Les nuages s'évaporaient doucement des plantes alignées sur la glace du quai. Personne. Une voûte surplombait le quai. Au-delà régnait la chaleur des palais et des vergers. La lumière des lampes éclaira soudain le parc où se trouvait la corniche que j'empruntai. Dans les montagnes, j'entrevis un désert jonché de caisses vides. Quelque part dans mon esprit, une trappe s'ouvrit. Tandis que je longeais cet interminable tunnel où courait un trottoir invisible, un cauchemar de pics et de rochers aigus m'assaillit. Animal ! Il était grand temps de regretter le mur de l'étable et le chemin qui mène au jour ! Toutefois je savais qu'au sortir de cet égout la lune apparaîtrait dans sa blancheur de temple, sur le port. La scène qui suivit m'était par trop familière. En fait je me réveillai (ou crus me réveiller) à la maison, au village. Je regardai dehors : une décharge municipale. J'eus la force de me diriger vers la gare à travers champs. Chemin faisant, j'eus la vision d'une forteresse au centre d'une clairière. Le train démarra sur un rond-point suspendu, au lieu-dit « Les Pontons ». Je traversai la mine et, bientôt, le cloître. Après avoir dépassé l'église et distancé la décharge publique, le train s'engouffra dans les longs corridors de la forêt. Des kilomètres de cheminées défilèrent. Le parking où le convoi s'arrêta finalement devait être la gare. Aveuglé par le soleil, je fus bientôt débarqué sur le cosmodrome. Devinant qu'il s'agissait d'un vaste cirque à l'entrée balisée par des troncs coupés, je me retrouvai tout à coup dans la clarté bourgeoise de mon salon personnel. La vue du chalet donnait sur un château surplombant un ravin caillouteux, lequel s'aplanissait jusqu'au désert. Il ne faudrait pas croire que ce désert était complètement inhabité : un potager, une place de village où se trouvaient éparpillés papiers et brindilles. Il devait faire nuit, car je vis le fanal de la gare briller dans la lande infinie des coraux. Du boulevard de la piscine au labyrinthe du château, il n'y avait qu'un pas. J'en tirai parti pour dénicher les fameuses colonnes au milieu des arbres, et c'est d'ailleurs à cet endroit que j'appris la construction du nouvel hôtel près des dunes. En réalité, ce n'est pas tant l'hôtel qui me frappa que la conception du hangar à provisions. Juché harmonieusement sur la corniche de l'Éden, il reliait avec avantage les parties colorées du square à celles plus éthérées du jardin. Je remarquai le garage où l'on cultivait des fleurs. La proximité d'une ferme et surtout la proximité du port étaient manifestes. Du balcon, on apercevait un village auprès duquel – dans une étable désaffectée – gisait la statue des Ancêtres. Quittant la sérénité du bosquet, je m'engageai dans la rue conduisant à l'ermitage indiqué par un fanal éteint. Le bosquet, les brindilles qui parsemaient la place du bourg, tout cela faisait partie d'un vaste opéra ! Cette idée se confirma quand je grimpai sur un mirador afin de scruter l'horizon. La bibliothèque et ses arbustes arrêtèrent mon regard. Au-delà, une ferme inondée, les champs. Pas trace de l'igloo scintillant sur un chenal de glace. Pour finir, le mirador s'écroula dans la poussière du lac dont les volutes s'élevèrent jusqu'à la véranda construite en galets bleus. J'ignore à quel moment survint l'illumination du jour. Mon balcon s'éclaira. Les arbres se découpèrent vivement sur la corniche. Les pierres du précipice s'allumèrent. Impossible de savoir dans quelle optique on avait tendu des filets sur la piste. Malgré la fraîcheur de la berge, le ciel fit régner la chaleur sur les champs. Je dus peiner dans l'herbe pour trouver le puits qui m'observait tel un soupirail ouvert sur un nouveau précipice. Le vent se mit à souffler très fort. Aux abords de l'autoroute, des empilements de troncs d'arbres cachèrent à ma vue ce qui restait d'un immeuble ancien. D'un balcon situé au troisième étage de la bibliothèque où l'humus avait depuis longtemps concurrencé tout document, on apercevait un quai dont la trajectoire bleue se perdait dans la brousse. C'était magnifique. Je me fis la réflexion qu'en ville, au bureau, j'avais la touche d'un rat virtuel songeant mélancoliquement aux possibilités qu'offrait la campagne. La maison du chef de gare était dépourvue d'égout. Ici les trains n'arrivaient pas. Le quai longeait un ravin tapissé de coquillages multicolores. Au bout, j'accostai sur un aqueduc en plein ciel qui me conduisit à l'aéroport où l'on avait érigé la statue d'un pilote introuvable. Après avoir contourné l'usine irradiée par la lune, je fus admis dans le premier faubourg de la citadelle. Je dus me réveiller près d'un lac. Il faisait grand jour et le vert des palmiers du stade flamboyait. Au loin, le Pic Rouge dominait la brousse de ses cinq mille mètres. Je m'aperçus que le stade était construit face au labyrinthe aigu d'un grand canyon. Pour peu qu'on ait l'audace de traverser l'obscurité qui montait du gouffre, on se retrouvait à coup sûr dans la civilisation du bois et du potager, de l'autre côté. Lorsqu'il me vint à l'esprit d'anéantir la balise qui séparait les deux mondes, la lumière inonda tout à coup le rivage de la forêt. Le pic s'effondra silencieusement. Devant moi s'étalaient des prairies pleines de feuilles mortes, des vergers immobiles. Mes pensées culbutèrent dans un précipice. Des taillis surgit l'architecture des corridors et des toits… Je me surpris en train de contempler une forêt de palmiers superbes ombrageant la ville miniature dans laquelle conduisait une allée de coquillages. Celle-ci longeait momentanément un petit ravin qui devint plus tard un véritable abîme en dépit du jardin luxuriant qu'on avait créé pour le faire oublier. À la douane, on me questionna sur les trop fameuses colonnes et sur le stade isolé dans la brousse. Je répondis que je ne savais rien. Toutefois, vexé, je fis claquer la porte en sortant. Je traversai le terrain de jeux, puis, la lande. Je méditai sur la grève et, plus tard, dans la vallée. Je visitai le canyon et sa jetée magnifique. En soirée, je retrouvai ma voiture au parking de la ville. Vu du promontoire, le stade avait quelque chose de particulier, que je ne pouvais définir à vol d'oiseau. C'était peut-être un couvent, un monastère. Les projecteurs du phare balayaient les pierres sacrées. Au large, ils révélèrent la blancheur d'un iceberg. Je revins sur mes pas, sautai le mur et les taillis, traversai l'enchantement du porche : la scène était classique. Le porche débouchait sur un labyrinthe éclairé par des projecteurs. La mer apparut. C'est alors qu'à travers un brouillard soudain je cherchai en vain la douane maritime et me retrouvai, désespéré, dans la rue conduisant à l'ermitage ! Cette fois, aucun doute possible quant à la nature du bâtiment : c'était une école avec ses papiers, ses feuilles mortes. La route que j'empruntai fit basculer la scène. Une percée du brouillard dévoila le canal et la lueur des lampadaires fit miroiter tout un cirque avec ses huttes ! Malgré la sérénité du lieu, le dédale où je m'engageai dans l'espoir de retrouver l'hôtel était encombré de cailloux ferreux qui s'apparentaient à ceux des mines. La majesté du palais s'éleva sur le cloître et les rochers du terrain vague. La clairière et son puits fantastique apparurent. On aurait juré du cinéma.
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