- Arsène -
6 h 40. L’appartement est tiré hors de son sommeil cotonneux par le couinement mécanique d’un réveille-matin chromé. Encoconné dans son lit monoplace, Arsène n’a qu’à tendre le bras pour le bâillonner du revers de la main ; enveloppé dans ses draps à l’effigie de Goldorak, il entrouvre les paupières, un sourire se dessine sur son visage : aujourd’hui Arsène est de bonne humeur, la journée s’annonce belle. Il s’assied sur l’arête du lit afin de franchir plus sereinement les paliers de décompression du réveil et enfile ses chaussons arborant des faciès de rongeurs dodus. Il quitte alors la chrysalide matinale, l’élastique lâche de son pyjama Snoopy dévoilant un pourcentage non négligeable de son anatomie postérieure. Sur le chemin de la salle de bains, il salue Marcel. Marcel c’est son poisson rouge, il l’a gagné en pêchant des canards en PVC à la fête foraine. Aujourd’hui, Arsène considère Marcel comme son meilleur ami ; il n’a jamais vraiment été très à l’aise avec les êtres humains mais quand il se sent seul, il sait qu’il pourra toujours compter sur lui. Il a des besoins beaucoup moins compliqués lui, il ne paye pas de taxe foncière, il ne craint pas les licenciements économiques. Marcel n’a qu’à tourner toute la journée dans son merveilleux manège aquatique ; il doit être heureux, même sans Xanax ni petite amie. Il tapote sur le globe de verre et parsème quelques miettes de délice déshydraté pour son compagnon à écailles. Elles tombent lentement en oscillant comme des feuilles mortes dans une cuve de formol. 7 h 02. La brosse à dents se dressant fièrement sur sa ventouse est arrachée violemment par des doigts frêles. Il fait pivoter son sablier : deux minutes pour un brossage optimal dans les vapeurs d’eucalyptus fluoré. 7 h 05. Il n’a pas besoin de se raser ; toujours glabre à trente-huit ans, cela fait bien des années qu’il a fait une croix sur l’espoir d’avoir un jour une pilosité faciale. 7 h 06. Les Chocapic attendent tranquillement dans un bol arborant les trombines joviales des membres du Club Dorothée. Il ôte l’opercule d’aluminium, verse le nectar lacté et plante sa cuillère dans le bol comme Excalibur dans son rocher. Un bol de céréales et un Flanby : la recette du bonheur matinal selon Arsène. Il démoule son flan en tirant la petite languette avec la minutie d’un moine copiste et va ensuite la ranger dans son classeur sous la feuille de plastique collant. Arsène est fier de sa collection : la plus grande collec’ de languettes de Flanby de France : 2957 pièces ; seulement détrôné en Europe par le Slovène Fonzek Adamič (3035 pièces) et l’Irlandais Colin O’Flanagan (3527 pièces). Mais il les aura à l’usure, il le sait. Juste un petit peu de patience. Il insère une cassette VHS dans le magnétoscope et s’installe confortablement sur son futon. Une rediffusion du Bigdil ; il a enregistré tous les épisodes et se plaît à regarder ses moments favoris encore aujourd’hui à l’heure du petit déjeuner. Ce matin c’est l’émission du 25 mars 2000 qui est au programme mais il ne regarde la télévision que de l’œil gauche, et ce pour deux raisons : 1) Il connaît par cœur l’émission du 25 mars 2000 (c’est Christophe de Meurthe-et-Moselle qui remporte la voiture en finale). 2) Nous sommes le 4 avril et, comme tous les premiers samedis de mois pairs, les jeux changent au dos des boîtes de Chocapic. Arsène se munit de son stylo quatre couleurs et s’attelle à la tâche avec Bill et Vincent Lagaf’ en compagnons de fond sonore.
- Odette -
Elle va finir par s’user les yeux à force de fixer cette page blanche. Assise devant son bureau de bois brut, Odette attend les idées, le stylo en main comme un filet à papillons pour les capturer dès qu’elles traverseraient la pièce. Elle pense que le tic-tac métronomique de son horloge comtoise rebute l’inspiration et se lève pour imposer au vinyle de Julien Clerc d’adoucir le silence. Depuis 1974, Odette occupe le poste de rédactrice en chef des dos de paquets de céréales pour l’ensemble de la gamme des produits de la marque Kellogg’s. Pour rester modestes disons qu’Odette est considérée comme une quasi-divinité dans le monde de l’édition du rébus et du labyrinthe. Alors non, le chemin vers ce statut archangélique n’est pas dénué de sacrifices et elle ne compte plus les longues nuits d’insomnie passées à triturer une charade dans tous les sens pour trouver la formulation parfaite ni les violentes querelles avec le rabot à créativité que peut parfois être son éditeur. Jusqu’à récemment, la vie d’Odette s’apparentait à une existence monacale ; le monde qui emplissait l’extérieur de son appartement n’était que distraction futile dont il lui fallait s’amputer. Elle se prenait parfois à rêver d’une vie de famille, de beaux enfants courant dans un jardin fraîchement tondu par un mari au sourire charmeur, une odeur de dimanche matin ensoleillé, de rosée et d’herbe coupée. La solitude lui pesait parfois sur le cœur, c’est vrai, mais quand elle se regardait dans le miroir le matin elle pouvait être fière de son œuvre, ses enfants d’encre et de papier. Le 20 septembre 2015 se déroulait le grand congrès des auteurs alimentaires ; tout le gratin des plumes à emballages était réuni dans la salle des fêtes de Bonneval-sur-Arc ; smokings et robes de soirée dans un brouhaha prétentieux qui l’ennuyait de tout son être, jusqu’à sa rencontre avec Robert Lepetit, rédacteur des questions de culture générale imprimées à l’intérieur des emballages d’Apéricube. Le bras tendu vers le dernier canapé au saumon, leurs regards se croisaient quand la foudre passionnelle s’abattit sur cet ultime petit-four. Depuis ce jour, son traitement de texte chéri a perdu de son charme d’antan, ses pensées ne sont plus aimantées que par les soirées passées avec Robert ; ils s’asseyent souvent sur le banc du terminus du bus 41 pour regarder défiler les publicités sur le panneau éclairé par le coucher de soleil rosé, la main dans la main. Grands dieux ! Les Chocapic ! Les jeux des Chocapic doivent être prêts pour la fin de la semaine ; planter la sortie de ce blockbuster céréalier reviendrait à mettre un point final à la charade de sa carrière. En quatre décennies d’écriture, Odette n’a jamais commis aucune faute professionnelle. Pas un retard, pas une coquille. Un grand chelem. Mais ce mois-ci, les galantes entrevues d’Odette ont éclipsé ses deadlines dans son esprit. Cela fait trois nuits qu’Odette pâlit à mesure que ses globes oculaires rougissent, la tête baissée sur son pensum ludique. Mais rien n’y fait ; pas le millième d’embryon d’une idée en vue. Les murs du salon sont recouverts de labyrinthes difformes tracés à même le papier peint à fleurs sur lequel s’entasse un amas disparate de feuillets insensés remplis de cryptiques fœtus de rébus. Des ébauches de jeux des sept erreurs se faufilent entre les bibelots en porcelaine et les napperons jaunis alors que des tentatives malheureuses de mots à caser se disputent la toile cirée aux habituels fruits et légumes. À son grand regret, Odette va devoir employer la manière forte. À circonstances extrêmes, moyens exceptionnels. Elle défait alors son chignon grisonnant et sort une bouteille de gin du bar qu’elle débouchonne avec les dents avant d’en engloutir de grandes rasades. La dépouille de verre gît entre les crayons de couleur, floue et vide. Soixante-quinze centilitres de spiritueux dans l’estomac, Odette commence à considérer que cette dose dépasse largement les Apports Journaliers Recommandés en éthanol. Son salon s’est transformé en carrousel mais l’inspiration n’est toujours pas montée en selle. Désespérée, Odette va chercher la solution d’urgence dans sa table de chevet. Une minuscule fiole avec pour linceul un petit mouchoir en tissu à fleur. Du LSD tout droit importé de son adolescence. Tous les grands se sont servis de psychotropes pour combler leurs gouffres créatifs : de Pink Floyd à Arthur Rimbaud, en passant par Joe and the Juice et Vincent van Gogh. Elle imbibe un morceau de biscotte et part pour le grand voyage. Soudain tout prend un sens. Les couleurs dévoilent leurs plus belles harmonies. Les accords de Julien Clerc se dessinent devant ses yeux ébahis. L’univers entier semble vibrer à l’unisson de l’arc-en-ciel. Le tsunami créateur ne connaît nul barrage. Des stylos à la place des doigts, Odette crée. L’art du rébus se retrouve transcendé dans un maelström inexplicable. Le labyrinthe se déconstruit de lui-même. Pourquoi devrait-il y avoir une sortie ? Une entrée ? Des couloirs ? Un labyrinthe ? Après cette date, la face du monde du ludo-céréalier ne sera plus jamais la même.
- Arsène -
Mais ces jeux n’ont aucun sens ! Comment ont-ils bien pu laisser passer de telles absurdités ? Arsène se dit qu’il enverra un courrier à la direction de la rédaction des paquets de céréales Kellogg’s demain à la première heure. Ils vont voir de quel bois il se chauffe. Un coup d’œil à sa montre Flik Flak et… 8 h 45 ? Il aura passé plus d’une heure et demie sur ces labyrinthes obscurs et Arsène s’apprête à être en retard pour la première fois de sa vie. Chaque matin, Arsène arrive au bureau à 7 h 59 pétantes et son cœur pétille comme un comprimé effervescent dès qu’il aperçoit le visage constellé de taches de rousseur de Nathalie la standardiste à travers la porte vitrée. Chaque matin il dépose un chausson aux pommes et un bisou sur sa joue et les fumerolles de fleur d’oranger qui émanent de sa chevelure suffisent pour le griser jusqu’au soir. Il aime bien Nathalie, elle a des yeux verts en amande qui vous paralysent comme un lapereau sous les phares d’un Hummer. Mais il ne lui avouera jamais, elle doit certainement déjà avoir un amoureux. Mais lui faire la bise tous les matins c’est déjà bien. En plus, il adore son métier. Arsène est comptable pour l’entreprise CorporateSystems, une organisation spécialisée dans la logistique de ces emballages en plastique qui protègent les pailles sur les briquettes de jus d’orange. Il a toujours été doué pour les mathématiques : les chiffres ne mentent pas et il existe toujours une réponse logique à un problème posé. Il se sent bien à manipuler des tableaux Excel dans lesquels il s’enveloppe comme dans des couvertures douillettes. 8 h 46. Il s’encastre dans une veste bleue à carreaux rouges qui tente laborieusement d’accompagner un pantalon vert à fines rayures. Sans grand succès. Un coup d’œil à la psyché, il s’empare de sa trottinette et ferme la porte à clef. La sueur lui dégoulinant du front, il fend les quartiers ouest comme une flèche d’Apache. Il ne prend même pas la peine de saluer Mme Lebranchu, la boulangère, à travers sa vitrine, comme à son habitude. Les roues de sa trottinette tressautent sur chaque gravier. Ses poumons au bord des lèvres, son bolide avale le bitume. Quand il aperçoit enfin la bouche du métro 60, il met pied à terre et dévale les escaliers quatre à quatre pour s’enfoncer dans les entrailles urbaines. Le métro le met toujours mal à l’aise : les gens se collent à lui, ils transpirent et l’odeur de graisse et d’urine mêlées lui donne la nausée. Le labyrinthe de carrelage serpente jusqu’au quai où il peut enfin laisser échapper un long soupir au contact entre son postérieur et un siège recouvert de moquette mouchetée de brûlures de cigarette.
- Jean-Fabien -
Les yeux rougis et ensablés, Jean-Fabien est encore éveillé quand fanfaronne l’alarme de son téléphone ; allongé dans ses draps rêches il fixe le vague devant le plafond. Pour tout dire, cela fait bien longtemps que Morphée l’a banni de son royaume béni ; le marchand de sable l’a abandonné pour fuguer définitivement vers des contrées plus hospitalières. La tête compressée dans un étau, il s’extirpe péniblement de sa camisole de draps et de couettes pour se planter devant le mur de sa chambre. Une cloison tapissée de papier glacé lui renvoie son reflet en un millier de miniatures estampillées Closer ou Voici. Des reliques de son âge d’or. Le 22 mai 2013 à vingt et une heures, trente-deux minutes et vingt-cinq secondes, Jean-Fabien foule pour la première fois le carrelage d’un cheap rose et vert consommé de l’« Appartement des Mystères » pour devenir Jean-Fab. À l’instar de ses dix-neuf compagnons de fortune, il passe alors deux mois enfermé dans 150 mètres carrés, épié vingt-quatre heures sur vingt-quatre par soixante-trois caméras haute définition 4k, 3D. Leurs moindres faits et gestes sont enregistrés, 1512 heures de rushes quotidiens sont scrutés par quarante-six pré-sélectionneurs, vingt-trois sélectionneurs, neuf monteurs et dix ingénieurs du son travaillant jour et nuit en rotation perpétuelle. D’abord timide et effacé, il devient la star du show en se confectionnant un slip en crème chantilly avant de déambuler dans cet habit d’Adam onctueux sous le regard médusé de centaines de milliers de téléspectateurs puis celui de millions d’internautes à travers le monde. Cette vidéo devient virale. La presse l’idolâtre ; de New York à Tokyo les rotatives ne tournent que pour lui, une hausse sensible de la déforestation aurait même été enregistrée sur cette période. Le Creamy-Undy © devient une marque déposée et se vend à des milliards d’exemplaires de par le monde. Jean-Fab met à peine un pied hors de l’« Appartement » qu’il est emporté par une foule de journalistes autoproclamés et de fans luisants de sébum ; dérivant au gré des flots d’autographes et de selfies. Chaque nuit, la clochette de Twitter le tire du sommeil ; son smartphone éclaire son visage d’un halo bleuté, il sourit. Aujourd’hui, Jean-Fabien n’est plus qu’une ombre ; il décolle une photo à son mur de trophées, la Patafix s’étire comme un bras tendu pour l’en empêcher. Un sourire Colgate plaqué sur la gueule, le Jean-Fab en deux dimensions toise un Jean-Fabien émacié et gris. « Tu n’es plus rien Jean-Fabien. Tu n’es personne. Tu n’existes plus. Tu mourras seul, et personne n’en parlera. Tu es voué à demeurer dans les limbes de l’oubli perpétuel et tu n’en sortiras jamais. Jamais », lui murmure Jean-Fab. Les larmes aux yeux et la rage au ventre, il arrache du mur sa mosaïque égocentrée. Une neige de papier glacé tombe lentement aux pieds émaciés de Jean-Fabien. Quelques larmes sèches débordent du coin de son œil. Assis en tailleur sur ces clichés d’un temps passé il se remémore le 29 avril 2014. Ce jour-là Jean-Fabien refait surface dans les profondeurs d’Internet avec un clip « fait maison ». Il y déambule dans les allées d’une boîte de nuit au rabais, une bouteille de champagne à la main. Trois filles rentrant péniblement dans leur costume dansaient sur le refrain minimaliste de ce chef d’œuvre 2.0 sobrement intitulé « La Chan-chan-chantilly ». Un déluge de moqueries gratuites et anonymes s’abat sur le bonhomme mais il est heureux car enfin il existe de nouveau. Mais le temps est relatif et sur Internet il suit le rythme de la fibre optique ; le chaton qui joue avec une boule de papier aluminium remplace bien vite l’octogénaire bassiste d’un groupe de métal qui a succédé au nouveau clip de Pharrell Williams. Le phénomène durera trois jours. Simplement vêtu d’un caleçon et d’un T-shirt rose arborant ironiquement une étoile constituée de paillettes sous-titrée « STAR », Jean-Fabien franchit pour la première fois depuis bien des semaines le seuil de son appartement. La démarche est mécanique et le cerveau en pilote automatique. Il n’est plus soumis à aucun stimulus extérieur : il ne souffre pas de marcher pieds nus sur les pavés ni du vent d’octobre qui lui lèche les mollets. Il s’arrête lorsqu’il passe devant le kiosque avec au fond du cœur l’espoir d’apercevoir, dans ses étals débordants de magazines d’un rose fluorescent écœurant, une ligne, ou même quelques mots, à son sujet. Mais Shannia et ses seins en polypropylène ont définitivement pris sa place sur le trône. Shannia : son interview inédite. Shannia et Kevin : leur romance impossible. Scoop ! Shannia : elle revoit son ex ! Le nouveau tatouage de Shannia : Fashion Faux Pas !!! Shannia : toujours pas guérie de Kevin. De la bouche siliconée de Shannia s’échappe un rire condescendant. Pour toi l’aventure s’arrête ici Jean-Fab. Alors il continue son chemin, le regard vide et un bruit blanc remplissant ses oreilles. Zombie parmi les zombies, personne ne le remarque, il se fond dans la foule de costumes. Bétail en transhumance. Direction le métro. Le métro 60 plonge dans les entrailles de la ville, serpente sous les tours grises et les squares déserts des quartiers est, pour enfin refaire surface défiant les maisons de la presse, fusant vers elles telle une balle sortie d’un calibre. C’est ici qu’il mettra son point final. Le long du quai, il s’allume une dernière cigarette et attend, les pieds fermement ancrés sur la bande avertisseuse jaune. Le brouhaha de sifflements mécaniques se rapproche. Il écrase son mégot du pied et prend une grande inspiration. Quelques minutes plus tard, il ne sera plus que brume écarlate voguant lentement au gré des vents huileux des souterrains, se faufilant entre les cris de la foule hystérique.
- Arsène -
« En raison d’un incident indépendant de notre volonté, la circulation des trains sur la ligne 60 est suspendue pour une durée indéterminée. Nous nous excusons pour la gêne occasionnée. Merci de votre compréhension. » 9 h 57. La boule de la ponctualité au ventre, Arsène remonte les escaliers du métro quatre à quatre. Plan B : s’il veut arriver au travail avant la pause-déjeuner (aujourd’hui il y a des lasagnes au self et Arsène adore les lasagnes du self), il devra prendre le bus. Le vent lui fouette le visage alors qu’il rebrousse chemin vers l’arrêt de bus. Il ne prend jamais le bus, mais connaît le tracé du réseau de transports en commun par cœur. Il n’y peut rien, c’est juste comme ça. Il visualise le réseau de lignes colorées s’entremêler sous ses yeux comme une poignée de vers de terre ayant ingéré trop de Smarties. La ligne 302. C’est la rose. Le bus 302 s’apprête à partir alors qu’il arrive devant l’arrêt, il fait alors un signe au chauffeur qui l’attend civiquement. Les poumons au bord des lèvres, il pénètre dans l’habitacle tout en tentant d’extirper sa pièce de deux euros avec ses doigts gourds. Un cyclone de cartes de fidélité et de tickets de cinéma tourbillonne hors de son portefeuille accompagné par une pluie de pièces bronzées qui cascadent sur le sol caoutchouté.
- Lena -
Un fin rai de lumière matinale se faufile entre les persiennes du Velux et vient se déposer délicatement sur ses paupières qu’elle entrouvre doucement. Ses longs cils battent comme les ailes d’un papillon exotique. Elle débranche son téléphone du chargeur et regarde l’heure. 8 h 59. Son réveil n’a pas encore sonné, elle pourrait bien se laisser porter encore une petite heure par les flots du sommeil mais en ce moment ce n’est pas vraiment la peine d’y penser, elle passe le plus clair de sa nuit à attendre le lendemain et à fixer les étoiles en se disant que sa place est certainement là-bas, autour d’une de ces lueurs distantes. À quel moment a-t-elle bien pu croire qu’elle était humaine ? Elle n’a jamais vraiment compris ce monde et il lui a toujours rendu la pareille. Elle est certainement tombée d’un vaisseau alors qu’elle était encore bébé. Il suffit d’attendre et ils reviendront la rechercher un jour ; elle en est certaine. Mais pour l’heure elle s’accroche sur ce petit caillou perdu au fin fond de l’univers et se hisse hors du paradis moelleux qui lui fait office de couche. Ses longs doigts extraient une cigarette du paquet froissé gisant sur sa table de nuit. Une pointe de mauvaise conscience ne peut s’empêcher de lui picoter le pouce qui roule sur l’amadou de son briquet, elle sait que c’est une mauvaise habitude et ne cesse de se promettre d’arrêter depuis qu’il est parti. Mais bon. Pas maintenant. Ses pieds nus contre le plancher tiède et la cigarette coincée entre les lèvres elle traverse la cuisine et allume la cafetière qui se met à chuinter un ronronnement crépitant. Elle écrase le mégot goudronné dans un cendrier kitsch en forme de coquille Saint-Jacques et se dirige vers la salle de bains. Elle s’enfonce Sea Change de Beck dans les oreilles, sa brosse à dents se balance en cadence avec le rythme chaloupé de la guitare folk. Alors que les derniers accords s’égrènent pour être remplacés par la voix chaude et enveloppante d’Amy Winehouse, elle empoigne sa brosse à cheveux et s’échine à imposer une géométrie à peu près correcte à la tignasse rose pâle et indomptable qui lui encadre le visage. Elle enroule sa crinière grenadine en un chignon flou à l’intégrité structurelle faiblement assurée par une orchidée blanche. Elle se glisse une robe verte qui passe le relais à une paire de chaussettes de tennis blanches au niveau du genou. Elle se demande parfois pourquoi faire tant d’efforts pour au final se retrouver à baigner toute la journée dans les fripes graisseuses empruntées à son employeur Ronald McDonald, puis elle se dit que c’est certainement une preuve qu’un timide espoir en la vie subsiste encore dans un coin de sa cervelle. Chemin du retour, elle verse le café fumant dans un mug Batman puis y ajoute assez de sucre pour décimer une armée de diabétiques. Elle sait que c’est une mauvaise habitude et elle se promet de réduire. Mais bon. Pas maintenant. Elle va s’installer sur son tabouret à côté de Béatrice pour siroter son nectar caféiné. Les horticulteurs préféreraient certainement Dracaena Marginata mais elle trouve que Béatrice c’est plus joli. Elle a l’habitude de lui raconter sa journée. Hier elle est allée voir une comédie romantique où l’homme parfait et la femme parfaite se tournent autour pendant 1 h 45 de gâchis de pellicule pour enfin coucher ensemble comme dû. Mais bon, elle a au moins pu engloutir son poids en maïs caramélisé et c’est déjà pas mal. Elle repose le mug vide sur la tour de Jenga à l’équilibre précaire qu’est devenu son évier au fil des semaines et se met en route.
- Yukimi -
Le visage fermé et la boule au ventre, Yukimi traverse le long corridor aux murs de béton brut. Fille de l’illustre Koichi Nakano, son enfance a inévitablement été imprégnée de la froide et dure loi des yakuzas. Pas un jour se passait sans que trébuche sur une peluche un homme au tatouage de dragon ou qu’elle retrouve un shinken ou un katana parmi ses jouets. Un jour papa est rentré à la maison le visage fermé et les poings serrés, elle ne l’avait jamais vu dans pareil état auparavant. Sans mot dire, ils firent leurs valises et partirent pour des contrées plus pacifiques : la France. Mais la renommée de son arbre généalogique l’avait précédée et dès ses 21 ans elle fut repérée par le parrain, Jean Dupont, qui voit en son paternel un atout majeur pour son commerce. La mafia du fromage aveyronnaise avait bientôt un nouvel atout dans sa manche. Alors qu’elle pénètre dans la salle de réunion, elle remarque que tous sont déjà installés autour de la grande table de marbre. Chemises noires et moustaches se retournent alors que ses talons résonnent dans toute la salle. Elle intercepte le regard de Marie et le vide qui habite ses prunelles n’augure rien de bon. En bout de table, Jean Dupont, engoncé dans son costume italien noir à fines rayures blanches, la transperce de ses minuscules iris bleu électrique tout en grignotant nonchalamment un Pik&Croq’. À l’instant où elle s’installe, il écrase le bâtonnet dans le fromage comme un mégot dans un cendrier. « Bien, nous avions failli attendre, mademoiselle Nakano. Nous allons enfin pouvoir commencer, annonce-t-il de sa voix fissurée par des années de pipe. Il y a une taupe parmi nous », lâche-t-il en guise d’introduction. Quelques secondes d’un silence interstellaire s’étirent derrière cette phrase comme un chewing-gum sous une semelle. « Mes amis, je pensais tous vous connaître. Toutes ces années que nous avons passées côte à côte à nous battre ensemble, main dans la main, contre ces pourritures qui nous entourent. Je pensais bien vous connaître. Michel, te rappelles-tu ce jour, c’était en 76 je crois, ce jour où on a dessoudé la moitié du clan Monzoni à la mitraillette ? Ha, c’était le bon temps. Et toi Colette, tu te souviens de la fois où les Van Der Baaker sont rentrés dans le QG et que Florian a foncé dans le tas avec une grenade dans la bouche pour déconner ? » Un sourire nostalgique point sur le visage bouffi du parrain. « On a retrouvé des bouts de viande pendant au moins trois semaines… Ha ha ha. Quel bordel… Nous étions frères. Nous étions sœurs. Mais quelqu’un nous a trahis. Les Suisses nous attendaient lors de la dernière livraison. Deux de nos amis sont morts pendant la fusillade. Gaston et Lucienne. » « Attrapez-la », murmure-t-il finalement dans un souffle tremblotant. Elle se réveille avec la bouche pâteuse et l’impression d’avoir un steak tartare greffé à la place du visage. Ses lèvres et ses paupières ont triplé de volume. Sa tête est beaucoup trop lourde pour que son cou n’espère la tenir droite, il préfère donc laisser sa poitrine en collaboration avec la gravité se charger de la supporter. Elle réalise au bout d’une éternité que ses membres sont entravés par des chaînes, puis d’une seconde éternité qu’elle est suspendue au-dessus d’une cuve de fromage à fondue se remplissant à vue d’œil. L’acier inoxydable de son carcan se montre inflexible face aux négociations et gigotements de la pauvre Yukimi. L’acceptation de sa fin prochaine remplit son corps comme le morbier dans le brassin. Le reste n’est que bouillie de moments embrumés qui se fondent en un flou incohérent. « On va partir d’ici ne t’inquiète pas. » Marie qui vient la détacher. « On partira loin toutes les deux. » L’épaule de Marie qui s’enfonce dans son abdomen alors qu’ils traversent les couloirs déserts du complexe. « Loin de toutes ces conneries. » Son katana qui frotte contre le sol. « En Norvège. » Les gardes. « Ou au Danemark. » La chute. « Là où le fromage n’est que gastronomie. » Marie qui glisse sur un Babybel. « Ils ne nous retrouveront jamais. » L’homme à la chemise noire entrouverte laissant apparaître une pilosité argentée. « Je serai Kirsten, tu seras Anja. » Un revolver pointé sur son visage. « Nous partirons toutes les deux. » Un trou béant rougissant le front de Marie. Un dernier baiser déposé sur ses lèvres. La rage. Les larmes. « Nous partirons toutes les deux. » La lame de son katana fend des océans de sang et d’entrailles. « Nous partirons toutes les deux. » Les organes s’écrasent comme des fruits trop mûrs qu’elle piétine sur son passage. « Nous partirons toutes les deux. » Elle ne sait plus très bien si c’est son propre sang qui macule son visage ou celui du clan Dupont. « Nous partirons toutes les deux. » Elle règle toutes les pompes à fromage au maximum après avoir tranché la gorge de l’opérateur qui s’écroule comme un pantin désarticulé. Elle peut alors quitter le complexe et le laisser disparaître derrière elle dans une explosion molle et crémeuse ; mais sans se retourner car elle sait que les héros charismatiques ne regardent jamais leurs explosions. Elle ne peut empêcher une larme de glisser le long de sa joue pour s’écraser au sol teintée de rouge carmin. Elle partira seule. En Norvège. Ou au Danemark.
- Lena -
Elle coince une nouvelle cigarette entre ses lèvres et l’allume en parant le vent avec sa main gauche. Ses sneakers blancs aux pieds, elle slalome entre les chewing-gums qui jonchent le bitume. Elle souffle la fumée par le nez comme un dragon imbibé de nicotine et elle regarde le nuage bleuté se contorsionner avant de se dissoudre définitivement dans l’air matinal un petit peu comme ses années qui passent et sa vie qui se disperse aux quatre vents. Puis elle se dit qu’elle devrait arrêter la philosophie de comptoir, ça doit être de la faute de Pink Floyd, les nappes de synthé ça lui fait toujours cet effet-là. Alors elle coupe Shine On You Crazy Diamond en plein milieu du solo de saxophone, comme une sauvage. La lecture aléatoire l’emmène vers les contrées monochromes de Joy Division, « beaucoup mieux pour endiguer le doux spleen de novembre », se dit-elle ironiquement avant de prendre place sur le banc froid de l’abribus. Tous les jours, le même banc, le même abribus. Heureusement, il y a Claudine. Chaque matin, Claudine prend le bus 84, celui de 9 h 47, pour aller faire les courses au marché. Chaque matin, elle s’installe à côté de Lena et elle lui raconte sa journée, lui parle de son petit quotidien, ses petits-enfants, la météo… Ça ne l’intéresse pas vraiment mais ce petit monologue quotidien ne manque jamais de lui dégivrer le cœur avant de partir travailler. Parfois, elle se dit que Claudine partira avant elle et, malgré leur statut de connaissances lointaines, les larmes lui remplissent les globes oculaires. Alors elle préfère ne pas y penser.
– Rappelez-moi, c’est bien le bus 407 que vous prenez d’habitude ? – Hm, oui pourquoi ? – Vous n’avez pas entendu ? Toute la ligne est coupée à cause de la fromagerie qui a explosé. Ils ne parlent que de ça au poste aujourd’hui, je me demande vraiment comment vous avez pu passer à côté. – Je… je n’écoute pas vraiment les infos en ce moment. – Et vous avez bien raison. Avec tout ce qu’on entend aujourd’hui… Je devrais bien faire pareil tiens. J’en parlais hier avec la caissière de Super U ; vous vous rendez compte, ils vont encore augmenter la taxe foncière cette année. Ah, si mon Raymond était encore là pour voir ça […]
Au point final du monologue de Claudine, une troisième cigarette en bouche et Ratatat en oreille, Lena décampe pour essayer d’attraper le bus 32 à la porte des Géraniums.
- Shady Jake -
Un soupir de damné s’échappe des poumons de Black Daniel alors que l’astre solaire l’extrait sans aucune pitié du sommeil gorgé d’éthanol dans lequel il baignait jusqu’alors. Chacun de ses muscles a été remplacé par du fil barbelé, un solo de perceuse lui vrille l’encéphale et ses globes oculaires fondent dans leurs cavités. Un verre d’eau. Il lui faut un verre d’eau. Et vite. Alors que le robinet lui joue une symphonie dont la douceur n’a d’égale que celle du papier de verre, il tente maladroitement de reconstituer le puzzle qui lui fait office de veille. Il était censé faire un truc ce matin. En tout cas il lui semble en avoir le souvenir. Il n’en est même pas vraiment sûr. Alors de là à se rappeler quoi il ne faut peut-être pas déconner non plus. Ça ne devait certainement pas être important.
– Bordel, mais qu’est-ce qu’il fout ? On lui avait pourtant dit 10 heures à cet abruti. C’est si compliqué que ça de se pointer à l’heure ? – Tu connais Daniel non ? Il n’a jamais été à l’heure de toute sa vie. Il paraît même qu’il est né à 10 mois tellement il avait la flemme de sortir. – Ouais, très marrant. En attendant on est en train de casquer pour le studio et ce con n’est pas foutu de se ramener.
Les quatre membres ponctuels de Joe and the Juice attendent depuis plus de 3 heures dans le studio. Et pas n’importe quel studio. Le Muddy Waters Studio se cache dans une bicoque aux façades jaunes et saumon décrépies du quartier français de La Nouvelle-Orléans. Mais malgré les fissures lézardant les cloisons et sa toiture aux tuiles aussi rares que les dents d’un accro au crack, le Muddy Waters Studio fait fi de son apparence de maison de passe et peut se targuer d’avoir imprimé son nom au fer rouge sur l’histoire du jazz. Les plus grands y ont enregistré ; de Lil’ Beckett à Blind Duke Miller en passant par la légende Roy « Skinny Kid » Parker. On dit même que la sueur de Richie Smith Davis et la fumée de cigarette d’Archie Big Simmons imprègnent encore sa moquette grisâtre depuis une jam session historique de 37 heures en juillet 1966.
– Je vous dis qu’il ne se pointera jamais. Il doit encore être beurré ou défoncé comme d’habitude. – Putain de bordel de putain de merde ! Chier ! Ça commence à mes les briser modèle géant toutes ces conneries ! J’en ai ma putain de claque. Vous savez quoi ? Je me casse. Démerdez-vous ! – Joe, Joe, Joe, attends ! Je connais un type qui pourrait nous dépanner sur ce coup. Shady Jake. Il a, disons, une dette envers moi. J’ai juste à lui passer un coup de fil. – Il a plutôt intérêt à être solide ton bonhomme, Dave, c’est moi qui te le dis.
Deep Dave n’avait pas encore terminé de composer le numéro sur le téléphone à cadran que la sonnette se faisait déjà entendre dans le studio. Dave repose alors le combiné et ouvre la porte découvrant un rectangle de muscles qui en remplit la quasi-totalité de l’encadrement. Il porte une veste noire râpée et une chemise blanche déboutonnée sur un torse d’ébène le tout agrémenté d’une fine cravate noire lâchement nouée faisant plus office de pendentif que d’autre chose. Un Trilby mou et une paire de Ray-Ban lui cachent la partie supérieure du visage. La partie inférieure est tout affairée à tirer sur une cigarette qui n’a pas été cendrée depuis plusieurs minutes et lutte mollement contre la gravité. « J’ai senti que t’allais m’appeler Dave », dit-il de sa voix si rocailleuse qu’on pourrait s’attendre à voir une gerbe de graviers glisser sous sa moustache encadrant un menton carré. Sa démarche de cow-boy fait tanguer le saxophone qu’il porte dans le dos comme un carquois.
– Tu sais mec, c’est pas la peine de garder tes lunettes, y a pas trop de soleil dans le studio, lâche Jim avec son air pseudo-nonchalant habituel. – OK, j’ai compris, t’es un petit rigolo. Vous m’avez appelé pour jouer du sax ou juste pour faire un concours de vanne, rétorque celui qui répond au nom de Shady Jake avec sa voix grave à faire trembler les murs. – Alors voilà ta partie. Tu rentres à la sixième mesure et tu… – Tu peux garder ta partition, je vais me débrouiller fiston. Ne t’inquiète pas pour moi, dit-il avant de se craquer les doigts et d’emboucher son saxophone avec la détermination du soldat armant son fusil.
Les accords claquent en s’évadant des ouïes de la guitare de Dave accompagnés par la ligne de contrebasse chaude et ronde de Jim. Les doigts fins et tordus de Joe dansent sur les touches blanches et noires au point de sembler se téléporter d’une octave à l’autre, le tout encadré par la précision métronomique de Patrick derrière les toms. Puis, à la sixième mesure, comme convenu, Shady Jake commence à jouer. Une silhouette fantomatique se découpe, s’extirpant du cuivre en ondoyant au rythme des notes chaudes et suaves du musicien. C’est une femme. Vaporeuse et plantureuse, la demoiselle drapée d’une longue robe de bal et de brume se détache délicatement du pavillon. Sa chevelure se déroule en longues boucles généreuses de cumulo-nimbus qui glissent au coin de ses yeux pour enfin retomber sur ses hanches cotonneuses. Shady Jane flotte doucement autour de sa moitié, enserre les épaules dans ses bras intangibles. Elle repose sa tête sur son épaule puis s’en détache pour découvrir l’ombre d’un hautbois. Leurs instruments sont à l’unisson, se répondent, se désaccordent puis se ré-enroulent l’un autour de l’autre, ils fusionnent en un siphon musical chimérique et irréel. Le morceau touche à sa fin, le solo également. Shady Jane dépose une dernière bise fugace sur la joue de son bien trop vivant conjoint avant de s’évaporer. Fade Out. Jake reprend son souffle quelques secondes puis range son instrument dans son étui. Les congratulations de ses confrères ne le retiendront pas ; il quitte le studio. Sans un mot. Sans se retourner. Seul Dave remarquera la larme qui se faufile sous les Ray-Ban.
- Lena et Arsène -
Quarante ans plus tard, les lamentations cuivrées de Shady Jake font toujours vibrer les tympans de Lena. Absorbée par la musique, elle ne réalise pas qu’elle est en train de pénétrer dans le mauvais bus. Un type déguisé en daltonien avec son costume multicolore est en train de ramasser des cartes de visite à genoux sur le sol. Elle l’enjambe et part s’installer dans un siège. À ce moment précis, leurs regards se croisent. Nous sommes le jeudi 14 novembre à 10 h 22. Elle ne sait pas pourquoi elle n’arrive pas à décrocher le regard de l’empoté à la trottinette. Il ne sait pas pourquoi il n’arrive pas à décrocher le regard de la fille aux écouteurs. C’est peut-être à cause de l’orchidée. À ce moment précis la même pensée leur traverse l’esprit. « Si j’avais du cran j’irais lui parler. » C’est en tout cas ce qu’il se passerait s’ils vivaient dans une comédie romantique se dit-elle. Les deux marginaux vivant la vie en parallèle qui se rencontrent en prenant le même bus par le plus grand des hasards, le prétexte pour engager la conversation, l’idylle gorgée d’eau de rose. Quelle connerie… Depuis quand les gens se parlent-ils sans raison dans les transports en commun ? Elle aurait pu l’aider à ramasser son fourbi quand elle est rentrée. Quelle conne. Trop tard. À ce moment précis il se demande quelles sont les probabilités pour qu’ils se retrouvent tous les deux dans le même bus. J’ai fait le calcul, elles sont inférieures à une chance sur 736 millions. Pour vous donner un ordre de grandeur, un homme a une chance sur 500 000 de mourir écrasé par un astéroïde. Vous rendez-vous compte du nombre de coïncidences qui se sont imbriquées spécialement pour enfanter cette rencontre. Le plus triste dans cette affaire c’est qu’ils auraient formé un couple parfait. Je le sais, c’est moi qui écris l’histoire. Mais non. Je vous avais prévenus. Ceci n’était pas une comédie romantique.
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