Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Policier/Noir/Thriller
Disciplus : Gentille coccinelle [Sélection GL]
 Publié le 11/07/23  -  7 commentaires  -  8138 caractères  -  41 lectures    Autres textes du même auteur

« Ce n'est pas l'amour qui est aveugle, mais bien la jalousie. »
Lawrence Durrell


Gentille coccinelle [Sélection GL]


Le hurlement a dû ébranler toute la forêt du mont Denver. Une clameur glaçante, exacerbée par la fulgurante irradiation de la douleur. La transe est immense, atroce, intolérable. Il est resté là, tétanisé, plongé dans un océan de souffrance pendant de longues minutes, entre inconscience et délire. Quand il rouvre enfin les yeux, brûlés de larmes acides, il ne distingue qu’une tache de lumière filtrée par les cristaux de neige. Sa tête vibre au rythme de son pouls surexcité. D’un coup de gant rageur, il débarrasse les verres polarisés de la glace et fixe, hébété, les longues branches dénudées des bouleaux qui montent vers le ciel plombé de Colombie-Britannique.

Julius Wintorm va tranquillement vers ses trente-huit ans. De longs cheveux blond cendré, toujours serrés en catogan, des yeux jaune-vert de chat malicieux, une voix de baryton qu’il sait rendre cajoleuse et deux rangées de dents étincelantes, Julius est bel homme, il le sait, il en joue… Probablement trop. Son mètre quatre-vingt-cinq, ses larges épaules, son torse puissant et ses mains impressionnantes font du bûcheron du parc de Kokanee, non seulement un des meilleurs « abatteurs » de toute la communauté du Kootenay, mais un « Casanova » des bois qui magnétise ses dames. Ça n’est évidemment pas du goût de tout le monde.

La jambe est paralysée, le moindre mouvement lui arrache un mugissement de bête. En serrant les dents, il parvient à se redresser sur un coude. Ce n’est pas beau à voir ! Les deux mâchoires d’acier luisant lui ont certainement broyé le tibia. Les dents acérées, larges d’un pouce, sont entrées profondément dans les chairs, projetant du sang partout sur la neige. À cet instant, tout son être est tourné vers un seul but : se libérer de cette saleté ! Dans un effort surhumain, il enfonce le canon de son fusil entre les sinistres mandibules et tente de peser pour écarter les fers. Des étincelles crépitent dans son cerveau, sa respiration s’arrête, il serre les dents pour résister à la torture des crocs tranchants qui lui hachent la jambe. Dans le grincement des ressorts, le levier desserre peu à peu les cercles de mort. Dans un sursaut de douleur, il arrache enfin son membre ensanglanté du piège à grizzly.

Julius est marié à Eleah, une authentique « Sin-Aikst », une « autochtone » comme on dit ici. Neuf ans de vie commune et deux fillettes de deux et cinq ans. La famille Wintorm vit sur les rives du bras ouest du lac Kootenay en Colombie-Britannique, au plus près des montagnes où poussent les immenses pins douglas, source de revenus pour les forestiers comme Julius et proche des derniers « Sin-Aiksts » du West Kootenay. Eleah est une femme de caractère, championne de ski de fond à l’université, tireuse émérite depuis l’enfance et cuisinière accomplie, ce qui ne gâte rien. Elle enseigne les mathématiques aux enfants de Nelson, une petite ville dynamique, à une demi-heure de leur maison forestière par la route 34.

L’air glacial a commencé de coaguler le sang qui suinte des blessures. Son mollet, haché par les lames, pend, flasque et inerte dans les lambeaux de son pantalon de chasse qui flotte sur sa botte de cuir perforée. Des frissons commencent à secouer son grand corps couché dans la neige. Son expérience de trappeur lui a enseigné qu’il ne faut surtout pas rester là, à attendre Dieu sait quoi. Dans ce coin désert, loin d’une route ou d’une piste, personne ne passera avant le printemps. Avis confirmé par l’œil carnassier d’un grand corbeau qui vient de se poser sur le haut de l’arbre mort où il avait tendu sa trappe à martre. Essoufflé par les efforts, tremblant par réaction à la peur bestiale qui l’a submergé, une question le percute de plein fouet : que font ces crocs à ours au pied de son propre piège ?

Le travail de Julius l’immobilise en forêt pendant parfois deux semaines d’affilée. Tout l’hiver, du lever au coucher du soleil, isolé dans les montagnes enneigées, avec une douzaine de compagnons, ils abattent les douglas à la chaîne pour les scieries de la vallée. Un travail de titan, épuisant et dangereux. Après des semaines de privations et de labeur acharné, les retours en ville sont, pour le moins, tumultueux. Eleah le sait et le craint. Dans les bars de Nelson, son Julius est souvent très sollicité et le contrat de mariage ressemble plus à une passoire qu’à un ciboire. Tant que ce n’était que des coups d’un soir, elle se contentait de le maudire, mais elle pressent que depuis le dernier hiver quelque chose a changé.

Allongé sur le dos, haletant, il tente de réfléchir. Ne pas s’éparpiller… Maîtriser l’hémorragie serait un bon début. Un garrot avec la courroie du fusil, ça devrait le faire. Immobiliser sa jambe folle entre deux branches lui prend une éternité, entre gémissements exaspérés et étourdissements erratiques. Maintenant atteindre le scooter ! Il l’a laissé à trois cents mètres en contrebas, au bord de la rivière gelée. Ensuite ? Il ne sait pas. Il ne sait plus. Les douleurs sont trop vives. Sa tentative de se lever lui arrache un nouveau vagissement de souffrance, suivi de la pire bordée de jurons de toute sa vie. La douleur lui broie subitement les tripes. Pris de spasmes, il vomit dans la neige et s’effondre en sanglots, mi-rageurs, mi-éperdus. Impossible de se mettre debout, il faudra ramper.

Julius est tombé sur Annabelle au marché de Taghum, où la jeune femme vendait du « quinnat », le meilleur saumon du pacifique, fumé artisanalement à la ferme par son père et ses deux frères. Il n’a pas résisté à lui faire son numéro de charme et Annabelle, pourtant de dix ans sa cadette, s’est laissé prendre avec gourmandise par le charme viril et enjôleur de ce grand gaillard. L’idylle n’est pas passée inaperçue et elle n’a guère été du goût de la famille, qui connaît bien la réputation des bûcherons. Injures, altercations, menaces et algarades sont arrivées aux oreilles d’Eleah. Les discussions entre les époux ont pris de mauvaises tournures.

Une traînée rose, sanguinolente, suit le blessé à travers les broussailles. Plus que trente mètres à peine. La masse bleue métallique du scooter se détache sur le vert sombre des buissons. Deux heures… Il ne lui faudra que deux heures, tout au plus, pour atteindre la route. Aura-t-il la force de tenir le guidon et de conduire son engin jusque-là ?… Il ne sent plus du tout sa jambe. Ses vêtements trempés sont raides et glacés. Un vent d’est s’est levé, transformant les grains de poudreuse en aiguilles qui lui dardent le visage. Il a l’impression que cela fait des heures qu’il se traîne sur le sol gelé. Chaque choc sur sa jambe lui arrache un gémissement bestial. Pantelant, agité de soubresauts de souffrance, il cherche un nouveau souffle, le nez dans ses gants.

Il faut bien connaître le coin pour s’aventurer en plein hiver sur les rives de « Sunset river ». Quant à trouver ses trappes à martre… Impossible sans le suivre à la trace… Alors qui l’a piégé ? Et pourquoi ? La famille d’Annabelle ? Un autre cocu ? Il finira bien par avoir la réponse… foi de Julius… Et quoi qu’il lui en coûte !

Une seule chose l’obnubile à présent : s’asseoir sur la large selle du scooter, entendre le moteur rugir et sortir de cet enfer. Plus que cinq mètres avant la délivrance… Son regard halluciné se pose brusquement sur la petite note rouge, devant lui, bien visible dans la neige. Une coccinelle… Une petite coccinelle en plastique… SA coccinelle… Un cadeau de fête des pères de ses délicieuses fillettes. Depuis ce jour, elle orne son porte-clés… là où sont accrochées la clé du scooter et celle du garage ! Un abîme s’ouvre soudain devant lui. Le porte-clés de plastique rouge gît, ouvert et vide à trois mètres à peine de son salut. Sa main frigorifiée s’est refermée sur l’objet. Il vient de comprendre ! Ses hurlements de rage et de désespoir ont résonné à l’infini dans la nuit qui enveloppe le mont Denver, au nord de la chaîne Selkirk, au fin fond de la Colombie-Britannique.

Les peaux de phoques des skis de fond sèchent sur la banquette arrière. Le Smartphone reprend sa place sur le tableau de bord de la voiture. Le traceur de la coccinelle ne sert plus à rien maintenant.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Jemabi   
26/6/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Le récit est d'une redoutable efficacité, avec son décor enneigé qui crée tout de suite une atmosphère glaciale, son héros piégé dont on se demande s'il en sortira vivant, ce suspense entrecoupé de courts paragraphes pour mieux connaître sa situation familiale compliquée. La sauce prend, jusqu'au clou final, implacable, aussi glacial que le reste. L'univers créé ici est très cinématographique. D'ailleurs, on se croirait dans une scène d'action d'un film américain, tous les ingrédients sont réunis pour nous tenir en haleine du début à la fin.

   Asrya   
29/6/2023
trouve l'écriture
perfectible
et
n'aime pas
La narration n'est pas simple et le fil narratif oscille entre trop d'événements différents pour peu de lignes. Se plonger dans chacune des nouvelles scène n'est pas particulièrement simple, cela me paraît trop court pour que l'on s'y immisce réellement.
Soit il y en a trop, soit ces derniers ne sont pas suffisamment développés, c'est en tout cas mon avis.

Sur la forme j'ai tiqué à plusieurs reprises sur la structure des phrases qui parfois sont très lourdes, maladroites ; la ponctuation m'apparaît être parfois très bancale et rompt la fluidité de la lecture.
Le vocable est soigné, propre, cousu d'un certain naturel élégant et n'est pas à remettre en cause.
Les tentatives pour coller à l'univers du mont Denver et de son environnement sont louables, tout comme la volonté d'ancrer le lecteur dans la saisonnalité. On ne peut pas dire que l'auteur ne s'y sera pas pleinement employé.

Au fil de la lecture, je dois malgré tout avouer m'être un peu ennuyé. Tous ces allers/retours sur la situation de souffrance de votre personnage, son pied meurtri, ce piège à ours posé par jalousie. Tout cela m'a lassé, et ne m'a pas particulièrement captivé.
Je ne me suis pas demandé naturellement le pourquoi de la présence de ce piège, à mon sens, cela n'avait rien d'extraordinaire.
Votre personnage y voit tout de suite un complot ; c'est peut-être amené avec un poil trop de lourdeur pour qu'on en rejoigne le propos.

Parfois l'incipit en dit trop...

Merci pour le partage.

   jeanphi   
2/7/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour,

L'action est très réaliste, les descriptions fusent, on pressent un auteur rodé aux mécaniques du récit. Au vu de cette excellente nouvelle, je trouve dommageable que la conclusion prenne une allure à ce point énigmatique. Je devine qu'il doit s'agir d'un lien entre la cocinelle en porte clé offert par sa fille, et une relation extraconjugale de son épouse, mais la déduction effective me demeure inaccessible lors de ma première lecture.
Pour le reste, les décors, les actions, la psychologie des personnages et l'enchaînement des séquences me paraissent impeccables. Il y a du rythme et de l'émotion, vous faites honoreur à la citation présentée en exergue qui est fort judicieuse.

   cherbiacuespe   
4/7/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Un petit texte en forme de bijou. C'est écrit, ciselé devrais-je dire, avec une précision d'orfèvre. Chaque mot recèle toute la torpeur et la rage ressenties par notre dragueur émérite. L'alternance entre le drame subi et sa perquisition psychique et individuelle est magnifiquement rendue. On s'en lèche les doigt jusqu'à sa conclusion, effarante certes, mais inéluctable! Je n'en dirais pas plus, ce serait une gourmandise inutile...

Cherbi Acuéspè
En EL

   Donaldo75   
4/7/2023
trouve l'écriture
perfectible
et
n'aime pas
Allez, je me lance dans un commentaire en direct « live » au fur et à mesure de ma lecture ; je laisse tomber ce trop bon album de Nirvana que j'écoutais pour me concentrer sur cette nouvelle. J’aime bien la catégorie « Policier/Noir/Thriller » même si je ne la trouve pas aussi simple à réussir que ça. L’exergue me plait bien. Le titre moins. Le premier paragraphe annonce-t-il une écriture, un style ? En tout cas, il ne tourne pas autour du pot dans le genre. Le suivant nous apprend qui est Julius Wintorm. Le style est plus scolaire, un peu dans le genre CV en kit. Bon, je remarque une alternance entre les paragraphes de type « action » et ceux de type « curriculum ». Personnellement, je ne suis pas fan de ce type de narration dont je trouve qu’elle rompt le rythme. Je vais voir si ça continue dans ce sens. Plus j’avance et plus je trouve la narration tortueuse, surtout au vu du format court de ladite nouvelle et du genre dans lequel elle est proposée ; à aucun moment, moi lecteur, je n’ai envie d’aller me plonger dans cette histoire parce qu’elle est juste mal racontée, avec un style parfois maladroit. Bon, j’ai fini. Je me suis pas mal ennuyé lors de cette lecture, je dois l’avouer. La construction de l’ensemble est du genre trop artificielle, pas assez tonale pour du « noir » ou du « thriller » ; le style d’écriture souffre des mêmes défauts qui passent dans d’autres catégories mais pas dans celle-ci.

   Edgard   
12/7/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
L'histoire est bien menée, bien qu'on subodore très vire le final.
Une belle écriture, mais souvent chargée de complément pas très utiles. Par exemple entre autres:
"Une seule chose l’obnubile à présent : s’asseoir sur la large selle du scooter, entendre le moteur rugir et sortir de cet enfer. Plus que cinq mètres avant la délivrance… Son regard halluciné se pose brusquement sur la petite note rouge, devant lui, bien visible dans la neige."Commencer par "s'asseoir sur" à mon sens suffisait. "Son regard halluciné se pose brusquement..." Juste: "une petite note rouge sur la neige..." pour moi cela allègerait le récit qui deviendrait plus fort, direct.
En fait vous voulez trop bien faire et guidez beaucoup le lecteur, qui peut imaginer sans cela.

   Shepard   
12/7/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Bonjour,

Une catégorie difficile, qui demande une bonne narration pour surprendre le lecteur. Le problème principal du texte, à mon avis, est que l'on comprend trop tôt ce qui se passe. La scène présente le personnage tombé dans un piège, puis ses relations adultères, répétées, alors la fin est prévisible. Je pense que l'auteur aurait dû essayer de garder le secret plus longtemps et de déguiser le tout en un simple accident.

La méthode du crime lui-même reste obscure, mais ça ne m'a pas dérangé, bien que je ne sois pas expert du genre. L'écriture a quelques répétitions et scories (ex: Dans le grincement des ressorts/Dans un sursaut de douleur ; ou encore "un mugissement de bête" pléonasme). Autrement le rythme et l'action sont soutenus, mieux maîtrisés. Parfois, le vocabulaire va chercher un peu loin pour la tonalité générale du texte, cela parait incongru (comme l'algarade...).  

Je n'ai pas passé un mauvais moment de lecture, loin de là, mais je n'ai pas été emporté. Les choses se sont déroulées, naturellement, comme prévues, sans ennui non plus. J'aimerais bien lire un texte d'action pure et dure de votre plume.


Oniris Copyright © 2007-2023