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Science-fiction
Cox : La symétrie des corps
 Publié le 19/02/24  -  5 commentaires  -  15322 caractères  -  76 lectures    Autres textes du même auteur

Pour une fois je sais quoi dire dans cet encart :
1) Ce n’est pas vraiment de la science-fiction. Je ne savais pas trop comment classer le texte.
2) Il va falloir faire gaffe aux dates. Les temporalités sont en chassé-croisé.


La symétrie des corps


Journal de Mathieu Caron,

2 juillet :

Il a trouvé le petit rat ! Il a poussé son sale museau dans la charogne jusqu’à s’en soûler, et il a bien fini par trouver !

Ainsi soit-il ! Qui suis-je pour te refuser un bout de chair et de papier ? Bienvenue, pourriture, dans mon chez-moi. On y est un peu à l’étroit avec l’immensité, et puis l’envers s’est tout emmêlé avec l’avant. Mais quelle vue imprenable sur le mystère !


***


Notes du docteur Mercier,

10 juin :

Suite à l’insistance de madame Véronique Caron, j’ai accepté d’examiner son époux. Selon elle, le patient (Mathieu Caron, 43 ans, enseignant-chercheur à l’ENS) souffre de crises de démence aiguës, qui l’ont saisi depuis seulement quelques jours.

J’étais, et suis toujours, réticent à l’idée d’accepter le professeur Caron comme patient. C’est un vieil ami du temps où je me cherchais encore une vocation scientifique. L’idée de traiter cet ancien camarade de faculté m'apparaît comme une entorse à la déontologie. Madame Caron était cependant si convaincue de ma capacité à comprendre son époux, que j’ai fini par céder.

Curieusement, elle semble fonder ses espoirs moins sur notre ancienne amitié que sur mon passé scientifique en lui-même. Elle dit déceler des références mathématiques récurrentes dans le délire de son mari. Un thérapeute pourvu de connaissances scientifiques saura mieux les comprendre, d’après elle. J’ai eu beau lui assurer que mes souvenirs théoriques sont bien diaphanes depuis ma reconversion, rien n’y a fait. Parmi tous mes confrères, elle est convaincue que je suis le plus à même de cerner l’esprit de son mari.

Je prévois bien sûr de rediriger le patient vers un de mes collègues après le premier examen de demain.


***


Journal de Mathieu Caron,

19 juin :

Me noyer enfin.

Philistins, enfermez-moi, puisque c’était écrit. Que m’importe ? Je m’écoule d’aval en amont, en aval encore.

J’ai rompu, j’ai tordu, et j’ai redonné vie au cercle trépassé ! La symétrie c’est la mort, mais la lutte brise les lignes, et c’est la brisure qui anime les corps ! Ne vois-tu donc pas ! Réponds-moi ! Je sais que tu le vois ! Je sais !

Je brise et je tords pour faire renaître. Je travaille la matière comme on travaille l’idée et je pétris à pleines mains les seins opulents de l’Univers. J’ai violé l’espace et le temps ; maintenant je laisse leur sang s’égoutter – plic-ploc – sur mon corps las. J’ai serré les dents en jouissant dans le sexe papier de verre du Secret. Je l’ai fendu en deux, maintenant je lui ouvre le ventre, je lui tire les tripes pour les fouir de mon visage et me noyer enfin !

Me noyer enfin.


***


Notes du docteur Mercier,

11 juin :

Première consultation. Je ne peux pas nier que le cas du professeur Caron ait attiré mon intérêt professionnel.

Durant notre entretien, le patient a su rester lucide. Il présentait en revanche des signes évidents d’anxiété et d’agitation. D’autre part, j’ai remarqué qu’il portait un intérêt compulsif à un test de Rorschach posé sur mon bureau. Quand je l’ai interrogé, il m’a simplement demandé s’il pouvait retourner, face cachée, le dessin qui le troublait. J’ai accepté, mais je l’ai vu souvent jeter des regards inquiets dans la direction de cette feuille par la suite.

Après avoir creusé, il s’avère que les formes symétriques font l’objet d’une obsession phobique chez le patient. Il l’admet volontiers, ce qui est encourageant et suggère une simple névrose. Poussé sur le sujet, il a justifié son aversion de la symétrie par une imagerie scientifique, l’associant d’abord à un « état d’équilibre » et à « l’impossibilité d’une dynamique ».

L’attitude du patient a cependant changé à mesure qu’il se lançait dans des explications d’une complexité croissante. Il m’a semblé, l’espace d’un court instant, qu’il tentait de s’adresser sur un mode obsessionnel à une tierce personne, comme lors de psychoses schizophréniques. Il a toutefois su se maîtriser très vite pour revenir à un état de calme.


Ces symptômes ne sont à première vue rien que de très familier. Cependant, j’ai été interpellé par son début de délire : il parlait toujours en termes physiques avancés. Il n’est pas impossible qu’il y ait ici l’expression d’une pensée plus sensée qu’il n’y paraît, mais trop complexe pour être intelligible. Quant à savoir si l’on doit craindre une schizophrénie à composante hallucinatoire sous-jacente, cela demandera plus d’observations.


C’est avec une certaine appréhension que je décide de suivre moi-même le cas du professeur Caron. Je soupçonne effectivement que des recherches et des connaissances scientifiques seront nécessaires pour cerner les causes de l’évidente névrose. L’étude de ses travaux pourrait constituer un bon point de départ.

J’espère ne pas commettre une erreur de jugement en l’acceptant comme patient. J’ai pourtant l’intuition confuse qu’il y a, dans la pathologie de cet homme, quelque chose d’unique qui pourrait mener à des découvertes remarquables pour ma discipline.


***


Journal de Mathieu Caron,

16 juin :

Je commence à avoir des visions qui géométrisent mon angoisse quand je ferme les yeux. Mercier s’est penché sur mon cas, comme je le disais précédemment, mais il ne peut plus rien.

Je n’arrive plus à dormir, parce que j’entends l’Univers qui se narre. Et les mots crissent comme des petits cailloux qui croquent sous les dents de mon cerveau. Les jolies dents bien rangées, à gauche, à droite, à droite, à gauche, jolie mâchoire, il faut la casser.

Non.

Cesse d’écrire, le vertige revient. Parle, puis recopie.

Il n’est pas mauvais ceci dit, Mercier. Je crois qu’il s’intéresse à ma théorie. Il a senti son importance. Il est finaud et il fait bien son travail. Il ne laisse pas tellement transparaître sa curiosité pour mes recherches à travers les questions qu’il me pose. Il a su percevoir, sans doute, que je n’aime pas quand il en parle.

Mais je le soupçonne depuis quelques jours ; aurait-il eu accès à mes notes ? Je sens bien qu’il comprend des choses qui devraient lui échapper. Non, il ne faut pas qu’il ait mes formules. Non, non, non, mon salaud !

Dis-lui de me laisser tranquille, à ce petit Pandore !

Oh, et cette affreuse fenêtre toute ronde, toute propre, qui me couve de son œil globuleux ; je vais lui faire son affaire !


***


Notes du docteur Mercier,

14 juin :

Madame Caron m’a fait parvenir aujourd’hui une copie des notes techniques de son mari, sur ma demande.

J’ai pu les parcourir brièvement ; il y a du travail en perspective. Brillant depuis l’université, le professeur Caron mène ses recherches au plus haut niveau. J’ai peine à suivre, non seulement ses raisonnements, mais même son simple formalisme mathématique. Ses représentations anachroniques – proches de celle d’Heisenberg – collent bien à ses idées, certes. Mais cela rend ses notes très difficiles d’accès pour moi.

Il va falloir du temps, mais je sens que ça en vaut la peine. Je vois déjà une importance particulière accordée à cette fameuse symétrie, jusque dans la forme de ses équations. Il se pourrait bien que la clé de son trouble obsessionnel compulsif se trouve dans ces documents.


***


Journal de Mathieu Caron,

9 juin :

J’ai peur.

Je ne sais plus quoi faire. Je suis épuisé et je ne veux plus penser. Il est malaisé d’écrire sur ce journal à présent que j’en ai rogné les bords à coups de ciseaux (pour briser la régularité de sa forme, sinon il était impossible de progresser).

J’ai décidé qu’il valait mieux ne pas publier mes résultats. Je doute qu’il puisse en découler du bien pour quiconque.

J’ai l’impression de perdre pied. Ma femme s’inquiète quand le verbe déborde. Elle dit que je délire. L’idiote.

Elle m’enjoint d’aller consulter un psy. Elle a raison bien sûr, quoiqu’elle n’y comprenne rien. Oh, je ne délire pas ; je suis peut-être le seul à être lucide. Mais il faut bien un psy, sinon tout ça n’a pas de sens, pas vrai ?

Pas moyen d’y couper, donc je vais voir Mercier après-demain.


***


Notes du docteur Mercier,

18 juin :

Le professeur Caron s’est montré plus replié sur lui-même pendant notre séance du jour. Il semble à présent aborder nos entretiens avec défiance.

Je constate une dégradation de son état. Il montre des signes de nervosité constante et semble faire preuve d’un début de paranoïa, en particulier lorsque je l’interroge directement sur les résultats de ses recherches. À éviter.

D’autre part, j’ai fait aujourd’hui une observation surprenante en lui demandant de se prêter à un test écrit. Ses réponses étaient toutes exprimées dans le mode obsessionnel caractéristique de ses épisodes hyperverbaux. Il semble étonnamment plus prompt à la crise phobique sur papier.

En dépit de son agitation exacerbée, le professeur reste toujours cohérent, et son propos me semble à vrai dire plus construit que jamais. Ses étonnantes réponses au test auraient pu me sembler être un délire pathologique il y a encore quelques jours. À la lumière de ses recherches, toutefois, elles m’apparaissent comme une frénésie de connaissances.

Ma compréhension de sa théorie n’est encore que très morcelée, mais je le sens déjà clairement : il y a, enfoui sous l’apparent hermétisme de ses propos, un trésor de sagesse qu’il me faudra déterrer avec patience.


***


Journal de Mathieu Caron,

6 juin :

Fous ! Fous que nous étions ! Petits Icares grotesques qui voletions vainement d’ici en là-bas, sans rien pour les distinguer l’un de l’autre ! Comment avancer quand hier et demain se déshabillent ensemble à travers le miroir blanc de l’infini ?

Arrête-toi, salaud ! Tords ! Tords le cou, je t’en supplie, à cet Univers de reflets blancs avant qu’il ne me ramène en l’autre qui est moi.


Noether écoute ça :

lignes atroces, copulez, enfantez, redoublez

horreur sans nom – réalisation glaçante

la

symétrie est tout, tout est symétrie

la

glaçante réalisation – non sans horreur

redoublez, enfantez, copulez, atroces lignes :

Ça écoute Noether


***


Notes du docteur Mercier,

24 juin :

Quelle passionnante théorie que celle du professeur ! Je me perds parfois dans ses ramifications, et son étude demande toute mon énergie, mais quelles démonstrations d’une rare élégance ! Il me faudrait cent pages de laborieux verbiage pour évoquer en mots ce que son monumental édifice théorique peut contenir dans une seule ligne.

Ce doit être là le verbe des dieux, la langue maternelle de l’Univers. Et moi qui la comprends encore si mal, je dois redoubler d’efforts. Je m’aide de mes entretiens avec l’homme pour mieux comprendre l’œuvre. Je recoupe les informations que je glane de ses notes avec celles que je tire de l’étude de sa pathologie.

Ah oui, Mathieu ; je l’ai fait interner. Signes de violence. Il a mis à sac son propre bureau, chez lui. Son enfant s’est blessé sur les débris d’un hublot circulaire que le père avait rageusement fracturé. Ça n’est guère surprenant ; il y a quelque chose de malsain dans le cercle.

J’ai délégué la supervision de Mathieu à un collègue pour le moment. Qu’on me laisse me consacrer à corps perdu à l’étude. Je suis si proche de comprendre ce qu’il voulait dire !


***


Journal de Mathieu Caron,

4 juin :

Ça y est. J’ai pu parfaire les équations que j’évoquais précédemment, et confirmer ma théorie. L’ouvrage est fini. Tout.

J’ai fait une erreur. Pas dans mes calculs, non, mais dans mon appréciation de la découverte. Je croyais qu’elle ouvrirait un nouveau champ de recherches. Mais à la vérité, je pense à présent qu’elle vient clore la dernière des théories. Quelle horreur que les mots !

Je suis un peu étourdi. Est-ce ainsi que les grandes idées vous laissent, après vous avoir habité tout le corps et l’esprit ? Peut-être que c’est la fièvre du pionnier qui fait frémir mes membres débiles aujourd’hui. Je me demande bien si les Maxwell, les De Broglie, les Einstein de ce monde ont senti cette même torpeur – étouffante, bon Dieu ! – s’abattre sur eux, après avoir ouvert en grand des vantaux que personne n’avait seulement su voir.

Que suis-je en train de faire ? Écrire ? Écrire ?! Oh, écrire me rend malade ! Je crois qu’il vaut mieux que je me repose.


***


Notes du docteur Mercier,

1er juillet :

Mon Dieu, enfin, j’ai percé le secret de ses lignes ! Je comprends cette langue divine, et l’Univers prend un visage humain. Il ressemble à maman. Je me sens comme une fièvre, ce doit être l’excitation.

Le travail de Mathieu est époustouflant : il a décortiqué le monde, l’a dénudé de son mystère. Il a fourni à l’Homme les outils qu’il faut pour déchiffrer l’ultime secret de notre réalité !

Et pourtant, la conclusion me manque encore ! Horreur ! Elle n’est pas contenue dans ses notes ; elles ne fournissent que l’attirail technique nécessaire pour l’atteindre. Or l’intuition me fait défaut ! La peste soit du scientifique borné ! Une révélation a dû le frapper en contemplant son œuvre, mais il préfère la garder jalousement !

Oh, mais il ne manque que quelques pièces au puzzle. Je le vois bien ! Et LA pièce, cette idée centrale, je sais où la traquer. Petite souris ! Je te trouverai dans la dissection de son esprit malade, bien sûr.

Je dois comprendre : pourquoi délire-t-il bien plus lorsqu’il écrit que lorsqu’il parle ? À qui semble-t-il parfois s’adresser ? Serait-ce Dieu ? Aurait-il des entretiens privés avec le grand horloger ? Qui ?


? maintenant

je-vois

la

symétrie est tout, tout est symétrie

la

vois-je

maintenant ?


***


Journal de Mathieu Caron,

1er juin :

C’est d’un Bic tout sautillant que je remplis la première page de ce carnet. D’une part, parce que je n’avais pas pris le temps d’écrire de petites lignes personnelles comme ça depuis mes années lycée. Et d’autre part, parce que j’ai trouvé.

Enfin presque, mais on ne va pas pinailler. Ce n’est plus qu’une question de temps et de calculs mais mes recherches touchent à leur fin. Et je le sens, cette fois j’ai dégagé les fondements mêmes d’un nouveau modèle qui comblera les manquements de la théorie quantique des champs, et changera notre compréhension du monde…

Ah ! Désespérant… Même pas dix lignes et je me retrouve déjà à causer physique. Décidément, j’ai dû tordre ma plume et la fausser à force d’écrire mes papiers scientifiques à longueur d’années !

Laissons les détails pour mes notes techniques. Si je tiens ce petit journal, c’est justement pour consigner tout ce que ma trouvaille évoquera en moi de pensées et de sentiments ascientifiques. Et plus je dérouille mon vieux verbe grinçant, plus je ressens cette excitation qui me paraît à présent se revêtir d’une curieuse importance. Comme si l’acte même d’écrire avait tout à voir avec ma découverte, et devait l’éclairer d’une lumière nouvelle.

Mon Dieu, oui.

L’écriture.

Je te laisse, journal ! Je dois absolument vérifier mes notes.

L’écriture… Je ne serais donc qu’écriture ?

Et toi… Qui es-tu…

Lecteur ?


***



 
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   jeanphi   
19/2/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Cox,

Je demanderai aux prochains lecteurs de ne pas lire ce commentaire avant d'avoir lu la nouvelle.
Je lis une écriture très agréable, capable d'entraîner le lecteur, j'allais dire le rêveur...dans n'importe quelle histoire, en mêlant des accents de sérieux au loufoque et vice versa, avec une aisance évidente. Je regrette que cette non correspondance épistolaire ne soit pas plus consistante, qu'arrive-t-ll ensuite au docteur ?.. Ceci est laissé à la stricte appréciation/imagination du lecteur.
Cela me paraît être un texte très triste sur un sujet plein de fascination. Car la matrice de ce récit ne repose pas tant sur la découverte extraordinaire du professeur ou sur la qualité des méthodes thérapeutiques du docteur, que sur le mystère et la démence qui atteint toutes personnes capables de comprendre les théories de ce premier.
Mystère, folie, noirceur, tristesse, génie aussi... un champs lexical que vous traitez de manière intéressante et originale, dans un chassé croiser navrant et captivant à la fois.

   AMitizix   
20/2/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
J’ai bien aimé cette nouvelle.

La trame est assez classique, dans le domaine des découvertes et de la folie des scientifiques, mais le thème est puissant, et le réutiliser est toujours efficace. En l'occurrence, j’ai un peu pensé à Lovecraft, en plus sobre (et plus court), avec ses scientifiques qui perdent la raison devant les secrets horribles de l’univers. Ici, j’ai bien aimé l’idée de fonder l’angoisse du récit autour de la symétrie, c’est frappant, accessible, ça porte à l’imagination facilement. En plus, j’ai trouvé les exemples bien choisis pour exprimer cette nouvelle terreur (le cercle “ignoble”, notamment). L’ambiance pesante, la rencontre entre psychiatre et malade, à travers la forme en double journal intime est intéressante ; mais je regrette un peu que la nouvelle n’aie pas été plus longue, pour laisser le temps au climat de s’installer, pour développer un peu plus un mystère, des tensions, etc. (Mais il est vrai que le format Oniris, sur Internet, n’est peut-être pas alors le plus adapté). Par exemple, le changement de mentalité du docteur Mercier me paraît un peu abrupt. C'est pour cela que j'aurais bien vu la nouvelle un peu plus longue, et j'aurais bien aimé aussi que le thème central sur la symétrie soit un peu plus développé, que l'on donne à entrevoir les idées de Mathieu Caron. De même, j'ai l'impression qu'un récit plus long aurait permis d'incarner davantage les personnages, au delà de l'ambiance et de la folie.

Les chronologies inversées sont un essai intéressant, qui ne m’a pas perturbé ; encore une fois, en revanche, le format Internet se prête un peu moins à une lecture aisée quand on veut revenir en arrière pour comparer les entrées – bref, vous n’avez plus qu’à être publié. Le journal de Caron est intéressant pour donner à voir la démence, et la première entrée à double-sens est bien trouvée ; en revanche, son apport à l’intrigue me paraît parfois un peu maladroit, certaines notes semblent un peu “forcées” pour donner les informations nécessaires au lecteur, par exemple le “Il est malaisé… impossible de progresser” : cette description de la psychose semblerait plus naturelle dans la bouche du docteur. La parenthèse, en particulier, ressemble beaucoup à une intervention de l’auteur.

En dehors de ces quelques réserves, j’ai trouvé le style très agréable pour mener la nouvelle, et vraiment efficace pour installer l’ambiance, qui est prenante : bravo !

Merci !

   cherbiacuespe   
22/2/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Cox.

Désolé, je n'ai prêté aucune attention à la chronologie, chaotique en apparence, et je prétends même que l'ordre importe peu tant la lecture du texte peut se faire par n'importe quel bout. En ce sens c'est une nouvelle rare. De plus, elle est soigneusement écrite, facilement compréhensible, à portée de tous. Bref, une jolie réussite!

Elle mélange, concernant le fond, la raison, l'ambition, la passion, l'espoir, le réalisme et d'autres encore. J'ai toujours pensé que l'esprit d'artiste seul pouvait entraîner la folie. Un scientifique, malgré des matière on ne peu plus terre à terre, peut-il par son travail être entraîner dans le même type de folie? Je lis ce texte et je me dis : pourquoi pas, finalement.

Bien imaginé!

   Louis   
23/2/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Ce texte, centré sur la question de la symétrie et ce qu’on appelle "brisure de symétrie" dans le domaine des mathématiques et de la physique contemporaine, présente un intérêt littéraire en ce que l’un des personnages, un scientifique à la pointe de la recherche, effectue un passage des équations les plus abstraites à l’écriture, et envisage celle-ci dans le cadre de la pensée de la symétrie et de sa "brisure", non seulement dans sa nature intrinsèque d’écrit, mais dans son rapport extrinsèque au réel et au lecteur.

Deux écrits sont mis en parallèle, en « symétrie », l’un a pour auteur Mathieu Caron, physicien et mathématicien, l’autre le docteur Mercier, thérapeute psy.
Les écrits de Caron sont consignés dans un « Journal ». Leur teneur n’est pas scientifique, ses travaux de recherche se trouvant, eux, rassemblés dans des « notes » que le docteur Mercier aura l’occasion de consulter. Ce journal personnel tend plutôt vers l’écrit littéraire.
Les écrits du docteur Mercier, par contre, apparaissent comme des « notes » de travail, non littéraires, tendant même à s’éloigner de la littérature pour s’approcher au plus près d’une théorie scientifique complexe et mathématisée, élaborée par Caron, tout en demeurant des notes "écrites".

Les deux hommes sont mis en relation par l’épouse de Mathieu Caron, qui croit déceler une "folie" dans le comportement de son mari.
Caron et Mercier se connaissent et se ressemblent. Ils sont des amis de longue date : « C’est un vieil ami du temps où je me cherchais encore une vocation scientifique » ; Mathieu est « un thérapeute pourvu de connaissances scientifiques ».

On peut remarquer ici que, selon l’auteur, seules les connaissances fondées sur les mathématiques et les sciences de la nature ( physique, chimie, biologie) méritent le nom de « sciences » ; les sciences de l’homme ne seraient pas des « sciences ». Si Mercier est désigné comme « docteur », ce n’est pas un docteur es sciences, mais un « thérapeute ». Il serait donc un non-scientifique, mais « pourvu » de connaissances scientifiques, c’est-à-dire des seules connaissances reconnues comme telles, les mathématiques et la physique en l’occurrence.

Caron et Mercier se ressemblent. Ils ont été par le passé des "doubles", pris dans une "symétrie’"jusqu’à ce que leurs parcours de recherche et leur itinéraire professionnel divergent, par une sorte de rupture spontanée, aléatoire, de leur rapport symétrique.
Le temps ainsi les a éloignés l’un de l’autre, dans une dissymétrie.
Transparaît pourtant dans leurs écrits une trajectoire temporelle qui tend à restaurer la symétrie perdue.

Le temps paraît parcouru par chacun dans un sens opposé ; sa "flèche" donne un sens inversé aux deux itinéraires temporels, ce qui semble vouloir indiquer que le temps lui-même serait symétrique ( bien qu'issu selon Caron d'une brisure de symétrie) de telle sorte que les lois fondamentales de l’univers ne varieraient pas, quelle que soit l’orientation du temps, et malgré ce qu’en dit la thermodynamique.
De plus, Caron croit pouvoir agir sur le réel grâce à la connaissance acquise des « secrets » de l’univers en rapport avec la question de la symétrie. Est-ce son illusion, est-ce sa "folie", un délire de toute-puissance ?
« Je travaille la matière comme on travaille l’idée » : écrit-il le 19 juin dans son journal. Il ajoute le même jour : « J’ai violé l’espace et le temps » et, « Je m’écoule d’aval en amont, en aval encore ».

Cette page important du 19 juin présente quelques difficultés.
Elle commence et se termine par : « Me noyer enfin ». Un désir s’exprime suite à son internement : « Philistins, enfermez-moi, puisque c’était écrit. Que m’importe ? », internement qui n’est signalé par Mercier que le 24 juin. Comme si Caron savait qu’il serait interné ( « c’était écrit » ) par un aller-retour dans le temps, « d’aval en amont », et inversement.
Mais son désir exprimé est celui de « se noyer », or il s’assimile lui-même à un cours d’eau : « Je m’écoule… » et se noyer quand on est l’équivalent d’une eau courante, c’est un peu surprenant ! L’eau ne se noie pas dans l’eau !
Mais que veut-il dire au juste par « se noyer » ? Mourir par noyade ?
Fort peu probable dans le contexte.
Pas même « mourir », c’est-à-dire s’assimiler à « la symétrie » qu’il fuit, « la symétrie, c’est la mort » : déclare-t-il.
Se noyer, revient donc non pas à perdre la vie dans un cours d’eau, comme l’expression le laisse penser, mais devenir un cours d’eau, s’identifier complètement à lui qui peut s’écouler par symétrie, ou plutôt par sa rupture, en plusieurs sens, de l’amont à l’aval et l’inverse.
Le cours d’eau est aussi habituellement l’image métaphorique du temps, le temps dont on dit qu’il « s’écoule ».
Ce devenir-eau liquide du personnage Caron est son échappatoire, sa ligne de fuite.
Il peut s’enfuir dans des directions opposées, spatiales et temporelles.
Mais l’enfermement qu’il craint, ce n’est pas seulement celui de l’internement, mais pourrait bien correspondre à l’idée et à l’image du « cercle ».
« J’ai redonné vie au cercle trépassé » : écrit-il. Enfermement, symétrie et mort se conjoignent dans sa pensée.
Ce qui justifie l’internement, selon Mercier, c’est un acte de violence par lequel : « son enfant s’est blessé sur les débris d’un hublot circulaire que le père avait rageusement fracturé. »
Le cercle est l’image de la parfaite symétrie. Il est "invariant sous toutes les rotations autour de son centre" diraient les mathématiciens.
En cassant le hublot « circulaire », il donne vie au « cercle trépassé » ; il redonne vie à la mort ‘symétrique’.
En cassant le hublot, symboliquement ( et ce n’est peut-être que dans cet ordre du symbolique que se joue sa toute-puissance) il le « brise », il brise la symétrie. Il n’y a de vie, et de dynamisme, selon ses découvertes, que par brisure de symétrie.
D’un point de vue psychologique, son acte semble plutôt une réaction à son angoisse de mort. Cette angoisse dont l’objet a glissé de la mort à la symétrie.

« J’ai tordu, j’ai rompu » : écrit-il encore, dans cette même journée du 19 juin. Que peut-il avoir « rompu » sinon la symétrie ? Dans son délire de toute puissance, il se voit comme une cause de brisure de symétrie ; comme "manipulateur", au sens propre de ce terme, de la symétrie de l’univers. Dans un rapport érotique au monde féminisé, il déclare « je pétris à pleines mains les seins opulents de l’univers », seins qui répondent aux-aussi à une symétrie.
Ce que les scientifiques désignent couramment par « viol de la symétrie », par la brisure, est repris dans un sens sexuel, acte imaginaire à la fois jouissif et douloureux.

Le 6 juin, Caron s’adresse à Emmy Noether, une remarquable mathématicienne du début du XXème siècle, à l’origine du théorème portant son nom, qui établit un lien entre symétries et lois de conservation en physique.

« La symétrie est tout, tout est symétrie » lui déclare-t-il, dans une formule de réciprocité symétrique., redoublant la pensée de Noether
Mais tout le passage à partir de « Noether écoute ça » jusqu’à son renversement symétrique : « ça écoute Noether » est fait, du point de vue formel, de réciprocités, commutations et symétries.
Dans le fond, la symétrie est liée dans ses reproductions invariantes à « une horreur sans nom », à des « lignes atroces », à une glaçante réalisation », à laquelle fait écho, mutatis mutandis, l’horreur de la symétrie exprimée par Victor Hugo dans Les Misérables : « Partout des rangées d’arbres parallèles, des bâtisses tirées au cordeau, des constructions plates, de longues lignes froides, et la tristesse lugubre des angles droits. Pas un accident de terrain, pas un caprice d’architecture, pas un pli. C’était un ensemble glacial, régulier, hideux. Rien ne serre le cœur comme la symétrie. C’est que la symétrie, c’est l’ennui, et l’ennui est le fond même du deuil. Le désespoir bâille. »

Caron ne revient pas vraiment aux théories de Noether, ou à celles de Heisenberg comme le croit Mercier : « Ses représentations anachroniques – proches de celles d’Heisenberg », physicien pour lequel : « la symétrie, et non pas les particules élémentaires, sont le point de départ d’une description du monde. » ( Autobiographie) , mais les complète, en mettant l’accent sur la brisure de la symétrie.

Ce même jour, comme cela s’est déjà manifesté, Caron semble s’adresser à un interlocuteur qui est son "double", effet d’une « symétrie », ou même, dans une dérive, d’une "hypersymétrie".
Ainsi, aux lignes « atroces » d’une symétrie, il associe un « redoublement » : « copulez, enfantez, redoublez »

Ce double est désigné : « cet autre qui est moi », et qui ne peut être que dans le cadre d’une symétrie de l’univers en laquelle espace ( « ici et là-bas ») et temps ( « hier et demain ») se ramènent à un « miroir blanc de l’infini », en lesquels ici et là-bas, hier et demain ne se distinguent pas.
Pourtant une distinction, au mépris de ce que l’on a appelé le principe des indiscernables, entre "moi" et "moi", en miroir blanc, est imaginée par Caron.
Ce double le hante, et lui fait horreur, et il faudrait donc « tordre le cou » à cet « univers de reflets blancs ».

Mais c’est la question de l’écriture qui est ici intéressante.
Le 16 juin, Caron écrit dans son Journal : « « J’entends l’Univers qui se narre » Il ne se marre pas, non, il se « narre », se raconte, fait le récit de son histoire, faite de brisures de symétrie, de ruptures, de fracas. Or on ne raconte pas avec des équations, mais avec des mots.
La démarche de Caron semble symétriquement inverse de celle de Mercier, qui se dirige du langage des mots à celui des nombres et des équations, en vue de comprendre Caron : « Ce doit être là le verbe des dieux, la langue maternelle de l’univers » : écrit Mercier, en écho de la célèbre formule de Galilée : « Le grand livre de la nature est écrit en langage mathématique ».

Caron cherche-t-il à "recopier" le langage mathématique de l’univers dans celui des mots ?
Il ne semble pas pourtant.
Le 9 juin : « ma femme s’inquiète quand le verbe déborde ».
Mercier remarque en lui des épisodes « hyperverbaux » ; « prompt à la crise phobique sur papier »
Exclamation de Caron du 4 juin : « Quelle horreur que les mots ! » , « écrire me rend malade »
Le rapport de Caron à l’écriture est ainsi ambigu, ambivalent.
Il a besoin d’écrire, et ne cesse d’écrire malgré « l’horreur » que les mots lui inspirent.
Son écriture se veut « ascientifique » : « Si je tiens ce petit journal, c’est justement pour consigner tout ce que ma trouvaille évoquera en moi de pensées et de sentiments ascientifiques »
Son écriture n’est donc pas sans rapport avec la question de la symétrie et de la brisure de symétrie.
Il ajoute : « Comme si l’acte d’écrire avait tout à voir avec ma découverte, et devait l’éclairer d’une lumière nouvelle ».

Quel rapport entre l’écriture et la symétrie ?
L’écriture ne serait-elle pas en dissymétrie avec le réel ?
Même quand elle se prétend "réaliste", n’est -elle pas fiction ; autre chose qu’un reflet symétrique de la réalité ? Ne serait-elle pas en brisure de symétrie de telle sorte qu’en elle se déploie la vie, la nouveauté, la créativité ?
L’écriture serait ce qui tranche sur « le miroir blanc de l’infini ».

La brisure de symétrie n’aurait-elle encore pour autre nom sa prétendue "folie" ?
Les mots ne feraient horreur que lorsqu’ils tendraient à copier le réel, dans une symétrie mortelle.
Bien que les écrits de Caron constituent un « journal » intime, ils sont destinés à être lus. Comme tout écrit, ils supposent un lecteur réel ou virtuel.
Caron s’adresse donc à son lecteur : « Qui es-tu ? … lecteur » ?
Est sans doute présupposée, dans le rapport cette fois entre l’auteur et le lecteur, plus généralement entre la lecture et l’écriture, une dissymétrie.
La lecture, probablement, ne serait pas le simple reflet en double symétrique de ce que l’auteur écrit, mais une re-création du texte ; de même par conséquent ce commentaire ne pourrait-être un simple reflet du texte.

Merci Cox pour ce texte riche et complexe, stimulant de l’écriture.

   Cox   
4/3/2024


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