Bizarre !
Tout ce matin me semble bizarre. J’ai la sensation d’être une autre personne. Pourtant, toutes les choses autour de moi sont là comme hier ; chacune à sa place mais je les vois différentes.
Dans la chambre la moquette, les meubles, les rideaux devant la fenêtre semblent m’interroger. De mon lit, les yeux à peine ouverts j’aperçois les fleurs sur le balcon, elles sont très belles, rouges et blanches. Je les ai installées avant-hier. J’ai eu raison d’aller au marché aux fleurs, il est loin d’ici ; j’y vais chaque année. J’irai l’année prochaine et j’y passerai encore la journée. Vite, debout.
Dans le salon tout est là et m’interpelle. Le canapé est là, de chaque côté un fauteuil, devant eux la table ronde et basse est là aussi. Oh ! Voilà mes cigarettes et mon briquet près du cendrier. Fumer, fumer, je fume trop ! Je dois m’arrêter mais pas aujourd’hui. J’approche de la table basse, je me baisse, je tire une cigarette hors du paquet presque vide, je m’empare du briquet je porte à mes lèvres la tête ambrée de celle-ci puis stop !! Je repose le tout. Impossible, je n’ai pas encore déjeuné.
Je fais volte-face et emprunte le long couloir qui mène à la cuisine. J’y suis. Tout est bien à sa place ici aussi, à la même place, rien n’a changé, alors ! Quel est ce sentiment bizarre ? Sentiment de manque ? Sentiment de vide ? La réalité peut-être.
Déjà 9h30 ; déjeunons ! Je réfléchirai plus tard.
Comme chaque matin je veux du thé, du thé vert, une tartine grillée avec beurre et confiture de framboises, ma préférée à cause de ses petits grains. Avant tout : boire un grand verre d’orange pressée, pour la vitamine « C ». Dommage que le presse-fruits électrique soit si bruyant.
« Bonjour le chat, toi aussi tu es là. Tu veux très vite ton lait ; d’accord, laisse-moi avancer jusqu’au « frigo ». Tu miaules 2 fois. Je comprends, tu es content de me voir enfin levée. »
J’ouvre le frigo je sors le lait, le beurre, la confiture. Oui, je la mets toujours là, j’aime qu’elle soit fraîche... du placard je prends une tasse, une sous-tasse, un grand verre, et pour Félix mon chat son bol ; je le remplis puis le pose sur le carrelage près de la fenêtre. C’est sa place. Encore deux « miaou », il est content, il dit merci. Près de son bol, il cache ses pattes sous son corps, se met en boule, remue lentement sa queue ; enfin installé il ne bouge plus et me regarde étonné puis, lentement lèche délicatement son lait du matin.
La bouilloire sur la plaque chauffante m’appelle en sifflant. L’eau sera très très chaude, il le faut absolument pour le thé. Ma tartine saute du grille-pain, je l’attrape, je me brûle les doigts, vite je la dépose dans mon assiette devant ma tasse de thé qui infuse.
Je m’assois face à Félix. Il boit son lait ; je bois mon thé. Dialogue sans mot, un vrai matin, un beau matin. Le soleil est là sur ma tartine rouge.
Quelles sont les nouvelles du monde ? À quelques pas de moi, posée sur le frigo , la radio attend que je lui donne la parole. Je termine de déguster ma tartine chaude largement recouverte de beurre et de confiture fraîche puis m’approche du poste l’index pointé vers le bouton « ON ». J’appuie ... une voix nasillarde agresse mes oreilles : « le temps aujourd’hui ne sera pas terrible ; n’oubliez pas votre « pépin ». ZUT, je dois sortir. J’enfonce le bouton rouge « OFF », inutile d’en savoir plus. Il est 10h00, je dois me dépêcher. J’ai rendez-vous. Je laisse sur la table le désordre de mon p’tit-déjeuner et file rapidement vers la S. d. B. Une douche rapide suffira.
Voilà, je suis prête : pantalon noir, sweet blanc, boots noires. Un peu de maquillage, les lèvres surtout, rouge cerise c’est gai. Un coup d’oeil dans le grand miroir de l’entrée : « pas mal ! » Je branche mon sac sur l’épaule gauche, j’attrape mon écharpe blanche enroulée sur le « perroquet », je saisis les clefs de la voiture, suspendues à leur crochet près du compteur E.D.F. « Salut le chat. » Je sors. La porte claque derrière moi. L’ascenseur est occupé, je dévale l’escalier jusqu’au sous-sol. Je pousse la lourde porte coupe-feu du parking trop sombre. Je cours vers ma voiture ; mon voisin s’est encore garé trop près ! Je fais le tour pour atteindre la porte droite ; quelques gesticulations et me voilà enfin face au volant.
Moteur, c’est parti ; rendez-vous avec Anna et ses problèmes. J’oublierai les miens.
Pas de circulation, je serai à l’heure au restaurant. Surtout ne pas brancher la radio, juste écouter de la musique très fort. Le C.D. est avalé, la musique jaillit, quel plaisir. J’allume une cigarette, j’adore fumer en conduisant. J’ouvre la fenêtre à ma gauche et sors mon bras, l’air est parfaitement doux, la météo s’est encore trompée : pas de pluie.
FEU ROUGE FEU VERT FEU ROUGE FEU VERT... Ne pas réfléchir, seulement conduire puis déjeuner en écoutant Anna. Ne pas lui dire que... soit, David n’est pas rentré hier soir ET ALORS !!!
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