Comme ils étaient partis de l'Orient, ils trouvèrent une plaine au pays de Schinear, et ils y habitèrent. Ils se dirent l'un à l'autre : Allons ! faisons des briques, et cuisons-les au feu. Et la brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de ciment. Ils dirent encore : Allons ! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre.
Le Livre des origines : la Tour de Babel, Genèse, 11, Ancien Testament.
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Lumière sur la Ville
Une lumière dans la nuit, sur la mer, calme, qui clapote doucement au pied de la jetée. Une simple gerbe de flammes qui vient faire pâlir les étoiles, suivie à l'instant de nuées semblables : lucioles toutes lancées dans une folle course vers la plage. À l'arrivée, ce sont des gerbes étincelantes qui éclatent dans un bouquet final grandiose, venant lécher les vitraux des cathédrales modernes s'étalant sur le rivage, les faisant éclater. Perlent alors des myriades de couleurs : du rouge profond au vert, mais surtout l'orange, puissant et saisissant, qui rayonne à l'horizon, nimbant tout d'une lumière chaude, tel un Soleil naissant.
Devant ce spectacle s'ouvre la terre, jusque dans les profondeurs de ses entrailles les plus secrètes. Et le monde entier s'y engloutit, dans un éclat aveuglant, alors qu'on peut encore entendre mourir l'écho nonchalant de la clameur d'une musique orientale, étouffée bientôt par le bruit assourdissant de ce nouvel astre qui s'éveille, monstre de feu surgissant de ces vastes abîmes effondrés.
L'Univers, ébranlé, chancelle, submergé par l'éruption de tous ses sens. Et la Lumière envahit tout désormais. Pure, brute, féroce, assourdissante, fondant corps et esprits, à en faire disparaître même jusqu'aux ombres, bues soudain par la roche.
Et comme s'effaçant devant cette concurrence inattendue, cet affront à sa puissance et à la vie qu'il a insufflée, bientôt, c'est le Soleil lui-même qui se retire dans les ténèbres, se couvrant d'un voile pudique de fumée noire et âcre, sombre comme une robe de deuil. Alors progressivement la Lumière s'estompe peu à peu, absorbée par les yeux de ceux qui, les fermant une dernière fois, l'emportent avec eux.
Un silence épais s'installe, à peine troublé par l'infime tressaillement d'onde qui vient agiter ce pesant éther : loin, mais trop près encore, sur la vaste mer teintée de noir et rouge funestes. Le seul cri auxquels auront droit des millions d'âmes tourmentées, mais au ton pourtant calme et monotone : « Arc-en-ciel à Base, cible atteinte, terminé. »
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L'Éternel est mon berger : je ne manquerai de rien. Il me fait reposer dans de verts pâturages, il me dirige près des eaux paisibles. Il restaure mon âme, il me conduit dans les sentiers de la justice, à cause de Son Nom. Quand je marche dans la vallée de l'ombre de la mort, je ne crains aucun mal, car Tu es avec moi : Ta houlette et Ton bâton me rassurent. Tu dresses devant moi une table, en face de mes adversaires ; Tu oins d'huile ma tête, et ma coupe déborde. Oui, le bonheur et la grâce m'accompagneront tous les jours de ma vie, et j'habiterai dans la maison de l'Éternel jusqu'à la fin de mes jours.
Cantique de David, Psaume 23, Ancien Testament.
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L'Oasis des âmes égarées
Dans une contrée oubliée de tous, au bout du monde, où seul le Soleil ose encore s'aventurer pour y faire exercer tout son empire, se dresse une cité, autrefois fière et prospère, désormais décombres épars, balayés par le vent charriant le sable de ce pays aride. Lorsque le hasard de la marche du temps y fait s'écrouler une de ses ruines branlantes, il arrive encore que l'espace d'un fugace hallali, elle laisse éclater un reflet de sa splendeur passée : miroitements d'or, d'argent et de toute la puissance du Monde, autrefois ici abritée et maintenant dissipée dans le désert l'envahissant. Elle se pose sinon en silencieux témoignage du passage ici des Hommes, dont le repos du sépulcre n'est que troublé par la promenade de quelques dromadaires égarés, et les mystérieuses luttes de pouvoir des scorpions, s'affrontant pour la possession des lieux. Les charognards, penchés sur des os blanchis autrefois lors d'un jour impie, observent désabusés le futile effort de la vie continuant, imperturbables témoins de l'ascension et de la chute de toutes choses.
Rien, à vrai dire, ne semble pouvoir troubler l'immuable marche de la décrépitude de ce paysage d'abandon, où la mélodie lancinante du souffle de l'air, sifflant de l'intérieur des terres, charrie encore les soupirs de temps oubliés, derniers éclats de gloires décaties et splendeurs pâlies au Soleil. Bien rarement, un homme se laisse entraîner par les faibles échos des murmures des Djinns, jusqu'à fouler ces terres. Jamais il ne s'y attarde. Au risque, sinon, de tomber fou sous le poids de l'Histoire et de la démonstration de l'inévitable déchéance de la Création.
À l'occasion, néanmoins, un Bédouin s'aventure dans les ruines. Fier, doté du regard perçant et agile de ceux qui survivent dans ces contrées inhospitalières, il ne laisse pourtant pas son pas traîner et baisse la tête à l'ombre des bâtisses anciennes, glissant tel un fugitif dans cette désolation. Jeune et plein de force, malgré la constitution chétive qu'impose la faim accablant la région, il terrasse dunes et décombres sans peine aucune, pour finir par franchir la muraille de verre, éclatante encore de mille reflets, qui marque la frontière entre le désert et le rivage.
Arrivant au terme de son périple au petit matin, il peut contempler la mer, chatoyante des reflets pourpres de l'aube naissante. Dans les derniers mètres sa marche ralentit, son pas assuré se fait hésitant, et la crainte s'empare pour la première fois de ce jeune cœur qui ne l'avait jusqu'alors jamais connue. Il finit par s'arrêter devant un amas de pierres sombres isolé, d'aspect plus régulier que les ruines qui l'entourent, et ombragé par un palmier solitaire ne donnant plus de dattes depuis longtemps.
Ce qui traverse alors son esprit, seul lui le sait. Il reste là à contempler, transi d'un souffle immatériel remontant le cours des âges, ces débris singuliers, sous le regard curieux des quelques dromadaires sauvages qui s'égaillent au loin. Les plus vieux d'entre eux se souviennent peut-être avoir vu à plusieurs reprises spectacle semblable. S'ils pouvaient comprendre, ils prêteraient sans doute attention aux paroles que le hasard d'une bourrasque laisse résonner alors jusqu'à leurs oreilles. Toujours les mêmes mots, en arabe, répétés dans une litanie sans fin : « Père, je me souviens. Père, je me souviens… » La roche noire, elle, demeure, ultime témoin d'un Passé révolu, insensible aux lamentations déversées sur elle au fil des décennies et générations. Tout juste peut-on lire à son frontispice, en lettres d'or à demi effacées : « Au nom de Dieu Tout-Puissant, le Miséricordieux, par la Grâce de l'Émir, le Commandeur : le Monde vous appartient ! Cette Ville a été édifiée pour que le souvenir vous en habite à jamais. »
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Alors j'ai vu un ange qui descendait du ciel ; il tenait à la main la clé de l'abîme et une énorme chaîne. Il s'empara du Dragon, le serpent des origines, qui est le Diable, le Satan, et il l'enchaîna pour une durée de mille ans. Il le précipita dans l'abîme, qu'il referma sur lui ; puis il mit les scellés pour que le Dragon n'égare plus les nations, jusqu'à ce que les mille ans arrivent à leur terme. Après cela, il faut qu'il soit relâché pour un peu de temps. […] Et quand les mille ans seront arrivés à leur terme, Satan sera relâché de sa prison, […] Puis j'ai vu un grand trône blanc et celui qui siégeait sur ce trône. Devant sa face, le ciel et la terre s'enfuirent : nulle place pour eux ! J'ai vu aussi les morts, les grands et les petits, debout devant le Trône. On ouvrit des livres, puis un autre encore : le livre de la vie. D'après ce qui était écrit dans les livres, les morts furent jugés selon leurs actes. La mer rendit les morts qu'elle retenait ; la Mort et le séjour des morts rendirent aussi ceux qu'ils retenaient, et ils furent jugés, chacun selon ses actes. Puis la Mort et le séjour des morts furent précipités dans l'étang de feu – l'étang de feu, c'est la seconde mort. Et si quelqu'un ne se trouvait pas inscrit dans le livre de la vie, il était précipité dans l'étang de feu.
Livre de l'Apocalypse, Saint-Jean, 20, Nouveau Testament.
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De la poussière à la poussière
« Seigneur Archiviste, Seigneur Archiviste, nous l'avons trouvé, ça y est ! » L'homme s'arrêta pour reprendre son souffle, épuisé par sa course et son excitation.
Frère Gilbrecht se redressa lentement, dominant le nouvel arrivant de sa haute taille. Il avait bien conscience que cela pouvait parfois exagérément impressionner ses interlocuteurs, surtout que les camériers qu'il côtoyait étaient en général par nécessité petits ; l'effet était d'autant plus saisissant dans un espace confiné comme cette tente, mais il n'avait guère le choix, et de toute façon sa fonction faisait en général le même effet. Il fixa ses deux grands yeux vert émeraude sur l'impétrant, qui tout de suite tressaillit et se calma.
– Où cela ? – Sur le site trois, Seigneur, près de la colline aux reflets. Nous avons déjà lancé les opérations d'extraction. – Montrez-moi.
Et ils partirent tous deux, Frère Gilbrecht quittant ainsi pour la première fois depuis deux semaines la frêle protection de toile qui avait fini par lui être si chère, seul refuge face aux éléments déchaînés, et surtout, peut-être, le morne spectacle des alentours. Il fut saisi, aveuglé par le Soleil, la chaleur, et cet arrière-goût de poussière qui envahissait tout. Heureusement, le vent n'était qu'une brise. Soufflant du large, il procurait un rafraîchissement bienvenu, sans soulever comme à l'habitude le sable environnant en bourrasques. Il fixa malgré tout son guide d'un regard dur, il n'avait aucun goût pour ce paysage qui respirait le sépulcre, avec ces tumulus de sable encadrant le chemin dégagé par ses hommes. Autour d'eux pourtant, c'était toute une ville naissante, vibrante d'activité, qui commençait à s'élever, contrastant avec la désolation désertique des environs. Mais la vérité, même si Frère Gilbrecht ne l'aurait jamais avoué publiquement, c'est que cette présence humaine n'était d'aucun réconfort. L'intimité de sa confortable retraite lui était aussi devenue précieuse par sa solitude, et celui qui l'en tirerait en vain en pâtirait. Ce ne fut pas le cas cette fois…
Assis dans la tente, il fixait le feu avec intensité, pensif, ne remarquant même plus la fumée noire et âcre qui s'en dégageait jusqu'à presque le faire suffoquer. Il ne sembla pas entendre son visiteur entrer, qui d'ailleurs s'assit lui aussi, sans un mot, près du feu. Ils restèrent ainsi longtemps, silencieux, sans partager rien d'autre que la pénombre dissipée avec difficulté par les flammes vacillantes.
Après un temps infini, durant lequel se prolongea l'agonie du foyer qui séparait les deux hommes, l'étranger prit la parole, d'une voix portante, même si elle glissait comme un simple murmure, tel le soupir du vent dans le désert : « Bravo Frère, pour votre réussite. Je suis parti dès que la nouvelle nous a été communiquée. »
La réponse se fit encore attendre un long moment. Enfin Gilbrecht, prenant une profonde inspiration, les yeux fermés à moitié, fredonnant presque, commença à parler d'un ton hypnotique :
– Êtes-vous familier avec la chimie des éléments, Frère Apothicaire ? – Pas moins qu'aucun d'entre nous, et sans doute plus que le camérier moyen bien sûr… – Évidemment, pardonnez-moi. L'isolement dans ces terres sauvages m'a fait perdre l'habitude de la compagnie agréable, et tout sens des civilités, sourit-il, sans paraître en croire un mot. Sans doute êtes-vous donc au fait sur ce fameux petroleum qui est ici l'objet de notre quête… – Bien évidemment. Pourquoi sinon serais-je là ? maugréa l'autre, en fronçant les sourcils, visiblement agacé.
Ouvrant les yeux et fixant alors son invité impromptu d'un regard intense et gourmand, un peu comme le faisaient les chats sauvages géants pullulant dans la région, avant de fondre sur leur proie, Gilbrecht continua :
– Vous n'êtes donc sans doute pas sans savoir de quoi il s'agit concrètement ? – Un composé carboné lourd, dissociable par des méthodes chimiques et même physiques relativement simples, afin d'obtenir les éléments qui nous sont aujourd'hui devenus essentiels, notamment comme source d'énergie. – Certes, certes, c'est là exactement la définition des Grammairiens versés dans les arts obscurs. Mais connaissez-vous l'autre nom qu'on lui donne ? – Je dois avouer là mon ignorance, mais certainement le Frère Archiviste saura venir pallier par son immense savoir cette faiblesse de ma part.
La fin de la réponse avait été prononcée en détachant bien chaque mot, pour marquer l'ironie. Gilbrecht fit mine de l'ignorer.
– Ne vous blâmez point trop, ce n'est point là langage de savant, mais tout n'est pas inutile ni inintéressant dans les contes des barbares peuplant ces terres, tout comme les racontars de nos simples paysans. Ils l'appellent pour leur part olea atra, ou plus usuellement « huile du péché », en connaissez-vous la raison ?
L'autre secoua légèrement la tête, un peu gêné. Son hôte, l'air fatigué, l'âme visiblement lasse, et ayant perdu la facétie qui l'habitait encore à l'instant, commença alors à débiter d'un ton docte :
– Pour les esprits simples, mais certes vous n'en êtes pas, cela renvoie simplement à la couleur noire du produit, son aspect répugnant et malodorant, son caractère hautement inflammable, toutes caractéristiques qui certainement déjà suffiraient à faire percer la crainte dans des cerveaux superstitieux. Les plus savants cependant, ou plus exactement ceux cultivant avec le plus d'attention les mythes et le folklore qui font office de Science dans le bas-Peuple, rattachent l'expression au temps de la Chute elle-même. De manière assez frappante, nous partageons en effet avec l'époque la précédant immédiatement notre dépendance envers cette matière, qui à vrai dire avait alors atteint des sommets, tant dans la production que la consommation. Au point que ces niveaux nous paraîtraient aujourd'hui totalement inimaginables, en comparaison de notre utilisation somme toute modeste. En réalité, les contrées où nous nous trouvons, comme par un fait exprès, étaient signalées dès cette époque, dans toutes les sources que nous avons trouvées, déjà comme les plus riches en cette ressource, qui y était alors largement exploitée. Mais au moment des « guerres du Péché », qui, vous l'aurez deviné, sont effectivement l'origine véritable de ce nom « d'huile du péché » cher au Peuple, presque tous les gisements locaux étaient épuisés, comme l'étaient d'ailleurs depuis longtemps ceux de l'ensemble de la planète. Une des causes principales du conflit, me suis-je laissé dire, à en croire les théories de certains de nos copistes hétérodoxes… – Une connexion regrettable, mais s'il s'agit là de la cause de la noirceur que je sens poindre dans votre âme, rassérénez-vous, nous saurons purifier le produit par les rituels appropriés. Qu'il n'en reste pas once d'influence néfaste de ces temps anciens ! pontifia le visiteur, à nouveau sûr de lui.
Frère Gilbrecht laissa alors poindre un sourire triste.
– Vous vous méprenez mon Frère, non pas sur le diagnostic mais la cause du mal. J'ai manipulé, par mes fonctions, des technologies antiques renvoyant à des énergies dont vous n'avez même pas idée, liées au cœur de la Matière, au Feu Dernier lui-même (ils se signèrent). Il ne s'agit pas de cela.
Il parut réfléchir, hésitant, pesant chaque mot mentalement, puis reprit :
– Vous ne m'avez pas laissé finir, et ma contribution à votre savoir, et par là même vos connaissances, en restent donc incomplètes. Car il existe un fait plus secret, à vrai dire à la portée de tous, mais néanmoins ignoré, si ce n'est des quelques-uns que l'égarement aura poussés dans ces voies dangereuses de l'esprit. Il y a en effet, voyez-vous, une définition beaucoup plus simple pour cette matière, quel que soit le nom qu'on lui donne, loin des verbiages savants ou de l'inventivité populaire. – Et quelle est-elle ? – De la matière organique tout simplement, concentrée en des proportions infinies grâce à des conditions géologiques très particulières, aboutissant à son accumulation dans les couches sédimentaires. C'est d'ailleurs la concentration, au fil des années, de toute cette vie passée, qui donne au produit son formidable potentiel énergétique. – Je ne vois pas…
Gilbrecht lui coupa la parole :
– Maintenant demandez-vous d'où provient cette matière organique ? Nous avons trouvé ici le plus important gisement qui nous ait jamais été donné, ne serait-ce, que d'imaginer : suffisant pour subvenir à nos besoins actuels pour des décennies, voire des siècles. Et celui-ci se retrouve isolé, dans cette désolation, au milieu de ruines anciennes, alors que peut-être ailleurs dans notre monde, pareille concentration affleurante, même mineure, ne se retrouve que dans quoi… quelques dizaines… moins d'une trentaine d'endroits ? En tout cas bien plus que la pénurie évoquée par nos sources anciennes le justifieraient. Et toujours dans des espaces très délimités présentant les mêmes caractéristiques archéologiques… Que peut-on déduire sur ces sites et la raison d'une telle accumulation en ces lieux de masse organique ?
L'autre demeura plongé dans un silence pensif un temps, puis, une lueur de compréhension s'allumant dans ses yeux jusqu'à y faire étinceler une flamme de colère, il se leva à moitié :
– Hérésie ! – Vous m'avez bien compris Frère, la matière organique que nous puisons, enfouie à travers ces couches de roches vitrifiées qui nous ont donné tant de mal, celle que nous brûlons dans nos fourneaux avec tant d'avidité, espérant faire repartir ainsi l'essor de la Civilisation : des Hommes, des Hommes brûlés au feu purificateur de leur propre folie, et les décombres même de cette civilisation dont nous appelons la renaissance de nos vœux ! Il est là ce Paradis perdu pour lequel nous prions chaque soir : nous nous trouvons au-dessus d'un gigantesque cimetière !!!
Son visiteur se laissa retomber par terre lourdement, comme assommé, avant de se ressaisir et de lâcher violemment :
– Personne ne doit savoir, ils ne comprendraient pas. Le Plan, il n'est pas possible d'en dévier, si nous voulons rebâtir un jour ce monde. – Oh ne vous faites pas de souci, soupira Frère Gilbrecht, qui semblait vieilli soudain de plusieurs années. Le secret sera bien gardé, même si je crains que d'autres, après moi, rassemblent les indices pour en tirer les conclusions évidentes, car l'idée m'a frappé pratiquement dès mon arrivée en ces lieux maudits. Mais voyez-vous, il ne s'agit toujours pas encore de la raison de mon trouble.
L'autre moine, rassemblant sur lui sa robe de bure rêche, et se penchant vers le foyer rougeoyant, comme pour y réchauffer son cœur, le fixa alors douloureusement à travers les flammes, absorbé et l'air inquiet, mais Frère Gilbrecht n'en avait plus cure. Le regard dans le vague, l'air prophétique, il était complètement absorbé par le son de sa propre voix, son ton montant à chacun des mots qu'il ciselait dans ce qui, en gagnant en volume, devenait une véritable oraison : « Car voyez-vous, avec les réserves dont nous disposons désormais grâce à la mise en exploitation de ce site, nous pourrons lancer d'ici peu la production sur une échelle massive. À nouveau le désert rapidement enfantera une Cité, elle est déjà en marche, vous l'avez vu vous-même en passant. Les gens, en même temps que la prospérité, affluant de toutes parts, car c'est cela l'effet qu'a toujours l'espoir quand il renaît subitement, la vie refleurira en ces terres aussi vite qu'elle y avait disparu. Voilà ce qui m'obsède ! Le cycle, le cycle sans fin de l'éternel recommencement de notre damnation ! »
Et il laissa alors éclater un rire fou : « Car tout recommencera, tout recommencera… » __________________________________________
À la sueur de ton visage, tu mangeras du pain jusqu'à ce que tu retournes au sol, car c'est de lui que tu as été pris. Oui, tu es poussière et à la poussière tu retourneras.
Le Livre des origines, Genèse, 3, Ancien Testament.
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