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Science-fiction
Donaldo75 : Civilisation alpha
 Publié le 09/08/24  -  5 commentaires  -  9633 caractères  -  36 lectures    Autres textes du même auteur

L'histoire de l'humanité nous montre invariablement que l'éloignement dans le temps aussi bien que dans l'espace fausse la perspective. Il ne semble pas, soit dit en passant, que cette leçon soit jamais demeurée gravée dans les esprits bien longtemps.

(Isaac Asimov)


Civilisation alpha


Alan sentit son cerveau exploser. Un kaléidoscope de lignes entremêlées, bleues, rouges et jaunes l’envahit intérieurement. Il regarda le cadran. L’année 2075 s’afficha en blanc sur fond noir puis disparut, laissant place à la suivante. Les mois défilaient comme des secondes sur une montre numérique. Le jeune homme essaya de fixer ses souvenirs. Il revit le professeur Martinot lui assurer une expérience sans douleur, un voyage à la bordure du vingt-et-unième siècle dans un hémisphère Nord différent de ce qu’il connaissait.


Le réveil s’avéra difficile. Alan ne savait pas combien de temps il était resté inconscient. Il regarda de nouveau le cadran. Le curseur s’était arrêté sur juillet 2233, très loin de l’objectif visé par les techniciens de l’Agence. Il procéda aux différentes vérifications prévues dans le manuel de l’explorateur temporel puis décida de s’extraire de la sphère métallique, tout en s’équipant d’un kit de survie. L’air sentait le chaud. Le ciel se colorait de volutes orangées. Le soleil dominait de rares nuages éparpillés. Le jeune homme fixa l’horizon puis détailla les lieux. Il se trouvait dans un champ de céréales composé d’allées de terre noire et d’immenses plants de blé. Les cultures suivaient une logique géométrique précise que la boussole confirma. Le sol était meuble, rectiligne et plat. Alan commença à marcher vers l’ouest.


Le Soleil laissa progressivement sa place à la Lune. Alan apprécia cette vision familière, un astre toujours grisâtre comme dans ses souvenirs, avec ses mers et son halo. Sa présence lui apporta un sentiment de sécurité. Il lui faisait penser à un phare côtier auquel se raccrochait le marin perdu au large d’un océan menaçant. Son nouvel univers euclidien, peuplé de tiges céréalières et délimité par des lignes de blé, s’assombrit lentement. Il ressemblait désormais à un plan de zéros et de un où la terre s’équilibrait avec la végétation. L’explorateur devenait l’intrus d’un environnement binaire, la lettre grecque perdue au milieu d’une étrange base deux. Épuisé, il regarda sa montre, constatant qu’il avait marché plus de dix heures sans s’arrêter. Il posa alors son paquetage pour profiter d’un repos bien mérité. Une forte lumière blanche le réveilla brutalement. Il leva les yeux afin d’en identifier la source. Un cercle blanc et métallique stationnait au-dessus de lui. Un œil synthétique le fixait, projetant un flux de particules irisées sur la surface alentour.


– Que faites-vous ici ? Cet espace est réservé aux cultures, résonna une voix autoritaire.

– Je suis venu explorer le futur.

– D’où et de quand venez-vous ?

– 2039. Paris, en France.

– Paris n’existe plus. La France non plus.

– Que s’est-il passé ?

– Nous avons jugé plus rentable d’affecter ce territoire à la culture du blé.

– Et la population locale ?

– Elle avait disparu depuis longtemps, largement avant notre arrivée.

– Aucun signe ?

– Juste des bâtiments. Nulle trace d’activité biologique, même pas végétale.


Alan accusa le coup puis réalisa la situation. Si l’expérience avait fonctionné comme initialement prévu, il se serait retrouvé en plein milieu d’événements historiques, au début d’un exode ou d’une extinction de masse. Il ne savait pas s’il devait se considérer chanceux dans son infortune. Il tenta d’en savoir plus.


– Il y avait une civilisation florissante ici.

– Les vestiges semblaient l’indiquer. Nous n’avons cependant trouvé aucun fossile.

– Les humains ne peuvent pas s’être tous volatilisés subitement. C’est impossible.

– Vous préjugez. Votre référentiel culturel fixe des limites à votre imagination.

– Comment ça ?


La voix dans sa tête marqua une pause. Alan attendit qu’elle reprenne. Finalement, elle commença son explication. D’abord, il devait imaginer une civilisation lambda, la sienne. Ensuite, il lui fallait considérer l’existence d’une autre, appelée alpha. Cette dernière sondait la Galaxie, découvrait une planète éligible à la vie carbonée, décidait d’en prendre possession parce qu’aucune civilisation ne semblait présente à sa surface.


– C’est normal si lambda a quitté son monde natal, répliqua Alan.

– Pourtant, alpha a étudié ce secteur galactique sans repérer lambda.

– La réciproque est vraie.

– En quoi ?

– Lambda a scruté la Galaxie à la recherche d’éventuelles civilisations alpha.

– Est-ce que lambda en a découvert une ?

– Pas à mon époque.

– Et ?

– Rien n’empêche que dans mon futur une telle découverte se soit produite.

– Un futur que vous n’avez pas connu. Vous étiez en train de voyager dans le temps.

– Exactement !


La voix récapitula le raisonnement. D’un côté, Alan ne pouvait que poser des hypothèses puisqu’il était absent durant cette période. De l’autre côté, dans la perspective historique d’alpha, lambda ne s’était jamais manifesté, malgré l’existence de vestiges. La planète n’en était pas pour autant stérile. La civilisation alpha avait donc décidé d’en faire un monde agraire. Ainsi, elle évitait tout problème de surpopulation, de conflits territoriaux entre espèces, permettant un environnement régulé. Alan se trouva à court d’arguments. Son interlocuteur alpha n’essayait pas de lui imposer ses vues. Il avait simplement découvert une jolie petite sphère bleue, inhabitée et décorée par de beaux monuments en pierre. En bon pragmatique, il l’avait alors transformée en champ de blé géant, avait déplacé les cailloux et structures métalliques, créé un écosystème paisible et uniforme. Tout ceci était loin de la Terre souffreteuse et asphyxiée, déchirée par les excès de la civilisation lambda, telle que s’en souvenait le jeune homme. Des milliards de citoyens terrestres auraient signé des deux mains pour hériter d’une planète pacifiée, agricole certes mais en pleine santé. Richesse et pauvreté seraient devenues des concepts hérités d’une époque dépassée. Au lieu de se battre à coups de mitraillette pour un bout de terrain fertile ou un sac de riz, ils auraient concentré leurs efforts sur des activités plus nobles, plus conformes à leurs aspirations. C’était donc ça le message essentiel de l’alpha. La civilisation lambda n’en était jamais arrivée à ce stade. Du coup, elle avait disparu. Le comment importait peu, seul le résultat comptait. La Terre avait repris ses droits. Elle accueillait désormais une nouvelle espèce, l’alpha.


La situation devenait compliquée pour le jeune explorateur. Il pouvait revenir dans son époque, annoncer la nouvelle au professeur Martinot, lui expliquer qu’au vingt-troisième siècle l’Homo sapiens avait disparu de la surface de la Terre. Au mieux, il déprimerait la communauté des savants, au pire il se retrouverait enfermé dans une cellule capitonnée.


– La civilisation alpha a-t-elle besoin de bras pour gérer ses cultures ?

– Tout est automatisé.

– Comment ça ?

– Des intelligences artificielles assurent la maintenance. Le reste est autorégulé par les plants eux-mêmes.

– Un lambda trouverait-il sa place dans la société alpha ?

– Non.

– Pourquoi ?


La voix marqua de nouveau une pause. Alan sentit qu’elle réfléchissait à comment présenter sa réponse. Après un long instant, elle expliqua que les alphas étaient tous identiques, dédiés au même objectif. L’alpha était collectif alors que le lambda était individuel. L’explorateur demanda s’ils travaillaient d’ordinaire avec d’autres espèces. Ils avaient forcément rencontré d’autres civilisations, peut-être moins avancées mais avec lesquelles ils pouvaient collaborer. La voix doucha ses derniers espoirs. L’alpha n’avait jamais expérimenté de rencontre avec une autre civilisation. Alan représentait son premier contact de ce genre. L’Univers était malheureusement immense.


– Vous devriez alors me mettre sous cloche, comme curiosité biologique.

– Vous seriez seul au milieu des vestiges de votre ancien monde. Ce serait cruel.


L’alpha lui assura qu’il était considéré comme un visiteur et libre de ses mouvements. S’il souhaitait rester sur sa planète natale, il était évidemment le bienvenu. Ce monde contenait assez de ressources pour lui permettre de survivre. L’alpha avait confiance en Alan. L’état d’esprit de l’être humain indiquait une sagesse suffisante pour vivre en parfaite harmonie avec l’écosystème de la planète. Il pourrait même lui venir en aide s’il se trouvait confronté à une situation dangereuse.


– En quoi est-ce moins cruel que de m’exposer dans un musée ?

– Vous êtes ici chez vous.


Alan en savait désormais assez. L’alpha avait gentiment signifié une fin de non-recevoir à sa demande d’asile. Pour lui, il restait un immigré, incapable de s’intégrer à sa civilisation du fait de différences culturelles. Le jeune homme devait choisir entre finir ses jours seul sur cette Terre agricole ou repartir dans le passé pour retrouver l’humanité condamnée à disparaître un siècle plus tard. Il ne voulait pas d’une vie monacale à errer dans les champs, regarder le ciel orangé et compter les grains de blé. Il ne souhaitait pas non plus devenir le messager d’un événement tragique, celui qui devrait l’annoncer à ses pairs.


Il remercia l’alpha, remballa son paquetage puis se dirigea vers son point d’impact. Le voyage retour, en pleine nuit, lui sembla aussi agréable que l’aller. L’atmosphère le nourrissait, lui donnait des forces pour avancer. Les immenses plants de céréales le protégeaient du vent et du froid. Arrivé à sa machine, il posa ses affaires en zone de stockage, prit position dans l’habitacle, referma le cockpit puis démarra la procédure de départ. Il ne lui restait plus qu’à indiquer la date cible. Alan tourna le cadran à fond vers la droite, le plus loin possible dans le futur.


 
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   Robot   
9/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Un remake de "la machine à remonter le temps" avec cette différence que la nouvelle civilisation est extra terrestre et qu'elle est plutôt tolérante sinon bienveillante.
Voila l'originalité de cette version plutôt divertissante et d'une écriture agréable.
Autre originalité, on ne sait pas si l'explorateur en s'enfonçant vers l'éternité y trouvera un refuge.

   Dameer   
10/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Hello Donaldo75,

J’ai passé un agréable moment de lecture, en me glissant aisément dans la peau du personnage, Alan.
Dans ce récit tout est mesuré, compréhensible. L’argumentation entre alpha et lambda (Alan) est courtoise, raisonnée, un peu comme lorsqu’on dialogue avec ChatGPT ! Impossible de se mettre en colère.
On sent malgré tout chez Alan un léger sentiment de révolte, il tente d’argumenter pour s’accrocher et rester sur SA terre, celle qu’il a connue, dont il ne reste que des vestiges, qu’il ne voit d’ailleurs pas : il croit sur parole les explications de l’entité alpha, la voix qui tombe de sa sphère dans le ciel.
C’est un peu là que le bât blesse : je l’aurais aimé plus combatif, qu’il aille vers Paris se rendre compte par lui-même de l’annihilation complète des lambda. Mais visiblement les alpha – que l’on ne voit à aucun moment – font tout pour l’en dissuader. Et il s’incline..
C’est en tout cas une vision très originale du futur, qui montre une évolution vers une terre sans humains, sans doute sans bêtes non plus, couverte de cultures intensives qui servent à l’alimentation des alphas, que l’on peut imaginer vivant sur une autre planète et envoyant de temps en temps des engins sur terre effectuer les récoltes.
Le sujet n’est pas épuisé et l’imagination du lecteur reste ouverte 😊 !

   jeanphi   
11/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour,

L'histoire est très distrayante. Le seul point que je lui reproche est le manque de curiosité de part et d'autre ainsi que son dénouement. De manière pragmatique, je regrette que l'échange ne soit pas plus long et plus exhaustif entre les deux représentants des espèces alpha et humaine, je trouve que certains éléments manquant pourraient donner plus de reliefs et de consistance à cette nouvelle.
Alan ne semble pas s'inquiéter de savoir s'il communique par le biais de ce vaisseau avec une I.A., un représentant de la civilisation alpha, un simple surveillant, un conseil de haute instance, ... cela est mon ressenti.
Son choix de disparaître ensuite dans le futur me paraît difficile à justifier, l'idée que l'information qu'il détient parviendra irrémédiablement à son époque dès lors qu'elle maîtrise cette technologie ne semble pas le traverser. Et puis, rien ne l'empêche de revenir au 21eme siècle une fois achevée sa fuite dans le temps. L'histoire ne semble pas vouloir le laisser entendre (enfin si, Alan se refuse à être celui qui amenera la nouvelle à son époque, cela me contrarie sans pour autant constituer une incohérence), peut-être est-ce moi qui manque de profondeur et de lâcher prise.

   Cleamolettre   
12/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour,

Une agréable lecture dans un genre que j'ai plus souvent vu (en films ou séries) que lu.
Rien à dire sur le style, c'est fluide, plaisant, clair.
Sur le fond, j'ai bien aimé l'idée que le futur prouve que l'humain a bien couru à sa perte même si on ne sait pas de quelle manière il a fini. J'aime bien aussi que la terre soit débarrassée (a priori) des vestiges humains, comme nettoyée. Peut-être même dépolluée mais l'histoire ne le dit pas.

Mais, j'ai trouvé la rencontre et l'échange avec l'alpha un peu étranges, Alan pose peu de questions, s'étonne peu, réagit peu à la nouvelle, comprend de suite qu'il a à faire à des ET ou des non humains. Idem en face, il est accueilli calmement et sans trop de questions, alors que c'est la première fois qu'il y a rencontre avec une autre civilisation, et l'alpha semble connaitre le nom de Paris, de la France, il parle français à Alan, comment ?

Et puis, dans une logique "écologique", je ne trouve pas la phrase "la terre avait repris ses droits" juste : elle est exploitée en fait, par l'agriculture à perte de vue, "intensive", comme du temps de l'homme finalement, même si c'est de manière collective et possiblement plus respectueuse. Peut-être qu'Alan l'a compris et va dans le futur voir si cette civilisation disparait aussi ? J'ai des doutes étant donné qu'il semble trouver leur mode d'exploitation de la terre génial.

La fin, donc, me pose souci, s'il peut choisir sa destination dans le temps, pourquoi ne pas revenir à avant sa mission par exemple ? Ou bien quelques années après pour savoir ce qui s'est passé, il ne peut pas ne pas être curieux (enfin si, il peut, le texte le justifie mais j'ai du mal à croire un explorateur du futur réagissant ainsi, ça ne me parait pas logique).

Texte intéressant donc parce qu'il fait réfléchir, se poser des questions, imaginer la situation, sa propre réaction, etc, il perdure après la lecture, ce que je trouve très réussi et pas si fréquent.

   Corto   
21/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Sans doute encore matraqué par "2001, l'Odyssée de l'espace" des temps anciens, je me suis laissé séduire par un épisode de science-fiction en ce creux de l'été. Je n'ai pas été déçu.

On avait promis à Alan un voyage vers une bordure du 21ème siècle et BUG le voilà au 23ème. Petit problème de réglage ?

La première surprise est la bienveillance de l'Alpha qui entre en contact. Il nous apprend que toute vie avait disparu sur notre Terre, et que très simplement cette nouvelle civilisation a installé des immensités de cultures céréales qui faisaient jadis notre nourriture. L'harmonie semble régler le temps et l'espace.

La conversation qui suit permet de s'y retrouver entre cette civilisation lambda disparue et la nouvelle alpha qui s'est installée. Le décalage n'est que temporel alors que les localisations sont les mêmes.
Alpha et Lambda se sont juste manquées dans le temps. Voilà qui ouvre des horizons infinis...à condition de ne pas être affublé d'un "référentiel culturel" fixant des limites à l'imagination...

L'explorateur se trouve désormais devant une alternative insoluble. Revenir vers les siens avec toutes les complications imaginables pour se faire comprendre, rester où il se trouve sans aucun espoir de s'intégrer, fuir vers un autre ailleurs pour encore découvrir un futur inconnu. Il choisira cette dernière hypothèse, audacieuse. L'aventure lui a servi de leçon: il fonce "le plus loin possible dans le futur."

J'aime bien cette nouvelle qui utilise des notions simples pour mettre en scène un imaginaire que chacun peut intégrer à sa manière.

Merci.


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