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Réalisme/Historique
Corentin : Tempête de solitude
 Publié le 18/04/12  -  12 commentaires  -  15447 caractères  -  145 lectures    Autres textes du même auteur

Une femme, prisonnière de sa condition physique, fait part de son mal-être existentiel à son logiciel de traitement de texte.


Tempête de solitude


Je m’appelle Virginie.

Et, depuis toujours – c’est-à-dire depuis bientôt trente-quatre ans –, je suis grosse. Mais genre, vraiment grosse. Pour tout vous dire, sur mon iPhone, mon application Santé indique « Obésité morbide », par rapport à mon IMC. Bon, du coup, j’ai une grosse poitrine, mais c’est à peu près tout ce que j’ai à offrir, et manifestement ça ne suffit pas.

Mon seul petit ami est un canard vibrant, mais je suis tellement grosse que c’est à peine si j’arrive à l’utiliser. Je n’ai pas de petit ami, et je n’en aurai jamais, parce qu’il ne faut pas se leurrer : je n’ai rien à offrir à un homme. Bien sûr, je peux toujours être la bonne copine, mais je ne serai toujours que ça. Je ne supporte plus mes « copines » qui me disent que je ne dois pas m’inquiéter, que « la beauté est à l’intérieur », et qu’un mec finira bien par m’aimer. C’est des conneries, tout ça, et je ne suis pas assez conne pour ne pas le comprendre. La beauté intérieure ? Mon cul. Il ne faut pas se leurrer, le physique, ça compte. Ce n’est pas suffisant, ce n’est pas l’essentiel, mais c’est nécessaire. Je sais bien qu’aucun mec – même moche – ne voudra jamais me baiser. C’est une évidence. Et je sais bien que ça ne changera jamais. Parfois, je voudrais être stérilisée, « castrée », je voudrais que mes désirs et mes pulsions s’arrêtent, car à partir du moment où mes désirs ne pourront jamais être satisfaits, à quoi bon ? Je comprends bien que le désir est nécessaire, que c’est une bonne chose – pourvu que le désir puisse être, au moins partiellement, satisfait. Ce qui n’est pas et ne sera jamais mon cas.

Il existe soi-disant des grosses heureuses, des femmes « qui s’assument », comme on dit. Je n’en connais pas. Ou alors, c’est parce qu’elles ne sont pas si grosses que ça. Vous savez, nous, les grosses, les vraies, nous vouons une haine sans borne aux fausses grosses, celles qui se plaignent mais qui sont tout de même jolies, et qui arrivent à sortir avec des mecs. Le mythe de la grosse épanouie, ça fait longtemps que je n’y crois plus. Les séries TV américaines ne ménagent pas leurs efforts pour essayer de nous y faire croire, mais ça ne prend pas. Probable qu’ils essaient de caresser dans le sens du poil les grosses ménagères américaines, je ne sais pas. Mais à part quelques chanteuses, qui prétendent assumer leurs rondeurs – mais font tout de même tout pour maigrir –, moi, je vous le dis tout net : une femme grosse n’est pas et ne peut pas être une femme heureuse. Dire le contraire relève du mensonge ou de la naïveté. Entre nous, vous savez, on parle. Peu. Mais on se comprend. Je sais lire, dans un regard, la tristesse, la souffrance et la solitude. On n’en dit pas plus.

Parce qu’il n’y a rien à redire.

Je suis pionne dans un lycée ou, plutôt, « assistante sociale » comme on dit. Et je ne supporte plus de voir tous ces beaux mecs, et ces belles nanas, qui couchent dans tous les sens, insouciants, changeant de partenaire comme de chemise. Sans déconner, les lycéens – et les collégiens –, aujourd’hui, c’est showtime. Eux, ils baisent dans tous les sens, ils couchent comme ils respirent, ils ne comprennent pas la chance qu’ils ont. Pour moi, le sexe restera un fantasme – à tout jamais. Et, en tant qu’assistante sociale, j’ai droit à la totale. Des jeunes petites pouffes qui viennent me raconter leurs histoires sordides, pensant que je suis leur bonne copine, ou qui viennent pleurer dans mon bureau parce qu’elles viennent de se faire plaquer par un beau gosse – et le lendemain, elles sont déjà avec un autre.

Bref, je suis une grosse frustrée. Un des rares trucs qui me détend, c’est la bouffe. Et je peux vous dire que je suis une putain de bonne cuisinière. Mais je n’ose jamais en parler, et je n’ose jamais inviter personne à dîner (probable que personne n’accepterait, mais ce n’est pas la question). En effet, une obèse qui aime la bouffe, ça attire le mépris. Les gens pensent forcément que je suis grosse parce que je bouffe tout le temps, parce que je ne pense qu’à ça. Les gens pensent que je n’essaie pas de m’en sortir, ils se disent que je ne suis qu’un gros thon fainéant. Bon, je ne peux pas leur donner tout à fait tort, puisque j’ai lâché l’affaire. Mais qu’ils puissent penser que je n’ai jamais essayé, qu’ils puissent penser que je n’ai pas souffert, que je ne me suis pas fait violence des centaines de fois, ça, je ne peux plus le supporter. Je ne leur inspire que du mépris, alors je ne peux plus supporter que l’on me juge parce que je bouffe. J’ai tout essayé. Même l’anneau gastrique n’a pas marché. Mon médecin me l’a fait retirer.

J’aime le McDo, mais j’y vais rarement, et loin, pour ne pas me faire repérer. Je prends toujours à emporter, jamais sur place, pour minimiser le risque d’être jugée. Si seulement ils pouvaient livrer à domicile… Mais ça fait longtemps que je n’y suis pas allée. La dernière fois, j’ai entendu une maman dire à sa petite fille rondouillarde que, si elle continuait comme ça, elle deviendrait « aussi grosse que la dame ». La petite a repoussé son Big Mac. Ca fait mal. C’est comme dans les transports en commun : un jour, un petit jeune m’a laissé sa place, pensant que j’étais enceinte. Je n’ai pas osé dire que j’étais juste grosse, et je me suis assise, toute rouge et les yeux embués, honteuse, laissant mon gras dépasser de chaque côté du strapontin. Un jour, le strapontin sur lequel j’étais assise s’est cassé. Vous ne pouvez pas possiblement imaginer ce que l’on ressent dans un moment pareil.

Je ne vais pas blâmer Dame Nature, je ne vais pas charger ma malchance génétique, je ne vais pas me défausser. Je suis grosse, c’est un fait, mais c’est aussi un fait que j’ai essayé. Mais tout le monde s’en fout. Alors, oui, je cuisine divinement et j’engloutis d’énormes quantités, mais le prochain qui ose me juger, il va tâter de mon gras.

Car même si j’ai plus de bide et de bourrelets que de seins, je suis capable de prendre et d’assommer n’importe qui. Demandez à ce petit con de collégien qui s’est moqué de moi l’année dernière. Je lui ai défoncé sa gueule. Je suis passée en conseil de discipline, mais j’ai eu gain de cause, tant il était manifeste qu’il m’avait manqué de respect au plus haut point. Je suis intraitable, et les élèves savent que je peux les envoyer aux urgences, alors maintenant ils me respectent. J’ai récemment découvert que cela m’avait valu le gentil surnom de « Bulldozer ». Ca n’arrange clairement pas mon cas, et le respect par la peur n’en est pas un, mais de toute façon ma situation est critique, donc je m’en fous. Pire : j’en suis presque fière. C’est vous dire si mon bonheur se réduit à peu de choses…

Un de mes autres rares plaisirs, c’est le cinéma. Je suis récemment allée voir Titanic, lors de sa ressortie en 3D. J’ai pleuré, comme il y a quinze ans. J’étais un cliché ambulant : une petite grosse, toute seule, en train de pleurer devant le corps de Léo en train de couler, embuant mes lunettes 3D, en train de serrer très fort mon pop-corn. Mais je n’aime pas que le cinéma pour midinettes. Je suis aussi une pure geek. L’autre jour, je suis allée voir Prometheus, le « prequel » d’Alien, et j’ai pris mon pied comme jamais. Cela faisait depuis 1993 que j’attendais de voir un vrai épisode d’Alien. Depuis Alien 3, en fait. Je passe sur Resurrection, très moyen, et je ne parle même pas de ces daubes infâmes que sont les deux épisodes d’Alien Vs Predator. Quand le cinéma est aussi mauvais, je suis désolée, mais je préfère me réfugier dans les jeux vidéo, et faire chauffer ma Xbox 360. Les scénars des jeux sont parfois moins cons que les blockbusters hollywoodiens, et puis je peux sauver la Terre toute seule dans mon coin, en fantasmant sur mon beau gosse de héros, sans avoir besoin de Bruce Willis pour récolter tous les honneurs. Je suis fière de mon commandant Shepard et j’ai pris un plaisir phénoménal sur Mass Effect 3. Oui, je suis une geek, et j’assume. Je suis tellement geek que j’ai acheté Kinect, le système de reconnaissance de mouvement de Microsoft. C’est le seul sport que je pratique, et je suis absolument sûre de pouvoir foutre la branlée à n’importe qui sur Dance Central 2.

J’aime aussi la plage. Mais vous imaginez bien que je n’ose pas y aller. Déjà que, habillée, les gens me dévisagent et se foutent de moi, se demandant probablement comment il est possible d’être aussi grosse, alors, en maillot de bain, ce n’est même pas la peine. En maillot une pièce, je suis immonde, je le sais. Et en bikini, il paraît que je suis « à gerber ». J’ai l’air d’en parler facilement, ici, à l’écrit, mais je peux vous dire que je suis terriblement blessée. Meurtrie. C’était en août, il y a dix ans. J’ai surpris une conversation de petits jeunes, qui devaient avoir quinze ans. Et je ne m’en suis toujours pas remise. Car, soyons clairs : je le sais bien que je suis laide. Mais entre le savoir et l’entendre, surtout en ces termes, il y a un monde. Toute vérité n’est pas bonne à dire, encore moins à souligner de la sorte. J’ai pleuré pendant une semaine, et aujourd’hui encore j’ai mal en y repensant.

Je vous livre tout, là, à l’écrit. Le flux de ma pensée est fluide, continu, mais c’est parce que je m’adresse à mon logiciel de traitement de texte. Jamais je ne tiendrais ce discours en face de quelqu’un, même en face de mes « amis ». Car c’est une chose que d’être malheureuse, mais c’en est une autre que de l’avouer, de le dire, d’en parler. Je sais bien que l’on dit que cela fait du bien de parler. Mais dans mon cas, il ne s’agit pas de parler, il s’agit de dire que ma vie est un océan de tristesse et de solitude, il s’agit d’avouer que ma vie est un échec absolu. Et je suis trop fière pour ça. Je suis une ratée, je le sais, alors, à quoi bon en parler ? Je l’écris, c’est déjà ça, et c’est bien suffisant. Dans la vie de tous les jours, je joue l’esquive, la feinte, le faux-semblant. Je n’ose pas aller jusqu’à prétendre que je suis heureuse, mais quand on me pose la question, je réponds que ça va. De toute façon, qui a envie d’entendre la vraie réponse ? Il s’agit d’une question purement protocolaire ; c’est une question qui, en réalité, n’appelle même pas de réponse. Et même aux personnes qui se soucient réellement de moi (il n’y en a pas beaucoup, disons qu’il y a ma mère), je leur dis que ça va. Car, comme je l’ai déjà dit, je suis trop fière, et puis, de toute façon, ça changerait quoi ? Qu’est-ce qu’elle pourrait bien y faire, ma pauvre mère, si je lui expliquais que j’étais malheureuse au cube ? Ça lui ferait du mal, ça la rendrait triste, et puis c’est tout. J’aurais honte d’avouer mon malheur, et je la rendrais malheureuse elle aussi. Alors à quoi bon ? Je fais semblant d’aller bien. Mes rares amis prennent gentiment le soin de ne pas me questionner sur mes amours inexistantes. Un accord tacite stipule que les mecs n’existent pas, que je ne m’y intéresse pas, et par conséquent que je n’ai aucune raison d’être malheureuse, comme si j’étais un être asexué dans un monde asexué. Ce même accord stipule que mes amies ne me parlent pas de leur mec, qu’elles ne me racontent pas leur bonheur. Quant à mes amis de sexe masculin, pas besoin d’accord, ils sont juste trop stupides – dans le bon sens du terme – pour en parler.

Il y aurait bien la solution du tourisme sexuel. Je me suis renseignée sur Internet, et il paraît que pour une somme tout à fait abordable je pourrais me payer un Sénégalais bien membré. La poutre de Bamako, vous connaissez ? Il paraît que, là-bas, moyennant finances, c’est à ma portée. Mais je n’ai pas osé. Je ne dis pas que je n’y pense pas souvent, et je ne dis pas que je ne me laisserais jamais tenter. Mais je n’ose pas. Je veux bien croire que tout s’achète, mais il faut être lucide, je suis vraiment repoussante. Je n’ose imaginer le sentiment de honte qui me frapperait si je n’arrivais même pas à m’acheter un homme. Et puis, de toute façon, je suis trop timide, et trop naïve. J’ai entendu des histoires complètement dingues, il paraît que l’on tombe sur des arnaqueurs de haute voltige. Me connaissant, je ne franchirais même pas indemne les portes de l’aéroport de Dakar. Tout ça fait que je n’ose pas. Et puis, avec ma chance, j’attraperais une saloperie sexuellement transmissible. Excusez-moi d’être pessimiste, mais avouez que je ne pars pas avec tous les atouts de mon côté.

Le seul domaine dans lequel je suis performante – outre Dance Central 2 –, ce sont les VDM : les « Vies de merde ». C’est un site internet, assez connu, où chacun raconte ses malheurs quotidiens. Comme je suis plutôt vernie de ce côté, hé bien, j’en fais profiter la blogosphère. Je pense pouvoir dire que je suis la plus grosse contributrice de VDM. Dans les deux sens du terme. Ce n’est pas glorieux, mais bon, je fais mourir de rire les gens, et c’est toujours ça de pris, je suppose. Tenez, ma dernière VDM : « Aujourd’hui, j’ai voulu faire des pompes, mais mes bras ne m’ont même pas freiné pendant ma première descente, et je me suis cassé le nez. VDM. » C’est un grand classique, je vous l’accorde, et j’ai un tantinet exagéré, puisque je ne me suis pas réellement cassé le nez. Mais je sais bien que tout le monde – ou presque – enjolive ses histoires sur VDM. Et puis, au final, peu importe que ce soit vrai ou faux, l’important c’est que ce soit drôle. Enfin, c’est mon avis, en tous cas.

Pour vous dire à quel point ça va mal, l’autre jour, j’ai appelé un numéro spécialement conçu pour ceux qui pensent au suicide et qui ont besoin de parler. J’ai attendu dix minutes avec de la musique classique en fond sonore, et puis, quand une belle voix masculine a enfin décroché, la ligne a coupé. Je dois avouer que c’était assez théâtral. J’ai cherché le coupable. Je l’ai vite trouvé : Gribouille, mon chat, en train de jouer avec les fils de ma box internet. J’ai évidemment posté ça sur VDM, sans mentionner le mot « suicide », parce que je ne voulais pas que quelqu’un appelle les secours, ou quoi que ce soit. Je ne pense pas que les pompiers puissent me retrouver, et je doute même assez franchement que quelqu’un se soucie d’une inconnue sur Internet, mais je n’ai pas voulu prendre le risque.

Je n’en veux pas à Gribouille, parce qu’il est à la fois trop mignon, trop gentil et trop stupide pour mériter mon ressentiment. Gribouille, c’est ma petite boule de poils, c’est mon ami. Il est tout doux, il ronronne, et il ne me juge pas. J’adore le serrer dans mes bras. Des fois, je mesure l’étendue du désert intellectuel qui nous sépare, et je voudrais qu’il soit intelligent, pour qu’on puisse parler. Puis, je me dis que, s’il était intelligent, il ne voudrait probablement pas me parler. Alors, je me dis que la meilleure solution serait que ce soit moi qui le rejoigne dans son monde, où l’intelligence n’existe pas, et où l’on peut se vautrer dans le bonheur de l’instant, se contenter de manger, de dormir et de buller. Mais la vérité, c’est que je suis un être humain, je suis douée d’intelligence, capable de souffrir, et je comprends que je ne pourrais jamais être heureuse. Je préférerais être un ruminant, une grosse vache – je n’en suis physiquement pas loin –, pour qui l’horizon intellectuel se limite au foin et à l’abreuvoir, qui ne se pose pas de questions, et qui n’a donc aucune raison d’être malheureuse.

La vérité, c’est que je suis un être fait de souffrance, et que personne parmi vous ne peut avoir la moindre idée de ce qu’il se passe dans la tête d’une grosse.


 
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   Anonyme   
2/4/2012
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Bon, c'est impeccable. Vraiment. Net, intelligent, lucide et désespéré. Pour moi, une superbe réussite. J'apprécie notamment que la narratrice, tout en prenant acte de sa souffrance et la livre sans fard, ait un recul suffisant pour user d'humour.
Un bémol toutefois sur des notations comme "Enfin, c’est mon avis, en tous cas." qui ne me paraissent pas utiles. Tout le texte donne le point de vue de la narratrice, je trouve redondant de l'expliciter.
Un autre sur la dernière phrase, qui clôt le texte et devrait à mon sens être l'occasion de balancer une baffe au lecteur : elle se contente de synthétiser ce qui a été dit, et je trouve cela un peu dommage.

"La beauté intérieure ? Mon cul." : alors, ça, j'aime (fond) et j'approuve (forme). Lapidaire !

   Anonyme   
10/4/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Texte bien écrit qui se partage entre drame et un certain humour noir mais qui m’a laissée sur ma faim.
Tout le long du texte je suis partagée entre : des remarques justes : « Il ne faut pas se leurrer, le physique, ça compte. Ce n’est pas suffisant, ce n’est pas l’essentiel, mais c’est nécessaire. » ou convenues ?
Il suffit de regarder autour de soi pour voir des personnes en couple que l’on pourrait qualifier de très laides, et d’autres belles qui ne parviennent pas à trouver l’âme sœur.

Remarques assez poignantes : « Parfois, je voudrais être stérilisée, « castrée », je voudrais que mes désirs et mes pulsions s’arrêtent, car à partir du moment où mes désirs ne pourront jamais être satisfaits, à quoi bon ? »
« Dire le contraire relève du mensonge ou de la naïveté. Entre nous, vous savez, on parle. Peu. Mais on se comprend. Je sais lire, dans un regard, la tristesse, la souffrance et la solitude. On n’en dit pas plus.». Bon d’accord, mais je ne suis pas certaine que c’est aussi absolu, je pense que la réalité est beaucoup plus oscillante. Il peut y avoir un mélange d’espoir et de résignation.

« Et, en tant qu’assistante sociale, j’ai droit à la totale. Des jeunes petites pouffes qui viennent me raconter leurs histoires sordides, pensant que je suis leur bonne copine, ou qui viennent pleurer dans mon bureau parce qu’elles viennent de se faire plaquer par un beau gosse – et le lendemain, elles sont déjà avec un autre. »
Bien vu le côté frustrant d’une telle situation.
Bien vu aussi, le fait que tout le monde pense qu’elle mange mal ou de trop et qu’il suffirait de faire un régime pour maigrir. Bien vu, mais aussi bien connu, trop bien connu, peut être.
« J’ai l’air d’en parler facilement, ici, à l’écrit, mais je peux vous dire que je suis terriblement blessée. Meurtrie. » Là, pour moi ça passe nettement plus mal, être profondément blessée s’exprime beaucoup plus difficilement qu’avec cette impression de distance.

Et pour finir que l’animal de compagnie pour rompre la solitude. On aurait pu lire la même trame de texte avec une vieille personne solitaire. Il manque pour moi une certaine singularité.

En résumé, le texte se lit fort bien ce qui en soi est déjà beaucoup, l’écriture est bien adaptée au propos, mais pas une seule fois je n’ai ressenti cette confidence comme pleinement crédible. J’ai toujours su que je lisais un texte écrit par un auteur. Et c’est là que cela me gêne beaucoup. Je l’explique par le côté convenu et attendu des propos. La réalité est plus complexe et subtile, à mon avis. Dommage.
Merci à l’auteur .

   toc-art   
18/4/2012
bonjour,

je n'ai pas été vraiment convaincu à la lecture de ce texte, et ce pour plusieurs raisons :

- je trouve la justification de l'écrit, l'angle de vue choisi, quand même très maladroite et lourde ; j'ai eu le sentiment, peut-être à tort, que l'auteur savait que la forme choisie n'était pas totalement convaincante et qu'il s'évertuait à s'en convaincre lui-même autant que le lecteur (en répétant notamment qu'il s'adressait à son ordi).

- ensuite, la situation professionnelle ne m'a pas parue crédible une seconde. Déjà, je ne crois pas que pionne soit assimilé dans l'inconscient collectif à assistante sociale, mais plutôt à garde-chiourme le plus souvent, de la part des élèves en tout cas, surtout face à un tel dragon. Et puis surtout, qu'elle puisse conserver son poste et se forger une réputation en envoyant un gosse à l'hosto, c'est à mon sens carrément improbable, voire grotesque.

- j'ai eu du mal aussi avec la vision qu'elle a des jeunes qu'elle côtoie tous les jours. Je veux bien que ses frustrations obscurcissent son jugement, mais tout de même, elle semble assez lucide par ailleurs, du coup, sa vision de la sexualité des jeunes m'apparait vraiment loin de la réalité, bien plus complexe, du rapport qu'ils entretiennent avec la sexualité.

- j'ai relevé d'autres incohérences, notamment sur le comportement de la narratrice. Je doute par exemple qu'une fille aussi mal à l'aise prenne le risque de s'exposer en situation humiliante à la vue de tout le monde au cinéma, surtout à notre époque où il est bien plus confortable de louer ou acheter des dvd ou de les télécharger.

- autre chose qui me semble relever d'une méconnaissance du sujet : l'obésité féminine, contrairement à ce qu'on croit généralement, peut être très recherchée ; dit comme ça, ça peut paraître glauque mais y a des amateurs et je me dis qu'à 34 ans, avec la maîtrise qu'elle a d'internet et dans l'état de frustration où elle est, elle a forcément eu connaissance de ces préférences chez certains et donc, le caractère définitif de ses assertions sur l'impossibilité de combler ses désirs apparait étonnant, pour le moins.

Voilà, ce sont plein de petits détails, certes, mais qui devraient forger le réalisme psychologique et comportemental de votre narratrice et le desservent dans ce texte, le rendant peu crédible à mes yeux et me donnant le sentiment d'une gageure littéraire et stylistique (et si je me mettais dans la peau d'une grosse) sans emporter mon adhésion. Le choix du je de narration est toujours risqué. S'il crée d'emblée une empathie avec la narratrice et lui accorde spontanément une certaine authenticité, dès lors que cette authenticité n'est pas étayée par une psychologie cohérente et crédible du personnage, l'artificialité du récit saute à la gueule du lecteur que je suis.

Ah, et une dernière chose, je n'aime pas du tout la dernière phrase, d'abord pour ce "je suis un être fait de souffrance" que je trouve vraiment pas naturel et dans le ton général du texte et aussi pour l'adresse appuyée au lecteur, procédé qui me gêne très souvent (sauf quand c'est moi qui en use ! :-D )

C'est dommage parce que le ton, lui, entre amertume et humour désespéré, me semble plutôt bien vu.

Mais ce n'est bien sûr que mon opinion et je me trompe peut-être du tout au tout.
Bonne continuation.

   alvinabec   
18/4/2012
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,
La forme choisie pour ce type de "confidence" est, à mon sens, très pertinente: le fait de se répandre devant son traitement de texte comme le seul "ami" compatissant aux malheurs de la narratrice.
Pour ce qui est du fond, on comprend la plainte de Virginie, son verbe geignard et revanchard...On oscille entre un spectacle d'auto-flagellation à peine effleuré et une séance de satisfaction narcissique comme bénéfice secondaire de l'obésité morbide. Nous avons là un pauvre constat sans lendemain auquel il est difficile d'adhérer...Votre héroïne, si l'on suppose qu'elle est normalement cortiquée et crédible, pourrait-elle avoir des projets plus élevés que le plancher des vaches?
A vous lire...

   Anonyme   
18/4/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour
J'attendais cette nouvelle avec circonspection, croyant savoir que vous êtes plus versé dans la SF, et j'imaginais déjà les mésaventures d'un aéronef pris dans une épouvantable tempête...

L'écriture est souple et se lit aisément. J'ai noté quelques petites bricoles et vous en fait part au cas où :
Inutile de préciser "par rapport à mon IMC". On sait que le problème est là dès les premières lignes : "Je suis grosse. Mais genre, vraiment grosse."

Ici :
"je peux toujours être la bonne copine" ... "Je ne supporte plus mes « copines »"
"C’est des conneries, tout ça, et je ne suis pas assez conne"

Curieusement, la répétition du mot "désir" ensuite - rien de moins que quatre fois dans les trois lignes qui suivent - ne me dérange pas.

Ici aussi : "ou qui viennent pleurer dans mon bureau parce qu’elles viennent de se faire plaquer"

Ensuite, je me suis laissé guider par le récit.

Au sujet des pompes qu'elle dit faire... j'ai été étonnée qu'elle dise qu'elle a exagéré un peu, "qu'elle ne s'est pas réellement cassé le nez " Or à mon sens elle ment sur toute la ligne car si elle est aussi grosse qu'elle le dit comment ses bras peuvent-ils la porter ?

J'aime beaucoup le sujet, la façon dont le texte est écrit, j'apprécie que ce soit un homme qui ait écrit et décrit cette femme et son état cependant je trouve que les mots manquent de punch. Il en faudrait plus (uniquement selon moi) dans le dénigrement et plus de colère aussi.
Ce qui n'empêche pas l'humour, bien au contraire, mais l'humour vache. Vraiment vache. Il y a il me semble trop de respect ici pour la femme et sa souffrance. Si c'était vraiment elle qui écrivait, je ne crois pas qu'elle y serait allée avec autant de retenue.

Un très bon sujet, rarement abordé qui plus est.
Merci pour cette lecture.

   Anonyme   
18/4/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Comme Coquillette, ça me rend circonspecte, l'idée d'un texte comme celui-là, je me méfie, je flaire, je tourne autour... C'est un très bon texte, c'est un regard social, c'est un regard humain, c'est un regard actuel, c'est la vdm des temps bourgeois et c'est hyper bien raconté. Non, on ne sait pas cette souffrance mais ce texte est tout ce qu'il y a de bon en matière de récit, construit, bien foutu. Il donne à entendre le malaise et la solitude.

Je demande ça à un texte ici, je l'ai dit sur un forum : qu'il m'étonne.

Corentin, merci de m'avoir étonnée.

   littlej   
19/4/2012
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bonjour Corentin,

Je suis très intéressé par les oeuvres qui offrent un regard très focalisé sur l'autre, qui révèlent une grande part de son intimité. Elles invitent à plus de compassion, de compréhension. Et c'est finalement ce que réclame la narratrice. Le plus obsédant pour elle, c'est le regard de l'autre. Ce texte est donc d'abord un cri de révolte teinté d'amertume.

Le choix du je était, d'après moi, inévitable, justement pour permettre une vraie exploration de l'intimité du personnage, d'une part, et d'autre part de favoriser l'empathie du lecteur. L'autre bon choix, c'est le langage et la référence à l'actualité, à l'époque. La narratrice parle, en effet, un langage commun qui rend, du coup, l'identification plus aisée, et les références nous disent simplement que Virginie vit dans le même monde que nous, avec nous.

Mais si ce désir assumé de vraisemblance est une des qualités du texte, il en est quand même aussi le défaut dans la mesure où vous le poussez à une certaine limite à partir de laquelle il n'y a plus de différence entre l'oeuvre d'art et la confession qu'on peut lire, et n'y voyez aucune forme de mépris, ici ou là sur Internet.

Je crois voir dans cet excès de réalisme une volonté de sincérité, un refus du mensonge, de l'artificialité littéraire, par respect à la souffrance des personnes qui partagent le combat de Virginie. Sauf que le mensonge, l'artifice de l'art littéraire peut être mis au service de la vérité, et sert même, souvent, à explorer et masquer une vérité profonde. C'est un lieu commun, mais vous semblez l'avoir oublié ici. Cette nouvelle manque d'unité. Une histoire aurait servi justement de fil conducteur à cette confession, finalement, assez éparpillée.

Et pour finir sur un point positif, j'ai bien aimé l'absence quasi totale d'humour... enfin, j'espère que c'était voulu ! Cette absence de dérision rend votre personnage plus vrai. En effet, la figure de la grosse, bonne copine et super drôle était d'après moi une facilité et, même, un choix grossier. Là, vous avez clairement fait preuve d'originalité en nous montrant un visage plus authentique.

Une confession réaliste donc, mais trop réaliste à mon goût.

   marogne   
19/4/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Un peu dommage - pour moi - la dernière phrase.

Mais un texte vraiment surprenant, et qui laisse quelque chose. Je crois que jamais plus je ne regarderai une grosse, une vraiment grosse sans penser à ce texte. Pourquoi?

Il y a des répétitions inutiles, disgracieuses, le texte est lourd, des phrases qui mériteraient peut être de se voir dynamiser, mais il porte, et on n'a pas envie de le laisser là avant la fin.

Sans doute parce qu'il sonne vrai, parce qu'il allie lucidité et retenue, parce qu'il est respectueux, parce que.... Parce qu'il réveille quelque chose en nous que nous n'avions jamais osé exprimé. j'étais assis, sur un strapontin, dans le métro cette après-midi, devant un vraiment très gros. J'avoue, je l'ai plaint, je me suis dit quelque part qu'il n'avait pas de chance, que ce ne devait pas être facile, qu'il ne fallait pas donner l'impression de le fixer pour ne pas lui faire "du mal". Oui, mais je n'ai ressentie cette expression de souffrance, ou plutôt je ne me suis pas dit combien, peut-être il souffrait. Cela n'aurait rien changé sans doute, peut-être mon regard.

Et je lis ce soir cette nouvelle.

Oui, un bon texte, un grand texte, qui restera dans ma mémoire et dans mon regard sur les autres.

Merci pour cela.

   AntoineJ   
5/5/2012
 a aimé ce texte 
Bien
c'est bien écrit et crédible. cela touche à l'autobiographie parfois ...
cela reste entre la déprime et l'humour et les sentiments affleurent

j'aurais ajouter un élément extérieur (dialogue ? rentrer plus dans la scène au cinéma ?) pour impliquer plus le lecteur

   liryc   
12/5/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Pas facile d'écrire un tel texte sans tombé dans le pathétique ennuyeux. Ce n'est pas le cas ici.
J'ai été happé dès les premières lignes, et mes a priori sont tombés. Et j'ai continué en découvrant ce portrait captivant de ligne en ligne. Bravo donc pour la force des mots, la fluidité, l'unité de l'ensemble et l'humour qui prend toute sa force sur ce socle de souffrance. magnifique. Il est vrai que la dernière phrase n'apporte rien.
Liryc

   Anonyme   
14/5/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Un bon rythme général, imitant le flot d’une première séance de psychanalyse. Je suis entré facilement dans le texte, chose exceptionnelle en ce qui me concerne avec les textes d'Oniris. Un tableau authentique de la solitude ordinaire de l’individu dans la société contemporaine, qui ne touche pas que les obèses.

   Pepito   
31/5/2012
Texte captivant, que l'on lit d'une traite, dans l'attente d'une fin en apothéose... qui ne vient pas.
Peut-être attendais-je, très sadiquement, un suicide ?
Ou, au moins, une grosse explosion de colère ?
En tout cas une action quelconque transformant ce texte en autre chose qu'une longue complainte plaintive et auto-flagellante.
Une action d'éclat qui m'aurait libéré du malaise.

Malaise prouvant, par ailleurs, que ce texte est bon.

Pepito

PS : Niveau cinéma, je préconise Bagdad Café


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