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Policier/Noir/Thriller
cherbiacuespe : Le piège
 Publié le 22/03/23  -  7 commentaires  -  37244 caractères  -  93 lectures    Autres textes du même auteur

Nul ne peut aujourd’hui affirmer que notre univers est absolument unique. Et cette Terre-là n’est peut-être pas moins réelle que cette Terre-ci…


Le piège


CHAPITRE I


Léonce


Son entourage était en droit de qualifier Léonce Jameur de personnalité pusillanime, timorée, un peu lâche pour tout dire. Et ne se privait pas d’en disserter tout bas ! S’en défendrait-il lui-même ? Certainement plaiderait-il en expliquant que son existence tranquille n’était due qu’à une prudence acharnée. Fils d’un modeste meunier, il ne devait sa réussite sociale qu’à son travail opiniâtre à la suite de son papa, prenant grand soin, pour chaque décision, de ne jamais apercevoir le bord d’un précipice.


Léonce avait hérité de l’ultime moulin à vent de la région, et les boulangers locaux n’y venaient plus depuis des lustres que par charité. Situation désolante qui peinait beaucoup sa fierté. Il n’abandonna pas le métier de meunier, mais changea radicalement de siècle. Il fit entrer des machines dans un local acheté à bas prix, contracta quelques emprunts prudents mais nécessaires. Sa réussite fut foudroyante. Elle lui permit de conserver le vieux moulin à vent dans lequel il produisait toujours une farine baptisée, sans grande imagination, « à l’ancienne ». Il vendait son produit fini à quelques boulangeries lointaines, à un prix prohibitif. Un pain dont raffolait la bourgeoisie qui se gargarisait de sa consommation. Lui ne voyait pas grande différence d’une farine à l’autre.


Son succès lui offrait aujourd’hui une quiétude inespérée. Léonce aimait le luxe, le profit et tromper sa femme avec des prostituées. Une activité devenue son passe-temps favori.


— La putain, expliquait-il pour se justifier, n’ayant de la vertu qu’un souvenir lointain, permet à l’homme fin gourmet de savourer tous les fantasmes rêvés.


Un passe-temps coûteux, puisqu’il fit de l’une de ces filles à la cuisse légère, prénommée Aurore, sa favorite. Une obsession ! Heureusement, l’Association passa un jour par là et trouva en Léonce le carnet d’adresses qui lui faisait défaut, ainsi qu’une influence auprès de certains puissants. Une adhésion qui procurait des gains conséquents sans être mirobolants. Suffisants, en tous cas, pour multiplier ses visites perverses à la belle Aurore.


On ne se refait pas, semble-t-il, et Léonce, autant qu’il le put, se tint éloigné des affaires trop compromettantes. Ce qui ne durerait qu’un temps, il le savait bien. Il n’était pas assez naïf pour croire que l’Association n’exigerait pas, un jour ou l’autre, qu’il se mouillât enfin à la hauteur de ce qu’elle le rémunérait.


CHAPITRE II


Cet ici-là n’est pas si différent que n’importe quel autre ailleurs. Seules quelques nuances révèlent une discordance réelle. Ainsi en va-t-il des crimes et délits. Sexe, pouvoir, argent, jalousie, ambition démesurée et, bien entendu, pauvreté en sont d’inusables causes. Tandis que les moyens de les contenir, de les punir, peuvent varier d’un monde à un autre.


Ici comme ailleurs, les criminels mettent à profit leur esprit d’entreprise au service de leurs projets, s’organisent en syndicats. Les autorités du droit se heurtent dès lors à un mur de redoutables individus qui ont pignon sur rue, exhibent sans honte une probité de façade, qu’ils s’offusquent d’être jugée défaillante, pour postuler et obtenir des situations, des mandats enviables, voire des sacerdoces.


Afin de délivrer le fruit du ver malveillant, il ne suffit parfois que d’une heureuse aubaine, un incorruptible mais rare fonctionnaire désintéressé. Oui, cela peut arriver.


L’automne caressait d’une bise un peu fraîche l’épaisse chevelure des saules pleureurs qui bordaient la rivière. À quelques pas, le manoir. À l’abri d’un salon chaleureux, avachi dans le creux d’un fauteuil trop douillet, la mine grave du propriétaire des lieux essayait d’échapper au regard acéré de son invité tout de blanc vêtu. Ce dernier soupira avant de prendre la parole.


— Cette femme était là, bel et bien ! Elle est l’unique, la seule intruse présente sur les lieux… Nous ne pouvons prendre le moindre risque.

— Si elle savait, n’aurait-elle pas déjà témoigné ?

— Justement, elle n’a pas encore réalisé. Bordel ! Quand elle comprendra, quand elle reconstituera le puzzle simpliste qu’elle avait sous les yeux, que fera-t-elle ? Dites-le-moi ?

— Dénoncer un forfait. Oui, c’est possible. Pas certain. Elle n’a peut-être simplement rien entendu !

— L’incertitude n’est pas une amie. C’est une porte entrouverte sur le déshonneur et la honte. Non ! Nous devons agir tant que nous le pouvons, tant que nous possédons un coup d’avance. Maintenant ! Pour cela, il va nous falloir quelqu’un de vierge.


L’homme dans son fauteuil dégustait une gorgée d’un délicieux cognac qu’il faisait venir grâce à un ami proche, et qu’il partageait avec son encombrant visiteur, en pleine réflexion des derniers mots prononcés.


Il n’était pas, loin s’en faut, au sommet de l’organigramme secret de l’Association. Assez responsable pour retirer de riches avantages, trop peu pour en être l’un des ultimes meneurs. Or, il venait, à mots couverts, de recevoir l’ordre de résoudre un problème. Qui n’en était peut-être pas un. Refuser était inimaginable. C’eût été courir le risque d’être banni, déchu. Un impensable moindre mal ! L’Association l’éliminerait purement et simplement de l’équation. Voici la vérité. Se plier était le seul recours à la discrète injonction.


— S’il le faut, alors… Une suggestion ?

— Oui. En réalité, tout est déjà réglé, ou presque. Ce sera rapide. Cette femme visite régulièrement un psychiatre que l’on a… disons aimablement invité à nous aider. D’un petit contrat. C’est un spécialiste de l’hypnose, voyez-vous. Une chance inespérée ! N’est-ce pas ?

— Je crois comprendre. Quel est le plan ?

— Le meurtre de son fils.

— Merde ! C’est…

— Pas de sensiblerie, je vous en prie ! Cette affaire est assez compliquée sans y ajouter une morale bas de gamme ! Vous aiderez le docteur, nous comptons sur vous. Comme je l’ai précisé, l’essentiel a été fait en amont. À vous d’ajouter la touche finale et définitive.


CHAPITRE III


L’homme se leva de concert avec son hôte qui prit congé, après avoir vidé son verre.


— Au revoir, monsieur Po…

— Pas de nom, nom de Dieu ! Vous vous oubliez, maîtrisez-vous mon ami !


Le personnage vêtu de blanc s’éloigna en secouant la tête. Qu’aurait-il dit s’il avait su ?


L’excès de certitude est toujours le plus proche parent des inévitables catastrophes. L’histoire abonde d’exemples de ces grands conquérants qui dégringolèrent de leur prestigieux piédestal à la suite de décisions dégoulinantes d’assurance.


Régulièrement, l’Association choisissait ce manoir discret, isolé et cossu pour ses rares réunions. Mises au point, résolutions indispensables, avenir, bilan, tout y passait. Le propriétaire des lieux, prudent, les enregistrait régulièrement et sans exception. Une sorte d’assurance-vie destinée à la protection de la famille, pour le cas où les parrains décideraient de sa chute opportune.


Il s’amusait en se remémorant les vérifications périodiques, préambules de chaque rencontre, des techniciens payés pour vérifier l’absence de caméras ou micros dans sa vaste demeure. Leur matériel était certes sophistiqué, le sien l’était bien plus encore ! L’Association oubliait que, dans une autre vie, il était un ingénieur réputé.


Il se rassit et se servit un deuxième verre de cognac ; pure gourmandise. Cette fois, il devait poser les pieds dans la merde, il n’y avait pas d’autres mots. Adroit et rusé, il avait toujours, par le passé, su se mettre en retrait des actions radicales. Il appréciait peu que le sang coule dans sa tasse de thé. Il était réellement au pied du mur !


Il regardait autour de lui son petit confort, construit patiemment et patiemment consolidé depuis son implication au sein de l’Association. Il décida avec placidité que l’élimination d’une étrangère à sa vie, une inconnue à l’existence insignifiante, en valait la chandelle. Tant d’effort méritait bien un sacrifice et quelques risques.


Une subite envie de fantaisie s’imposa à son esprit. Il saisit le téléphone et composa son numéro fétiche.


— Jézabel, ma chérie… Aurore serait-elle disponible pour une soirée de détente ? Oui ? Très bien !


CHAPITRE IV


Anselme


Il adorait cet instant furtif lorsqu’il entrait dans son petit appartement. Comme une sorte de tradition, il déposait ses clefs, se déchaussait en enlevant sa veste et posait un regard attendri sur ses quelques médailles et diplômes, témoins silencieux d’une carrière militaire exemplaire. Une époque lointaine, des souvenirs en abondance.


Mais le colonel Anselme Poquin, aujourd’hui retraité, ne restait pas inactif. Après quelques mois à tourner en rond, un appel anonyme, un contact sommaire autant que discret, et il se retrouvait à la tête d’un petit bataillon chargé de faire régner l’ordre dans le monde confus des civils. Sa mission était simple : éliminer les éléments perturbateurs que cette société engendre inévitablement par manque de discipline et d’ordre. Un boulot taillé à sa mesure. Mais il fallait rester invisible, lui avait-on expliqué avec force arguments, car cette même société n’avait plus la lucidité de comprendre et encore moins d’admettre ses propres imperfections. L’Association jouait ainsi le rôle d’une médecine indispensable bien que radicale et à la limite de la loi. Un régulateur de la dernière chance, en somme. Anselme comprenait très bien que ce devoir ingrat, seules des personnalités d’une morale pure et d’un courage inébranlable pouvaient en éprouver la charge. Lui était de cette race de héros qui avait toujours su se sacrifier pour la communauté.


Se vêtir chaque jour de blanc était ainsi, selon sa doctrine, le signe patent de sa mortification, la ferveur d’une cause sacrée. Il vivait chichement dans un logement modeste. L’insignifiance de sa grandeur qui n’avait d’égal que le fardeau qu’il portait sur ses épaules. Ordre, discipline, morale, obéissance et petits arrangements indispensables pour maintenir la cohérence d’une société saine. Toute autre considération mènerait immanquablement à une insupportable chienlit.


Anselme Poquin, ex-colonel de l’armée de terre, n’établissait pas d’antagonisme entre sa conception d’une nation harmonieuse et la corruption à laquelle il participait. Appellerait-on cela de l’aveuglement ?


CHAPITRE V


Dans cette pièce mal éclairée, sans mobilier ou presque exception faite d’une table et trois sièges, le trio de personnages ressemblait à des ombres blafardes. Mauricette, jeune femme rousse à la peau diaphane, les paupières fermées sous lesquelles se devinaient des yeux en mouvement perpétuel, demeurait comme inerte sur son siège. Sous hypnose, elle n’observait que ce que le professeur Cyllès lui suggérait d’observer. Pour l’instant, il se contentait de vérifier l’état de conscience de sa « patiente ». Il était nécessaire qu’elle sache qui elle était. Le témoin semblait plus nerveux. Léonce Jameur, propriétaire d’une entreprise réputée dans les milieux d’affaires, jouait gros dans cette histoire. Il était le planificateur, le responsable de la bonne tenue du projet d’un réseau qui devait rester à tout prix anonyme et secret.


— Quel est ton nom ?

— Perret.

— Ton prénom ?

— Mauricette.

— Date de ta naissance ?

— 25 septembre 1952. Maman dit le 26, elle.

— Hum, oui, bon… Aujourd’hui, connais-tu le mois, quel jour est-on ?

— Le 20 mai 1983. Il a fait soleil, c’est beau.

— Putain, elle digresse, là ! intervint Léonce, crispé.

— La ferme. Laissez-moi faire mon boulot !


Léonce se cala sur sa chaise, un peu froissé.


— Mauricette, vous vous sentez bien, très bien.

— Oui, très bien…

— Pourtant, devant vous, vous voyez Henri, votre fils. Vous le voyez ?

— Oui. Je le vois.

— Il vous menace. Il est très en colère. Il vous insulte. Il va vous agresser. Il veut vous assassiner !

— Oui. Oh ! Mon chéri ! Mais que se passe-t-il ?

— Il a perdu la raison, Mauricette, vous vous en rendez compte ? Vous allez devoir vous défendre, le blesser gravement ! Pire, peut-être, pour sauver votre vie.


Avec une conviction déconcertante, le professeur Cyllès poursuivait son travail de persuasion. Mauricette devait être convaincue de son crime, d’en être l’unique responsable, d’avoir tenu le couteau qui transpercerait son fils, la chair de sa chair. Pire et plus périlleux, elle ne devait en aucun cas douter de l’agression perpétrée par Henri, en corrélation exacte avec le scénario et cet événement, monté de toute pièce. Elle devait, aux yeux de tous et plus encore de la police et de la justice, passer pour une femme dangereuse, atteinte de psychose grave et permanente, une forcenée. Cyllès, en professionnel avisé, ne manquait aucun détail.


***


Depuis la fenêtre de son cabinet, les deux complices observaient la jeune femme s’éloigner.


— Les dés sont jetés, Léonce. Demain, un drame se déroulera chez cette pauvre femme. À partir de là, c’est à vous de jouer.

— Si votre travail est bien fait, Cyllès, tout se passera bien.

— Je n’ai commis aucune erreur, soyez-en sûr ! D’ailleurs, n’oubliez pas ma petite récompense. Il faut bien que ces deux vies foutues en l’air servent à quelque chose d’utile !

— Vous êtes un cynique, professeur. Enfin, voilà. Signez vite !


Le chef d’entreprise, avec un sourire goguenard, tendit une enveloppe épaisse que saisit le professeur qui en vérifia fiévreusement le contenu. Un lopin de terre avec une maisonnette posée sur une petite colline. Un site magique qu’il guignait depuis trop longtemps et qu’une famille à l’esprit rabougri par des années d’agriculture refusait obstinément de lui vendre. Le visage défait, il regarda son vis-à-vis.


— Il manque un feuillet… Le plus important…

— Ne soyez pas chipoteur, mon ami ! L’essentiel y est, non ? Le reste viendra quand cette affaire sera en bonne voie de conclusion.


Amer, Cyllès posa l’ensemble des documents sur un coin de son bureau.


— Arrêtez de vous mettre dans un tel état. Cette femme est un réel danger pour nous et vous en retirez déjà un premier bénéfice substantiel. Suivez plutôt votre instinct pour vos ambitions futures. Vous désirez devenir une autorité reconnue dans le domaine de la psychanalyse. L’Association vous y propulsera. Et puis, la haine est souvent bonne conseillère. Cette famille qui résistait à vos propositions va vivre désormais dans une peur quotidienne.


Léonce Jameur tourna les talons et abandonna son hôte, seul en proie à son irritation.


— La haine, marmonna le professeur. Oui, c’est un moteur redoutable !


Il ôta sa blouse immaculée et sourit. Ce soir, pour fêter cette acquisition qui ne pouvait maintenant tarder, il passerait du bon temps avec Barbara, son exigeante épouse.


CHAPITRE VI


Mauricette


Il n’y a pas si longtemps, Henri, son fils, unique rayon de soleil de sa vie monotone, lui offrait des fleurs. Comme ça, sans raison. Parce qu’elle était sa maman et qu’il l’aimait de tout son cœur.


Bien sûr, il y avait des disputes, des incompréhensions. Henri était un jeune adulte avec ses désirs de jeune adulte. Boîte de nuit, restaurant, cinéma, balades nocturnes avec des filles, des inconnues pour elle, qui gangrenaient son moral.


Mauricette avait toujours eu peur de perdre son trésor. Superposé au stress d’un travail ingrat dans une usine, un salaire jamais suffisant, la crainte d’un avenir incertain dans un monde violent et le tableau de quelques crises passagères était brossé. Elle se soignait pourtant. Auprès du professeur Cyllès, un homme bien sur lequel reposait toute sa confiance. Un confident plus qu’un médecin des maladies de l’âme.


Et puis le drame inexplicable, insensé, illogique, inimaginable. Comment avait-elle pu ?


Oui, c’est elle qui tenait ce couteau, maudit instrument d’une improbable erreur. C’est elle qui, elle le voyait encore dans ses pires cauchemars, lardait le corps déjà sans vie de son bébé. Elle encore qui, couverte de son sang, l’insultait, jurait que c’était elle ou lui.


À force d’y revenir encore et encore, elle sentait bien que, ce jour abominable, quelque chose clochait. Au fond de son cœur, elle savait ! Cet abîme dans lequel elle s’était noyée n’était pas naturel. Non, ce n’était pas l’une de ces énièmes crises de dépression qui la plongeaient, au pire, dans des sanglots sans fin. Jamais, au grand jamais, elle n’aurait touché son fils, la chair de sa chair.


Ce qui s’était passé, elle le réalisait maintenant, était comme un dédoublement d’elle-même. Impuissante, elle assistait à la férocité d’une autre qui n’était pas Mauricette Perret, qu’elle ne pouvait maîtriser. Pas elle, non !


Il faudrait le dire. Le pourrait-elle ? Dans son cachot minable, humide, renaissait un fol espoir. Le professeur Cyllès, un homme juste qui la connaissait si bien, témoignerait. Lui saurait expliquer aux juges l’incompréhensible. Un sourire s’esquissa sur son visage triste. Le premier depuis bien longtemps.


CHAPITRE VII


Posséder quelque amitié dans les rangs de la police n’est jamais inutile. Anselme Poquin, l’homme habillé en blanc, était convaincu que l’Association serait bien inspirée d’y placer de nombreux pions et d’en convertir d’autres. L’argent, le pouvoir, constituaient par leur attrait des drogues puissantes dont il était par la suite difficile de se passer. Et l’Association ne manquait ni de l’une, ni de l’autre.


Sagement installé dans son petit mais coquet appartement, il visionnait une copie vidéo de l’interrogatoire de Mauricette Perret. Il n’était ni joyeux ni triste d’assister à la détresse d’une innocente. Il avait une double mission à faire exécuter, en loyal sectateur.


D’abord cette femme, convaincue d’avoir assassiné son propre fils, qui avouait sans l’ombre d’une hésitation être l’auteur des faits. Une belle réussite du professeur Cyllès, tout frais membre de l’Association, qui aurait certainement d’autres services à rendre. Il faudrait prévoir une rémunération adéquate pour maintenir l’accoutumance de ce personnage inclassable. Impliquer davantage Léonce Jameur ensuite. Avant d’en faire un membre éminent de l’Association, de lui laisser grimper les derniers grades, il fallait s’assurer de sa fidélité. Et quoi de mieux que de le mouiller, pour commencer, dans une cabale, une crapuleuse affaire de sang ?


S’il pouvait satisfaire cette double réussite, il serait récompensé. Pourquoi pas ? Au fond, néanmoins, ce n’était pas véritablement cela qui le comblait, lui, l’amoureux d’ordre, de discipline, de structures sociales simples, d’ordre moral immuable. Lui ne faisait pas du confort, du luxe, une condition à son adhésion à l’Association. Vivre chichement ne le dérangeait pas. Il ne croyait simplement pas à l’égalité, la démocratie, la liberté individuelle. Selon sa conception de la vie, des mots vides de substance. Lui, envisageait sereinement un monde linéaire, sans surprises, sans vague ni revendications.


Cette Mauricette eut cependant une réticence lorsqu’elle expliqua sa sensation de dédoublement de personnalité. La jeune policière, Anselme le vit bien sur son visage, doutait. Heureusement, l’enquête n’irait pas beaucoup plus loin, l’évidence était trop grande.


Il en termina avec le visionnage, satisfait. La menace potentielle s’effaçait et cette femme n’aurait pas l’occasion de révéler quoi que ce soit. Qui pouvait croire, si elle désirait parler, une schizophrène paranoïaque, meurtrière de son propre enfant ? Effacer de sa mémoire ce qu’elle avait pu voir ce jour-là aurait été plus simple, objectèrent quelques incrédules. Anselme n’était pas d’accord et sa stratégie emporta les suffrages. Il n’avait jamais fait confiance au hasard, ce n’était pas aujourd’hui qu’il s’y laisserait enliser. Le parfait petit monde d’Anselme poursuivrait son bonhomme de chemin. Chacun à sa place et une place pour chacun. C’est ainsi qu’il devait en être, jusqu’à la fin des temps…


CHAPITRE VIII


— Ce n’était pas moi. Je jure que je ne voulais pas ça !


Mauricette Perret, trente et un ans, de longs cheveux roux rassemblés en une tresse slave magnifique, avait du mal à retenir ses larmes. Au fond d’elle, elle savait ! Oui, tout était contre elle, les preuves accablantes confirmées par la reconstitution, les témoignages de ses humeurs lunatiques, ses colères soudaines, les analyses des psychologues, le professeur Cyllès principalement, qui s’était occupé d’elle avec bienveillance et qui, aujourd’hui, dressait de sa personnalité un portrait accablant. Et son interrogatoire, lamentable énumération, sous l’influence du penthotal sodique, des agissements d’une folle furieuse. Mais elle savait ! En l’état, elle n’avait aucune chance d’échapper à la foire aux exécutions. Et à une mise à mort dans d’atroces souffrances. Depuis les années 1920, c’est ainsi que l’on éduquait ceux qui étaient tentés par les crimes et délits.


— Mais enfin, madame Perret. Tout prouve votre responsabilité, rien ne vous innocente. Vous-même avez fait la démonstration de votre culpabilité. Comment pouvez-vous aujourd’hui contester ce que vous avouiez hier ? Et surtout, comment expliquer un acte d’une telle barbarie ?

— Je… Je ne sais pas… Oui, tout me désigne, pourtant… Je me souviens maintenant… Clairement ! J’ai lutté contre moi-même, non ! Contre un autre moi-même, que je ne pouvais arrêter, que je ne savais pas arrêter. J’aimais mon fils, MON fils. Jamais, Dieu m’est témoin, je n’aurais pu lui faire de mal. Sauf… à ne pas être moi. Mais comment aurais-je pu ?


Mauricette laissait s’échapper une marée de larmes. Un intermède dont profitait le procureur pour prendre la parole.


— Madame, je lis ici que vous l’avez giflé publiquement. Une humiliation pour lui, une violence impardonnable.

— Mais… Il avait violemment insulté un passant. Je ne pouvais pas laisser passer ça ? Il devait comprendre que l’on n’insulte pas les gens.

— Et vous pensez que c’est la bonne méthode ? La violence ? Avec un gamin de cinq ans ?


Le procureur appuyait là où la douleur était la plus vive, bien sûr. Son amour maternel s’effondrait aussitôt mis en exergue. Elle le réalisait, rien ne pourrait améliorer sa situation dans ce procès joué d’avance en faveur de l’accusation. Il ne se prolongeait pas longtemps, que dire de plus ? Le juge, enfin, se leva, accompagné de ses assesseurs. La cour allait délibérer. Mauricette s’écroula. Elle savait son sort inéluctable !


Elle n’attendit pas longtemps le retour des magistrats. Sur le visage rayonnant du procureur, elle pouvait déjà lire l’issue de son avenir proche.


— Mesdames, messieurs, la cour vient rendre compte de sa décision.


La mine grave, le juge se tourna vers Mauricette. Elle avait l’impression désagréable que son cœur allait s’arrêter.


— Madame Perret, levez-vous. Après délibération et au vu des preuves, des témoignages, des conclusions de l’enquête policière et de l’étude juridique de vos actes, la cour vous a déclarée coupable du meurtre de votre fils. En notre âme et conscience, nous vous condamnons à la peine capitale lors de la prochaine foire aux exécutions qui se déroulera dans un mois et dix jours. Cette décision est irrévocable, à l’exception de faits prouvant votre non-culpabilité. La méthode d’exécution est laissée au bon vouloir des bourreaux.


Le coup de marteau clôturant l’audience, Mauricette le reçut comme en plein visage. Elle s’effondra, incapable de faire face à ce que son instinct considérait comme une erreur judiciaire. Hébétée, elle se laissa conduire par les deux policiers qui l’encadraient et la ramenèrent vers son cachot. Comme un réflexe de mauvaise perdante, elle ne put empêcher le souvenir d’un débat passionné, il y a de cela quelques années. Une éternité. Des professeurs de droit qui réclamaient, en faveur des accusés, l’instauration de défenseurs professionnels. La polémique avait fait rage, à l’issue de laquelle un vote avait été organisé. Mauricette s’était prononcée contre cette proposition, jugeant scandaleux que des assassins et des voleurs pussent bénéficier d’une aide juridique chargée de défendre leur cas. Elle n’avait jamais imaginé qu’elle puisse un jour se sentir aussi seule et démunie, devant une justice qu’elle estimait, jusqu’à ce jour, d’une équité incontestable.


Pourtant, elle savait. Elle n’était pas réellement coupable !


CHAPITRE IX


Pierre


L’ambition est un navire fou qui avance coûte que coûte en pleine tempête. Il peut arriver à bon port ou couler corps et biens. Tout dépend de l’aveuglement de celui qui le guide.


Pierre Cyllès était de ces personnages trop encombrés par l’étroitesse d’un destin qui le comprimait et l’étouffait. Assis fiévreusement derrière son bureau, dégustant un café trop brûlant, trop amer, il rêvait depuis toujours de glorieux colloques, dépositaire d’un savoir dont il était l’ultime ensemenceur. Il s’imaginait bel et bien et sans en douter, devant un parterre de collègues subjugués, écoutant pieusement ses paroles de maître.


Pierre Cyllès possédait, soigneusement classées dans quelques tiroirs, une série de théories qu’il jugeait neuves autant qu’audacieuses. En résumé, une part essentielle de l’avenir de la psychologie moderne. Des années d’études à élaborer, peaufiner. Ah ! Il enrageait dans l’armure de cette banalité qui le retenait prisonnier.


Mais une porte s’ouvrit enfin, il y a quelques jours, lorsque deux hommes l’approchèrent discrètement. Ils se faisaient fort de le propulser au firmament de la renommée, en échange d’un service largement à sa portée. Cerise sur le gâteau, ils lui offraient également l’achat facilité d’un terrain qu’on lui refusait depuis trop longtemps.


Nulle morale ne l’inhibait devant cette hypothèse de lumière. Ses idées, ses innovations, seraient désormais exposées. Pour cela, il devait damner son âme, faire d’une innocente une coupable idéale. Le but de cette entreprise échappait complètement à son discernement, peu importait. Il n’avait qu’une ambition et une chance inespérée de la satisfaire. Aujourd’hui, l’obscurité de l’anonymat, demain, les lustres du prestige.


Il se concentra un peu sur l’image de cette Mauricette Perret. Une patiente lambda parmi tant d’autres dans son cabinet, qui le visitait régulièrement. Un cas classique de dépression légère. Jamais il n’aurait imaginé que cette triste mère serait un jour la clef de l’avènement de son génie. « Sa vie contre ma gloire ». Le choix fut vite fait.


Les yeux clos, il savourait l’amertume recouvrir sa langue, un feu réchauffer sa gorge. Cette fois, il ne tenait qu’à lui de saisir sa chance, la chance et le talent. Il ricanait en se levant et se recoiffa devant un miroir.


— Pierre Cyllès n’est pas n’importe qui, s’exclama-t-il…


CHAPITRE X


L’innocent badaud qui se promènerait dans le labyrinthe de cette foire, s’arrêtant devant cette curieuse officine, qualifierait la table centrale de banale. En apparence, rien ne la différenciait de n’importe quelle autre table. En bois, épaisse avec des pieds massifs, rectangulaire, pourquoi s’y attarder comme c’était le cas maintenant pour des dizaines de personnes ? En regardant de plus près, une poutre s’y trouvait encastrée, au beau milieu, dans le sens de la largeur. Deux quidams s’affairaient tout à coup, et ajoutaient quatre anneaux à chaque coin alors qu’une paire de cordages solides étaient fixés aux deux extrémités de la poutre qui se perdaient plus haut, à travers la bâche qui abritait la scène.


Le mécanisme et la vocation de ce dispositif n’était en vérité un mystère pour personne. Le condamné était immobilisé, couché sur le dos, les fesses au-dessus de la poutre. Sûrement à l’aide de poulies, la poutre s’élevait petit à petit, avec une lenteur étudiée. Fatalement, les os de la colonne vertébrale se brisaient. Le supplicié était alors installé pendu par les bras au centre de la foire, et y demeurait jusqu’à ce que mort s’ensuive. Une persécution douloureusement atroce.


Léonce Jameur, arrivé la veille dans la capitale, attendait patiemment devant l’insolite attraction. Dans son dos, baraques à frites, sandwicheries, manèges divers pour les plus petits, occasionnaient un boucan tonitruant pour appâter le chaland. Aux quatre coins, les religieux priaient pour les âmes damnées. Bouddhistes, musulmans, chrétiens, juifs, hindouistes et d’autres encore, faisaient leur publicité, gratuite les concernant. Les foires d’exécutions attiraient toujours un monde fou. À portée de main, un lot de dépliants informait du programme de la « table d’étirement », variante moderne des écartèlements d’antan. Léonce grimaçait, il n’était pas fier de lui. Mais la situation commandait, et il n’était pas en position de refuser un ordre.


Le premier condamné était un voleur récidiviste et considéré violent. Surpris par le propriétaire de la maison bourgeoise dans laquelle il opérait, il n’avait su faire autrement pour se tirer de cette triste situation que de l’assassiner de plusieurs coups de couteau. Encore un couteau ! Décidément ! Mauricette Perret, la seule exécution qui l’intéressait, serait la suivante. Il avait un peu de temps devant lui, les hommes, inexplicablement, résistaient plus longtemps à l’inéluctable torture.


Il se détourna de quelques pas et acheta une barquette de frites et un jambon-beurre. Son regard se fixa vers le manège. Des bambins hurlaient de joie en se grandissant de leur mieux afin d’attraper une touffe de poils, trophée pour un tour gratuit supplémentaire. Léonce adorait voir le bonheur de ses propres enfants dans ces foires à succès. Il choisissait toujours le coin des fusillés, bruyant mais rapide. Les gamins riaient invariablement quand le chef de la troupe tirait l’ultime cartouche dans la tempe du condamné. « Il faut toujours bien faire son travail, jusqu’au bout », leur disait-il. Et ne jamais se trouver contre le mauvais bout du pistolet, donc de la loi et de l’ordre. Il avait une drôle d’impression devant ces souvenirs.


Au début du siècle, dans les années 1920, 1930, face à une déferlante de délits hétéroclites, la prolifération de bandes organisées, le législateur décida l’éducation par la peur des jeunes générations. Un aménagement que Léonce ne trouvait pas d’une efficacité imparable. Viols, vols, violences, meurtres, corruptions, aucune menace ne fut irrémédiablement réduite. Il aimait bien, néanmoins, ces foires destinées à l’instruction des jeunes et moins jeunes.


Léonce décida de se dégourdir les jambes et fila vers les bûchers, au nombre de quatre. Ils étaient déjà en feu, ainsi qu’y grillaient les parias. L’odeur nauséabonde le repoussa vers les pendus, ces derniers en grand nombre. Cinquante pour cent des exécutions, un véritable travail à la chaîne. Il revint vers la table d’étirement, le premier client encore en attente. Non loin il vit les bourreaux en grande discussion avec trois personnages en gabardine. On discutait ferme et, finalement, les importuns s’éloignèrent. Qui étaient-ils donc ? Il ne tarda pas à le savoir. Les trois gaillards l’entourèrent aussi soudainement qu’ils l’aperçurent.


— Monsieur Jameur ? Léonce ?

— Heu… Oui, tout à fait.

— Police, annoncèrent-ils en montrant leurs cartes. Veuillez nous suivre, s’il vous plaît. Sans protester, cela ne servirait à rien.


Ahuri, Léonce ne fit pas d’histoire.


CHAPITRE XI


Le vétéran aux vêtements blancs avait beaucoup de mal à comprendre cette convocation. Il attendait patiemment dans cette pièce vide depuis dix minutes, peut-être vingt. Puis brutalement, tout s’accéléra. Trois personnes entrèrent, visages fermés. Deux femmes, un homme. Une des deux policières s’assit devant lui, la peau noire, des nattes courtes, les lèvres charnues, le nez camus et les yeux fatigués.


— Nom, prénom, s’il vous plaît ?

— Poquin Anselme. Mais pourquoi…

— Connaissez-vous cette femme ?


Sur la photographie, le visage souriant du témoin gênant, Mauricette Perret. Cette vision fut un choc, cette affaire étant close, normalement.


— Vaguement, oui. Dans le journal peut-être.

— Ne vous fatiguez pas. Sachez d’abord qu’elle a été retirée de la liste des exécutions. In extremis. Vous la connaissez très bien en vérité, puisqu’elle est la victime d’une machination dont vous êtes le commanditaire.


D’un bond, Anselme se leva, le visage pâle comme un linge.


— Vous plaisantez ? Ou vous êtes folle pour lancer de telles accusations. Savez-vous au moins qui je suis ?

— Nous le savons, monsieur Poquin. Vous êtes un ancien militaire, un officier, un héros. En temps normal, nous prendrions mille précautions pour vous interroger. Aujourd’hui, c’est différent !

— Je ne vois pas ce qui est différent aujourd’hui plus qu’hier !

— Ceci et encore ceci, monsieur ! aboya-t-elle en agitant deux blocs de feuilles. Deux témoignages, les premiers car d’autres suivront, soyez-en sûr, de messieurs Cyllès et Jameur. Et ne me dites pas que vous ne les connaissez pas. Il y a des vidéos prises chez le second. Des centaines d’enregistrements de séances, de réunions, des prises de décisions qui vont permettre, et permettent déjà, d’élucider de nombreuses affaires, d’éradiquer des trafics d’influences, de la corruption à grande échelle. En plus des documents trouvés à votre domicile. Évitez-vous le penthotal, il est inutile dans votre cas, et le juge sera plus compréhensif si vous faites l’économie d’une défense ridicule à ce stade de l’enquête.


Anselme était sidéré. Comment cette situation était-elle possible ? Avec la prise d’autant de précautions ? Des vidéos ? Mais comment ? Qui ?


— Je… Je ne comprends rien…

— Il n’y a plus rien à comprendre, monsieur. Les premiers délits sont constatés, le reste suivra. Des arrestations sont déjà en cours. Votre Association est en voie de démantèlement. Vous devriez vous faciliter la tâche et penser à votre sort avec un repentir sincère. Vous n’avez pas fait preuve de tant de compassion avec cette pauvre Mauricette Perret et son fils. Vous n’avez pas hésité, aucune pitié !


Anselme était en perdition. Qui avait trahi, qui devait être puni, étaient les seules questions qu’il se posait.


— Putain de merde ! Mais comment ?

— Léonce Jameur. Il enregistrait toutes vos manigances. Des enregistrements que nous avons découverts par le plus grand des hasards.

— Une affaire de mœurs, reprit l’autre policière, une blonde un peu forte, qui nous a amenés à perquisitionner dans sa demeure. Autre hasard qui va vous amuser, nous l’avons épinglé alors que nos inspecteurs venaient interrompre l’exécution de madame Perret. Lui n’était présent que pour y assister et s’assurer de sa disparition.

— Tout s’est joué en quelques heures, pas plus, coupa la policière noire, vous n’êtes vraiment pas plus chanceux que l’épouse de Léonce qui tombait des nues ! Par la suite, le penthotal a mis rapidement fin au mutisme de monsieur Jameur. Pour le professeur Cyllès, pas de sérum, il s’est immédiatement mit à table. Vous voyez, nous savons tout, nous avons tout. Reste vos aveux. Je vous conseille de ne rien cacher, cela pourrait vous nuire lors du procès.


Anselme était comme KO. L’affaire semblait bel et bien emballée et il ne restait rien à sauver. Il ne pouvait même pas impliquer les véritables patrons qu’il ne connaissait tout simplement pas. Cependant, son sens de la loyauté, de l’ordre, ne lui auraient pas permis d’en dire plus s’il avait eu connaissance de leur identité. Au fond de lui, s’accumulait une rage sourde envers cet imbécile de Léonce. Lui-même aurait dû se méfier d’un homme qui répugnait visiblement à s’engager jusqu’à ces derniers jours.


— Allez vous faire foutre… Tous !


CHAPITRE XII


— Regardez le maire, Blanche.

— Oui ; il est très élégant, je trouve.


Anicet Jaffre, riche entrepreneur de BTP, faisait face à sa vieille amie Blanche Sitomar, gérante d’une société d’import-export. Ils partageaient une délicieuse coupe de champagne lors de cette soirée, une réception faisant suite à l’intronisation du nouveau préfet de la région. L’occasion pour les notables de profiter d’un entre-soi décontracté.


— L’Association va renaître de ses cendres très bientôt. Je recrute patiemment de nouveaux associés. Discrètement et toujours en cloisonnant. Il ne faudra pas commettre les mêmes erreurs, et infiltrer chaque strate de l’organisation policière. Nous n’y avions qu’un pion – qui a rendu service à l’un de nos ex-membres –, mais c’est insuffisant !

— C’est une excellente nouvelle, Anicet. Sans richesse, pas de pouvoir et sans pouvoir…

— Pas de richesse. Je sais.

— Mais que vient faire notre bon maire dans cette histoire ?

— Infiltrer la police n’est pas une mince affaire, vous vous en doutez. Et le maire n’est pas sans influence concernant les accessits des hautes autorités.

— Hum… Mais celui-ci ne nous aidera guère.

— C’est pour cela qu’il va falloir faciliter sa rapide démission.

— Nous y voilà, mon cher. Je suppose que mon intervention est nécessaire à ce moment-là de l’histoire.

— Ce que j’apprécie chez vous depuis toujours, Blanche, c’est votre rapide compréhension des perspectives à venir.

— Comme c’est joliment dit ! Merci, Anicet, j’en rougis. Concernant le maire, j’ai ce qu’il nous faut. Les filles de l’Est ne rechignent pas à la tâche et sont plutôt aguichantes.

— Les affaires vont reprendre, Blanche.

— J’ai toujours eu confiance en vous, Anicet.


 
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   Asrya   
28/2/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
C'est bien écrit, à n'en point douter. C'est plaisant à lire et on se plonge dans ce récit avec beaucoup d'attentes.
Les intrigues naissent, s'amplifient, se résolvent, à toute vitesse, c'est assez déconcertant.
Les personnages pullulent, sous un nom, puis un autre ; ce n'est pas forcément aisé à suivre, mais on s'en sort avec un peu de concentration.
J'ai beaucoup aimé la forme que vous nous proposez, dans l'ensemble.

Quelques interrogations qui ont malgré tout nuit à la compréhension de l'ensemble. D'après votre exergue, ce que j'en comprends, c'est que vous nous parlez d'un monde fictif, qui n'a plus ou moins rien à voir avec le monde actuel.
Pourtant il y ressemble drôlement, et en même temps pas tant que ça.
Il est bien difficile de se positionner là-dessus. Rien ne le précise, et rien ne permet de réellement cerner la temporalité, tout comme le parallélisme de notre univers. C'est assez déconcertant.
C'est le plus gros point noir que j'ai trouvé, car tout du long, je me suis questionné pour savoir de quelle époque il était question, et s'il était question de notre monde ou non, car les événements avaient du mal à faire cohérence.

La présence de micro, dans un espace où la technologie n'apparaît pas vraiment présente, tout comme la vidéo ; la présence de foire aux exécutions, bien sordide, pourtant banale semble-t-il.
On arrive à se faire réellement au fait d'être dans autre univers, bien après le milieu de la lecture. Ce qui m'a légèrement dérangé, je l'admets.

Ceci-dit, l'idée est bonne. C'est une dystopie qui sublime certains aspects de l'humanité (sublime n'est peut-être pas le bon terme, du moins, elle en révèle parfaitement certains traits) dans un sens immoral exquis.

La chute n'est peut-être pas à la hauteur du niveau du reste du récit. Ni Anicet, ni Blanche n'arrivent à donner un coup de fouet au renouveau de l'Association ; c'est à nouveau dommageable.

Je ne dirais pas que c'est une lecture facile, mais c'est une lecture intrigante et très agréable lorsqu'on s'en donne le temps et les moyens.
J'ai bien aimé ce texte, je lui trouve autant de qualité imaginaire que techniques ; je reste seulement sur ma faim par certains aspects.

Un grand merci pour le partage et au plaisir de vous lire à nouveau,
Asrya.

(Lu et commenté en espace de lecture)

   Anonyme   
22/3/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
J'apprécie la subversion du réel qu'apporte votre nouvelle, cette manière dont vous dessinez peu à peu le fonctionnement d'un monde parallèle d'une atrocité pas piquée des vers. On plonge peu à peu dans l'enfer.

Je suis nettement plus réservée d'une part sur la trajectoire du récit, d'autre part sur le fondement de l'existence de la fameuse Association.
1) Après le bref soulagement apporté par le sauvetage in extremis de la malheureuse Mauricette, vous clôturez sur une note désespérée : rien ne change, la corruption foncière de cette société demeure intacte. Soit, mais alors je me dis qu'il aurait été intéressant de soigner les péripéties ; la vague mention d'une affaire de mœurs qui aurait entraîné en quelques heures, deux ou trois jours au plus (la justice paraissant sacrément expéditive dans le coin), la perquisition chez un notable, sa chute soudaine, l'effondrement de tout un pan d'une structure occulte de pouvoir… Non, je ne marche pas. Même l'infiltration trop peu engagée de la police par l'Association n'explique pas à mes yeux une telle célérité, la simple pesanteur administrative, à mon avis, impliquerait des semaines d'enquête avant de débrouiller le sac de nœuds.
NOTA : En relisant je me rends compte qu'entre le jugement et le jour de l'exécution il s'écoule un peu moins de six semaines. OK, cela tient mieux la route point de vue chronologie, n'empêche que la dimension deus ex machina du retournement me gêne.
2) Dans cette société fasciste punitive où la population adhère manifestement à l'obsession d'ordre et de répression, je ne comprends même pas pourquoi l'Association est secrète. Elle incarne les valeurs déjà officiellement affichées par l'ordre moral dominant ! Je trouve d'ailleurs très caractéristique que vous ne précisiez pas de quoi Mauricette a été témoin au juste, ni les buts et actions concrètes de l'Association.

En conclusion, si le mouvement de dévoilement du fonctionnement de cette dystopie m'a paru intéressant et plaisamment cruel (une mention pour le passage se déroulant à la foire aux exécutions, même si je n'ai pas bien saisi la description de la table d'étirement), j'ai l'impression que vous ne vous êtes guère donné la peine d'incarner votre récit dans une cohérence narrative solide, et je le regrette parce que l'idée à la base de votre nouvelle m'apparaît originale et potentiellement puissante.

Ah oui, je voulais dire aussi que la longueur de votre nouvelle m'a semblé adaptée, sauf lors du dialogue de fin que je trouve ressassant, assenant avec une lourdeur inutile la « morale » de l'histoire. Je crois qu'il gagnerait en dynamisme, votre clôture en impact, si vous le resserriez.

   jeanphi   
22/3/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Le premier chapitre a failli m'arrêter, puis j'ai mis le pied dans l'engrenage. Au-delà de la richesse de l'intrigue, ce qui me plaît le plus, c'est le sentiment de distance maintenue entre l'auteur et son texte, comme pour placer le lecteur entre les deux. Là où certains pourraient discerner une posture désinvolte de votre part, je vois une manière de faire entrer le lecteur dans un récit plus vrai que nature, obligeant à faire du lien pour se maintenir à flot. Par exemple, il ne me semble pas que le mot 'hypnose' soit mentionné durant la séance, etc.
Je perçois davantage une pantopie qu'une dystopie, tous les éléments de votre récit figurants bien quelque part, sur une page de l'humanité, et l'ensemble étant loin d'être exclusivement infernal malgré cette exposition originale de franc maçonnerie inversée, d'appareils d'États moyenâgeux, et de psychiatrie inquisitrice.

   Disciplus   
22/3/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Ecriture fluide. Recherche d'une certaine originalité dans la construction. Choix de présenter les personnages par une structure dispersée :
Chap I - Léonce, Jameur meunier industriel (?), accro aux prostitués
Chap IV - Anselme Poquin ancien militaire,
Chap VI - Mauricette Perret femme en psychanalyse
Chap IX - Pierre Cyllies psychanaliste vénal
Nous aurions certainement gagné en compréhension en présentant les protagonistes l'un après l'autre. et en les faisant se croiser ensuite pour nouer l'intrigue.
Chap II : Cet ici-là .... Oui, cela peut arriver.
Chap IX - L'ambition... qui le guide - réflexions pseudo-psychanalitiques importunes. Nous lisons un récit policier. Du suspense, de l'action, des rebondissements.
La trame narrative est commune : mise en place de l'élimination d'un témoin. Question :
Que reproche-t-on exactement à Mauricette qui lui vaut une condamnation à mort.
1920 -1930 une foire aux exécutions dans la capitale ? avec tortures, buchers, gibets? semble ici juste pour nous donner une description morbide de torture. peu vraisemblable.
Les dialogues sont convenus, n'apportent pas grand-chose et font plutôt remplissage.
Lecture en résumé plaisante.

   Donaldo75   
23/3/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
n'aime pas
Bonsoir cherbiacuespe,

Je vais commenter par chapitre. Je trouve ça marrant sur le coup.

Chapitre I
C’est bien écrit, expose le personnage de manière introductive. En tant que lecteur, je me demande ce qui va arriver à Léonce.

Chapitre II
Le choix de l’exposition presque impersonnelle fonctionne bien au début mais tombe un peu de sa chaise avec les dialogues. Je les trouve un peu trop mécanisés, comme s’ils devaient expliquer quelque chose que la narration ne permettait pas alors qu’elle passait bien à la lecture.

Chapitre III
Homogène, il ressemble plus à ce que le précédent chapitre aurait pu constituer.

Chapitre IV
Le style passe là encore bien pour présenter ce personnage. A la fin de ce chapitre, je me dis qu’il va falloir un spécialiste en puzzle pour m’expliquer l’histoire si la narration reste telle quelle. Et puis, d’action que nenni !

Chapitre V
L’histoire prend une autre dimension ; je la trouve plus lisible, moins hélicoptère. Les dialogues ne sont pas top, par contre.

Chapitre VI
Je commence à entrevoir l’image derrière le puzzle. C’est rassurant pour un lecteur comme moi-même si en réalité je n’étais pas inquiet.

Chapitre VII
Le décor continue à être posé et l’intrigue prend forme par petites touches. Il y a un petit côté dix-neuvième dans la manière de raconter et dans le style.

Chapitre VIII
Une scène de tribunal qui aurait peut-être mérité un peu plus de chaleur ou d’émotion ou que sais-je afin de la rendre plus cinématographique.

Chapitre IX
Rien à dire, le personnage est bien posé.

Chapitre X
On avance ? Je ne sais pas mais j’ai envie de poursuivre.

Chapitre XI
Les dialogues remplacent quelque part la narration. C’est un choix assez théâtral mais il s’insère bien dans l’ensemble.

Chapitre XII
Un rebond ? De quoi alimenter une suite ? Qui sait ?

Bon, en synthèse, il faut aimer les puzzles pour suivre ce mode narratif. Les chapitres sont courts et ne permettent pas réellement de développer le suspense, simplement de livrer des polaroids. C’est dommage dans ce genre, le policier, où l’intrigue devrait normalement être plus lisible. Sinon, c’est plutôt bien écrit. Ce mode narratif – je reviens sur le sujet – constitue un choix ambitieux. Risqué également.

   Catelena   
1/4/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Première impression au sortir de ma lecture : c'est flou, je me noie dans tout ce qui est mis en scène.

Pourtant, l'intérêt ne capitule pas, car il y a du potentiel. La tournure des phrases, les mots volontairement sophistiqués, tout concoure à créer une ambiance feutrée où les frissons ne sont jamais loin.

Seulement voilà, pour moi, il y a de la maladresse dans l'assemblage, et une sensation de sauter du coq à l'âne qui fait bredouiller la lecture. Il manque un fil conducteur, et c'est dommage pour l'histoire intéressante qui se dessine tant bien que mal derrière cet embrouillamini.

Ou alors, faudrait-il que je revienne vous lire mieux concentrée, la tête plus présente à vos chapitres...

Au final, c'est quand même une impression mitigée qui subsiste, ne m'autorisant pas à éprouver un plaisir total à ma lecture.

Merci pour le partage, Cherbiacuespe.

   Marite   
1/4/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
La longueur de cette nouvelle m'en a écartée puis, à la lecture des commentaires j'ai eu envie de la lire. Très intéressante cette description des luttes d'influences pour le pouvoir et je ne pense pas me tromper beaucoup en pensant qu'elles n'ont pas totalement disparu de notre monde actuel ... Le scénario de l'hypnose pour amener une femme à tuer son fils auquel elle était très attachée m'a fait penser à certains crimes commis de nos jours et pour lesquels on avance bien rapidement une hypothèse de déséquilibre psychologique ... Bien entrée dans la succession et le déroulement des faits c'est au neuvième chapitre que, d'un seul coup, j'ai perdu pied avec les personnages que jusque là j'avais réussi à suivre sans problème. Compliqué de synthétiser tout ce que je venais de lire pour me retrouver et donc, déception pour la chute qui semble esquisser de nouveaux épisodes de tractations et de jeux d'influences avec l'impression de m'enliser dans une histoire sans fin.


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