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Sentimental/Romanesque
Cristale : Lucilia
 Publié le 25/07/24  -  11 commentaires  -  3379 caractères  -  197 lectures    Autres textes du même auteur

Essai.



Lucilia


Momo, un revenant de la guerre d'Afghanistan, s'était forgé une réputation de brute insensible, intimidant tous ceux qui croisaient son chemin mais, aujourd’hui, les démons qu’il avait ignorés pendant des décennies venaient le hanter avec une violence implacable.


Les murs crasseux de son taudis semblaient se refermer sur lui, amplifiant la puanteur des lieux. La fumée âcre de ses cigarettes consumées avec excès flottait dans l'air vicié.


Momo était du genre gros con rugueux et gueulard, tatoué comme une enseigne publicitaire, un pantin dans ses fringues usées de soixante-huitard.

J'ai pris sa pogne calleuse dans la mienne. Les années avaient laissé des cicatrices sur notre relation, mais le lien fraternel demeurait toujours là, ténu mais résistant, même si je savais que cela ne suffirait pas à effacer les stigmates de sa vie.


– Momo, mon frère, tu as vécu dans ce merdier assez longtemps. Bouge ton derche et dégage de ta chienlit sordide !


Il a levé ses yeux rougis vers moi, son visage ravagé par la vinasse et les regrets.


– Ouais, t’as pas tout à fait tort.


Le Momo je me l’aime avec sa gueule d’angelot ridé qui a perdu ses chicots. Il est trop « collé à terre » sous ses cheveux luisants. On dirait qu’il les a gominés avec le papier gras des frites de chez la Mère Pouille.

Et puis ses yeux ! Ses gros yeux, globuleux comme ceux de la mouche à merde qui se prend pour un satellite au plafond de sa chambre, lui donnent un charme particulier !


S’ils sont rouges ses yeux, c’est pas à cause de la vinasse qui lui fait des couloirs de labyrinthe sur la figure, non, s’ils sont rouges ses yeux c’est parce que, le Momo, il est sensible et que des fois il pleure et qu’il les frotte avec ses grandes paluches grises pour les essuyer avant que ça se voie. Il a sa pudeur, Momo.

Le Momo, personne n’a le droit de s’en moquer, ni d’y toucher, pour moi sa laideur est de toute beauté.


La Lucilia – Lucilia, c’est sa mouche préférée –, elle ferait mieux de se planquer avant de se prendre la tapette qui lui écrabouillera sa sale tronche de sauterelle sur le retour et laissera le jus de sa grosse poitrine verte et velue dégouliner sur les vieux carreaux fêlés et puis j’enverrai grouiller ses chiards de vers au fond des chiottes en leur versant dessus la pisse macérée du pot de chambre caché sous le lit !

Tiens, je parle comme Momo maintenant… Faut dire que dans ses cagettes en bois on trouve plus de Frédéric Dard que d’Alexandre Dumas.


Nous savons tous les deux (moi surtout) que le chemin sera difficile, semé d'embûches et de rechutes, mais nous sommes prêts à nous battre. Ensemble, nous allons affronter les démons qui le tourmentent et peut-être, juste peut-être, que Momo trouvera une lueur de bonheur dans les ténèbres qui l’entourent.


Aujourd’hui, aucune des saloperies que le quotidien lui inflige ne lui échappe. Amaigri, le teint cireux, il rit, cloué sur son lit, des vols planés bourdonnants de sa Lucilia, de ses douleurs, de ses suées malodorantes, de ses nausées, des tuyaux pendus à la potence qui lui injectent des litres d’eau pendant qu’il chantonne « Allez viens boire un p’tit coup à la maison tsoin-tsoin ! ». Son foie est plus gras que la bassine pleine d’huile à friture rancie de chez la Mère Pouille.


Et moi, je suis là, à le regarder, avec toute mon impuissance, à me demander : « Pourquoi ? »


 
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   Cox   
13/7/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Tout un tableau le Momo !

J’ai eu du mal à délibérer avec moi-même pour l’appréciation de ce texte...
Parce qu’il y a, pour sûr, des éléments réussis. Le sordide, le médiocre et le crade ressortent bien sûr de l’écriture avec force. C’est dégueu, le genre de texte dont le gras vous colle aux yeux a mesure qu’on en parcourt les lignes (et c’est un compliment !).
Il y a des formulations croquignolesques et drôles qui m’ont bien plu :
“Le Momo je me l’aime avec sa gueule d’angelot qui a perdu ses chicots. Il est trop «collé à terre » sous ses cheveux luisants. On dirait qu’il les a gominés avec le papier gras des frites de chez la mère Pouille.” -> beurk ! miam !
« Ses gros yeux, globuleux comme ceux de la mouche à merde qui se prend pour un satellite au plafond de sa chambre, lui donnent un charme particulier ! » -> effectivement, ça donne envie !
«La Lucilia - Lucilia, c’est sa mouche préférée - (...)»

C’est bon parce que c’est drôle, et en même temps ça continue d’asseoir l’ambiance et le personnage. Les images sont originales, souvent absurdes, dans un registre familier bien tenu dans l'ensemble.

D’un autre côté, bon, y’a pas grand-chose. Il n’y a à peu près que ça en fait : ce gros beauf qui se meurt, répugnant mais touchant à travers l’amour inconditionnel que la narratrice voue á sa carcasse sordide. Et je ne peux pas m’empêcher de dire que ça fait un peu léger.

Je sais bien ; c’est le parti pris du texte. Il est court, il est simple. Tout s’efface au profit du tableau. On ne sait presque rien, par exemple, de la narratrice, qui n’est là que pour éclairer la scène de son amour désillusionné, et c’est très bien (en dehors de son lien « fraternel » avec Momo).

Je sais bien ; on aurait peut-être ruiné les éléments qui font la force du récit à vouloir l’étoffer bêtement.

Je sais bien. Mais bon. C’est chiant de rester sur sa faim, surtout après toutes ces histoires de frites si ragoutantes.
Conséquence de ce vide narratif : on tourne un peu en rond et on en rajoute. Un peu trop de langue argotique qui semble parfois légèrement forcée. Un peu trop de détails déprimants qui, vers la fin, commencent à tomber dans la liste ou la surenchère.

En résumé, c’est un texte monodimensionnel. Avec une seule idée, une seule couleur, qu’on rajoute en couches successives. Je vois bien que c’est fait exprès et que c’est un choix artistique. Je sens une maitrise certaine. Mais je n’ai pas été entièrement convaincu, malgré les qualités susmentionnées et la démarche intéressante.
Ça reste une lecture légère et facile, réjouissante par endroits !

   Pepito   
25/7/2024
Coucou Cristale,

Bon, je suis viendu lire un texte de poétesse, j'me suis dis qu’il fallait encourager le passage du côté obscur à celui de la lumière. Le style seul devait déjà valoir le voyage. ^^

Vraiment désolé de ma lourdeur, mais je n’ai pas été transporté. De petites choses m’ont fait dérailler, genre : "ses cigarettes consumées avec excès " … un excès de combustion en somme. ^^
"dans ses fringues de soixante-huitard"… un moudjahidine en pattes d’éph cela doit valoir le coup d’œil. ;=)
" les années avaient laissé des cicatrices sur notre relation"… elles tendent plutôt à les effacer, normalement. ^^
Pourquoi le mot "chienlit" m’a fait penser à De gaulle ? Un rien daté, aussi. ^^
Avec toutes mes excuses pour n’avoir pas su apprécier ce texte.

Pepito

   Cleamolettre   
25/7/2024
Bonjour,

C’est mon premier commentaire ici, ça tombe sur vous :)

Ce n’est pas que je n’ai pas aimé, non, j’ai lu avec souvent le sourire aux lèvres, appréciant certaines trouvailles un brin imagées ou argotiques.
Mais aussi parfois en me concentrant pour m’imaginer exactement la tronche de ce pauvre Momo, qui s’en prend plein dedans, dans la multitude de descriptions, pas vraiment sympas, même si ça finit par le rendre touchant, un genre d’affreux, sale et méchant. Comme son taudis et sa mouche.

La forme donc, plaisante, gouleyante, originale. C’est plutôt le fond qui m’a laissée de côté. Le lien fraternel, le passé de soldat, la mouche, les vieux démons contre lesquels se battre, c’est évoqué mais ça ne crée pas vraiment une histoire. Alors juste un portrait, pourquoi pas, mais quand même, à mon goût, ça manque de liant et d’une direction (narration) construite.

Le pourquoi final m’interroge, vu le style de vie décrit, la vinasse, les clopes, etc. Le pourquoi me semble très clair à moi.

Mais merci pour la lecture, ne serait-ce que de phrases comme celles-ci : « Le Momo je me l’aime avec sa gueule d’angelot ridée qui a perdu ses chicots ».

   jeanphi   
25/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime un peu
Bonjour Cristale,

Une jolie lecture bien que désolante.
Je discerne immédiatement un style riche et personnel qui marque bien, une plume d'écrivain, une syntaxe qui porte, un vocabulaire choisi non sans une certaine perfection, et un sujet passionnant, bref de quoi laisser entrevoir qu'un roman entier pourrait bien porter le titre Lucilia. Mais l'histoire paraît avoir été bâclée, pas de scénario, des personnages qui semblent ne pas savoir où ils iront se fourrer dans le prochain paragraphe, une seule et longue (très belle) description en guise d'action.
J'aimerais pouvoir reprendre les mots de Malitrone : "+/- ...on veut que ça bouge, que ça suinte, que ça saigne, du stupre et de l'action..."
Qui serais-je pour critiquer une nouvelle si bien écrite annoncée comme étant un essai, moi qui commente tout sans plus rien écrire depuis que le C.E. m'a recalé dix fois en 2023 ?
L'ambiance est néanmoins parfaitement posée, peut-être vous aurait-il suffit de poursuivre sur sept ou huit mille caractères pour remporter tous mes suffrages. Peut-être un plan mental ou un schéma manuscrit vous aurait-il poussé à prolonger ce tableau. Allez savoir...
Cordialement.

   Cornelius   
26/7/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Cristale

Quand une poétesse au langage raffiné sort de sa zone de confort et s'essaye à la nouvelle dans un style cracra au vocabulaire argotique, faut reconnaitre, c'est du brutal (les tontons flingueurs) et le lecteur ne peut être que décontenancé.
Ceci dit on a bien le droit de s'amuser un peu en rédigeant ce genre de texte digne de Michel Audiard. C'est un exercice littéraire intéressant. Certes le sujet n'est pas très ragoûtant mais il se lit sans déplaisir bien qu''il n'ait pas vraiment le même parfum que vos poésies habituelles.

   papipoete   
26/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Cristale
ça fait bizarre de vous lire, à travers des lignes autres qu'alexandrins, à la rhétorique précieuse qui sied à quelque sonnet, gérardine !
mais je ne boude pas mon plaisir, de cheminer à travers ce merdier, où résiste sans plus se battre ce pauvre hère, ce momo parti en guerre sur ses deux jambes, et rentrant pulvérisé du moindre carré de peau, jusque dans son âme au plus profond.
à travers ce héros et sa mouche préférée Lucilia, je vois un peu de " papillon " à Cayenne, attaché à son cafard dans sa geôle à l'isolement.
NB comment ne pas être bouleversé par ce récit, devant ce fier-à-bras que rien n'épargne ? tout le catalogue du malheur lui tombe dessus ; il a très mal partout, mais arrive à en rigoler ( tiens, ça j'avais pas encore ! )
il a les yeux rougis, pas de la vinasse qui lui gonflerait les orbites... nan, parcequ'il pleure quand sa sensiblerie l'assaille.
au moins, il a une chance inouïe dans son enfer ; il a quelqu'un auprès de lui... pour lui prendre la pogne, lui dire
- je suis là ; je ne te quitterai pas ! ( sa soeur tout court, sa soeur de galère, sa femme ? )
j'ai beaucoup aimé ces lignes, crasseuses à souhait, dans cette puanteur sans nom;
je Vous admire chère écrivaine

   Annick   
26/7/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Cristale

Est-ce une nouvelle ? C'est, alors, plus une nouvelle psychologique où la mission du narrateur serait de faire sortir Momo de "ce merdier", ce que symbolise la mouche Lucilia.
Oui, mais mission sans doute impossible. Le corps est dans un sale état et le mental de Momo bien abimé.
A travers le langage cru du narrateur, se dessine toute la misère de la situation.

La description est caricaturale. On est dans le trop qui peut faire sourire mais peut-être empêcher l'empathie du lecteur de s'exprimer. (Pourtant, le texte n'est pas dans la catégorie humour).
Mais il ne faut pas pour autant gommer ce type de langage. Plutôt le doser.

La partie qui décrit la mouche comme un déversoir d'immondices aurait gagné à être moins crue. Il aurait été intéressant d'approfondir le côté sécurisant de cette mouche, presque considérée comme un animal familier par Momo.

Il y a un défaut de concordance entre le portrait caricatural (à outrance) de Momo, (ainsi que de la mouche) et la question finale du narrateur pleine de gravité.

On voit le personnage principal à travers le regard de ce narrateur. Un portrait sans concession. Mais non sans affection.
Un autre narrateur l'aurait peut-être perçu différemment.

Ton humour est un point fort. Il faut juste trouver la bonne mesure. Bravo pour cet essai. Mais apporter plus de contenu, de sens, à ton récit.

Une appréciation pour t'encourager à continuer à écrire des nouvelles. C'est bien parti !

   Cyrill   
26/7/2024
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
Un langage Pieds Nickelés que j’ai apprécié, mais qu’au bout du compte j’ai vite trouvé excessif. Même si je conçois que l’auteure se soit non seulement fait plaisir à l’employer, mais aussi ait souhaité nous plonger direct dans le bain, le paragraphe « La Lucilia … sous le lit » m’a semblé vraiment trop. Ça a tendance à écraser le motif du récit : le/la narrateur/trice souhaite aider le Momo à se sortir de ses galères. Bien sur il fallait un tableau bien brossé, et il l’est, pour comprendre son impuissance avouée par la question conclusive eu égard aux incommensurables dégâts.
Pour moi, c’est ici, dans ce final, que ça commence vraiment. Fallait-il pour autant disserter sur la question, je ne crois pas, c'est au lecteur finalement de faire ce travail, et c’est aussi ta volonté, Cristale, de t’en tenir pu ou prou à un portrait. C’est un genre à part entière et il est sans doute très exigeant.
J’en reviens à la mouche. Sauf à imaginer ce que l’auteure ne dit pas, il me semble qu’elle manque de sens dans le narratif pour mériter de figurer en titre. Le paragraphe peu ragoûtant qui lui est consacré me paraît assez gratuit.
Je salue néanmoins la grande générosité de le/la narateur/trice dans la déclaration d’indéfectible amitié, j’ai trouvé cet aspect-là très touchant. Étant moi-même attiré, dans mon écriture, par des personnages de loser, j’ai lu ce récit avec grand intérêt. Merci Cristale.

   embellie   
29/7/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Je ne pense pas avoir lu une nouvelle. Une nouvelle est plus longue et raconte une histoire ; ici c'est un portrait. Le style choisi pour brosser ce tableau est adéquat. Bien sûr j'ai pensé au Béru de F. Dard. J'ai lu avec plaisir, sourire aux lèvres, même les passages un peu excessifs dans la recherche du langage le plus dégueu possible, déçue que ce soit aussi court. Merci pour ce genre d'écriture pas fréquent sur le site.

   solinga   
14/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Un portrait bien campé, qui nous fait pencher le regard sur les abysses d'atrocité qu'ouvre aux cœurs des êtres la guerre.

Sublime "Pourquoi" qui se lève en fin de texte.
Un de ces textes qui, dans leur brièveté, donnent à saisir la complexité des situations et qui démentent avec force toute vision héroïsante des conflits armés, lesquels ne peuvent qu'un temps se parer des couleurs de la légitimité bien pensante.

   Corto   
17/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Ce portrait a une belle force, plutôt audacieuse mais surtout réaliste. La guerre est mise en cause mais on aurait pu aussi bien y mettre la misère, l'alcoolisme, la vie dans un taudis, l'isolement, la malbouffe (quand on peut la payer), éventuellement l'errance et la nuit sans abri etc.
C'est du brut mais c'est du réel, celui qu'on évite de regarder trop souvent.

Oui mais Momo est tombé dedans et à part sa copine qui tourne et vibre par l'odeur alléchée autour des cheveux gras, peu de monde a envie de s'approcher.

L'autrice ose le portrait de la vie qui pue en nous laissant penser qu'elle pue à peine moins que la mort.

La provocation du « Allez viens boire un p’tit coup à la maison tsoin-tsoin ! » fait écho à "Le Momo, personne n’a le droit de s’en moquer, ni d’y toucher, pour moi sa laideur est de toute beauté."

Le "Pourquoi ?" final est amené par le précédent "le lien fraternel demeurait toujours là,"

Belle construction, belle ouverture sur les dégâts de la vie.


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