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Horreur/Épouvante
Donaldo75 : Les ombres de l'hiver [concours]
 Publié le 13/02/22  -  6 commentaires  -  20468 caractères  -  72 lectures    Autres textes du même auteur

Cheverny est un village d'un petit millier d'habitants, situé dans le Loir-et-Cher à quelques kilomètres de Blois. Son château est l'un des plus visités de France et draine un tourisme en constante expansion.


Les ombres de l'hiver [concours]


Ce texte est une participation au concours n°31 : Elle, lui, eux et... l'hiver !

(informations sur ce concours).



L’hiver embrumait le ciel de nuages noirs, laissant une impression d’apocalypse aux rares passants. Paul pensa à la légende en cours à Cheverny ; depuis quelques années, cette saison s’accompagnait de morts étranges, inexpliquées, des chiens et des humains. Les anciens invoquaient une malédiction désignée sous le vocable « Les Ombres » et supposée punir les habitants. Pourquoi une punition ? Cette question tournait en boucle dans les bistrots du village, avec une version différente selon le théoricien qui en discourait entre deux ballons de vin blanc. La théorie en vogue affirmait que les nouveaux riches de Cheverny avaient corrompu la nature profonde du territoire en construisant à tout-va sur la base d’un mensonge initial, celui du retour aux sources, de la quiétude locale, du patrimoine historique composé de magnifiques châteaux dont le plus connu avait inspiré celui de Moulinsart au dessinateur belge Hergé.


Tout ceci inquiétait Paul, parce qu’il était directement concerné par ces morts incompréhensibles. Et son employeur, le propriétaire du fameux château de Cheverny, avait déjà payé un lourd tribut à la vague criminelle, voyant une douzaine de ses chiens de chasse à courre mourir dans des conditions atroces. Dagobert, un superbe mâle âgé de dix ans, représentait la plus récente victime ; son corps désormais sans vie gisait dans une mare de sang, à deux mètres de lui. Le docteur Jean Lauyer, vétérinaire de son état, un ami personnel, examinait la dépouille.


– Que faisait Dagobert hors de son enclos, Paul ?

– Je ne sais pas. J’ai appelé le responsable de la meute. Il n’a pas de réponse.

– Ce n’est pas la première fois, pourtant.

– Oui mais personne ne comprend comment cela a pu arriver.


Et c’était bien là le problème ; tous les chiens étaient morts dans des circonstances similaires, déchiquetés par une force inconnue, loin du chenil de Cheverny. La thèse initiale s’était focalisée sur la présence probable d’un animal sauvage, peut-être un ours affamé. Des battues avaient été organisées pour le retrouver ; tout ce que la Sologne comptait de chasseurs s’était mobilisé pour traquer la bête sanguinaire. En vain. Par la suite, d’autres chiens avaient succombé au mystérieux assassin. Puis un sans-abri avait été retrouvé à son tour baignant dans le sang, déchiré et défiguré. Les investigations de la police de Blois s’étaient orientées vers la piste du criminel humain, la seule espèce capable d’une telle cruauté gratuite. Les analyses médico-légales n’avaient pourtant rien donné, pas d’ADN, aucune trace similaire à des cas précédents, juste le constat d’une mort atroce et brutale. Le malheureux s’était avéré le précurseur d’une longue liste de victimes humaines, ce qui avait poussé les autorités locales à supposer la présence d’un tueur en série. Des experts étaient descendus de Paris pour investiguer sur l’affaire, croiser les éléments constatés avec d’autres meurtres semblables et inexpliqués. Encore en vain.


– Tu crois ce que racontent les gens, Paul ?

– La légende, tu veux dire ?

– Oui.

– Je ne sais pas.

– Pourtant, elle se répand comme une traînée de poudre.


Le mystère restait entier. Les morts surgissaient uniquement pendant la période hivernale, quand l’automne laissait place aux gelées matinales, quand le soleil déclinait plus tôt dans la journée, toujours la nuit. Des milices avaient été instaurées pour patrouiller le soir, sans résultat. La police de Blois, les investigateurs parisiens, les journalistes et les scientifiques n’avaient pas le début d’une explication sur l’origine de ces meurtres. Apparemment, seuls les humains et les chiens étaient ciblés par le meurtrier de l’hiver. Ainsi était née la légende, sortie tout droit de l’inconscient collectif d’une population terrifiée par ce phénomène saisonnier, désireuse d’habiller son ignorance d’oripeaux païens où des entités maléfiques dénommées « Les Ombres » suivaient un dessein mystérieux pour accomplir des actes inhumains et cruels. Les ignorants avaient alors désigné les nouveaux arrivants comme la source de ces malheurs, invoquant la prospérité immobilière drainée par le château de Cheverny comme la raison poussant une force inconnue à punir la région pour sa richesse retrouvée au détriment d’une prétendue culture locale et paysanne. Pour cette raison, tous avaient désormais peur de l’hiver et Paul ne dérogeait pas à la règle.


***


Le marquis avait du mal à cacher son agacement ; le constat de Paul n’apportait rien de nouveau. Il fallait trouver une solution à ce problème dont les conséquences sur le tourisme avaient fait chuter les recettes de moitié. Au début, les curieux s’étaient précipités à Cheverny, parce que la mort atroce de chiens appartenant à un riche aristocrate jalousé les renvoyait à leur petitesse d’envieux patentés, à leur lâcheté de sans-culottes regrettant l’époque de la guillotine. Ensuite, dès que des humains avaient succombé à leur tour au meurtrier de l’hiver, la jalousie s’était muée en peur, puis en reproches contre les nantis qui ne faisaient rien, disaient-ils en secret, pour arrêter les coupables, confiner la menace et protéger le peuple. Telle était la vision du maître des lieux, loin de ce que pensait Paul. Ce dernier comprenait, même s’il ne les partageait pas, les craintes des habitants de Cheverny, des touristes de la région et d’ailleurs. La mort faisait peur, encore plus quand elle ne laissait aucune prise à des considérations logiques et s’habillait de mystère. Alors, elle devenait terreur puis horreur, dans le silence et la fureur. L’origine sociale n’avait rien à voir avec ce sentiment. Tout le monde était terrifié, même le marquis et ses pairs, les nouveaux riches de la région. Seulement, ils s’abritaient derrière leurs certitudes de privilégiés, croyant que la faucheuse allait vérifier la profondeur de leur compte en banque avant de les découper de sa lame.


– Dites-moi pourquoi je vous paie aussi cher, Paul.

– Pour arrondir les angles et régler les problèmes.

– Exactement. Et avez-vous réglé le problème ?

– Visiblement, non.

– On est d’accord.


Non, Paul n’était pas d’accord avec son employeur mais il ne pouvait pas le lui dire. Il tenait trop à son job de couteau suisse dans une entreprise dédiée au tourisme et à la gloire du château de Cheverny. D’ordinaire, avant ces meurtres inexpliqués, son travail s’avérait simple, parce qu’il était lui-même un homme efficace, organisé, sociable. Il écoutait les desiderata de tous, en analysait l’essence puis trouvait le meilleur angle pour arriver au bon accord, à la solution bénéfique au plus grand nombre sans léser personne dans l’affaire. Il avait usé de ces qualités pour travailler avec les forces de police et de gendarmerie dès les premières morts, pour rassurer les habitants avant que la rumeur ne devienne virale, pour canaliser la soif de morbide des journalistes en quête de sensationnel à offrir aux milliers de cerveaux affamés de sordide et venus dévorer leur feuille de chou.


– Il va falloir agir.

– Comment ça ?

– À vous de me le dire.


À ces quelques mots, Paul reconnaissait bien la mauvaise foi du châtelain. Pour lui, tout problème avait une solution ; des gens comme Paul étaient payés pour les résoudre. Seulement, dans le cas présent, la logique cartésienne semblait aux abonnés absents alors que l’irrationnel s’emparait des esprits et bâtissait une muraille entre la réalité et la perception qu’en avaient les autochtones. Il n’avait donc pas le choix ; il décida d’improviser un plan d’actions. Patrouiller ne servant à rien, Paul devait passer à la vitesse supérieure, prendre des risques, s’immerger dans la croyance populaire pour tenter d’en extraire une information exploitable. Vaste programme, pensa-t-il.


– Je vais sonder plus profondément.

– Faites comme ça.


Visiblement, le marquis ne voulait pas rentrer dans les détails et cela arrangeait Paul. Tout ce qui importait aux yeux du maître des lieux était de rendre à Cheverny sa quiétude d’avant, quand les euros rentraient dans la colonne des produits touristiques, quand la presse locale ou nationale dépeignait la région comme un havre de paix où des familles pouvaient visiter le château, acheter des breloques à la boutique Tintin, s’émerveiller devant le spectacle des chiens de chasse à courre en train de partager un repas dispensé avec cérémonial par des braves garçons chaussés de bottes crottées. L’aristocrate déclara la session close et repartit vaquer à ses occupations, donnant au passage une semaine à son subordonné pour résoudre l’énigme et le débarrasser de cette mauvaise publicité. Paul prit congé et rentra chez lui pour affiner sa stratégie.


***


Le bar d’André sentait le bois et le feu de cheminée. D’ordinaire bien rempli, il ne comptait plus autant de consommateurs qu’autrefois, au temps d’avant les chiens déchiquetés et les victimes humaines. La peur s’était ancrée dans le village, au point de contraindre ses habitants à rester chez eux au lieu de partager leur vision du monde avec leurs pairs autour d’une bonne pinte de bière ou d’un verre de vin blanc. Seuls quelques habitués s’aventuraient en dehors de leurs pénates pour assouvir leur soif de débattre sur des sujets divers et variés, au rythme des pots de Vouvray et des langues qui claquaient. Paul s’accouda au zinc, commanda un ballon de muscadet et laissa ses oreilles écouter la rumeur. Il savait que tout le monde l’avait reconnu et qu’un buveur plus courageux que les autres allait forcément aborder le sujet. André lui-même semblait aux aguets. Fernand, un commerçant spécialisé dans le bric et le broc mais surtout un chasseur émérite, lança les hostilités.


– Toute cette histoire, c’est à cause des riches du château.

– Ouais, répondirent en chœur deux autres consommateurs.

– Ils s’en s’ont mis plein les fouilles et maintenant c’est nous qui payons les pots cassés.


Paul laissa Fernand élaborer ses théories. Il en profita pour observer l’assemblée clairsemée ; son instinct lui dictait de repérer l’intrus, celui qui ne suivrait pas la meute de complotistes. Il s’était appliqué tous les soirs de la semaine à cet exercice, espérant dénicher la perle rare, le discret qui en saurait assez pour l’orienter vers une autre piste. Ce jeudi s’avéra fructueux. Il remarqua un vieil homme qu’il avait probablement déjà vu par le passé mais dont le nom lui échappait. Ce dernier essayait de se fondre dans le décor, de peur d’être intégré à la conversation de comptoir. Paul attendit, prêtant peu d’attention aux arguments de Fernand et ses pairs, maintes fois entendus mais jamais vérifiés. Sa cible ne tarda pas à bouger, paya son écot au tavernier puis se dirigea sans un bruit vers la sortie. Paul régla rapidement sa note et quitta le bistrot à son tour. Il suivit le vieil homme sur plusieurs centaines de mètres avant de le rejoindre et se placer devant lui.


– Et vous, qu’en pensez-vous de cette vague de crimes hivernaux ? lança-t-il à la volée.


D’abord surpris, son interlocuteur le regarda fixement puis scruta les environs ; une fois certain qu’ils étaient seuls, il fit signe à Paul de le suivre. Leur marche silencieuse dura une dizaine de minutes puis le duo atteignit une petite maison fondue dans l’arrière-centre-ville, un quartier d’invisibles datant du début du siècle dernier. Le vieil homme se retourna, les yeux brillants, puis ouvrit la bouche.


– Vous êtes Paul Garnier, du château de Cheverny, si je ne m’abuse.

– En personne.

– Rentrons, nous serons plus tranquilles pour discuter.


Paul suivit son hôte à l’intérieur. Le parquet craquait, les luminaires dispensaient une lumière fatiguée, le mobilier sombre complétait le tableau d’un décorum sinistre. Au milieu du salon se dressait une table ; le vieil homme invita Paul à s’asseoir puis partit fouiller dans une armoire. Il ramena une bouteille d’un liquide à la couleur incertaine, ainsi que deux petits verres.


– Un peu de liqueur ne nous fera pas de mal.

– Sans façon, je conduis.

– J’insiste.


Paul jaugea la situation ; refuser pouvait s’avérer improductif au vu du cérémonial démarré par le maître de maison. Il accepta.


– Vous connaissez mon nom. Quel est le vôtre ?

– Bastien Lépée.

– Le Bastien Lépée ?

– Lui-même.


Bastien Lépée avait autrefois publié de grands traités d’archéologie, notamment sur la Préhistoire, quand l’Homo sapiens coexistait encore avec d’autres branches de l’espèce humaine. Paul le croyait décédé depuis longtemps. Le professeur lui résuma son histoire depuis sa retraite vingt ans plus tôt ; il avait continué ses recherches dans diverses régions de France puis, après la disparition de son épouse, il avait décidé de s’installer à Cheverny. Paul lui demanda pourquoi ici plutôt qu’ailleurs. L’archéologue lui répondit par un sourire mystérieux puis lui versa un verre de liqueur. Paul jugea bon de trinquer et avala le breuvage cul sec. Un furtif goût de framboise titilla ses papilles puis une odeur de fumée envahit sa gorge avant de l’emporter loin de la petite maison et du vieil homme.


***


Le ciel s’affichait noir, avec une lune faiblarde et peu d’étoiles pour l’égayer. Paul se demanda comment il était arrivé là. Il regarda à droite puis à gauche et enfin derrière lui, voyant des arbres faméliques à perte de vue. Cet endroit ne lui rappelait rien ; pourtant, il connaissait très bien la région dont il avait arpenté les faces les plus reculées. Il leva son bras pour consulter l’heure sur sa montre ; il remarqua que la trotteuse n’avançait plus, que la grande et la petite aiguille s’alignaient avec elle sur le nombre douze, comme si le temps s’était figé à minuit pile. Il tenta de se remémorer sa discussion avec Bastien Lépée ; des bribes de souvenirs effleuraient sa mémoire sans parvenir à l’accrocher. Seuls l’étrange sourire et les yeux passionnés du vieil homme perduraient.


Las de cette amnésie, Paul scruta de nouveau les environs puis décida de se diriger vers l’est ; dans son esprit, qu’importait la direction, tous les chemins le mèneraient inexorablement quelque part vers la civilisation. Sa marche sembla lui peser des tonnes. Le froid s’immisçait dans ses pensées, l’empêchait de réfléchir sereinement, le forçait à des gestes primitifs pour se réchauffer. Il comprit mieux pourquoi il n’avait jamais aimé l’hiver, même avant les événements. La vie, c’était la chaleur ; l’hiver représentait exactement l’inverse, un monde mort, la fin des fleurs odorantes et des matins ensoleillés, de tout ce qui rendait la vie si belle et la Terre si ronde. Paul regarda ses pieds, constatant que le sol mouillé était jonché de feuilles sombres, les restes lugubres d’une végétation anémique en mal de survie.


Soudain, il ressentit un souffle, une vibration. Son cerveau tenta une explication mais son cœur commença à s’emballer, ses tripes lancèrent une première alerte au danger, dans un réflexe primal hérité des origines de l’humanité. Paul commença à courir, sans savoir exactement pourquoi. Il devait juste mettre de la distance entre ce souffle et lui. Loin de provoquer son feu intérieur, sa course accentua son impression d’oppression, pas encore de la peur mais le sentiment d’être comprimé de l’intérieur. Il essaya de raisonner à nouveau mais rien ne venait, aucune logique n’imprimait son esprit pour lui donner un semblant de réconfort. Au contraire, il lui semblait que des images floues, sombres, agressives, prenaient l’ascendant sur la réflexion. La nuit devenait plus noire et pourtant il voyait les arbres fatigués, le ciel paré de sa pauvre lune, les feuilles sous ses pieds. Paul accéléra le mouvement.


Tout à coup, il ressentit une violente douleur sur le côté, comme une morsure. Il chercha la gueule et les crocs coupables de cette agression. Rien, juste le froid et le noir. Il essaya d’accélérer encore mais ses jambes commençaient à fatiguer, ses pieds pesaient désormais plus lourd et son cœur lui délivrait des messages l’incitant à se calmer. Paul décida de reprendre ses esprits, de ne pas se laisser guider par la peur de l’inconnu. Il arrêta sa course, posa ses mains sur ses hanches puis fit le point. La situation n’était certes pas sous contrôle mais il pensait qu’un peu de repos lui redonnerait de l’énergie et lui permettrait de trouver une solution à son problème immédiat. Malheureusement, un ennemi invisible lui cisailla le mollet gauche. Paul cria puis tomba à terre. Il roula sur le sol et se couvrit le visage par réflexe. Il sentit ensuite son corps soulevé de quelques centimètres et entendit un râle lugubre. Il plaça ses bras en position de combat, jeta un rapide coup d’œil alentour puis se retrouva projeté de plusieurs encablures. Sa chute parut durer des heures tellement elle devint douloureuse. Une fois à terre, Paul regarda au-dessus de lui et aperçut furtivement une paire d’yeux brillants, aussi passionnés que ceux de Bastien Lépée, puis une énorme série de crocs. Il comprit alors ce qu’avaient ressenti les autres victimes quand elles avaient perdu tout espoir de survivre à cette menace invisible. Paul respira une dernière fois et se fit déchirer par une mâchoire frénétique et sauvage.


***


Le brigadier Roberval ne put réprimer un haut-le-cœur à la vue du corps déchiqueté. Il détourna la tête et regarda le docteur Lambertin, médecin légiste de son état.


– Je suppose que la mort a été longue et douloureuse, docteur.

– Oui. Atroce, même.

– Et vous confirmez qu’il s’agit de Paul Garnier, du domaine de Cheverny ?

– Sans aucun doute. Les restes de ses papiers d’identité le confirment.

– Merde.


Le gendarme consulta ses notes. Le cadavre avait été découvert au petit matin par un certain Bastien Lépée, un retraité dont il n’avait jamais entendu parler auparavant. Selon ses dires, il se promenait dans les sous-bois quand il avait repéré une forme allongée sur le sol ; l’apparence humaine du paquet de chairs l’avait incité à appeler la gendarmerie, surtout dans ce contexte de crimes inexpliqués dans la région. Roberval pensa qu’il lui faudrait aller rendre visite au témoin, ne serait-ce pour enrichir le témoignage avant qu’il ne soit pollué par la légende en cours ou simplement l’érosion du temps sur la mémoire immédiate. Il décida d’appeler la police criminelle de Blois qui se chargerait de son côté de prévenir les experts de Paris. Cette nouvelle victime n’apporterait probablement aucun indice probant à l’enquête, seulement un constat identique aux précédentes découvertes macabres. L’affaire restait mystérieuse et nul doute pour le brigadier qu’elle allait encore alimenter la légende, cela d’autant plus que Paul Garnier travaillait pour le marquis, représentait le bras armé de la bourgeoise locale, une sorte de chien de Cheverny en version humaine.


***


Bastien Lépée ferma la maison et déposa les clés dans la boîte aux lettres. L’agence de location les récupérerait dans la journée. Il ouvrit la portière du taxi puis s’assit sur la banquette arrière.


– À quelle heure est votre train, monsieur ?

– Quinze heures.

– On y sera dans les temps ; la circulation est fluide.

– Parfait.


Le professeur pensa à sa prochaine destination, encore une région de châtelains et de spéculateurs fonciers plus désireux de gagner facilement de l’argent avec l’image d’un patrimoine millénaire que de préserver la nature généreuse d’une terre sacrée. Homo sapiens ne méritait pas ça et lui, Bastien Lépée, était là pour le rappeler à ses enfants gâtés et corrompus. Ils devaient connaître la peur, celle éprouvée par leurs lointains ancêtres quand ils se trouvaient confrontés à une menace inconnue. C’était le prix à payer pour évoluer vers un futur meilleur, libéré du mercantilisme et de l’appât du gain. Il l’avait maintes fois expliqué, discouru lors de ses cours et conférences, dans ses nombreux ouvrages de référence avant de sombrer dans l’oubli et la poussière. En vain. Alors, il avait décidé d’agir, de profiter de l’hiver et sa cohorte de légendes pour frapper un grand coup. Et il n’avait pas fini, loin de là. Sur ces dernières pensées, l’archéologue sourit, découvrant à moitié sa nature dévorante et ses yeux passionnés. Le taxi démarra.



 
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   Anonyme   
14/1/2022
 a aimé ce texte 
Bien
Ah, quand les défenseurs du patrimoine s'y mettent, l'affaire devient sérieuse !
Blague à part, j'ai bien aimé cette histoire même si je m'étonne, non de la légèreté du mobile (tout est bon quand on a envie de massacrer du monde), mais de l'habileté criminelle de l'assassin. Dans la mesure où Bastien Lépée, dans le dernier paragraphe, n'est pas du tout présenté comme une créature surnaturelle (je suppose que sa liqueur à la framboise contient un hallucinogène), mais simplement un honorable professeur qui a fini par s'agacer du peu d'impact de ses discours, et avec les moyens actuels de la police scientifique, je trouve invraisemblable qu'il ne laisse aucune trace derrière lui.

J'ai trouvé inutile le personnage du châtelain ; il s'inscrit dans une insistance trop appuyée dans la dynamique de l'histoire, à mon avis, sur le mépris dont son entreprise fait preuve vis-à-vis des gens du cru et le ressentiment de ceux-ci. Je pense que cette insistance rallonge indûment, et alourdit, la narration.
La partie que je trouve la plus réussie est la traque de Paul : efficace, effrayante et non sans beauté dans la description nocturne.

Pour terminer, ma lecture a été brièvement arrêtée par ce membre de phrase :
des entités maléfiques dénommées « Les Ombres » suivaient un dessein mystérieux pour accomplir des actes inhumains et cruels.
Suivre un dessein, d'accord, mais le mot "pour" indique ici un but, or les actes inhumains représentent un moyen d'atteindre le but visé par ce dessein. J'ai une impression d'inversion des termes, je m'attendrais à ce que les Ombres commettent des actes démoniaques pour réaliser, accomplir, un dessein…

   Pepito   
13/2/2022
Quelques trucs curieux dans l’écriture, pas bien graves.

“impression d’apocalypse”... comme vous, j’en ai déjà vécu plusieurs et je trouve que vous l’avez vachement bien décrite.

Fond :
“chiens appartenant à un riche aristocrate… Telle était la vision du maître des lieux” …
“croyant que la faucheuse allait vérifier la profondeur de leur compte en banque avant de les découper de sa lame.”... sérieux ? Je sais bien que la consanguinité peut faire des ravages dans certaines familles, mais là, vous forcez grave le trait.
“– Je vais sonder plus profondément.”... couteau suisse et proctologue à ses heures ?
Une histoire abracadabrante à laquelle je n’ai trouvé aucune logique. Qui ? Pourquoi ? But ?… Désolé.


Ce texte, participant au concours Hiver et commençant par le mot "hiver", me rappelle une histoire de mon enfance :

Un gars, lors d’une soirée mondaine, s’ennuie ferme. Il a une superbe blague sur la chasse à raconter, mais à aucun moment la discussion ne s’approche du sujet, ni de près ni de loin. En désespoir de cause, il a une super idée : il frappe un grand coup du plat de la main sur la table. Tout le monde sursaute. Et lui de reprendre : Oh, un coup de feu !?... Tiens, en parlant de coup de feu, j’ai une super blague sur la chasse à vous raconter…

Pepito

   plumette   
15/2/2022
 a aimé ce texte 
Un peu
Certes, les morts violentes se produisent en hiver et " l'intendant" , protagoniste principal de cette histoire se nomme Paul.
Mais l'intrigue pouvait sans rien perdre de sa construction se passer au cours d'une autre saison et si notre homme s'était appelé Marcel, cela aurait pu tout aussi bien fonctionner!

L'écriture est assez soutenue, précise, presque trop appliquée pour un tel récit, j'avais envie que cela avance plus vite vers un dénouement qui nous aurait livré le fin de mot de l'histoire. Le côté très descriptif m'a empêchée d'éprouver la peur, sauf à la fin lorsque la nouvelle bascule dans le fantastique avec cette poursuite de Paul par un "souffle" qui se transforme en mâchoire impitoyable.

Je me suis demandée depuis combien de temps sévissait cette malédiction sur le pays, cette précision aurait, me semble-t-il permis d'ancrer un peu plus cette histoire.

je n'ai pas compris le lien entre la spécialité de Bastien Lépée
(archéologue) et son devenir de justicier?

   aldenor   
17/2/2022
 a aimé ce texte 
Bien
Le récit est prenant, fluide. Ce qui me chiffonne c’est que plusieurs fois au cours de la nouvelle soit évoquée la théorie selon laquelle la région serait punie pour sa richesse retrouvée - dans la prospérité immobilière- au détriment de la culture locale et paysanne, et que finalement cette théorie se vérifie. Si bien que la conclusion ne surprend pas.

   placebo   
26/2/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour,
J'ai trouvé le texte un peu trop explicatif par moments.
Le thème de l'hiver est bien exploité. La mort de Paul me semble un des meilleurs passages.
Le leitmotiv sur les riches et les locaux est très actuel, tout comme les complotistes :)
Merci,
placebo

   Anonyme   
22/9/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Don,

Suite à tes conseils de lecture, je me suis lancée dans cette mystérieuse enquête au cœur du Loir-et-Cher. Une série de meurtres hivernaux, atroces et inexpliqués, humains comme animaux pour victimes. On s’inquiète pour le tourisme et le beurre dans les épinards, crainte on ne peut plus justifiée. Nous avons ensuite une description tout à fait intéressante des rapports entre Paul l’enquêteur et son employeur, le marquis châtelain. À ce moment de ma lecture, je me dis que lieux comme personnages sont très bien campés.

Nous passons au bar d’André avec la peur latente des villageois et leurs opinions sectaires. Introduction du personnage de Bastien Lépée, archéologue en retraite. Puis la promenade nocturne en forêt. Je sens qu’on arrive dans le cœur de la nouvelle, un côté fantastique est effleuré avec l’agression du pauvre Paul. Dans mon esprit se forme l’idée d’un lycanthrope qui ne serait autre que le vieil archéologue et je pense que la fin me conforte dans cette idée.

En conclusion, une excellente nouvelle maîtrisée et équilibrée de bout en bout.

Merci pour cette lecture, les petits frissons et le temps que tu as passé dessus.

Anna du Gévaudan


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