. » : On aura des éclaircissements plus loin dans le texte, mais à ce moment-ci de la lecture, on se demande de quelle pension il s’agit. Puis, au moment où l’on parle de « pension de veuve » je me suis demandé s'il ne fallait pas d’abord acter le décès du mari, et si cela ne prenait pas un certain temps après une disparition. Et qu’est-ce que le déménagement des administrations a à voir avec cela ? Et pourquoi l’argent ne vaut plus grand-chose ? Il aurait donc à mon avis fallu donner des éclaircissements à cet égard. Je ne crois pas que la chute en aurait été pour autant dévoilée.
Une petite remarque concernant l’écriture :
- « cendres encore ardentes d'ébats passionnés » : je trouve cette proposition un peu grandiloquente dans un texte d’autre part traité avec beaucoup de naturel.

   SQUEEN   
15/7/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
On est longtemps embrumé dans un ignorance spatio-temporelle, les détails, amenés avec parcimonie, ne nous précisent que très progressivement où nous nous trouvons et à quelle époque. Très bien écrit, quelque longueur: la voisine.
Pas de jugement, ni de rédemption. Cette histoire d'amour avilit l'amour, mais reste une histoire d’amour. L’amour est commun à l’humanité, l’horreur aussi. Merci beaucoup pour ce partage.


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