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Sentimental/Romanesque
Cyberalx : Henry
 Publié le 30/09/08  -  16 commentaires  -  4094 caractères  -  33 lectures    Autres textes du même auteur

Henry attend.
Il ne sourit pas.
Jamais, sauf à 12h15...


Henry


Lundi.


Henry attend.

Il ne sourit pas.

Jamais, sauf à 12h15.


12h13.


Le lundi, c’est la purée de marrons avec un steak de dinde,

La serviette rouge à droite des couverts,

Le verre à moutarde avec Bart Simpson dessus,

25 centilitres de jus d’orange,

Un morceau de cheddar de 4 centimètres sur 8,

Une part de tarte aux myrtilles.


Maman arrive devant la porte mais ne l’ouvrira qu’à 12h15.

C’est comme ça que ça doit être et c’est bien.


Maman frappe, trois coups.

C’est trois coups le lundi,

Cinq le mardi,

Deux le mercredi,

Trois le jeudi,

Deux le vendredi,

Cinq le samedi,

Quatre le dimanche.


Henry sait que c’est Maman, mais il demande pourtant :


- Qui est-ce ?


Invariablement, Maman répond :


- C’est Joe

- Joe qui ?

- Joe vais te donner à manger !


Et là, à 12h15, Henry accueille Maman avec le sourire.

Un sourire qui semble inapproprié, dérangeant, comme si on faisait grimacer un cadavre avec les doigts.

Un sourire sans les yeux, mais un sourire qui compte pour Maman.


Maman fait quatre pas jusqu’au bureau, toujours quatre.

Puis elle pose le plateau-repas sur le bureau d’Henry, recule d’un pas et lui dit :


- Bon appétit, Henry.


Là-dessus, Henry attend que Maman s’en aille, cinq pas jusqu’à la porte, elle ferme la porte et fait ce que font les mamans quand leurs enfants mangent.


C’est comme ça que ça doit être et c’est bien.

C’est bien comme ça depuis 40 ans.


**


Mardi.


8h00.


Henry se lève et met son pied gauche par terre, puis le droit.

Il compte à voix haute jusqu’à 10, fait 5 pas jusqu’à la fenêtre, ouvre les volets et dit :


- Goooood morning Vietnaaaam !


En bas, Maman doit répondre : « Avé césal, ze suis tlés content de te levoil ! »


Mais Maman ne répond pas.

Henry attend, il regarde sur sa montre Hérisson.


8h01.


Il est en retard sur le programme.

Henry attend, les yeux rivés sur l’aiguille des secondes qui continue son chemin, impassible.


10h00.


Henry danse d’un pied sur l’autre,

Il a raté le petit déjeuner,

Ça va être l’heure de la douche et il n’a pas déjeuné,

Il n’a pas encore brossé ses dents.


Ça ne peut pas être comme ça.


Henry se réveille, il regarde sa montre et il est 12h10.

Il a mal au front.

La vitre de la fenêtre est cassée, il y a du sang dessus.

C’est une alerte rouge.


Henry prend une inspiration et hurle :


- Alerte rouge ! Alerte rouge ! La maman du petit Henry est priée de se présenter à l’accueil ! Alerte rouge ! Alerte rouge ! Les femmes et les enfants d’abord ! Alerte rouge ! Alerte rouge ! Le personnel doit se diriger vers les sorties !


Henry regarde autour de lui, il cherche quelque chose d’habituel.

Le bureau blanc de Papa-qui-est-parti-chercher-du-pain-mais-qui-reviendra-un-jour.

Il regarde sur le bureau où il y a :

Trois stylos à bille bleus,

Trois stylos à bille rouges,

Un crayon gris HB,

Une gomme blanche.

Un cahier de brouillon.

Le plateau.


Maman n’a pas débarrassé le plateau et il est 12h14 !

Elle va bientôt arriver, dans 54 secondes exactement, et elle devra frapper cinq coups sur la porte mais ça ne va pas marcher, ça ne peut pas marcher comme ça, elle n’a pas débarrassé le plateau du lundi à 8h30, il n’a pas pris sa douche, il ne s’est pas brossé les dents, Maman n’a pas répondu « Avé Césal, ze suis tlés content de te levoil ! ».


Tout part en bordel de merde, se dit Henry.

Tout doucement, en chuchotant, il dit :


- Putain…


Il regarde vers la porte, Maman n’a pas entendu, elle n’a pas frappé 5 coups alors qu’il est 12h15, c’est n’importe quoi !


- Putain de n’importe quoi de bordel de merde, chuchote-t-il.


Son ventre lui fait mal.

Qu’est-ce qui se passe quand on n’a pas ses petits pois avec deux bâtonnets de poisson pané à 12h15 le Mardi ?

Qu’est-ce qui va se passer ?


- Putain de putain d’alerte rouge !


Henry se recroqueville sur lui-même.

Il se tape la tête doucement contre le mur,

Puis de plus en plus fort

Il a faim.

Il a mal au front.


- Maman est partie chercher du pain… se dit-il avant de s’endormir.


 
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   widjet   
30/9/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Cyb, tu as regardé "Rain Man" ce week end ?
Bon blague à part, j'ai trouvé la nouvelle assez inédite. Aucun auteur je crois n'avait abordé le sujet de l'autisme. Même si le texte est court, il est rythmé volontairement répétitif pour décrire de façon assez réaliste je trouve (le caractère obsessionel des habitudes, des chiffres, du comptage, des horaires....) les névroses du héros.

J'aurai préféré plus de profondeur néanmoins. Ici, ça reste sur l'extérieur, sur ce qui se voit et pas (enfin pas assez) sur ce qui se ressent intérieurement.

Peut-être que cela inspirera d'autres auteurs d'aborder ce sujet douloureux, parfois effrayant et assez fascinant malgré tout.

Widjet

EDIT : Pour KAOS. Parce qu'on peut pas être dans la tête de quelqu'un, on doit s'interdire de supposer, de spéculer, d'avancer une explication, une interprétation ? Je ne suis pas d'accord.

   Anonyme   
30/9/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Oui, toutefois rares sont les autistes qui peuvent demeurer chez leurs parents...Surtout chez une mère seule. Mais rares sont aussi les places en institut, bref...

Moi, la forme ne m'a pas trop accroché, j'aurai aimé plus d'introspection, de rêveries: Des phrases plus longues. Je trouve que le style rend l'atmosphère "froide", j'aurai aimé plus d'alternance, de la "chaleur" parfois...
En revanche j'ai aimé le thème, difficile à aborder.
Bravo.

   Anonyme   
30/9/2008
Je n'avais compris que c'était un autiste… Mais pourquoi je ne comprends jamais rien ?
Sinon c'est très bien écrit, ça provoque une sorte de malaise chez le lecteur, je ne saurais pas décrire, je ne sais pas si c'est ça que tu voulais produire, mais en tous cas ça m'a fait tout bizarre…
Je regrette juste quelques allusions au monde extérieur qui altèrent un peu l'impression d'enfermement, la focalisation sur Henry.
Bon, moi je trouve ça innotable, c'est à la fois excellent et à la fois si noir…

   victhis0   
30/9/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Fallait oser...Exercice très périlleux (à moins que Cyberalx soit autiste?). Mais c'est convainquant, très original, noirissime mais sans gratuité.
Ca reste un exercice, un truc pour voir, mais j'apprécie le savoir faire incontestable de l'auteur...

   clementine   
30/9/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Pour moi, c'est excellent.
J'ai apprécié la forme qui justement nous précipite dans le monde d'Henry où tout est bien rangé, cerné, défini. Une fois pour toutes. C'est très bien vu aussi car c'est exactement cela l'autisme.
Des repères, des repères et de l'immuable car aucune possibilité d'adaptation possible face à une situation nouvelle.
De lignes en lignes, de jours en heures, Cyb nous fait pénétrer dans cet univers en vase clos. Il s'ensuit évidemment une grande sensation de malaise, c'est incontestablemeent l'effet voulu.
Sujet original bien traité.
Cela m'a vaguement évoqué un roman de G.Cesbron lu il y a très longtemps...je crois qu'il s'agissait de:"mais, moi je vous aimais"
Ben, moi j'ai aimé ce texte. Merci Cyberalx.

   Anonyme   
30/9/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai beaucoup aimé et détesté.

Aimé la forme, le fond, lire simplement.

Détesté parce que cette "maladie" est très personnelle et me touche un peu trop....

Pour Widjet qui demande plus de concret: comment peux tu savoir ce qui se passe dans la tête d'un autiste? Tu viendras m'expliquer....

La note c'est pour le plaisir. Merci à toi.

   Anonyme   
2/10/2008
J'ai bien aimé.
Je trouve que la forme un peu "télégraphique", l'énumération de chiffres et d'horaires, rend bien l'idée du côté obsessionnel et l'enfermement du personnage.

Tragique sobre et efficace.

   Anonyme   
3/10/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
sur le fond: les deux heures d'attente où rien ne se passe ne sont pas crédibles; alors que le reste est très bien décrit.(même si un peu attendu, il n'empêche que c'est bien ça). Ces deux heures(de 8 à 10)étaient les plus intéressantes à étudier et donc à décrire. C'est dans la manière de vivre cette attente que se révèle la personnalité du héros au-delà de sa maladie. Sinon tous les autistes sont les mêmes.
Bien sur on pense à rain man, qui n'est pas exempt d'imperfections non plus
L'essentiel est tout de même là: l'émotion suffisamment contenue.

   Anonyme   
5/10/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
oui, bien, bien, bien... mais oulà il a attendu si longtemps que ça...?
J'ai bien aimé sinon, j'ai retrouvé un style aui me parle, fluide, hachuré, mesuré à la louche, bref, j'ai un rythme bien mené (sauf à la fin, je trouve ça trop long avant qu'il ne s'agite vraiment... hm).
40 ans, 40 ans avec un enfant qui compte les secondes, pour lequel chaque détail est l'important... et ce père parti chercher du pain... oui j'aime bien.
Mais...
Mais je me demande quel a été ton but premier en écrivant ceci.
Rendre l'enfant (enfant?) détestable, rendre la mère héroique, rendre l'ensemble pathétique? je me tâte encore, je vais devoir relire pour démeller tout ça...
Merci pour cet aperçu pratiquement crédible en tout, pour ce regard différent sur le sujet, pour l'ambiance, le rythme et le recul, Cyb, le recul!

   Anonyme   
28/10/2008
 a aimé ce texte 
Bien
J'y ai retrouvé le style d'écriture "accrocheur" que j'aime bien. Je ne peux m'empêcher de penser à Gavalda. Le quotidien, l'ordinaire, les détails de la vie qui racontent leur histoire. J'aime beaucoup, c'est ce qui m'intéresse le plus d'ailleurs, peut être parce que je fais un peu de sociologie, allez savoir.
Je trouve que tu as donné une façon d'expliquer la vie d'Henry et sa maladie : celle des faits. Et je trouve plutôt bien le fait que tu ne sois pas rentré(e) dans la tête du personnage, c'est à nous de réfléchir, de s'imaginer... J'aime bien se regard extérieur.
Comme j'aurais tout autant aimé un regard "intérieur", mais je trouve que la façon dont tu as construit ta nouvelle ne rendait pas ça nécessaire. Voilà pour mon avis.
En peu de mots : vraiment agréable à lire

   Anonyme   
28/10/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Ce texte écrit de tres court flash, comme des pensées issues d'un monde auquel on ne peut accéder. Ces pensées rassurantes concrètes, tout en mode rituel. Et le grain de sable qui se glisse.
La tension progressive que cela induit jusquà la crise et la conclusion hyper logique qu'en tire Henry, enfermé dans sa tête, enfermé dans son immédiat premier degré.

Pas de fausse note, une langue au scalpel qui rend au final un texte tres fort, très emotionnel et tres fin

Moi j'en redemande, et dans la forme et sur le fond. Un texte d'une profondeur subtile... chaque mot semble pesé, à sa place. Qu'on un retire un seul et l'édifice s'écroule, come le grain de sable vient faire s'écrouler le petit monde dans lequel Henry se sentait "protégé"

Merci beaucoup Cyb

   melonels   
13/1/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Le texte est poignant. Pourquoi parler de style d'écriture, ici on ressent une vérité, dure mais traité avec la légéreté de l'insouciance du héros.
Félicitations.

   Flupke   
14/1/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
La présentation graphique en succession de lignes courtes apporte quelque chose en donnant l'impression d'augmenter l'intensité du côté maniaque de l'autiste.

   Anonyme   
16/2/2009
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Alors là... ça prend aux tripes, c'est ... impossible de commenter l'histoire elle est ... Bon fais quelque chose, va braquer les éditeurs, dis leur que tu existes !
Juste un tout petit minuscule bémol mais c'est rien de rien du tout, dans la phrase longue, très longue, lol, y'en a qu'une tu trouveras, le "et" est en trop.

   Pattie   
28/10/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai vraiment beaucoup aimé, l'histoire, le ton du personnage, le choix du point de vue, l'humour déplacé et quasi tendre, les souvenirs de personnages qu'il fait renaître - Rain Man, bien sûr, et puis aussi "Le jour où j'ai raté le bus", de Jean-Luc Luciani (littérature jeunesse).
Par contre, pour moi, c'est juste le prologue. Il me manque la suite du roman. J'attends.

   carbona   
7/9/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,

Quel dommage de finir ainsi. Pour moi cette nouvelle n'est pas terminée. La mère n'a pas pu l'abandonner, on a aucune explication allant dans ce sens, et cette fin nous laisse avec une grande interrogation. Que va devenir Henry ?

Sinon j'ai adoré le reste, d'où ma grande déception à l'égard de la fin même si la chute est douce, dure et pleine d'humour à la fois.

J'adore la structure du texte, la présentation du personnage par ses rituels, la relation mère-enfant (très touchante), subtilement décrite toujours par le biais des rituels. J'admire le fait que vous parveniez à faire vivre autant de sentiments sans même en énoncer un. C'est un travail délicat. Le choix de votre angle d'approche est très judicieux et fait naître chez le lecteur un intérêt certain.

"C'est bien comme ça depuis 40 ans" < subtil excellent pour nous guider lentement sur votre personnage

Mais cette fin est précipitée, la situation est à peine née qu'elle est déjà terminée...

Merci pour cette lecture.


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