Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Laboniris
Cyrill : La file d’attente
 Publié le 06/03/25  -  6 commentaires  -  4051 caractères  -  86 lectures    Autres textes du même auteur

« Il était tard lorsque K. arriva. » – Frantz Kafka, Le château.


La file d’attente


On joue la pendule à l’heure pile, ou face.

L’architecture de l’attente est secouée de crêtes intempestives sur son délinéament, la file est à un cheveu de la seconde de trop. Autant chercher le nord les doigts dans le Web lors d’un petit matin express, il est perdu pour la cause. Les fanatiques de dernière minute prônent l’ordre de passage par tous les moyens légaux. Les indécis de première bourre se voient gratifiés d’appellations contrôlées garanties de pure contrefaçon. D’autres, davantage plastiques, préfèrent ramollir les horloges, le temps s’écoulant ainsi de lui-même de l’espace qui lui est imparti. La majorité silencieuse hurle au dictat du tic-tac, mais c’est dans le vide d’un entre-deux à demi dilettante qu’on distribue les tickets.


Impossible de tenir sa place, les déferlantes découragent toute espèce de velléité d’allégeance. J’ai néanmoins percé l’écume afin de percevoir ne serait-ce que l’ombre de l’idée de la quête en question. Il m’est apparu vain d’en essayer un éclairage sémiotique, les cryptogrammes et autres langages corporels étant définitivement frelatés, et les figures de style se dérobant à toute tentative d’asservissement aux contingences descriptives. J’incline donc à adopter une explication convexe du Graal attendu, mais un niveau à bulle aurait tôt fait de rectifier l’alignement. Sinuer la quadrature du cercle ne m’avancerait guère plus, aussi pensé-je renoncer.

Cependant les faits sont têtus et s’acclimatent à l’indifférence numérique aussi mal qu’à la désinvolture. Raison pour laquelle j’ai fait machine arrière et joué l’interlude en aidant mon prochain.


Cet autre moi-même est sorti de son précédent comme une génération spontanée de l’ère post-bureaucratique retournée. Je l’ai proclamé sans commune mesure et exempt de numérotation, mais certains peuvent espérer le mettre dans le rang par le truchement d’une demi-vie existentielle. Un classement lui a donc été assigné de temps à autre pour les temps morts. Il faut dire que les zombis prolifèrent depuis que les gazoducs de communication leur ménagent des passages à tabac pour les enfumer. Je l’avais prophétisé dès la prohibition de mon schéma scénographique. Le théâtre des évènements se situant hors cadre, ils ne pouvaient guère s’aligner sur le narratif officiel et le distributeur de places ne serait pas parvenu à les soumettre.


Il est toutefois nécessaire de tenir un conte précis des faits et gestes observés dans le déroulement de la file. Celui-là révèle parfois des absurdités qui laisseront dubitatifs quelques pragmatiques mais convaincront les plus créatifs d’entre nous, ceux dont l’enfance en fut bercée. Ainsi la situation ci-après, qui pourrait donner lieu, sinon à une remise en cause de l’attente, du moins à un réglage drastique du méridien de Greenwich et des unités de mesure en cours de fuselage, ou quoi que ce soit qui relève un tant soit peu de la quantique ou de la linguistique :


Le suivant dans le cortège est ainsi nommé en vertu d’un précédant. Suivant son prochain, on pourrait aussi bien le qualifier de précédant du fait qu’il devance son consécutif. Mais on est en droit de convenir également qu’il se préexiste si l’on admet sa nature de clone issu de son propre prédécesseur. Au regard de cette anomalie syllogistique, on restera comme deux ronds de flan ronflants et bardés des certitudes de leur circonférence, puis on se bornera à constater le problème : de file d’attente à ce niveau il n’y a plus que l’idée, ce qui en soi constitue le risque d’un lourd suivi administratif et d’une nomenclature approfondie des emmerdes afférentes. Le classement sans suite ne s’envisage qu’après reconnaissance faciale.


Dès lors, ceux d’entre les inconséquents risque-tout – ce que je suis – qui ont tenté l’aventure de suivre le précédent cédant le pré carré à celui qui suit conviendront avoir été bernés dès l’entrée en matière mais n’essuieront pas de plâtres, puisque de matière il n’y a que celle à réflexion, le miroir aux alouettes étant habile à travestir un fond putain.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   David   
20/2/2025
trouve l'écriture
convenable
et
n'aime pas
Bonjour,

Le dernier mot fait mouche dans le potage :) J'y vois comme un regret, ou peut-être juste un soulagement, comme si on lâchait ce mot juste après avoir ouvert ce fichu bocal à cornichon. Mais il me semble malheureux car c'est justement ce que ne devrait surtout pas se dire un lecteur, ou une lectrice, en finissant sa lecture. Enfin, c'est plutôt que je n'arrive pas à l'associer à une révolte à partager, à ressentir. Il y a bien une volée de quilles bousculée tout le long, mais ça ne m'a pas transporté au-delà. j'attendrai une énergie, une ivresse, un fil d'Ariane quoi.

   Myndie   
7/3/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Cyrill,

Comme il est dit dans l'incipit, c'est kafkaïen.
Le Laboniris est destiné à nous ouvrir des perpectives littéraires nouvelles, différentes et, qui sait, d'ouvrir nos esprits à d'autres conceptions du monde qui nous entoure.
Objecif atteint avec cette dystopie qui fait froid dans le dos – mais à y bien réfléchir, en sommes nous si éloignés ?
Quel est ce monde d'angoisse où la liberté semble avoir disparu, où l'on doit attendre dans la file, de recevoir un ticket qui autorise quoi ?Quel est ce « Graal attendu » ?

Intrinséquement, on sent percer comme un ressentiment à l'égard de la toute puissance du net dont les fameux « réseaux sociaux » s'appliquent à faire de nous des êtres de plus en plus décérébrés, des voyeurs non-pensants.
Le danger étant ici la valeur ajoutée, fictionnelle mais tout aussi angoissante : la répression par la violence :
« les zombis prolifèrent depuis que les gazoducs de communication leur ménagent des passages à tabac pour les enfumer. »
C'est une atmosphère martiale que rendent bien certaines sonorités comme le « dictat du tic-tac » ou certaines formulations :  « Impossible de tenir sa place, les déferlantes découragent toute espèce de velléité d’allégeance ».

A l'aveu d'impuissance du narrateur («  Il m’est apparu vain d’en essayer un éclairage sémiotique, les cryptogrammes et autres langages corporels étant définitivement frelatés ») vient succéder une certaine idée de la rébellion ; une certaine forme de résistance non armée, celle des créatifs, des écrivains, des cinéastes, des artistes, des « penseurs » en tous genres, de ceux qui tentent à tout prix de sortir du rang des zombies . Des «  inconséquents risque-tout » en somme, auxquels le personnage s'identifie, ayant lui même des talents de plume mais vraisemblablement aussi les talents et l'oeil du peintre :
« D’autres, davantage plastiques, préfèrent ramollir les horloges, le temps s’écoulant ainsi de lui-même de l’espace qui lui est imparti. » où il me plaît de trouver une allusion à Dali.

Je livre ici une interprétation toute personnelle bien sûr mais j'ai trouvé dans ce texte fascinant un univers futuriste très cohérent.
Et j'ai beaucoup aimé.

   Cyrill   
8/3/2025

   jeanphi   
8/3/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour,

Je ressens pour ma part quelques difficultés à porter un avis tranché sur un écrit d'une telle nature.
Preuve en est que j'entre entièrement en résonnance avec chacun des deux premiers commentaires.
Un texte dont la lecture rapide que j'en ai fait hier ne m'aurait pas permis d'en formuler une quelconque critique, contrairement à l'immense majorité des nouvelles parues précédemment.
Chacun trouvera sa place, et son interprétation dans ce monde en plein bouleversement identitaire, dominé par la numérisation et l'homogénéisation des caractères humains, que vous décrivez intraitablement et non sans une recherche d'originalité époustouflante.
On voudrait croire le pessimisme intrinsèquement partial, vous semblez tenter la démonstration inverse.
J'aime néanmoins ce message caustique confinant à l'arrogance, son obstination invariable à ne pas révéler son objet semble laisser croire qu'il ne s'arreterait jamais, comme une pensée en rumination perpétuelle, si seulement il n'était pas stoppé net dans son élan par un ultime juron (un complément du nom en vérité) évoquant la coprolalie.

   Anonyme   
18/3/2025
Suppression

   JohanSchneider   
10/3/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime un peu
De l'expérimentation à la logomachie gratuite, il n'y a qu'un pas.
La qualité de votre écriture vous a permis d'éviter de franchir ce pas.
Mais que reste-t-il dès lors ?
Un exercice de style éblouissant de brio mais qui tourne un peu à vide.
Je ne déteste pas être bousculé dans mes habitudes et mon confort (ou conformisme ?) de lecteur, à condition d'en retirer l'impression d'avoir été emmené quelque part, quitte à ce que la destination ne soit pas de mon goût. C'est un risque à prendre.
Il m'est parfois arrivé, face à des textes très exigeants, d'avoir le sentiment d'être resté à quai et de voir le train de concepts s'éloigner implacablement.
Mais ici le convoi est revenu à son point de départ après que je l'ai vu décrire une boucle, impressionnante certes, mais assez frustrante.


Oniris Copyright © 2007-2025