De retour à bord de l’Amérion, tout le monde regagna son poste. Tout le monde, sauf Skofüld qui n’avait pas de poste, et le quadrupède automatique qui ne savait pas trop à quoi s’en tenir, visiblement. Du coup, les deux personnages restèrent à glander dans les environs du sas, et apprirent à faire connaissance. La communication n’était pas aisée – elle était même inexistante, d’ailleurs – et puis en plus le bestiautomatique pesait une tonne et semblait vouloir jouer. Comme un clébard. Car oui, le robot ressemblait à s’y méprendre à un clébard : même morphologie, mêmes gestes stupides, etc. Il ne lui manquait plus qu’une truffe humide, un regard idiot, une langue pendante et de grandes oreilles. Mais non : l’anatomie de la machine se résumait à un tronc flanqué sur quatre pattes. Seuls le sens de la marche et l’aspect des membres propulseurs trahissaient où aurait dû se trouver la tête.
L’engin se mit soudain à bondir en tous sens, puis à tourner autour de Skofüld. « Sérieux, on dirait trop un bon chien », pensa-t-il. Amusé par ce troublant mimétisme, Maïkeule se hasarda à jouer avec le robot, mais après s’être fait mettre au sol une douzaine de fois et gentiment roué de coups, il préféra retourner se coucher, de peur de mourir broyé sous l’imposante machine. Apparemment désappointé de la perte de son camarade de jeu, le robot se mit en tête de parcourir les couloirs de l’Amérion en rasant les murs.
Attiré par un drôle de boucan dans le couloir 290-B attenant à la salle des machines, Klebz sortit sa truffe du générateur à impédance inertielle pour aller jeter un coup d’œil. Il découvrit le robot qui zonait à ne plus savoir que faire, et ses pattes en synthacier résonnaient fortement sur le sol en durociment.
- Eh bin t’en fais du bruit, mon gars ! Viens un peu par là !
Apparemment tout content, le robot vint voir Klebz en courant, puis s’assit devant lui et fit le beau.
- Ouah trop fort ! Bon allez, je vais te mettre des coussinets en élastoplasmide, tu feras moins de bruit comme ça. Paske si tu passes près de Tipek en faisant un boucan pareil, c’est direction le sas et hop ! Dans l’espace !
À ces mots, le quadrupède sembla frémir.
- Putain mais tu comprends ce que je dis ?
Bien que ça ne fut pas super probant, l’engin sembla faire oui avec son corps en se balançant d’un côté sur l’autre.
- Bon allez, je vais essayer de te bricoler, tu m’as l’air d’être un bon gars. Pas comme certains… souffla-t-il en pensant à Wall-ID.
Klebz examina la machine de plus près, puis découvrit une trappe sous le tronc, entre les pattes. Il farfouilla à l’intérieur, puis découvrit quatre ports USB et un connecteur ADSL, ainsi qu’un bicroisé RJ-45. Curieux, il connecta le robot à son u-Pod, puis entreprit de coder quelques routines en Visual Natif. Très vite, il activa toutes les routines d’IA du robot qui semblait avoir été bridé. Il parvint même à compiler et acheminer les signaux vers un vocodeur sonique situé quelque part à l’avant de la machine. Il déconnecta son u-Pod puis alla chercher sa boîte à outils. Quelques coups de meuleuse et de perceuse à angle plus tard, le robot était muni d’un semblant de moignon de queue ainsi que d’une tête de type rottweiler mécanique, flanquée sur un cou à 6 degrés de liberté.
- Tin-din ! hurla Klebz en faisant irruption dans la salle de conférence du vaisseau, où il avait fait réunir tout l’équipage.
Tout le monde resta scotché devant l’espèce de bricolage tout miteux qui avait jadis été un simple robot quadrupède.
- Putain mais qu’est-ce que c’est que ce TRUC ? s’étouffa Von Dutch. - Je vous présente Good-Dog ! C’est notre nouveau copain ! IA réactivée, réseaux de borborygmes syntaxiques recompilés, logique neuronale réimplantée et, surtout, apparence de chien retrouvée ! Il est pas beau notre nouveau bestiau ? - Euh… hasarda Lumi.
Good-Dog se mit à aboyer et à sauter en tous sens en frétillant de la queue.
- Ouais. Il a l’air marrant, fit Hal, à moitié convaincu. On peut le caresser, tu crois ? - Bien sûr !
Aussitôt dit, aussitôt fait. Hal essaya de caresser Good-Dog, qui groumfa de bonheur, avant de se rouler à terre, les quatre fers en l’air.
- Trop bien ! laissa sortir Brossard, conquis.
Good-Dog se releva soudain, fit trois fois le tour de la table en fnoufant, puis alla percuter Tipek pour jouer. Seulement voilà, Tipek était plutôt du genre frêle, et l’impact avec l’énorme museau de Good-Dog fut un gros « Glong » qui, pour le capitaine, fut immédiatement suivi d’un transport sur civière en catastrophe jusqu’à l’infirmerie du vaisseau.
- Tipektipekvousmentendezvousmentendez ? - Hein ? Quoi ? fit le capitaine en se réveillant en sursaut. - Vous allez bien ? s’enquit Lumi. - Qu’est-ce qui m’est arrivé ? fit-il, la gueule pâteuse. - Ah, euh… OH RIEN ! fit Klebz en annulant dare-dare l’ordre d’éjection du canidé mécanique. Vous… ne vous rappelez de rien ? - Je… non ! - Simple surmenage, glissa Lumi en faisant signe à Brossard d’extraire Good-Dog de sa nacelle du condamné. - Bon, fit Tipek. J’ai été assoupi combien de temps ? - Oh, juste quelques instants, hurla Brossard depuis le couloir, avant de cavaler avec Good-Dog pour le redescendre à la salle des machines. - Bien, bien, je vais donc reprendre mon poste, conclut le capitaine en se relevant.
En voyant Tipek sortir de l’infirmerie, Hal contacta Klebz par pensée interposée :
- Tu as intérêt à programmer vite fait une routine d’évitement du capitaine dans le bioprocesseur de ton nouveau copain, si tu veux lui éviter des ennuis ! - Oui oui, c’est justement ce que je suis en train de faire, pensa Klebz en laissant Hal lire sa réponse dans ses pensées. Brossard ! Amène-moi la clé de douze !
Quelques minutes plus tard, Good-Dog était de retour sur le pont principal de l’Amérion. Il joua quelques instants avec Skofüld, qui retourna bien vite se coucher, puis Wall-ID fit irruption. Les deux êtres mécatroniques se regardèrent longuement, dans un silence de mort. « Putain, merde, j’aurais dû ajouter Wall-ID dans la base de données des entités à laisser tranquille », pensa Klebz. « Va y avoir de la tôle froissée. » Mais, finalement, tout se passa bien. Good-Dog fit le beau devant Wall-ID, qui poussa un pépiement charmé et, quelques instants plus tard, les deux compères étaient potes comme cochons. *Content* pensa Klebz, en regardant Wall-ID s’agripper à Good-Dog pour une partie de rodéo endiablée. Amusé par tout ce cirque, Tipek s’approcha du canidé automatique pour lui faire une petite caresse, mais le robot recula d’instinct.
- Eh ben ? fit Tipek, passablement vexé. - Oh, euh… Il doit sûrement sentir, à votre aura, que vous êtes le maître à bord, hasarda Brossard. - Et alors ? - Il vous craint, capitaine, fit Hal. - … - C’est un signe de respect, compléta Klebz avec une intelligence qui ne lui ressemblait pas. - Soit, conclut Tipek, l’air fier de lui et enjoué, avant de regagner ses quartiers.
Les autres membres de l’équipage attendirent quelques instants, puis Klebz lâcha :
- Pfioouu ! C’était chaud, c’t’histoire. Mais je crois que Good-Dog fait définitivement partie de l’équipage.
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