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Policier/Noir/Thriller
clodius : Rencontre du cinquième âge
 Publié le 27/02/15  -  3 commentaires  -  25184 caractères  -  88 lectures    Autres textes du même auteur

2098. Un policier mis au placard, affecté à la lutte contre la fraude à la sécurité sociale, découvre, mais trop tard, un homme beaucoup trop âgé pour le système.


Rencontre du cinquième âge


Lundi 15 décembre 2098. L’inspecteur Taboureau était de mauvaise humeur ce matin. Ouvrant brutalement la porte de la pièce, il jeta sa sacoche sur son bureau où elle rebondit, heurtant la pile de documents qui attendait là. Elle explosa littéralement, les formulaires s’éparpillant sur le sol bétonné du bureau.


– Et merde ! Ça commence bien…


Il s’accroupit pour ramasser le contenu, rassemblant nerveusement la cinquantaine de formulaires doubles, en une pile approximative et instable. Cherchant à reposer l’ensemble sur le bureau encombré, il balaya d’un revers de main le porte-documents responsable de cette avalanche et le remplaça par ce qui représentait son travail de la journée. Il avait passé un mauvais week-end, Paris tremblait de froid depuis deux semaines. Circuler en surface était devenu compliqué. Et puis il acceptait mal d’avoir été muté dans ce service de répression des fraudes à la Sécurité sociale. Il n’avait pourtant pas démérité mais certaines affaires sont de vrais pièges qui vous happent, quoi que vous fassiez.

Il tira son fauteuil en bougonnant et, alors qu’il allait s’asseoir, aperçut le coin d’un dossier qui avait glissé sous le casier. Il se pencha pour le ramasser, le prit et ramena en même temps une carte de couleur ambre qui s’en était détachée. Il allait la remettre dans la pochette agrafée au volet intérieur lorsqu’il fronça les sourcils.

Imprimés sous forme d’hologrammes, il découvrit un nom et surtout une date de naissance. Il s’assit enfin et observa cette carte, perplexe.

Depuis plusieurs années, le ministère de la Santé avait lancé une vaste opération d’implantation de processeurs biologiques directement sous la peau de ses concitoyens. Cet acte avait été rendu obligatoire pour chaque nouveau-né sur le territoire européen. Lui-même comme employé de l’État avait été un des premiers servis ! Chaque puce était connectée à l’ADN de son porteur et permettait ainsi d’identifier chaque individu, et de mémoriser toutes les informations relatives à son état de santé… Sauf que dans bien des cas, on y stockait des renseignements sans rapport avec l’état du cœur ou des poumons. Les policiers par exemple avaient une identification particulière. Ce processeur était activé pour gérer des accès à des bâtiments ou à des secteurs sécurisés, des moyens de transports, etc.

Devant la levée de boucliers de groupes réfractaires, des syndicats notamment, il avait été décidé d’y surseoir pour les personnes de plus de 60 ans, sauf volontariat, et pour toute personne s’y opposant formellement, et par écrit. De ce fait, il existait encore plusieurs millions de cartes « HP » (pour Health Protect. Eh oui, l’anglais continuait toujours d’envahir notre monde).

Ces cartes, bien que très sophistiquées, étaient tout de même plus faciles à falsifier qu’une puce biologique. Et ils étaient nombreux à vouloir profiter du système de santé français. Un système resté très performant malgré un équilibre financier toujours précaire, et sa remise en cause régulière pour ne pas dire continuelle par chaque gouvernement fédéral.

La porte du bureau s’ouvrit sans avertissement, faisant sursauter Jean Taboureau. Un homme grand, fort, et jovial était apparu dans l’encadrement.


– Bon sang Lucien tu m’as fait peur, on n’a pas idée d’entrer comme ça, un lundi matin !

– Oh dis Jean ne me dis pas que j’ai fait peur au grand enquêteur de la PJ ! Tu t’es levé du pied gauche ?

– Vas-y paye-toi ma tête, tu sais ce qu’elle te dit la PJ ?

– Bah je plaisante tu sais bien, mieux vaut en rire. N’empêche tu n’as pas l’air en forme tu prends un café avec moi ?

– Mmm ouais d’accord.


La salle de repos était encore vide et leurs boissons préférées étaient déjà prêtes. Encore un miracle de cette fichue puce. Ce n’était pas désagréable, juste un peu frustrant…


– Alors Jean, raconte-moi tes malheurs.


Jean prit une gorgée de café brûlant.


– Bah tu sais bien, avec Fiona, c’est toujours un peu compliqué et je vais pas te gonfler encore avec ça. Par contre je suis tombé ce matin sur un dossier bizarre. Une carte HP qui est tombée par inadvertance et…

– Ben quoi ? Tu en reçois des dizaines tous les jours des fausses cartes, je ne vois pas ce qu’il y a de passionnant à travailler sur ce genre de chose.

– À qui le dis-tu ? Sauf que d’habitude les cartes ne doivent pas attirer l’attention : identité courante, âge moyen correspondant aux caractéristiques physiques du porteur (c’est un minimum !). Sauf que là, et sans détailler le contenu de la mémoire…

– Bon alors tu accouches ? Il y avait la photo d’un extraterrestre ou bien ?


Jean eut un léger sourire, Lucien ne pouvait s’empêcher d’avoir des intonations et un léger accent suisse, son pays d’origine.


– Presque ! Figure-toi que d’après cette carte, le gus serait né en 1960. Sauf que la photo est celle d’un type de la cinquantaine !

– Hum ouais ça lui ferait donc 138 ans. Ben c’est simple : ou c’est un con ou c’est un étourdi !


Il partit d’un rire franc et sonore.


– Ça sera juste la meilleure blague de la semaine. Je sais bien que tu es un fin limier, mais faudra quand même que tu acceptes le fait qu’ici, il n’y a pas de véritable enquête, il n’y a pas de meurtre, pas de violences, pas de juge, pas de procès, rien !

– Tu as certainement raison sauf qu’au premier coup d’œil elle semble plus vraie qu’une vraie, juste un peu trop usée. Ce qui prouve juste qu’elle n’est pas récente. Ou que les faussaires ont poussé le souci du détail à un niveau qui n’est pas compatible avec l’amateurisme des inscriptions. C’est peut-être un nouveau réseau qui s’est doté d’outils de reproduction extrêmement précis, mais qui aurait commis une erreur dans le paramétrage des hologrammes ? Je vais quand même creuser un peu.

– Écoute je comprends que tu t’emmerdes ici et si ça peut t’amuser, vas-y, mais moi je te dis que c’est un guignol et que tu perds ton temps. Allez Sherlock, je retourne à mes chères occupations. Tu m’appelles quand tu déjeunes OK ?

– D’accord, d’accord, allez, à plus Lucien.


L’inspecteur Taboureau rejoignit son bureau, se saisit de la fameuse carte, s’assit et l’examina lentement sur toutes ses faces, la faisant tourner entre ses doigts, observant les hologrammes sous différents angles faisant naître des irisations improbables. Il plaça la carte sous sa tablette tactile. Son image apparut. Il la fit grossir plus de 1000 fois, se déplaça lentement dessus pour observer en détail les rayures. Certaines étaient profondes, trop profondes. Depuis plus de vingt ans, le matériau utilisé était quasiment inaltérable sur le plan mécanique. Au vu de la profondeur des sillons et de leur encrassement, cette carte avait certainement plus de trente ans !

D’un geste, il effaça l’observation de la surface et interrogea le contenu. Elle était dotée d’une puce électronique classique, à mémoire permanente. Il nota le fabriquant et le numéro de série, puis balaya l’ensemble des informations qui y étaient stockées.

Il alla de surprise en surprise : d’abord, la date de naissance était conforme à celle qui figurait sur l’hologramme de surface, cette date de naissance était par ailleurs parfaitement cohérente avec le numéro de sécurité sociale. En avançant dans l’arborescence des dossiers, Jean Taboureau s’aperçut que le dossier santé était particulièrement volumineux. Il l’ouvrit puis accéda aux analyses : ce n’était pas le plus lourd, mis à part une surveillance régulière du taux de cholestérol qui avait fini par se stabiliser à un niveau normal. « Sans doute était-il traité pour ça », pensa-t-il. Par contre, la dernière mise à jour datait de 2046 ! Il ouvrit le dossier « Chirurgie » : celui-ci était beaucoup plus volumineux. Plusieurs hôpitaux étaient listés de Toulouse à Paris. Ouvrant le plus ancien, à Toulouse, il lut « Greffe de cornée OG 13/06/2001 ». Ces informations paraissaient vraiment anciennes, calées sur une date de naissance au 11 septembre 1960. L’inspecteur n’avait jamais entendu parler de greffe de cornée. Il s’approcha de sa tablette et demanda à faire une recherche sur Internet. Il apprit aussitôt que la cornée est la face antérieure de l’œil et que ce genre d’intervention n’était plus pratiquée depuis 2033, date à laquelle les cornées artificielles avaient été fiabilisées et implantées directement en remplacement de la cornée malade. Il s’ensuivait deux autres opérations du même type datées de 2002.

Après avoir exploré la section ophtalmologie qui lui confirma les nombreux problèmes rencontrés par ce personnage, il se redressa, étendit ses membres raidis par la concentration et se mit à réfléchir. Puis il reprit subitement l’examen des fichiers pour se diriger directement vers les derniers enregistrements en date. Là il lut : « Pharmacie : achat d’un sérum antigrippal xxxx ANNULÉ xxxx ». C’était il y a cinq jours, lorsque la carte avait été avalée par le système et transmise à ses services anti-fraude.


– Pas étonnant avec ce froid, on vient d’atteindre le seuil épidémique et en plus c’est un virus particulièrement virulent. Sauf que la transaction n’a pas pu se faire. Soit l’utilisateur de la carte est un escroc qui veut se faire un peu d’argent en revendant du sérum au black, et dans ce cas, il est possible qu’il ait plusieurs cartes, soit… Mais non c’est stupide ! Si le contrevenant est un particulier, comment pourrait-il espérer utiliser une carte périmée depuis si longtemps. Ou alors, il est dans une telle misère qu’il ne peut se payer le sérum et est potentiellement en danger de mort.


S’apercevant qu’il parlait tout seul, il s’interrompit, secoua la tête.


– Mon vieux l’inactivité ne te va pas, voilà que tu te mets à parler tout seul et que tu construis des romans à partir d’un simple bout de plastique plus vieux que toi ! À propos de plastique, je devrais quand même l’envoyer au labo, à Gérard pour qu’il me confirme la nature du matériau et son âge car je suis sûr que cette carte est authentique.

Merde ! Au moins à la PJ, j’avais un bureau connecté c’était quand même plus pratique ! Au lieu de ça, il me faut remettre la main sur cette fichue tablette ah la voilà. « Call Gégé ».


Dix secondes plus tard, apparut le visage de Gérard Giraud, le responsable du laboratoire.


– Salut Jeannot tu vas bien qu’est-ce qui t’amène ?

– Salut Gégé, dis donc j’ai une fausse carte qui ressemble trop à une vraie pour être honnête, tu peux me dire en quoi elle est faite et quand elle a été produite ?

– Si c’est une fausse elle a été fabriquée il y a quelques mois forcément. Pourquoi me demandes-tu ça ? Enfin envoie, c’est tellement rare que tu fasses appel à moi maintenant.

– OK je copie le contenu et je te la fais parvenir.

– OK bisous mon grand, faudra quand même que tu viennes voir Marie un de ces jours à la maison hein tu te rappelles de notre adresse j’espère ?

– Oui, oui, t’en fais pas je te rappelle ciao.


En quelques secondes, Jean eut transféré le contenu de la carte dans la mémoire de sa tablette. Il saisit une enveloppe, choisit le code optique du labo, inséra la carte couleur d’ambre à l’intérieur et alla la déposer dans le bac des expéditions.

Il était persuadé que la carte était vraie, et sa curiosité, son goût de l’enquête reprenaient le dessus. De retour à son bureau, il accéda de nouveau au contenu de la carte, à la recherche cette fois des adresses. Il y en avait plusieurs qui s’étaient succédées rapidement jusqu’en 2015 : une dernière avait été rentrée en 2034 à Gaillac, dans le sud de la France. Il fit le rapprochement avec le lieu de naissance, dans cette même ville. « D’accord mais si le gars est décédé là-bas, puisqu’il avait à peu près 75 ans à ce moment-là, comment cette carte s’est-elle retrouvée ici à Paris ? » Il mordilla l’articulation de son pouce comme il avait l’habitude de le faire lorsqu’il se concentrait. « À propos, je devrais déjà vérifier où et quand, comment s’appelle-t-il déjà ? Ah oui Vincent Bourril est décédé… s’il existe. » Il se pencha vers sa tablette et articula :


– Rechercher acte de décès de Vincent Bourril, né le 11 septembre 1960 à Gaillac.


L’écran afficha « recherche en cours - Accès à l’état civil », puis une voix féminine répondit « Recherche infructueuse ». La tablette se remit en veille. Jean Taboureau fronça les sourcils


– C’est étrange… Ou alors je me fais un film, ce gars-là n’existe pas bien sûr ! Je deviens vraiment dingo dans ce bureau à la con !


Il se figea, puis l’air grave, se pencha à nouveau vers la tablette :


– Rechercher acte de naissance de Vincent Bourril, né le 11 septembre 1960 à Gaillac.


L’écran afficha de nouveau « recherche en cours - Accès à l’état civil », puis une voix féminine répondit : « Vous avez un résultat souhaitez-vous l’afficher ? ».


Se laissant tomber sur son fauteuil, l’inspecteur répondit presque malgré lui :


– Oui.


L’écran s’illumina, le fac-similé d’un document jauni était apparu. Incrédule, Jean s’approcha de l’image. Tout correspondait, une mention en marge indiquait qu’il s’était marié en 1985 à Gaillac, mais contrairement à ce qu’il pouvait attendre, aucune mention du décès.


– Pourtant c’est obligatoire sur les registres d’état civil, même papier ! Et en plus je n’ai pas trouvé d’acte de décès.


De plus en plus perplexe, il avisa une mention en bas de l’écran : « Voulez-vous visualiser la descendance de cette personne ? ». Il effleura la zone avec son doigt. Une sorte de note de synthèse apparut :

Enfant 1 : Arnaud – H – né le 29/11/1986, décédé le 19/09/2062.

Enfant 2 : Charline – F – née le 16/05/1989 décédée le 23/07/2055.

Pas de descendance.


– Merde il y a quelque chose qui ne va pas : il a été marié, deux enfants, tous décédés, et il est le seul à ne pas avoir d’acte de décès !

Il faudrait que j’aille voir sur place pour vérifier sa dernière adresse puis éventuellement l’état civil de la ville mais pour obtenir un billet ici, ça va être coton ! Je vais déjà regarder l’image satellite puis je pourrai peut-être interroger un Robot-Explorer.


Se dirigeant encore une fois vers sa tablette, il demanda l’image satellite du 46, rue de Verdun. L’image obtenue datait de deux semaines, on y voyait une bâtisse assez délabrée. Le toit de tuiles rouges présentait plusieurs trous. Le jardin situé à l’arrière était visiblement en friche. Une autre ruine, plus ancienne, subsistait encore au fond de celui-ci.


– Hum tout cela me semble abandonné. Je vais tenter d’y envoyer un Robot-Explorer. Est-ce que j’ai seulement les droits ? Je n’ai jamais essayé.


S’adressant à son ordinateur, il ordonna : « Robot-Explorer à Gaillac ». La tablette répondit aussitôt :


– Vous avez un Robot-Explorer disponible à Gaillac. Souhaitez-vous l’utiliser ?

– Oui.

– Adresse de visite ?

– 46, rue de Verdun.

– Veuillez patienter le temps qu’il se positionne…


Après quelques minutes de patience, la tablette se réveilla et fit sursauter l’inspecteur, perdu dans ses pensées.


– Explorer à destination.


Il fixa l’écran. Le drone était placé face à l’adresse demandée, la vue était plongeante car il était resté assez haut au-dessus de la rue et là il vit… qu’il n’y avait plus rien ! Il fit pivoter la caméra, vit distinctement la maison à droite, la maison plus récente à gauche, mais là, au 46, il ne voyait qu’un tas de gravats qu’une pelle était en train de déblayer.


– Merde, laissa-t-il échapper.

– Veuillez répéter, je n’ai pas compris votre commande !


Malgré son excitation, Jean faillit éclater de rire.


– Heu non rien : « Fin d’exploration ».


« Bon alors si ce type n’est pas mort… Qu’est-ce que je raconte ? Bien sûr que ce type est mort, et comme il n‘a pas de descendance, sa propriété a été vendue aux enchères. C’est vrai que c’est un peu long mais bon, certains aspects rassurants de l’administration n’ont pas trop changé ! Quand même, je voudrais bien résoudre le mystère de ce décès passé aux oubliettes.

Et si je vérifiais son avant-dernière adresse, celle où il est resté le plus longtemps ? Voyons, où est-elle ? Ah voilà : 130, avenue de la République à Montrouge. Ah ça c’est mieux, cette adresse est dans Paris aujourd’hui. Je vais pouvoir y aller sans demander la permission… »

Il prit son manteau, saisit sa tablette, la roula, la glissa dans sa poche, vérifia que son bracelet était bien connecté et se précipita dans le couloir. Il faillit heurter Lucien.


– Et où vas-tu si vite, tu as tellement faim ? Je venais te chercher pour déjeuner, ça tombe bien !

– Désolé, pas le temps !


Jean pressa le pas tandis que son ami tentait encore de le questionner sur l’éventualité d’un attentat ou la chute accidentelle d’une bombe à neutrons. Il fit un geste de la main levée par-dessus sa tête.

Sorti dans la rue, il vit qu’il avait encore neigé, une neige dure et glacée. Le ciel gris et oppressant ressemblait à un dôme de ciment brut prêt à s’écraser sur la ville. Il jaugea l’état de la rue, estima qu’il était jouable de prendre un TIA. Ce mode de transport apparu dans les villes il y a une vingtaine d’années avait permis de décongestionner la circulation en interdisant les voitures individuelles. Il se précipita à la station située en face de l’édifice public. L’engin le reconnut et son flanc s’ouvrit largement. Une fois assis confortablement, il énonça l’adresse située aujourd’hui dans le 14e arrondissement. Le Transport Individuel Automatique laissa passer un autre TIA et s’élança à sa suite. Il trouvait toujours impressionnante cette façon de rouler en permanence à un mètre du véhicule précédent, à la vitesse constante de 30 km/h. Sans marquer le moindre arrêt, et malgré la neige qui tombait de plus en plus fort, il passa bientôt devant l’ancienne mairie de Montrouge, et sa « capsule » s’immobilisa devant le numéro 130. Il en descendit prestement, faillit glisser sur le sol gelé et finit par atteindre le hall d’un immeuble qui avait dû être cossu, voici quelques dizaines d’années. À tout hasard, il regarda les boîtes aux lettres à la recherche du nom « Bourril ». Rien. Il déroula sa tablette pour tenter de retrouver les détails de l’adresse. Il finit par trouver : 5e étage, appartement 52. Au fond du hall garni de plantes artificielles quelque peu défraîchies et poussiéreuses, il avisa un ascenseur d’un modèle ancien. Oui vraiment ancien car il ne réagit pas à l’approche de sa puce. Il dut utiliser le bouton d’appel, la porte se ferma en raclant et il monta ainsi jusqu’au 5e étage. En sortant, il repéra tout de suite le numéro 52, sur la porte de droite, écrit en chiffres qui avaient été dorés. Il sonna mais n’obtint aucune réponse. Il sonna à nouveau et crut entendre un frôlement derrière la porte. Y collant son oreille, le moindre bruit se mit à résonner dans son crâne. Ce qu’il entendit lui fit penser à un de ces anciens soufflets dont l’air est expulsé en sifflant lorsqu’on l’actionne. Il sonna encore et entendit cette fois distinctement un raclement contre la porte.

Il décida d’ouvrir. Il avait conservé de son ancien job un petit appareil automatique auquel peu de serrures pouvaient résister. Ici le modèle était visiblement très ancien. Il engagea le pivot dans le trou de la serrure, et appliqua fermement l’appareil contre la porte. Fébrile, il actionna la gâchette rouge. Les micromoteurs se mirent en route, jusqu’au moment où la serrure fit entendre un bruit métallique. La porte s’entrouvrit puis se bloqua.


– Hello, il y a quelqu’un ? C’est la police, répondez !


L’inspecteur poussa sur la porte qui céda lentement. En passant la tête, il fut frappé par l’odeur de pourriture, de renfermé qui s’échappait de cet intérieur. Baissant les yeux, il comprit que le corps d’un homme recroquevillé là, devant la porte, l’empêchait d’entrer. Il poussa encore pour pouvoir se faufiler.


– Monsieur ? Monsieur ? Répondez-moi, ne craignez rien, c’est la police.


Il ne répondit pas et pour cause, se penchant sur lui, Jean Taboureau s’aperçut qu’il était en grande détresse respiratoire. L’homme transpirait et grelottait en même temps. Il était malade, très malade, visiblement en phase terminale.

Jean appuya sur son bracelet.


– Pour l’inspecteur Taboureau, envoyez des secours d’urgence au 130, Avenue de la république, dans le 14e arrondissement.


Le bracelet émit un bip et une voix répondit :


– Bien reçu inspecteur, ambulance dans 10 min.


Délaissant son bracelet, il essaya d’allumer la lumière, mais rien ne se passa. Il se dirigea vers les volets pour essayer d’avoir un peu de lumière. Ceux-ci étaient électriques et ne pouvaient donc plus être manœuvrés. Il faisait un froid de canard dans cet appartement délabré et il décida néanmoins d’ouvrir une des baies vitrées pour essayer de chasser cette odeur nauséabonde. Il se précipita alors vers le malheureux, essaya de le soulever pour l’asseoir. Sa respiration n’était plus qu’un râle. Malgré la maladie qui ravageait ses traits, il paraissait avoir 50 ou 60 ans pas plus. Il entreprit de le fouiller à la recherche de papiers d’identité mais ne trouva rien. L’homme fut pris d’une quinte de toux qui eut l’heureux effet de lui dégager quelque peu la trachée. Il fut pris d’une sorte de rire dément, entrouvrit les yeux et dit dans un souffle :


– Je vais mourir pas vrai ?

– Non, non, ne vous fatiguez pas, les secours vont arriver.

– Ça fait si…. longtemps.

– Ne parlez pas.


Puis se ravisant, il se fit pressant.


– Qui êtes-vous ? Comment vous appelez vous ? Votre nom ?

– HHhhh Bou….i écrit…. Là.


Il souleva une main tremblante pour désigner un vieux buffet couvert de papiers. L’inspecteur se releva, s’avança vers le buffet, se retourna pour regarder l’homme encore une fois. Celui-ci le regardait fixement. Il tremblait toujours mais paraissait apaisé. Il sortit sa lampe de poche pour explorer le panneau de bois verni. Au milieu de factures, de papiers bancaires, il repéra un vieux cahier très épais : « Au moins 500 pages », se dit-il. Il ouvrit la couverture et eut juste le temps de voir sur la première feuille, écrit d’une main sûre « Vincent Bourril 1960 – ? ». Il entendit l’ascenseur s’ouvrir et des pas pressés se diriger vers la porte d’entrée. Comme par réflexe, il enfouit le cahier sous son manteau. Les secouristes étaient là. Ils se penchèrent tous les deux sur le corps qui gisait inerte dans l’entrée. Il ne tremblait plus mais il regardait toujours l’inspecteur, fixement.


– Merde, il ne respire plus. Oxygène vite ! On essaie de défibriler. Charge, charge, donne-moi les électrodes, soulève son pull.


Le corps allongé par terre s’arc-bouta sous la décharge électrique.


– Rien, recommence ! Charge, charge !


Nouveau sursaut du corps sans vie. Taboureau détourna son regard, revint vers le buffet pendant que les infirmiers s’escrimaient à essayer de ramener M. Bourril à la vie. À la vie ? Mais quelle vie ? L’agitation cessa dans l’entrée de manière aussi brutale qu’elle avait commencé.


– C’est fini, on n’a rien pu faire, c’était trop tard. De toute façon, même si on l’avait ranimé, on n’aurait pas pu le maintenir. C’est cette saloperie de grippe… On n’a plus qu’à l’emmener à la morgue et vu les circonstances, il sera confié au légiste. Vous savez s’il a de la famille inspecteur ?

– Je ne crois pas, mais je ne suis pas sûr… Attendez, il faut que je vérifie quelque chose !


Jean Taboureau se précipita vers le cadavre. Les yeux étaient encore ouverts. Il prit sa torche et la dirigea vers eux. Il se concentra sur l’œil gauche et projeta le faisceau de manière à ce qu’il soit rasant. Il vit nettement une cicatrice faisant tout le tour du dôme parfaitement transparent. Un petit filet opaque à peine visible qui faisait toute la circonférence.


– Nom de dieu !

– Que se passe-t-il inspecteur ?

– Non rien, j’ai cru reconnaître quelqu’un ! Mais heureusement ce n’est pas lui !


Il resta encore accroupi et fit le même examen sur l’autre œil, pour constater la même trace. Sortant sa tablette, il fit une photo rapprochée des deux yeux de celui qui s’avérait être le vrai Vincent Bourril. Il n’avait plus besoin des analyses de Gérard. Il connaissait déjà le résultat : la carte était authentique, fabriquée il y a une quarantaine d’années. « Voilà un acte de décès qui pourrait donner bien du souci à quelques agents de l’état civil ! » pensa-t-il.


– Pouvons-nous l’emmener inspecteur ?

– Hein ? Oui faites, faites…


Les secouristes partis, il balaya l’appartement du regard, sortit en tirant la porte derrière lui. Il s’arrêta sur le palier, complètement sonné. « Cet homme avait 138 ans, il avait un âge apparent de 50 ans. Je ne le crois pas, il ne vieillissait plus ? Il était potentiellement immortel ! » Il fut pris d’un vertige et dut s’appuyer au mur pour ne pas tomber. « Comment ce pauvre bougre en est-il arrivé là, seul, sans ressources, sans soins ? » Il sentit le cahier sur sa poitrine et le serra fort contre lui. « Les réponses sont certainement là-dedans », se dit-il. L’ascenseur arriva et le déposa au rez-de-chaussée dans le hall défraîchi. Il sortit d’un pas hésitant sur la neige dure et épaisse et releva son col.


– Tu parles d’un réchauffement climatique ! Putain de neige !


 
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   Neojamin   
10/2/2015
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour,

Une bonne entrée en matière, on s’imagine bien la scène. L’intrigue est bien menée. J’ai trouvé les dialogues un peu surfait, dommage. Pour ce qui est de l’intrigue, le titre en dit trop... et, je m’étonne qu’il n’y ai pas de rebondissement! Au final, on sait depuis le début où on va, pas de surprise, pas de «twist» nécessaire à l’intrigue policière...peu de suspense. C’est dommage car c’est bien écrit et il est clair que l’auteur peut mieux faire.
Si je peux me permettre un avis, je raccourcirais cette «introduction» (ça ressemble à une introduction de roman) pour passer plus vite à l’intrigue propre, l’incompréhension face à cet homme sans âge qui a survécu jusque là...c’est au fond l’idée la plus intéressante du texte...et malheureusement, on n’en sait pas plus à la fin!

Au fil du texte, quelques petites remarques :
- «carte de couleur ambre qui s’en était détachée.» Pas très original...du déjà-vu!
- (pour Health Protect. Et oui, l’anglais continuait toujours d’envahir notre monde). Banal...peu utile à l’intrigue
- «surseoir»
- « toute personne s’y opposant formellement, et par écrit.» Un peu léger...je n’y crois pas, si c’est obligatoire pour tous les nouveaux-nés alors je doute que ce système laisse n’importe qui sachant écrire se défaire de cette imposition...
- «équilibre financier toujours précaire,» Pas sûr que tout ce commentaire soit bien utile...il nous ramène au présent au lieu de nous faire rêver du futur! plus d’imagination serait souhaitable à mon sens.
- Dialogue un peu lourd, un peu faux...Je n’y ai pas cru!
- « elle semble plus vraie qu’une vraie, juste un peu trop usée.» Bof...on commence déjà à comprendre, c’est dommage!
- «Depuis plus de vingt ans, le matériau utilisé était quasiment inaltérable sur le plan mécanique. Au vu de la profondeur des sillons et leur encrassement, cette carte avait certainement plus de trente ans !» Répétition temporelle disgracieuse.
- «Il était persuadé que la carte était vraie» pas besoin de le répéter aussi souvent...on a compris...

De manière générale, je pense qu’il faut aller au vif du sujet, limiter les commentaires personnels qui sortent le lecteur du récit et augmenter le rythme pour créer plus de suspense!
Merci et bonne continuation!

   Asrya   
16/2/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Une nouvelle qui met du temps à démarrer. Pour tout vous dire, j'ai failli arrêter ma lecture dès les premiers paragraphes. Je trouvais le tout lourd et décousu.
Une fois ancré dans l'univers futuriste, votre écrit dessine un certain attrait qui ne m'a pas laissé indifférent. Cette histoire de puce à ADN, le lien avec la fraude à la sécurité sociale ; intrigant.
Alors j'ai continué et me suis laissé immerger dans votre histoire.
La trame a le mérite d'être suivie du début jusqu'à la fin, bien que le mystère derrière le décès (du moins non-décès) de cet homme ne soit pas si alléchant que ça. Cela manque un peu de cachet, de peps ; un peu léger pour accrocher réellement le lecteur (à mon avis).
Mais bon, ça se lit.
Au final, l'histoire est assez banale (malgré l'extraordinaire condition de vie de votre Vincent Bourril). Heureusement que celle-ci est bercée par l'immersion progressive dans votre monde futuriste - un gain d'intérêt indéniable ; j'ai particulièrement apprécié l'utilisation des robot-explorer.

Puis vient la fin. Une fin ? Qui attend une suite ? Ou une fin ouverte - très ouverte ?
Difficile à cerner, un peu frustrant ? Hum oui, mais de la bonne frustration pour le coup. J'aurais aimé en savoir plus. Vous avez réussi à me captiver et à m'intéresser à cette histoire de "vieillesse illusoire" ; c'était pas gagné.

J'ai passé un bon moment à vous lire,
Merci pour cette lecture,
Au plaisir, à bientôt.

   Anonyme   
27/2/2015
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,
Quel dommage, cette histoire.Il y a de bons passages, des situations futuristes dérivées de notre présent ( le drône-exploreur qui n'a pas bien compris le "merde" de surprise de l'inspecteur) sans ces explications entrevues par ailleurs ( la puce par exemple)qui cherchent à bien mettre le doigt sur le comment et le pourquoi de l'évolution, (actuellement, quand on utilise une tablette, on ne se remémore pas les énormes ordinateurs de chez IBM qui emplissaient des pièces entières). Dommage cette histoire, oui, car l'intrigue est intéressante, on a envie de connaître le parcours de ce vieux bonhomme. Il y a plein de pistes, trop peut-être. J'ai lu un petit conseil de Bernard Werber qu'il donnait aux apprentis écrivains: il disait de prendre soin de bien refermer chaque porte entrouverte lors de l'écriture d'une intrigue , d'exploiter chaque détail au risque de perdre le lecteur.
Il y a ici une quantité de bonnes idées à retravailler.
Et bien sûr cette fin. Ce n'est plus une porte entrouverte, mais c'est un pan entier de façade qui s'est écroulé, provoquant un terrible courant d'air.
Bravo pour ce travail mais...
A relire, à reprendre, à élaguer,... et à bientôt.


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