Je colle mon front contre la vitre froide.
Cela me fait du bien, cela m’apaise et me fait oublier l’autre crétin qui m’interpelle encore du bout de son couloir.
- Et vous m’apporterez le dossier Duval avant 16 h. Je compte sur vous…
Compte sur moi, c’est ça.
Je crois que je ne le supporte plus. Je crois que je ne les supporte plus. Je crois que je ne supporte plus rien.
Je plonge mon regard vers la ville qui s’étend à mes pieds. Je suis la Reine du monde. J’aime cette sensation de puissance que me donne la hauteur. Peut-être ont-ils construit des buildings pour que nous nous sentions moins petits, pour que nous nous croyions les maîtres du monde et que nous bossions double pour eux.
En fait, cela me rappelle Stupeurs et Tremblements.
Quel que soit le pays, quel que soit le building, c’est bien la même chose. Être secrétaire au Japon est la même chose qu’être secrétaire à New York. On se fait traiter comme une serpillière par le patron.
Comment faisait-elle déjà ! Elle posait son front sur la vitre froide et plongeait son regard vers la ville en bas.
Au début, en voyant les images du film, je croyais qu’elle allait se suicider. Je me disais… elle est conne, ça vaut pas le coup… elle ferait mieux de le baffer, quitte à perdre sa place. Mais, elle ne faisait rien, elle se contentait de reprendre sa rêverie, la tête appuyée sur la vitre. C’était pas plus mal. Et puis c’était moins extrême aussi. La vie n’est pas extrême, nous avons rarement à choisir entre le blanc et le noir.
Non, le gris doux des nuages de la ville, c’est mieux.
Et puis, ça permet de vivre longtemps. Et de se marrer, de temps en temps, de boire un coup avec les copines, de temps et temps… de se faire botter le cul par son patron, de temps en temps.
Peut-être que la vie c’est ça… boire des coups et se recevoir des coups.
Mon front fait trembler la vitre, je suis secouée par un fou rire idiot, m’imaginant déguster une coupe de champagne, m’en foutant partout parce que je viens de me faire botter le cul.
J’aimerais tant rester là, ou peut-être monter plus haut… plus haut que tous les Buildings du monde. Je sais que j’ai de la ressource, je peux être talentueuse quand j’y crois. Un jour, je serai reconnue par la société. Non pas une star… ça, j’aimerais pas… non, plutôt reconnue, puissante. Je voudrais tant qu’on m’admire, qu’on me respecte, qu’on sollicite mes conseils.
Voilà, ce que je voudrais être.
Maître du monde…
J’étends les bras, collant mes paumes sur la vitre froide… « Je suis le Maître du monde ». Cette vitre sera vénérée… j’y ai collé mes empreintes.
Bon, c’est pas tout ça. Le Dossier Duval.
Un son bizarre m’envahit les oreilles. Ce n’est pas un bruit habituel et en plus on dirait que cela se rapproche.
Houla, c’est puissant le bidule.
Je me retrouve par terre, vautrée sur la moquette. Le bruit s’est transformé en choc, le choc s’est transformé en tremblement de terre. Le sol a décidé de prendre vie et ne supporte plus que nous lui marchions dessus. Du coin de l’œil, je vois mon gros con effondré lui aussi. Il en a perdu ses lunettes. Ses dossiers s’éparpillent autour de lui. Le Dossier Machin vient de se mélanger au Dossier Truc… pourvu qu’ils ne fassent pas des petits.
Qu’est-ce que je fais ? Je vais l’aider à ramasser ses papiers ou bien je reste là, immobile, pour le laisser se démerder.
Je choisis la deuxième solution.
Et puis de toute façon, l’alarme d’incendie vient de s’enclencher. Il est temps pour moi de prendre mon sac et de foutre le camp. Je ne sais pas ce qui s’est passé et je m’en fous. Tout ce que je vois, c’est l’occasion de me tirer en ayant une bonne excuse. Il faut évacuer. Et, bien, évacuons… La vie n’est pas si dure en fait, de temps en temps, les alertes de sécurité nous permettent de nous évader.
Directo la sortie. J’en profite pour lui marcher dessus, je dirai que je ne savais plus ce que faisais. Je ne suis qu’une faible femme paniquée.
Mon talon aiguille s’enfonce dans sa bedaine. Petit plaisir solitaire… il n’a pas l’air d’aimer.
- Bergstein !!!
Pour une fois qu’il se rappelle de mon nom.
Je ne m’arrête pas. Je dépasse les ascenseurs pour trouver l’escalier. N’est-ce pas la première règle en cas d’incendie : éviter les ascenseurs. Ça me ferait mal de rester coincée dedans. Il faut croire que certains n’ont peur de rien, ils sont au moins une dizaine à se presser devant les boutons, appuyant comme des forcenés pour faire venir l’engin plus vite.
Tout le monde a pris son manteau, son sac, sa mallette. Une belle journée de liberté en perspective. Cela me rassure, je ne suis pas la seule à attendre les alertes incendie avec impatience. Je manque peut-être de « peps » lorsqu’il s’agit du dossier Duval, par contre pour me taper une centaine d’étages à pieds, pas de problèmes. En bas, ce qui m’attend, c’est cette belle journée ensoleillée de septembre, ce petit gâteau fourré au salon de thé du coin, mon appartement et ma télé qui n’attendent que moi.
Et je vole dans les escaliers. Je vole de joie et de liberté. J’entends mon cœur s’emballer sous l’effort physique. Je devrais faire de la gym et arrêter de me déguiser en femme fatale, les talons hauts, c’est pas génial.
Cette descente est particulièrement sympa. On est au moins une vingtaine à prendre le temps de discuter tout en descendant. Je retrouve Vic, on se fait la bise, hilares tous les deux, je m’accroche à son bras pour mieux le sentir contre moi. Il est beau mec, il m’a toujours plu et il est plein d’humour. Qui croirait qu’un comptable lunetteux puisse maîtriser l’humour cynique à ce point-là.
D’après lui, les comptables sont les dieux de l’humour et du sexe.
J’aimerais vérifier cela. Cet après-midi, pourquoi pas… je me tape un gâteau et puis après je passe au dessert. Je nous imagine, les lèvres enduites de crème chantilly, nous bécotant sur un banc. Trop mignon.
Le rouge me vient aux joues. Trop chaud.
Et en effet, je suis en sueur.
Je fais une pause, complètement essoufflée. Rire et descendre des escaliers sur quatre étages, c’est trop pour moi. J’aurais vraiment dû faire de la gym. J’en profite pour m’accrocher à lui, tout est bon pour le tripoter. J’aime les comptables essoufflés et qui sentent la sueur. C’est trop sexy.
Le rythme de la descente vient de se ralentir. Il y a de plus en plus de monde. Il y en a même qui remontent… Comment cela, ils ont oublié leur attaché-case !!!
Un murmure nous agite. Incompréhensible au début, noyé dans tous ces chuchotements, mais qui devient plus clair lorsqu’il arrive vers nous.
- On peut pas descendre.
Ils sont en sueur eux aussi, ils ne rigolent pas du tout, certaines femmes sont en pleurs. Des hommes aussi…
Comment cela, on peut pas descendre. Pourquoi ?
Je ne vois vraiment pas ce qui m’empêcherait de foutre le camp d’ici. J’en agrippe une au passage.
- Mais pourquoi on peut pas descendre ?
Elle chouine. Et entre deux reniflements essoufflés, elle m’explique en deux mots.
- … la fumée…
Ben quoi la Fumée…
C’est quoi cette bande d’incapables. Tout le monde sait qu’en se mettant un mouchoir sur le nez, on peut passer la fumée… j’ai peut-être vu trop de films, moi. Cela voudrait dire qu’il y a un vrai incendie. Je pensais que l’alerte s’était mise en branle à cause du choc, et qu’il n’y avait pas de feu. En fait, c’est plus grave que je ne croyais…
D’ailleurs, qu’est-ce que je croyais… Rien, comme d’habitude. Tellement persuadée que la vie est calme, sans passion et sans catastrophes. C’est bien connu, les catas n’arrivent qu’aux autres. On les voit à la télé, nageant dans la boue ou bien crevant de faim. Mais ils sont tous pauvres, et font partie du Tiers Monde. Et le Tiers Monde, c’est pas le mien.
Moi je suis civilisée, moi je bouffe bien, moi je vis dans une démocratie riche. Donc, normalement, je n’ai pas droit aux catastrophes.
Eh, c’était pas prévu dans le contrat !
De vagues idées de « plainte, avocat, procès, dédommagement, traumatisme à 100 pour cent... » me traversent l’esprit. C’est n’importe quoi. J’imagine un procès contre la Mort : « Accusée, levez-vous, vous êtes condamnée à verser une compensation de 10 millions de dollars à la plaignante… »… La Mort se lève, baisse son front coupable… et m’adresse un rictus pervers de sous son capuchon.
Pourquoi je pense à ça !!!
On s’est arrêtés, tous. On ne sait plus quoi faire. Certains, des hommes, continuent de descendre. Ils veulent vérifier par eux-mêmes. Vic veut descendre aussi, je le retiens, j’en peux plus et maintenant j’ai peur.
J’ai toujours été une femme libre, qui n’a pas besoin de béquilles pour marcher. Que ce soient les Dieux, que ce soient les Hommes, non je n’ai besoin de personne… en Harley Davidson… cette chanson idiote s’impose dans un coin de mon esprit. La ferme, c’est pas le moment ! Tout ce que je sais, c’est que brusquement je viens d’avoir une révélation qui me fait trembler les jambes.
C’est peut-être vrai.
Je ne suis peut-être pas immortelle.
C’est une notion toute nouvelle pour moi. Et j’en perds mes moyens. Me voilà avec les pattes en coton, le cœur qui bat et la cervelle qui fout le camp. Parce que je peux vous dire que la peur, ça vous rend tout mou du bulbe soudainement. Je comprends mieux pourquoi je trouve toutes les réponses aux jeux télévisés alors que les candidats balbutient et font dans leur culotte.
La différence… c’est la peur.
Eh bien, j’aurais pas perdu ma journée. J’aurais connu la peur. On en apprend tous les jours.
Je me coule sous la veste de Vic, si je pouvais, je rentrerais même sous son pull…
Je veux changer de corps. Je veux me réincarner, là, tout de suite, dans une autre personne. Une qui est dehors, une qui fait ses courses en ce moment, une qui n’est pas dans cette tour.
Je suis paralysée, cramponnée comme un Bigorneau breton à Vic. J’ai toujours eu peur du feu. Tous les animaux ont peur du feu, et je suis un animal… la preuve, je viens de pisser trois gouttes de trouille dans ma culotte en dentelle. Le temps n’existe plus, je me laisse aller. Il faut remonter.
Je veux bien remonter. D’accord. Mais après, qu’est-ce que je fais…
Les murmures reprennent et m’envahissent comme étant la réflexion de ceux qui peuvent encore réfléchir.
- Il faut aller sur le toit. Les hélicoptères…
Je suis pour ! je suis pour !... Ça me rappelle La Tour Infernale. Ils ont sauvé les femmes grâce à l’hélicoptère.
Je suis pour…
En fait, j’agrippe la main de Vic, toujours indécis, et je remonte quatre à quatre les marches de l’escalier. J’en suis même à bousculer une grosse qui me gêne…
- Eh ! Vous pouvez pas faire attention !!!
Elle n’est pas contente. Moi non plus je ne suis pas contente, et je ne supporte pas qu’on me bloque le chemin vers la vie. J’en ai plus rien à foutre des obèses au rythme d’escargot, des handicapés, des vieux, des enfants, des supérieurs hiérarchiques… Ils peuvent tous crever. Ce qui compte, c’est moi…
Je n’ai peut-être pas assez fait de gym, mais je peux vous dire que j’ai de la ressource lorsqu’il s’agit de dégager mon chemin. C’est pas bien, je sais… même pas honte, aucune honte à vouloir survivre, même aux dépens des autres.
Qu’est-ce que j’en ai à foutre des autres. Je vous le demande.
À part le pilote de l’hélicoptère. Lui je l’aime d’avance…
Parce que lui, il va me sortir de là. C’est tout ce que je demande. Je ne suis pas exigeante. Il peut être vieux, moche et édenté, je l’aime quand même… j’ai toujours admiré les sauveurs. À votre avis, pourquoi je vais à la piscine régulièrement… pas pour nager… non, pour pouvoir mater les Maîtres Nageurs.
On s’en fout !
Je traîne dans mon sillage survolté mon comptable indécis. J’ai retrouvé la frite tout à coup et je m’avale six étages avant de m’effondrer sur le dernier palier. C’est le restaurant… tant mieux, je pourrai me taper un petit café avant l’hélicoptère. Vic n’arrive pas à reprendre son souffle. Tous ceux qui nous ont suivis s’effondrent dans les banquettes sous le regard surpris des serveurs.
Je ne sais pas si j’ai pris la bonne décision. J’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est qu’ici il n’y a pas de fumées, il n’y a pas de feu, il n’y a rien que le calme et les bonnes odeurs de nourritures qui mijotent pour le repas de midi. Je me taperais bien un chili, tiens… et bien épicé s’il vous plaît !
Les émotions, ça creuse.
On est curieux, nous les humains, quand même. Ces odeurs de nourriture, l’attitude calme du personnel du restaurant, cet environnement douillet, font que nous nous détendons tous. Même la grosse… elle commence à regarder la carte d’ailleurs. Elle n’a pas tort, j’empoigne le menu pour y chercher mon chili. Vic reprend son souffle difficilement et se dirige vers la grande baie vitrée, il a envie de voir ce qu’il n’a pas vraiment vu.
Tout cela est du domaine du virtuel. Je n’ai senti aucune fumée, je n’ai vu aucun feu. Tout n’est que rumeur, que discussions paniquées. Si ça se trouve, rien n’est vrai. C’est bien du mouvement de foule, ça…
On est prêt à se laisser emporter par la panique collective. J’en viens presque à regretter de ne pas être descendue plus loin… pour vérifier… pour être sûre de l’existence de la fumée. Les autres sont peut-être des chochottes, et nous… nous aurions pu passer…
Qu’importe. On a la bonne place. Les secours vont éteindre le feu, évacuer les fumées. Et nous pourrons les accueillir entre le chili et le gâteau à la chantilly.
J’ai faim.
… et le naturel revenant au galop devant cette sécurité soudaine, j’ai aussi envie de tripoter Vic. Mais pour cela, il faudrait d’abord le décoller de sa vitre.
Quelque part, j’ai envie de le serrer. C’est incroyable comme les émotions fortes peuvent entraîner d’autres émotions fortes. Je lâche mon menu, et je me colle contre son dos, l’écrasant un peu plus contre la baie. Je ne peux m’empêcher de couler mes mains sous le devant de son pull, sous son maillot de corps, caressant sa peau douce et chaude… je fourre mon nez dans sa nuque.
Je ferme les yeux de bonheur.
Je les rouvre soudainement. Il vient de crier.
- Putain, c’est pas vrai !!!
D’un œil écarquillé, j’assiste à la même scène que lui. Un avion, un gros, se dirige vers la Tour numéro deux. C’est un 765, un transport de passagers… Je reconnais le bruit de tout à l’heure.
Par contre, lorsqu’il s’écrase dans une gerbe de feu, je ne ressens aucune vibration. J’ai l’image et le son, mais je n’ai pas le choc.
Et là, je comprends…
Je comprends ce qui est vraiment arrivé.
Et lorsque je vois s’embraser le point d’impact et les étages au-dessus… je sais que nous sommes perdus…
Parce qu’on est au-dessus. Et que notre avion à nous brûle, et répand son kérosène quelques étages en dessous.
On va cramer.
L’odeur du chili en train de mijoter vient de se transformer soudainement à mes narines en odeur de brûlé. Je viens de me transformer en statue de sel. Je n’aurais pas dû regarder, je n’aurais pas dû savoir…
Je ne veux pas savoir.
Je me vide. C’est tout ce que je peux faire d’encore vivant. Je me vide et mouille ma culotte à dentelle, purgeant ma vessie à jamais. Je n’aurais pas dû regarder. Je ne récupérerai jamais ma culotte, je ne ferai plus jamais de lessives de ma vie, ni n’achèterai des sous-vêtements à frou-frou. C’est un moindre mal.
Je ne suis plus rien.
Vic non plus d’ailleurs. Il vient de se retourner pour ne plus voir, s’adossant à la baie vitrée. Il me serre dans ses bras et je m’y engouffre comme si je pouvais m’y réfugier. Nous ne ferons plus qu’un, nous serons liés à jamais, fondus l’un dans l’autre, morts l’un dans l’autre. La chair rejoindra la chair, la pensée disparaîtra dans la flamme.
Moi qui n’ai jamais été une fusionnelle… là, je pense que je vais fusionner à jamais.
- À ton avis, on a combien de temps…
Il me pose une question… c’est très intellectuel… comment veux-tu que je le sache… et en plus, qu’est-ce que j’en ai à foutre. Tu crois qu’une heure va tout changer, tu crois que vivre deux heures de plus va faire la différence. Pas quand on sait qu’on va mourir…
En tant que future morte, je n’ai plus la notion du temps.
Je me décolle de lui et je regarde la salle de restaurant. Ils sont détendus, certains se tapant un cocktail à 10 h du matin. Tiens c’est une bonne idée, ça… boire pour oublier, n’être plus qu’une sorte de truc shooté qui rigole bêtement devant la Mort.
Je vois la scène… l’Accusée me regarde d’un air réprobateur, de sous son capuchon, alors que je me tiens les côtes de rire, la bouteille de Chardonnay, serrée dans mon poing crispé…
Ça serait tellement bien.
Manque de pot, je n’y arrive pas… je veux avoir toute ma force pour me battre. On sait jamais, j’aurais peut-être besoin de toutes mes facultés pour monter dans l’hélicoptère… Pour repousser la grosse, saoule, et qui ne tient pas sur ses jambes… lui piquer sa place… Sauver ma peau. J’y tiens à ma peau, je n’ai qu’elle. En plus, d’après mes hommes, elle est douce et halée, et en plus, elle sent bon.
C’est une peau qui aime la vie, la caresse et les pincements.
Vic vient de me passer une main chaude sur le ventre, repoussant mon t-shirt pour mieux me sentir. Quelque part, j’ai toujours su que les hommes étaient comme les femmes. J’ai toujours détesté ces phrases toutes faites du style – C’est une race à part… Tous des salauds… Ils viennent de Mars - … Non, ils sont comme nous, nous sommes comme eux.
Tous, nous avons peur de la mort.
Et la peur exacerbe nos sensations, nos désirs, la vie quoi !
Quand est-ce qu’on baise !
J’ai l’impression que le cerveau de Vic tourne à vide, comme le mien, alors qu’il remonte sa main vers mon soutien-gorge. Animaux tout en restant civilisés, puisque penser à la baise dans un moment pareil, même les vrais animaux n’y penseraient pas. On est vraiment disjonctés, nous les humains. L’instinct de reproduction se révèle dans les moments de doutes et non dans les moments de plénitude.
Celle qui a décidé de faire un enfant pour sauver son couple. Celui qui a décidé de se reproduire enfin, parce qu’il a peur de vieillir. Que des doutes et si peu de confiance. Il faut croire que nous ne nous aimons plus assez pour avoir envie de nous reproduire. Il faut croire que nous ne sommes plus assez bien pour avoir le droit de nous reproduire.
C’est pas le problème… pas maintenant, en tous cas.
Je me révèle enfin, grande philosophe devant la vie, poussée par la pression de la mort. J’avais bien raison de m’enorgueillir d’avoir eu mon bac grâce à la philo. Le sujet, c’était le Bonheur, et j’avais eu la chance de tomber sur un correcteur qui pensait comme moi. J’avais quand même eu 17 sur 20. Fière… pour une fois. J’aurais pu être le Maître du Monde.
Mais je n’aurai pas le temps.
Et je ne veux pas faire le bilan de ma vie… j’ai pas envie, y a rien à dire… je veux simplement rester dans les bras de Vic, ses mains chaudes sur mes seins, et ne pensant à rien. Oui, c’est cela que je veux.
Et lorsque la fumée envahit les lieux, tout ce que je trouve à faire c’est de repousser Vic et de coller mon front contre la vitre.
Je colle mon front contre la vitre froide.
Cela me fait du bien
… cela m’apaise
… et me fait oublier que je vais bientôt mourir.
8 septembre 2007
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