|
|
Jemabi
29/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
|
Un récit en forme d'introspection dans lequel chacun peut reconnaître son propre ressenti envers des parents parfois trop présents, et, même si l'on désire les garder à distance, tout nous ramène à eux. Ici, les petits danseurs de la boîte à musique et leur insouciante jeunesse planent à jamais sur le vécu de la narratrice. Ils sont l'image éternelle d'un couple heureux que de nombreux enfants sont venus perturber. Mais rester sans enfant ne rend visiblement pas plus heureux. La visite chez la mère, le passage obligé de l'album de photos, les mauvais souvenirs du martinet, les reproches, puis le retour compliqué à la maison, j'ai trouvé l'ensemble fort réussi et crédible, et c'est alors que survient cette phrase puissante, déchirante, qui résume à elle seule ce beau texte :"Je suis enceinte à vie et contre mon gré de deux êtres, dont l'une est censée m'avoir portée".
|
Cox
4/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime un peu
|
Bonjour!
J'ai lu un récit riche et bien construit qui nous invite à plonger dans la psyché d’une femme totalement étouffée par sa mère et perdue dans les fantasmes d’une vie projetée. Si le texte est intéressant à analyser, j’en ressors plus avec une satisfaction purement intellectuelle qu’une véritable émotion. J’ai eu l’impression qu’on procédait à un examen presque clinique des névroses du personnage, ce qui n’est pas mon type de récit préféré. C’est subjectif bien sûr mais je ne suis pas psy, et disséquer un esprit de papier n’est pas ce qui m’excite le plus en lisant une nouvelle. Le texte est en revanche bien maîtrisé et réussi dans ce genre, je crois. Il s’ouvre sur une boîte à musique venue de temps presque immémoriaux. Cette symbolique préfigure plusieurs thèmes qui reviendront par la suite. D’une part, nous avons un personnage résolument coincé dans le passé, comme le montrent sa nostalgie (« les années 50, le bon temps ») et ses références culturelles (« p’tit bal perdu », « tourbillon de la vie »). La narratrice se complaît dans une époque révolue et refuse d’avancer dans sa propre vie. En ce sens, la symbolique de la ronde a également son importance pour un personnage enfermé dans un cercle vicieux qui semble devoir se répéter toujours. Elle se retrouve entrînée dans une spirale vers le bas vertigineuse, et les deux danseurs tournent, inlassablement. Même vis-à-vis de cet objet anodin, le personnage fait preuve d’une étonnante distance analytique (« Bien camouflés dans le socle de la boîte et savamment organisés, ressorts, lames, roues dentées et autre pile doivent suffire, je suppose, à faire fonctionner le rêve. »). Cette attitude reflète assez bien le ton de ce texte, qui est presque une analyse romancée d’un trouble psychologique. Quoiqu’elle soit rationnelle vis-à-vis de l’objet, cela ne l’empêche pas cependant de se perdre dans son fantasme (« Mais j’ai cette faculté de me duper moi-même. »). Autre élément important : l’objet en question rend la narratrice inconfortable, ce qui ne l’empêche pas d’être irrésistiblement attirée : « Je suis incapable de l’analyser [ce sentiment]. Je sais simplement qu’il n’est pas agréable(…). Mais au final je suis toujours harponnée (…) ». Aimantée contre son gré vers quelque chose qui la blesse : qui sont donc ces deux danseurs ? On peut bien sûr penser à ses parents, objets de son obsession et de sa douleur. Symboles vivants ou figurés d’un passé dans lequel elle se projette pour échapper à son présent. Les danseurs-parents représentent sûrement la vie qu’elle fantasme mais qu’elle ne vivra jamais. Tous ces thèmes trouvent leur explication dans l’interaction avec la mère castratrice (je sais pas si ça se dit pour une enfant, mais pourquoi pas après tout). Immédiatement, leur rencontre s’ouvre sur une séance photo, qui ramène les personnages à un temps passé comme celui de la boîte à musique. On apprend d’ailleurs qu’il s’agit d’« un temps que je n’ai jamais connu mais dont bizarrement je suis nostalgique ». Pourquoi ? Je pense que la narratrice vit sa vie entièrement à travers ses parents, qu’elle s’identifie à eux comme une image insurmontable et idéalisée, et qu’elle fantasme sa propre existence via leurs souvenirs. Les parents sont encore idolâtrés et vus comme supérieurs (« Moi qui suis née en ville, y ai toujours vécu, je me trouve bien moins de classe que ces deux-là »). La mère renforcera cette idée en dénigrant sa fille dans le non-dit (« la qualité est médiocre, ne dit-elle pas »). Le silence est une arme pour blesser l’enfant, comme lorsqu’elle attend « quelques mots tendres à [son] endroit » qui ne viendront pas : cette sensation lui rappellera alors la douleur physique du martinet. La cruauté de la mère vient de la rancœur qu’elle a envers des enfants non désirés (« la pilule qui n’existait pas »). Elle préférerait ne pas en avoir et être « libre ». Finalement, les deux personnages sont prisonniers l’un de l’autre. L’angoisse et la douleur se transforment finalement presque en psychose au sens clinique. La narratrice éprouve plusieurs symptômes physiques (« Un nœud s’est formé dans ma gorge », « Mes jambes tremblent », « Je respire de plus en plus mal », « Un vertige. La tête me tourne », « je suis au bord de la nausée »). Le personnage est saisi de rêves/hallucinations (« le sol se dérobe soudain », « je tourne moi-même, embarquée sur la piste de danse »). On a donc bien à faire à une maladie mentale, comme le suggérait le texte et le symbolisme. Ce déséquilibre mental participe à l’extrême co-dépendance de cette femme déjà vieille envers sa mère, puisque ses hallucinations la ramènent chez ses parents presque contre sa volonté. Au final, c’est un texte bien mené et bien écrit, riche d’indices qui semblent tous mener vers un portrait psychologique cohérent. J’ai trouvé que l’on versait parfois dans l’excès. Il m’a été difficle, par exemple, d’imaginer la narratrice prise d’une angoisse physique devant le débarras du martinet, elle qui passe si régulièrement chez ses parents. Difficile de croire également à la violence de cette crise d’angoisse pour une visite qui semble faire partie de sa routine. Mais encore une fois : je ne suis pas psy. Au final, j’ai été intéressé mais pas vraiment captivé : ce portrait méthodiquement dressé ne m’a pas atteint émotionnellement mais je dois dire que je ne suis pas non plus très réceptif pour ce genre de texte. Le personnage peut-être trop passif, trop vulnérable, au point de paraître un peu niais au final, est peut-être la raison qui fait que je ne suis pas totalement investi. Malgré tout, comme vous le pouvez le voir, la richesse du texte m’a invité à la réflexion et je respecte l’écriture précise tout comme la cohérence remarquable des nombreux éléments proposés. |
jeanphi
13/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
|
Bonjour,
Je trouve ce texte superbe, en certain endroits vous amenez de cette magie dans le récit qui me rappelle mes lectures de Jean d'Ormesson, nottement l'apartée sur les cheveux. Tout l'agencement du récit me semble être de fine facture, de la première courte phrase à la dernière. Le récit est, comme le dit Jemabi, très évocateur. Impossible de ne s'y associer d'une manière ou d'une autre. Je dirais que, pour la description de l'échange avec la mère, vous parvenez à vous adresser à l'intimité du lecteur que je suis. Le personnage principal me paraît trop étrangé pour me procurer cette sensation, mais je ne doute pas qu'une analyse plus pointue de ma part mène à ce même constat de sensualité (au sens large). Je salue cette justesse et cette subtilité dans le développement de la psychologie des personnages. |
Cleamolettre
13/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
|
Bonjour,
C'est un beau texte, pudique, délicat, pour dire l'emprise et la douleur d'une enfant en mal d'amour maternel et probablement paternel aussi. Marquée à vie par son enfance, coincée dans une boucle temporelle et un lieu (l'immeuble des parents) comme les personnages de la boite à musique qui la fascine, sans doute car elle se sent bloquée dans la ronde, comme les danseurs, même s'ils figurent sans doute ses parents au bal. Enfant désormais âgée mais qui reste une petite fille, apeurée par les remarques insidieuses, les reproches d'exister (en creux, si la pilule avait existé, elle ne serait pas née), les souvenirs cuisants des lanières du martinet. Et cette petite fille qui ne s'est pas apaisée, toujours en quête de réparation, ne peut s'empêcher de se faire elle-même du mal en allant constamment chez les parents, au lieu de couper les ponts et de se donner ce qu'elle n'a pas reçu : de l'amour, de la liberté, de quoi grandir et s'émanciper. Coincée dans cette ritournelle et ce passé jusqu'au malaise physique. Je lui souhaite de tout coeur de parvenir à guérir son enfant intérieur... Peut-être en cassant la boite à musique pour commencer, un peu de rage et de colère face à l'injustice de l'enfant non désiré, mal aimé, mal traité... Je m’investis dans son histoire et lui espère un meilleur futur, preuve que j'ai été touchée, émue, pour la narratrice, un peu parce que j'ai pu me reconnaitre dans certaines choses, beaucoup parce que c'est bien écrit, sans pathos, sans appuyer, élégamment. Merci et mes compliments pour ce moment de lecture qui m'a plongée dans le récit en oubliant tout autour. |
Myndie
14/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
|
Bonjour Cyrill,
beaucoup de choses ont été judicieusement relevées par les commentateurs qui m'ont précédée ; tout a été dit me semble t-il sur la symbolique des danseurs de la boîte à musique, l'amertume de la mère, ses regrets et son aigreur qui la mènent à une cruauté de despote, le complexe de Peter Pan de la fille et la somatisation de ses névroses (anorexie, malaises...), la culpabilisation, la placard noir et les « noeuds » du martinet... Sans doute peut-on pousser l'analyse un peu plus mais est-ce bien nécessaire ? Je suis peu armée pour le commentaire de nouvelles mais j'ai tout de même eu envie de m'exprimer sur ce qui m'a impressionnée et touchée dans ce récit. D'abord, c'est un sentiment que j'ai souvent eu en lisant les romans de Stephen King. Je me suis dit -tu vas te moquer – que tu devais avoir été une femme dans une vie antérieure pour dérouler avec tant de lucidité tout un écheveau de réflexions, un fonctionnement cérébral plutôt féminins, comme si tu t'appropriais cette substantifique moëlle qui peut être un atout quand elle se limite à l'hypersensibilité mais qui est si toxique quand elle nous dépasse. Ensuite, tout simplement, moi aussi j'ai été très touchée par cette histoire qui n'a rien à voir avec mon propre vécu mais dont moi aussi je reprends à mon compte certains éléments. Pour des raisons qui me sont propres, j'ai vraiment été très touchée, pour ne pas dire bouleversée. Et puis enfin, parce qu'il y a de la magie dans ton écriture, ce petit plus que de ta plume qui fait d'un texte écrit simplement et clairement un vrai plaisir de lecture, ces phrases choc, ces trouvailles à la Cyrill : « la qualité est médiocre, ne dit-elle pas » « "Je suis enceinte à vie et contre mon gré de deux êtres, dont l'une est censée m'avoir portée" Merci pour ce très beau texte. |
Cyrill
22/9/2024
|
|
Louis
16/9/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
|
Si la « fugue » désigne une forme musicale, elle prend aussi, dans ce texte, une connotation psychologique et existentielle.
Et c’est bien par la musique que le texte commence, avec un morceau musical reproduit par un mécanisme d’une « boîte à musique » qui joue, non pas un air fugué, mais celui d’une simple valse. L’intérieur de la « boîte » révèle un couple de figurines qui tournoie au bord d’un disque dont le décor figure une piste de danse. Fascinée par ce spectacle sommaire, la narratrice ne cesse de le contempler ; très souvent, obsessionnellement, elle enclenche le mécanisme qui produit danse et musique. Cette scène la renvoie au passé, celui des « années cinquante ». Un temps heureux, « le bon temps », celui des amoureux et des « grands enfants ». Mais il ne s’agit pas de son passé personnel. Elle n’y associe pas ses souvenirs. La scène remonte le temps par-dessus sa naissance, et la mémoire associée à ce temps heureux de la valse n’est pas la sienne, mais celle de sa mère. Le temps heureux est celui d’avant son existence, ce temps « avant que les choses ne se compliquent et ne prennent à nouveau cette tournure si grave ». Temps figé d’une éternité, incessamment reproduit, perpétuellement répété à l’identique qui voudrait empêcher le devenir temporel. Ainsi la narratrice est-elle sans cesse ramenée au temps d’avant sa naissance, point d’éternité avant son existence, qu’elle ne connaît que par les souvenirs de sa mère. Elle n’a donc pas la nostalgie d’un vécu personnel, mais celle d’un temps de non-existence, d’un temps qui n’était pas le sien, et qui a pris fin par sa venue au monde, à cause de sa naissance, faute à son existence advenue qui ne peut être que malheur et cause de malheur. La boîte à musique joue le temps heureux de son inexistence ; elle figure la négation de son être même, de sa vie personnelle. Devant ce spectacle pour elle fascinant, la narratrice a cette illusion, et cette lucidité qui lui fait dire : « Je crois pendant quelques minutes que c’est ma propre vie qui est mise en scène, alors que je suis là, chez moi, à ne rien faire. À fuir ma vie, et me fuir moi-même. » C’est bien une "fugue" qui est représentée, en effet, non dans la structure musicale de la valse, mais dans celle existentielle et psychologique de la fuite, puisque la scène représente une autre vie que celle de la narratrice, celle de sa mère, dans une fuite donc hors de sa propre vie, hors de son temps propre, hors de soi. Mais c’est bien aussi sa vie qui est « mise en scène » en ce qu’elle se réduit à cette fuite perpétuelle hors de sa propre existence. On se trouve face à un "sujet de fugue" au sens d’individu en fugue, et non plus simplement de sujet musical. Deux idées opposées sont généralement liées à celle de la "fugue" : si l’une affirme un pouvoir d’être créateur, voire maître de sa vie, « c’est toujours sur une ligne de fuite qu’on crée (…) parce qu’on y trace du réel, et que l’on compose un plan de consistance » : écrivait G. Deleuze, le diagnostic posé sur l’autre appauvrit son image et le sujet humain n’est alors plus agent de sa vie, ou son sujet libre, mais un "patient", celui subit et n'est que réactif. Dans ce cas, la fugue n’est plus que fuite de soi et non plus quête ou conquête de soi, correspondant en quelque sorte au phénomène d’une "dissolution de l’être" et d'une "désintégration’" Si le texte part de la description fascinée d’un mécanisme physique, matériel, la suite se poursuit par un autre mécanisme, celui qui mène la narratrice chez sa mère, celui qui la lie à elle, par un effet répétitif, où se renouvelle, toujours inassouvi et frustré, un désir de la narratrice. Chez la mère, le même manège toujours recommence, par la « séance souvenirs ». Toutes deux, mère et fille, sont prisonnières du passé. Ni l’une ni l’autre n’ont réussi à le fuir, à s’en libérer. Ce passé d’images clichés photographiques renvoie exclusivement à celui de la mère. Le passé de la narratrice est absent dans ces clichés, il n’apparaît pas. Pas d’existence, pour elle. La narratrice n’a été ni désirée ni aimée. En vain, elle attend une photo d’elle, enfant. En vain, un mot pour elle : « Peut-être aura-t-elle quelques mots tendres à mon endroit et verrai-je son visage se parer d’une expression maternelle. Mais mes attentes restent vaines ». On voit quel désir anime la narratrice : celui d’être reconnue, aimée ; ainsi est-elle en permanence dans la quête d’un signe qui assure son existence. Ce désir inassouvi la ramène toujours auprès de sa mère, dans l’espoir toujours d’être satisfait. Dans un mécanisme où se joue, se répète et se renouvelle, le désir d’une reconnaissance qui ne vient jamais, mais à laquelle jamais non plus le désir ne peut renoncer. ( « L'homme ne renonce jamais à rien, seulement il échange une chose contre une autre » affirmait justement Freud). La narratrice constate, à chaque tour de manège, combien elle est objet, non de désir, mais de rejet. D’un rejet violent, que symbolise bien "l’image" en creux, l’image-souvenir du « martinet ». Il n’a plus sa place dans le placard, mais il demeure. Et demeure la douleur du corps, punition infligée pour oser exister, faute impardonnable d’une existence, dans une inexorable souffrance. La mère s’attarde sur la photo qui la représente jeune, elle et son futur mari, elle et le père de la narratrice. Ils dansent, ils valsent. Tous deux ramenés à leur jeunesse, par-dessus le temps du mariage, des enfants, des difficultés matérielles. Mais ce temps-là est nié, son rêve détruit, par l’existence même de la narratrice. Elle voulait "vivre", elle voulait "danser", tracer les arabesques d’un monde romantique et romanesque. Dans une forme de bovarysme, il lui apparaît que, loin de se conformer à ses rêves, la vie conjugale, la maternité, la vie de famille ne lui ont apporté que frustrations et désillusions. Elle voulait rester perpétuellement jeune et belle. « Elle est très âgée et se rêve éternellement jeune », tout l’avenir devant elle, mais le constat est amer d’une perte irrémédiable, et devant elle, la présence coupable d'un "avenir" qui ne s’est pas réalisé. Certains parents vivent à travers leurs enfants ce qu’ils n’ont pas pu vivre, réalisent à travers eux leurs rêves déçus ; mais ici, pour cette mère de la narratrice, c’est l’inverse. Elle ne vit pas à travers sa fille, mais "meurt" par elle. Un mécanisme mortifère s’est installé entre elles. Ses « lubies » d’adolescente, l’« ont tuée » dit la mère, évoquant une possible tendance anorexique de sa fille, qui continue aussi et encore à la « tuer », à tuer son rêve, à détruire par son existence ce qui devait être son avenir. L’une est la négation de l’autre ; entre la mère et la fille, la "coexistence" semble impossible. Et si la fille refuse de manger, n’est-ce pas parce qu’elle ne veut pas se nourrir d’elle, sa mère, et revendique une indépendance, une existence autonome, le pouvoir se d'alimenter à ses propres sources ? Par le rituel de la boîte à musique, la narratrice s’identifie au désir de la mère pour capter son amour, mais l’objet du désir de la mère est l’inexistence de la fille. Ainsi mère et fille se fuient l’une l’autre. Elles "s’entretuent". L’une est la "mort" de l’autre, dans une impossible coexistence. Les deux femmes s’unissent et se fuient à la fois. La dernière partie du texte évoque l’échec d’une fuite de la narratrice. Le "sujet de fugue" ne se réduit pas à un sujet « en fuite ». Il y a à la fois fuite et poursuite dans la "fugue". La narratrice, dans sa fuite, dans ce qu’elle fuit, cherche à être, et poursuit sa vie, essaie d’être créatrice de ses trajectoires de fugue, poursuit une existence propre, une libération. Mais sans cesse, elle échoue. La narratrice se trouve prise dans un mécanisme psychologique qu’elle ne maîtrise pas, ne contrôle pas. Auquel elle ne réussit pas à échapper. La ligne de fuite n’est pas tracée, la fugue se fait tourbillon, « l’tourbillon d’la vie », tourbillon autour d’un point fixe, en cercles renouvelés, comme dans la boîte à musique ce disque qui tourne autour d’un point immobile du passé, exerçant une force concentrique. L’échec de la ligne de fuite est la réussite de la ligne tourbillonnante et circulaire qui trace comme un zéro de l’existence. L’ « art de la fugue » qui donne son titre au texte désignerait-il ironiquement l’échec de la fugue, au moins au sens psychologique et existentiel ? Sans doute, mais au sens musical appliqué au littéraire, il semble qu’un procédé de « fugue » constitue la dynamique du texte. Les trois parties qui le composent ne répètent pas un même sujet, mais le font varier, l’imitent ; elles s’éclairent l’une l’autre. La forme fuguée parle de la fuite, mais d’une impossible fuite où tout finit, forme et sujet, par tourner en rond. Un texte réussi, me semble-t-il, qui traite avec finesse les rapports psychologiques entre les deux femmes, mère et fille. |