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Réalisme/Historique
Cox : Histoire de chat
 Publié le 16/03/24  -  10 commentaires  -  11806 caractères  -  96 lectures    Autres textes du même auteur


Hm ?
Mais qu'est-ce que vous avez à me regarder comme ça, avec vos gros yeux globuleux ? Z'avez pas un texte à lire ?

Eh, mais… C’pas vrai, ça !
Vous commencez vraiment à me rendre dingue, laissez-moi tranquille ! Qu'est-ce que vous perdez votre temps à lire ces lignes en tout petit et en italiques ? Vous allez vous niquer les yeux !
Cassez-vous, j'vous dis ! J'vais m'énerver. Allez-lire-le-bon-Dieu-de-texte.
Pas possible, ça…


Histoire de chat


Entre les flaques qui marbrent le trottoir, un jeune chat déambule avec nonchalance. La patte légère et la tête haute, curieux, il trottine au hasard en profitant pleinement du calme de fin de soirée. On dirait presque qu’il s’amuse à faire jouer la rousseur de son pelage sous le jaune semblable qui tombe des lampadaires fatigués. Son pas sautillant l’amène d’un spotlight au suivant, en balançant de droite à gauche son petit cul rose et plissé qui pointe l’interrogation de sa queue. Il s’immobilise de temps à autre, battant de l’oreille gauche en réponse à un bruit audible de lui seul, avant de reprendre sa promenade avec la même sérénité. Il est seul dans la rue, il se sent seul dans la ville ; maître paisible de son petit royaume de nuit connu par cœur.

Arrivé à la hauteur d’un groupe de poubelles poussées contre la façade d’un immeuble, il fronce un museau inquisiteur avant de s’approcher. Il saute avec facilité sur le couvercle et s’essaye à quelques coups de pattes peu convaincus pour tenter d’ouvrir celle de droite, plus par désœuvrement que par intérêt. Il abandonne cette idée après quelques essais et s’assoit sans rancune, satisfait d’en faire au moins un trône le temps d’une toilette rapide. Lancé dans des contorsions, il remarque bientôt que la fenêtre qui se trouve juste au-dessus de sa poubelle est entrouverte. Elle donne de toute évidence sur l’appartement du rez-de-chaussée.

Ah ! Ça vous intrigue un chat, une affaire pareille. Il se tourne, hésite, puis pose une patte timide contre le mur de brique en se dressant sur ses pattes de derrière. Étiré de tout son long, il n’est toujours pas assez haut pour regarder à travers la fenêtre. Mais ses moustaches en frémissent d’intérêt, tendues en avant comme pour palper l’inconnu. Il reste paralysé un moment avec cet air idiot du félin qui pèse sa trouille contre sa curiosité. Finalement, cette dernière l’emporte et des tortillements gagnent sa croupe ; il va s’élancer. Dans un saut si prudent qu’il paraît presque lent, si feutré qu’il semble n’être qu’un pas, il atteint l’appui de fenêtre. Il y restera une bonne minute, ramassé, silencieux, les deux oreilles tendues pour s’assurer que la voie est libre. Quand il est bien certain que l’endroit est vide, il se laisse enfin couler dans la pièce faiblement éclairée à la lueur d’une lampe de bureau qu’on aura oublié d’éteindre.


Le contraste dans la démarche du matou est saisissant. Plus de sautillements, plus de balancements joviaux : tout n’est que lenteur. Précision. Sorti de son territoire, le roi s’est fait rôdeur, et voilà que ça glisse dans l’ombre comme ça paradait dans la lumière. Rasant le mur sur sa droite, il laisse son pelage frotter contre les pans d’un vieux pardessus en tweed accroché là. Hésitation, lorsqu’il passe devant un grand classeur à tiroirs : prendre de l’altitude le rassurerait mais la tôle est trop lisse pour tenter l’escalade. Ça demande réflexion cependant, et il restera un moment à l’arrêt au pied du meuble pour considérer les hauteurs, tendu et pensif. Le regard perdu dans la demi-pénombre, on le croirait occupé à contempler la décoration qui n’a pourtant pas grand intérêt : seule une photo de famille orne la tapisserie démodée de ce mur. Les parents souriants ont chacun un bras autour des épaules de leurs deux filles, adolescentes radieuses. Heureusement, le félin finit par se détacher de ce tableau quelconque pour progresser vers le mur d’en face : il y a là un large bureau où il sera plus facile de grimper.


Mais la pièce est retorse et truffée de pièges… Malgré un saut gracieux, il atterrit en plein sur un éclat de verre qui lui entaille légèrement le coussinet ! Pourtant, pas un miaulement ne s’échappe de l’explorateur qui en a vu d’autres. La coupable ? Une licence AEC de détective privé au nom de Richard Bukowski. Dûment encadrée, elle avait sans doute été accrochée au mur avec fierté : on voit encore le clou auquel on l’avait suspendue à côté d’autres distinctions d’ex-flic. Mais on a dû la faire tomber : elle se retrouve à plat sur le bureau, verre fêlé.

La mésaventure ne suffit pas à décourager notre héros. Il agite sa patte avec agacement, mouchetant la boiserie de toutes petites taches de sang. Tant pis pour le propriétaire, il n’avait qu’à mieux ranger. Puis, comme par vengeance, il donne quelques petits coups de griffes dans un trousseau de clés qui traîne là. Le tintement l’amuse, et il fait durer le jeu avant d’envoyer au sol cette paire de clés et les deux badges d’Alcoolique Anonyme. « 6 mois » et « 1 an », crient-ils toujours fièrement depuis le parquet. Le chat est très satisfait.

Il s’est détendu, et continue son parcours sur le bureau en minaudant un peu. Relâchement fatal ! Le danger le guette à chaque pas : il bondit soudainement en arrière, manquant de se ramasser au pied du meuble. Une menace est passée dans l’ombre, dans sa vision périphérique. Tout recroquevillé, le poil hirsute, il braque ses deux yeux effarés vers l’origine du mouvement. Plus un souffle ! On peut presque la sentir, la peur qui écarquille ses pupilles, la haine qui brûle dans ses muscles crispés ! Son petit être tout entier est pris par une question vitale : quelle est cette forme meurtrière qui a remué à seulement quelques centimètres de lui ?

Son reflet. Ce n’était que son reflet, passant sur le cadre d’une petite photo posée à côté de l’ordinateur. Il lui faudra bien longtemps pour le comprendre. Car la majesté et la grâce du chat ne doivent pas nous faire oublier sa profonde stupidité. Ainsi, il dévisagera avec incompréhension l’image de cette jeune fille souriante. Reconnaît-il que c’est l’une des enfants du portrait précédent, maintenant devenue plus âgée ? Ses cheveux sont teints en roux, un piercing a fleuri sur son nez et un joli tatouage de ronces s’enroule maintenant autour de sa main mais son sourire n’a pas changé. Non, pour le chat peu importe. Il ne cherche qu’à se remettre de ses émotions, en avançant prudemment vers l’objet pour le renifler avec circonspection, comme si la chose pouvait à tout moment lui sauter à la gorge. Il se redresse enfin, mais gardera une certaine méfiance envers le portrait.

Pour se passer les nerfs, il décide de se diriger vers un panneau de liège fixé au mur derrière l’écran d’ordinateur, et de s’y faire les griffes. Ah, oui ! Là oui, d’accord. On se sent tout de suite beaucoup mieux… Il met un entrain cathartique à ruiner le panneau, tirant sans retenue sur ses griffes fermement enfoncées, jusqu’à faire voler des morceaux de liège partout. Il n’a aucune considération pour les coupures de presse affichées en désordre sur le panneau en question, gros titres d’où ressort clairement un mot : « le Collectionneur ». Non, décidément, cette matière est faite pour soulager ses petites pattes stressées ! Arc-bouté contre le mur afin de déployer toute sa force, il continue sa destruction avec une jouissance et un sadisme croissants, envoyant voler au passage le dernier article de journal épinglé. Celui-ci s’élance dans les airs, puis retombe en tanguant avec lenteur, comme pour laisser flotter plus longtemps son titre imprimé en larges caractères :

« La jeune Mathilde Bukowski retrouvée morte : septième victime du Collectionneur ».

Le chat se calme enfin. Apaisé par cette distraction, il en profite pour lécher sa patte coupée qui ne saigne déjà plus. Puis il veut reprendre sa route mais il a déjà fait le tour du bureau. Il enjambe donc un téléphone fixe posé dans un coin pour sauter au sol. Il se déplace maintenant avec plus d’assurance. D’un pas presque tranquille, il vient rejoindre un fauteuil en cuir dans le côté droit de la pièce. Il y grimpe, et sa confiance est telle qu’il commence à décrire des cercles, caractéristiques de l’animal qui recherche la position idéale pour une sieste. Il se pose doucement et se pelotonne, mais on sent bien à ses oreilles dressées et ses yeux écarquillés qu’il est encore sur le qui-vive. Il repose son menton sur le fauteuil sans vraiment se détendre. À côté de lui, posées sur un guéridon, on aperçoit une bouteille de whisky aux trois quarts vide, ouverte et renversée sur la tranche, ainsi qu’une cuillère largement roussie en son centre. Au pied du fauteuil, englués dans une flaque de whisky séché, un briquet et une seringue brisée.

Est-ce que le chat aurait fini par s’endormir ? On ne le saura pas car, soudain, un bruit strident déchire le silence ! Le matou s’envole dans un bond grotesque et disparaît dans les ombres. Le téléphone sonne. Bien sûr, personne n’est là pour y répondre, et ce n’est pas le félin qui s’y risquerait. Alors le téléphone continue de sonner.

Puis il s’arrête. On entend un petit cliquetis… Une voix s’élève du téléphone. Elle est féminine. Elle est lente, elle est douloureuse. « Papa… » Celle qui laisse ce message doit marquer une pause pour se contenir.

« Papa, je t’appelais parce que j’ai des news. Ton ancien collègue…, le commissaire Sierra, est passé cet aprèm. Il voulait… prendre des nouvelles, tu sais… De nous. Et de toi, mais on lui a dit que tu n’es pas beaucoup à la maison ces derniers temps. »

Pause. Pas de signe du chat.

« Enfin, bref… Il est passé et il a pris un café avec nous. Maman, tu sais, elle l’a jamais trop aimé ce type, mais je crois que ça lui a vraiment fait du bien qu’il passe, juste… humainement, tu vois. Enfin, non c’est pas de ça que je veux te parler. En fait, voilà : il a reçu un appel à un moment, Sierra. Et quand il a décroché, je pouvais entendre le gars qui parlait à l’autre bout. C’était un flic aussi. Et il disait qu’ils avaient trouvé une correspondance pour… Pour l’ADN du Collectionneur. »

La voix paraît à bout de souffle. Pause. Elle reprend, prête à se briser.

« Sierra n’a pas voulu m’en dire plus, mais je l’ai vu dans ses yeux. Ils vont enfin le choper ce sale fils de pute, tu comprends ? On va trouver celui qui… qui a tué Mathilde… »

Sanglots. Respiration difficile.

« On va enfin l’avoir… Reviens papa, repasse à la maison. C’est fini. On veut être avec toi, on a besoin de toi aussi. »

« Je t’aime, rappelle-moi. »

Cliquetis final, la voix s’éteint et le calme revient dans la pièce.

Toujours pas de chat en vue… Non, mais une trace de son passage : en retombant lourdement au sol dans sa fuite paniquée, il semblerait qu’il ait soulevé une des lattes du parquet. Elle devait être mal fixée. D’ailleurs, en y regardant de plus près, il semblerait qu’il y ait comme une cavité sous la planche démise. Et dans cette petite niche, une boîte. Rectangulaire, tout en longueur, elle est simple et élégante : un cadre de bois noir avec un fermoir en argent et une vitrine par-dessus, comme pour exposer son contenu.

Le contenu : sept index humains, en parfait état et rigoureusement alignés, rangés côte à côte. La finesse des doigts, leur peau lisse et leur manucure laissent supposer qu’ils appartenaient probablement tous à de jeunes filles, adolescentes ou peut-être jeunes adultes. Le septième de ces index se remarque, clou de la collection : il est parcouru d’un joli tatouage de ronce qui s’enroule et remonte jusqu’à la deuxième phalange.


Mais voilà qu’un petit son humide se fait entendre. Il faut se détourner du coffret, ignorer la boîte de clozapine éventrée sur le parquet, et se retourner vers le fond de la pièce pour retrouver le chat qui s’est remis de sa frousse. Il est assis ventre à terre en face d’une porte qui mène à une petite salle de bain. La tête penchée, il lape consciencieusement la mare de sang qui s’écoule depuis cette pièce. Tout à sa tâche, il ne relèvera pas la tête et ne s’intéressera pas une seconde au bras qu’on devine par la porte entrouverte, pendant hors d’une baignoire avec les poignets ouverts.

Et nous non plus. Parce qu’après tout, c’est une histoire de chat, ne nous y trompons pas.


 
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   Neojamin   
23/2/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Un texte très bien écrit, l'histoire d'un chat que j'ai trouvé excellente... tant qu'elle restait focalisée sur le chat ! J'avoue que le reste m'a laissé de marbre, j'ai eu le sentiment qu'on utilisait le chat alors que je me contentais très bien de juste le suivre.

Quelques petites incohérences peut-être, j'imagine mal un chat faire sauter une latte de plancher, un peu gros, je trouve.
Je n'ai pas trop cru non plus au reflet qui lui fait si peur et je n'aime pas qu'on dise des chats qu'ils sont stupides ! Mais bon, c'est très subjectif bien entendu.

Il a manqué un brin de folie, je trouve pour rendre tout ça plus originale et faire honneur aux déambulations succulentes du félin.

   Annick   
29/2/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Un récit auquel j'ai accroché d'emblée. D'une part, l'exergue m'a intriguée et amusée.
D'autre part, quand on me parle de chat ou de chien, j'accours...

Cet animal plus vrai que nature est un personnage phare dans la mesure où il est intéressant, attachant. J'ai suivi ses pérégrinations avec bonheur.
Les descriptions et narrations concernant le chat en mouvement sont remarquables.

Puis, peu à peu, j'ai compris qu'il avait un rôle déterminant, l'air de rien, dans ce récit.
Il révèle des indices marquants comme un policier de la police scientifique, tout en vivant sa vie de chat.
Ses centres d'intérêt sont bien éloignés, évidemment, des centres d'intérêt du lecteur :
(Une idée plus qu'astucieuse. Je dirais ingénieuse).
Le désintérêt du chat pour ce qu'il voit est inversement proportionnel à l'intérêt du lecteur qui, lui, découvre l'horreur de la situation.
L'animal qui pourrait n'avoir qu'un second rôle est un personnage à part entière. Il crève l'écran si je puis dire, aussi parce "qu'il ne sait pas". Il reste un animal.

J'ai relevé une petite erreur : écrire  "affolé" et non "paniqué". "Panique" s'applique plus à un groupe.

Le titre est bien trouvé car je m'attendais à une "vraie" histoire de chat : quelle surprise !

Il y a des qualités d'écriture indéniables.
J'ai beaucoup aimé cette nouvelle. Un vrai bonheur à lire !

Merci beaucoup.

Annick en EL.

   Pouet   
16/3/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Slt,

j'ai trouvé que cette histoire se lisait bien et j'ai vraiment bien apprécié la première partie, jusqu'à ce que le chat commence à se faire les griffes. Alors je sais pas, tout ce début, ce portrait de chat m'a vraiment bien parlé. Très bien écrit, poétique, par exemple : " On dirait presque qu'il s'amuse à faire jouer la rousseur de son pelage sous le jaune semblable qui tombe des lampadaires fatigués." Bon je cite ce passage mais l'ensemble de cette description féline est sautillant et réjouissant, mutin.
Demeure un peu comme une ambiance de film policier, de détectives, bien campée. On sent bien la volonté de lier deux atmosphères qui vont se rejoindre.
J'ai bien aimé que le texte mêle cette " enquête " du chat avec cette histoire de collectionneur.
Jusqu'à un certain point.
En effet on comprend, lorsque le chat déchire les coupures de journaux ( malgré la licence AEC) que le felidé se trouve dans l'appartement du tueur en série et là j'ai décroché (j'ai d'ailleurs trouvé un peu pénible le passage du répondeur). Comme un sentiment de sortir et de rentrer dans la trame tout en restant tissé entre les deux...
Je ne sais pas trop comment expliquer mon ressenti, mais je trouve que le filon n'est pas assez "poussé ", qu'on ne rue pas assez dans le décalé à mon goût, que ce chat détective malgré lui ne nous offre pas tout son potentiel et que l'ensemble demeure finalement un peu dans l'attendu. Il me manque comme une sorte de liant et/ou de folie, je sais pas dire mieux et ne suis pas certain d'être très clair.

   Robot   
16/3/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Une histoire qui démarre sur la paisible description des pérégrinations d'un chat, intéressante en elle même et qui aurait pu suffire à satisfaire mon plaisir de lire.
Puis peu à peu une sorte d'étrangeté vient bouleverser le bon ordonnancement de ce récit animalier. Jusqu'au griffure sur le panneau de liège, je n'ai rien soupçonné de la fin. Le récit policier se déroule alors pour apporter une conclusion inattendue à cette nouvelle au cours de laquelle, à aucun moment de ma lecture je ne me suis ennuyé.

   Malitorne   
17/3/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Un chat en vadrouille s’introduit par hasard dans la demeure d’un tueur en série. Passée une légère surprise, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Ça reste trop maigre comme intrigue, ne subsiste au bout du compte qu’une description assez fidèle d’un matou.
Par ailleurs le mélange n’est pas toujours très réussi entre les explorations du chat, les interpellations du narrateur et les éléments de l’enquête. Comme on ne veut pas que l’animal dispose d’un regard humain c’est celui qui raconte qui explique tout et ça finit par devenir maladroit, à la limite de l’incohérence. L’écriture fait ce qu’elle peut mais s’emberlificote en essayant de trouver une juste mesure.
D’une façon générale et ça n’engage que moi, je regrette un gros manque d’originalité dans les nouvelles proposées en ce moment.

   hersen   
17/3/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Cox,
L'idée du chat explorateur qui va finir par nous dérouler une intrigue policière est le point fort de la nouvelle, et c'est écrit de sorte que le soupçon du lecteur vient petit à petit, qu'il va bien finir par y avoir quelqu'un dans l'appart, sans se douter que ce quelqu'un justement en a fini avec lui-même.
Le probleme que je trouve est que tout à coup nous basculons dans du beaucoup moins subtil, or c'est cette subtilité qui fait, ou ferait, la richesse du récit. Par exemple : le coup de fil de la fille est beaucoup trop explicite. Il arrive comme un cheveu dans ma souped'interrogation, j'aurais préféré du mystère jusqu'au bout, jusqu'à arriver dans la salle de bain.
Décidément, un chat ça voir clair :))))

   Louis   
20/3/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Cette histoire de chat s’avère avant tout une histoire de regard, en ce que celui-ci constitue le sujet principal, me semble-t-il, de l'ensemble du récit.

En effet, le narrateur humain est à la fois absent du texte, et partout présent en lui.
Présent par le regard.
Il est ce regard qui suit les déambulations d’un chat dans une ville.
Dans une "scène extérieure nuit", un « matou » est suivi dans sa flânerie.
Le narrateur précise bien s’être exclu de la scène, le chat : « est seul dans la rue, il se sent seul dans la ville »
Personne donc pour voir le minet, et pourtant il est suivi par un regard sans yeux pour voir, suggérant que le regard n’est pas simplement une question d’œil ; suivi aussi comme par une caméra, si bien qu’un film se tourne devant nous sans qu’apparaisse physiquement le cameraman-narrateur.

Celui-là laisse entendre que ce qui va arriver ne sera dû qu’à la seule curiosité du chat et au hasard, il feint de n’en être ni le metteur en scène ni l’auteur. Il se contenterait d’ouvrir un champ visuel au lecteur, et de braquer son objectif sur les errances d’un félin, curieux, qui veut voir.

Le regard du narrateur restera extérieur au chat, le comportement de l’animal en chacun de ses gestes sera suivi avec attention et retranscrit avec minutie, mais le regard du narrateur ne s’identifiera pas à la vision du chat. Ce qui sera marqué, c’est une nette différence entre le regard et la vision.

Le regard qui suit le chat est d’abord observateur.
Ainsi le passage du « matou » de la lumière à l’ombre est remarquablement rendu par cette observation, « et voilà que ça glisse dans l’ombre comme ça paradait dans la lumière ». Elle a pour corollaire un regard toujours aussi net, aussi "clairvoyant", celui d’un narrateur situé en une position de "panoptique".

Le regard s’accompagne ensuite d’explications à ce qui survient, et se porte sur ce que le chat ne saurait voir. Le regard du narrateur n’est pas simple vision comme celle de l’animal. Ce n’est pas seulement l’œil du narrateur qui voit, mais aussi le raisonnement qui guide le regard.
Ainsi est expliquée l’origine de ce qui blesse le chat, un éclat de verre brisé d’une licence encadrée, alors que le regard du seul narrateur se porte sur un clou : « on voit encore le clou auquel on l’avait suspendue à côté d’autres distinctions d’ex-flic ».
Ce regard est lecteur aussi, capable de lire ce qui était suspendu, et se trouve maintenant brisé : « Une licence AEC de détective privé au nom de Daniel Bukowski ».
Il dévoile ainsi le lieu où l’on se trouve. Chez un détective ; chez un "inspecteur".
Le chat inspecte avec le narrateur le logement d’un inspecteur.
Inspection de l’intérieur d’un inspecteur, "in-spection" au sens premier, étymologique, qui signifie regarder à l’intérieur, par quoi se laisse entendre le jeu du regardant-regardé, un regard qui voit et qui est vu, un regard qui se voit être vu.

La peur du chat, provoquée par un reflet de lui-même dans « le cadre d’une petite photo », montre pourtant qu’il est incapable d’ "introspection".
Ainsi la vision du chat est toute à l’extérieur, incapable de se retourner sur soi-même, dans une inaptitude à se voir soi-même. Incapable, contrairement à d’autres animaux, comme la pie, de se reconnaître dans un miroir. Incapable donc d’’introspection’, mais seulement d’extrospection.
Le chat finira quand même par comprendre. Mais le regard du narrateur, comme tout regard, est aussi un regard qui juge, et le chat est vu alors comme un animal « stupide », aux capacités limitées.
Ainsi sont examinées, dans ces passages du texte, diverses modalités du regard, qui le distingue de la simple vision.

Les capacités réduites du félin se retrouvent encore dans sa vision d’une photo : « il dévisagera avec incompréhension l’image de cette jeune fille souriante ». Le chat voit, mais ne sait pas regarder. Sait-il seulement qu’il a affaire à une image, une "prise de vue", une photo ?
Il ne saisit pas qu’il a en vue une reproduction sur papier de ce qu’un autre a pu voir.

L’image fait signe, et renvoie à une autre image, qui permet de conclure : « Reconnaît-il que c’est l’une des enfants du portrait précédent, maintenant devenue plus âgée ? … Non, pour le chat peu importe. »
La représentation du chat dans le récit est celle d’un animal incapable de représentation.

Les articles sur le panneau de liège, représentatifs, n’attirent donc pas son attention, ils ne sont pas observés. Seul, le panneau, support de ces articles, a du sens pour le chat, mais non les articles, qui exigent regard et lecture de signes.
Ainsi toute une réalité échappe au chat, mais se trouve placée devant notre regard de lecteur, non pas directement, mais par la médiation de négations du regard félin : « Il n’a aucune considération pour les coupures de presse affichées en désordre sur le panneau en question… » ; « il continue sa destruction avec une jouissance et un sadisme croissant, envoyant voler au passage le dernier article de journal épinglé ».

Le regard du narrateur déchiffre alors ce que le chat voit, mais ne regarde pas. Et c’est toute une réalité dramatique qui s’ouvre peu à peu à notre attention. Tout un scénario terrible se constitue, pour lequel la vision du chat reste aveugle.

« Le chat se calme enfin » dans un contraste entre l’effroyable qui se découvre au regard humain, et le comportement tranquillisé de l’animal. Qui montre la différence entre la vision animale et le regard humain, qui juge, et s’émeut.
Parce que ce regard peut reconstituer un scénario, en tant qu’il n’est pas vision parcellaire, éparpillée, indépendante et isolée, de chaque élément de vla vision, photo, article, etc. mais parce qu’il est une mise en relation entre ces éléments tels des « indices », dans une union des "di-visions".

Le regard permet non seulement de voir ce qui est présent, mais de « revoir » ce qui s’est passé et n’est plus.
Le chat en passant d’un objet à l’autre amène le regard qui le suit à voir par reconstitution le film d’un événement dramatique, l’amène à une vue d’ensemble et du lieu, et des faits qui ont eu lieu.
Il est le fil conducteur qui tisse aveuglément la trame d’une histoire criminelle.

Le chat reste "détaché", dans ce qu’il voit, devant le drame qu’il ne comprend pas et n’est pas le sien. Ses peurs sont seulement imaginaires, il a juste peur de son ombre.
Le sang ne l’effraie pas non plus, au contraire…

Apparemment, la scène où se joue le regard se situe dans le logement d’un inspecteur, lieu d’un homme du regard, pas seulement par profession, puisqu’il semble aussi le coupable de meurtres en série, et semble correspondre au « collectionneur ». Or celui-ci coupe les doigts de ses victimes et les conserve. Pourquoi ces amputations, sinon pour avoir les doigts sous les yeux, pour voir en eux ce qu’ils symbolisent, dans le cadre de sa folie criminelle ?

Le chat, « par hasard », et par curiosité, c’est-à-dire par désir de voir, s’est retrouvé chez un criminel qui voulait voir et avoir avec lui, auprès de lui, des symboles féminins ; le chat voulait voir et s’est retrouvé dans une folie du ‘voir’.
Mais peut-être s’est-il retrouvé aussi devant une vaste mise en scène, jusqu’au suicide apparent du « collectionneur », et destinée au « regard » qui l’accompagne. Peut-être se trouve-t-il devant une vaste illusion, un spectacle qui abuse jusqu’au regard du narrateur, pris semble-t-il dans un flottement, à qui donc le véritable criminel a donné à voir autre chose que la réalité, hypothèse qui relativise la puissance du regard.

Un texte donc intéressant qui porte sur les modalités du regard, et sa distinction avec la vision, sous-jacente au récit très visuel.

Merci Cox

   Catelena   
23/3/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Cox,

Comme je le dis sur ton forum, je te le redis ici : ton idée est très, très originale.

C'est d'ailleurs ce qui m'a frappée en premier, cette faculté de raconter une histoire à travers une description. Tout s'emboîte et s'explique. La scène du répondeur automatique, par exemple, qui donne la clé au lecteur mine de rien, est super bien amenée.

Quant à l'approche cinématographique, elle est indéniable. J'avais le déroulé de la scène sous les yeux en lisant, bruitage compris.

Ma seule réserve toutefois, c'est l'enroulé des phrases, leur fluidité pour que l'histoire glisse... J'ai du mal à mieux m'expliquer. Sinon, tu penses bien, c'est moi qui l'aurait écrite l'aventure de ce couillon de chat.

Du coup, je retente une nouvelle lecture, pour voir si je peux dégoter un exemple qui éclaircira ma remarque.

En attendant, merci encore pour l'agréable moment passé à te lire.

Cat

   chacalchabraque   
24/3/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
belle description littéraire des mouvements du matou curieux et scénario qui découvre lentement le suicide de l'homme; mais je ce que j'ai compris est que le Collectionneur est le tueur en série de jeunes filles ...dont sa propre fille Mathilde puisqu'il a caché sa collection immonde sous des lattes ce qui ajoute à l'abjection...j'ai l'impression d'être à côté de la plaque; le scénario n'est pas ce que je préfère dans la nouvelle bien ficelée quand même.

   Donaldo75   
5/5/2024
trouve l'écriture
convenable
et
n'aime pas
L’exergue m’a fait rire. L’écriture est propre, n’accrochant rien à la lecture, pas de scories, du travail de précision. Je lis. Je suis ce chat. Jusque-là, rien ne me donne envie de plonger dans ce texte que je parcours passivement, un dimanche matin avant d’aller chercher mon petit déjeuner tardif à la boulangerie, comme je regarderais un tableau du dix-neuvième siècle pour ce qu’il détaille et non ce qu’il m’inspire. Puis le coup de téléphone. De l’action ? Du suspense ? En tout cas, le message téléphonique amène quelque chose de nouveau. Le coup de la latte de parquet me semble un peu tiré par les cheveux mais vu que je ne veux pas les couper en mille-vingt-quatre je me dis que ça passe, que le gars n’est pas le criminel du siècle et qu’une telle erreur est possible dans le monde réel puisque après tout Lucky Luke a toujours arrêté les frères Dalton et parfois grâce même à Rantanplan. Bon, la fin arrive de manière abrupte mais j’aurais dû m’y attendre car des indices avaient été donnés. Je trouve que la partie documentaire où le chat déambule peut plaire un maximum aux fans de félidés mais prend beaucoup de place pour masquer le vide de l’histoire. Il y a des pistes du genre le coup de téléphone et le message laissé par la fille mais tout ceci est effleuré. Du coup, de profondeur narrative il n’y a pas juste des spots par ci par là un peu comme des polaroids mais sans le truc, le cadeau Bonux peut-être, qui magnifie ma lecture. Au final, je me suis ennuyé ferme et j’ai cru en un début de démarrage de quelque chose dans la dernière partie mais vu qu’elle a été traitée trop rapidement je n’ai pas trouvé mon compte. Je comprends le parti pris d’écriture mais telle est ma perception. La dernière phrase de ce texte résume presque mon commentaire.


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