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Réalisme/Historique
Donaldo75 : Le Seigneur est un gars très occupé
 Publié le 27/12/23  -  7 commentaires  -  5804 caractères  -  56 lectures    Autres textes du même auteur

« Soyez donc dans la joie, vous, les cieux et leurs habitants. Malheur à vous, la terre et la mer, car le Diable est descendu chez vous, frémissant de colère et sachant que ses jours sont comptés. »

(Apocalypse de Jean, XII, 11-12)


Le Seigneur est un gars très occupé


Les cadavres jonchaient les rues du centre-ville. Le décor sentait la fin du monde. Dans ce contexte apocalyptique, le père Thomas s’activait avec les bénévoles du centre catholique. Il prodiguait des conseils aux survivants et orientait les familles vers les bonnes personnes. Ses actions rassuraient les nombreux individus désorientés. Aux yeux de tous, le tremblement de terre ne semblait que le début d’une période sombre. De possibles répliques étaient prévues sur l’ensemble de la côte Ouest. Cependant, les autorités s’inquiétaient des conséquences immédiates : les épidémies, la pénurie en eau, les impacts climatiques et bien entendu la panique de masse. Les zones urbaines et surpeuplées constituaient le plus grand risque en la matière. Et les nouvelles du reste du monde laissaient peu d’espoir aux prévisionnistes. Partout sur la planète, des volcans se réveillaient d’un long sommeil, des tempêtes se déchaînaient et des mers jusque-là tranquilles se transformaient en tueurs aquatiques. Le ciel s’obscurcissait en Europe. L’hémisphère Nord se préparait à plusieurs années de froid dans une sorte de nouvel âge glaciaire. La situation des antipodes ne s’annonçait pas meilleure : l’Indonésie brûlait et la Nouvelle-Zélande sombrait dans l’océan Pacifique devenu incontrôlable.


– Qu’avons-nous fait au Seigneur pour mériter ça ?


Le père Thomas ne savait que répondre à cette question posée par tant d’Américains. La Californie était préparée à un séisme de forte magnitude. La ville de San Francisco avait déjà été pratiquement rasée au début du vingtième siècle. L’état le plus riche de la puissante Amérique était parcouru du nord au sud par une gigantesque faille géologique. Ce joint entre les plaques tectoniques du continent et celles de l’océan constituait sa principale faiblesse. Cet apparent défaut de plomberie planétaire représentait à lui seul un danger suffisant pour affoler des générations de sismologues. Pourtant, l’inconscient collectif des Américains, encore sous les effets hallucinogènes d’un rêve pavé d’or et de gloire, avait nié la réalité. Il s’était cru protégé par les instances divines et le roi dollar. Le père Thomas avait naguère officié dans des régions du globe où manger à sa faim et boire de l’eau potable restait un luxe que peu d’âmes pouvaient s’offrir. À cet égard, il considérait ses concitoyens comme des enfants gâtés. Ils croyaient que la prière et quelques virements à des organisations caritatives allaient les protéger des aléas de la vie terrestre. Malgré cette opinion sans concession, il composait avec cette illusion. Et surtout, il devait apporter l’aide spirituelle aux plus démunis, quitte à travestir la vérité.


– Le Seigneur est un gars très occupé, répétait-il à chaque fois que la question revenait à la surface.


Et il avait raison, quelque part. Au vu des catastrophes naturelles du moment, le Créateur se trouvait forcément au four et au moulin. Cet agenda chargé expliquait pourquoi IL déléguait les premiers secours aux différents prêtres des États-Unis. Les anciennes querelles de chapelle semblaient lointaines. Désormais, les catholiques, les protestants, les baptistes et les évangélistes travaillaient de concert pour rétablir une situation compromise. Une telle explication suffisait généralement à donner du baume au cœur aux plus innocents, ceux qui ne possédaient pas grand-chose avant le désastre. Ils avaient souvent déjà perdu leur maison ou vu leur fonds de pension détourné par un financier de New York. Le père Thomas pensa à tous ces malheureux. Ils représentaient la force brute du pays. Souvent, ils cumulaient plusieurs boulots précaires pour subsister. Le modèle américain réussissait grâce à leur optimisme forcené et une bonne dose d’auto-dérision. Le président lui-même avait coutume de dire que Dieu bénissait l’Amérique grâce à ces citoyens courageux, volontaires et positifs.


Le prêtre se dirigea vers un point de ralliement. Il devait assister les organisations caritatives à distribuer des vêtements, de l’eau et de la nourriture. L’armée s’était déployée dans la ville et avait déjà fort à faire pour protéger les convois humanitaires des pillards. Chaque personne de bonne volonté était la bienvenue pour apporter sa contribution, même modeste.


– Si le Seigneur est tant occupé que ça, demanda un petit garçon noir, pourquoi ne nous envoie-t-il pas Jésus-Christ ?


Cette question, le père Thomas l’avait tellement entendue qu’elle ne l’étonnait plus. Il avait construit une batterie de réponses. Elles variaient évidemment en fonction de l’âge, de la couleur et de l’origine sociale de celle ou celui qui l’avait posée. Il évalua son jeune contradicteur. Il vit en lui un de ses nombreux fidèles emmenés de force par leurs parents au service dominical. Il savait que cette nouvelle génération n’achetait pas comptant le discours habituel de l’Église.


– Le Christ est en chacun de nous, commença-t-il, et donc partout à la fois.

– Et ?

– Quand je te sers de la soupe et du pain, c’est en réalité Jésus qui remplit ton assiette. Quand tu aides une vieille dame à traverser la route défoncée, c’est avant tout la main du Christ qui guide tes pas.


Le garçonnet le regarda comme un badaud jaugeant un joueur de bonneteau. Il essaya de savoir dans quel pot se trouvait le billet de cinq dollars puis opta pour la solution la plus pragmatique. Il lui tendit son bol pour une deuxième tournée de soupe.


– Merci, Seigneur tout-puissant, de laisser à ton fils Jésus-Christ le soin de rassasier l’appétit d’un pauvre enfant affamé et orphelin, dit-il en souriant au prêtre.


Le père Thomas lui servit une double ration et lui caressa le front. « En voilà un qui se prépare à l’investiture démocrate dans trente ans », se dit-il sans savoir s’il fallait en rire ou en pleurer.


 
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   Lariviere   
20/12/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Bonjour,

La scénette de fin avec le gamin je l'a trouve très amusante et très fine, malheureusement je ne trouve pas cette subtilité dans l'ensemble du récit qui est écrit assez platement et dont le court format nuisible au thème en fait une nouvelle bâclée à mes yeux et oreilles... que retenir de ce récit apocalyptique en l'état ? Une diatribe contre l'église bien matérialisé ici comme ce prêtre "joueur de bonneteau" ? je ne sais pas s'il y a une portée plus grande et je fais peut être fausse route mais c'est comme ça que j'interprète la morale en l'état...

En espérant que ce commmentaire soit utile à l'auteur, je lui souhaite une bonne continuation.

   Cox   
27/12/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Bonjour !

Je ne trouve pas assez de substantifique moelle dans ce texte. Il me laisse plus l’impression d’une longue diatribe (trop ?) engagée, et pas tellement celle d’une histoire.
Anticlérical, anticapitaliste, anti-américain (un peu quand même), environnementaliste ; je me retrouve moi-même dans presque tous ces épithètes. Pourtant, le propos m’a paru un peu lourd. C’est trop argumentatif, un peu trop cliché, et pas assez narratif pour moi. Comme une dissertation un peu romantisée. Comme un discours-massue qui rabâche un argumentaire déjà bien connu.
La façon dont les catastrophes naturelles sont décrites m’a laissé à penser que tout était plus ou moins arrivé du jour au lendemain, ce qui est très différent de la façon dont « notre » réchauffement climatique fonctionne, le sournois.

Dans l’ensemble, je trouve qu’on force un peu trop le trait, en présentant au lecteur ce qu’il doit penser. J’aurais trouvé plus élégant de nous laisser nous faire notre propre opinion, au fil d’un récit plus construit et plus riche dans votre univers postapocalyptique. Comme disent les ‘ricains : « show, don’t tell ! »

L'échange final avec l'enfant m’a fait sourire, il est assez attendrissant. Mais le tout me laisse un peu sur ma faim

   Cornelius   
27/12/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Bonjour,

Après votre nouvelle qui se déroulait à St Julien-Molin-Molette en voici une qui met en scène le père Thomas qui fut jadis le curé de ma paroisse. Décidément si l'on se connaissait je vous soupçonnerais de puiser vos sujets dans mon autobiographie.

Plaisanterie mise à part, je reste aussi sur ma faim avec un titre de nouvelle prometteur mais un texte plus conventionnel, mais le père Thomas ne vous en voudra sans doute pas et moi non plus.

   jeanphi   
27/12/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonsoir,

Ce qui a le plus joué en la défaveur de mon jugement sont les commentaires qui ont suivi.
Alors, au risque de passer pour un lecteur facile :
Récit efficace, langages optimal, écriture dans laquelle on évolue de manière libre tant vous semblez respecter un principe de neutralité stylistique, je reste admiratif.
Le catalyseur est bien choisi, le petit pratiquant et le prêtre au milieu de tout ce chamboulement...
Comme une forme de sarcasme dans la manière dont votre loupe se pose sur ce couple, et dont les scènes descriptives se succèdent genre aparté ironiquement désincarné au plan émotionnel. Un narrateur omniscient qui semble passer le pour et le contre de ce prêtre au peigne fin, tel un ange de l'apocalypse surchargé.
Cela se dévore comme une tranche de bonne lecture !

   dowvid   
27/12/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
Moi, j'ai bien aimé. J'adore rire des imbécilités modernes.
J'aime aussi la dichotomie du bon curé à la foi de plomb, croyant sincèrement à ses sornettes, tandis que le monde croule tout autour.
Bon, sûr que le texte n'est pas des plus animés, disons, des plus actifs.
Mais la mise en contexte est là, jusqu'à la chute finale.
J'aime les frondeurs et le petit bonhomme est parfait.

   Miguel   
28/12/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Qu'avons-nous fait pour mériter cela ? Eh bien, on a fait toutes les conneries possibles et imaginables. Ne faisons pas de Dieu notre bouc émissaire. Il entend le petit, puisque du coup celui-ci a double ration. Et puis, c'est avec Dieu comme avec les parents ou avec le gouvernement : si on obtenait tout ce qu'on demande ...
L'écriture est plaisante et le personnage du père Thomas bien sympathique. Merci de présenter la religion sous un jour humain, qui est le vrai. Quant aux démocrates ... Kennedy n'est-il pas à cette heure le seul président catholique des États-Unis ?

   cherbiacuespe   
21/2/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
bonjour Donaldo75.

L'écriture est bien maîtrisée ("...du baume au cœur au plus démunis", j'aurais préféré "...des plus démunis", et c'est tout), bien construit, on comprend vite la situation. Il ne manque que le pourquoi de cette situation planétaire. Car une catastrophe de cette ampleur n'est possible que par un événement majeur. Cependant, si je considère qu'il ne s'agit que d'une photographie et que l'issue est le fondamental de l'histoire, je m'en passe aisément...


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