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Policier/Noir/Thriller
Donaldo75 : Manu
 Publié le 02/07/21  -  9 commentaires  -  6041 caractères  -  79 lectures    Autres textes du même auteur

Un mauvais plan.


Manu


Je ne le sens pas, ce deal. Encore un coup foireux à la Manu. « De la fraîche facile, vite fait bien fait », me dit-il à chaque fois. D’ailleurs, où est-il maintenant ? Je l’attends toujours mon pote d’enfance, celui avec qui je partageais mon goûter à l’école primaire parce que ses parents étaient fauchés. Je dois être trop con pour croire qu’on est encore frères de sang, vu que je me les suis coltinés tout seul les quatre ans de cabane suite à ce casse à deux balles organisé par Manu, le roi des plans sans accroc.


Il se pointe enfin, la gueule enfarinée, comme à son habitude.


– Tu branlais quoi, vieux ?

– Ta mère. Elle a aimé.

– On se marre avec toi, tu le sais, ça ?

– C’est un bête don.


Qu’est-ce que c’est que cette bosse sous son blouson ?


– Ne me dis pas que tu es chargé ?

– Si, je te le dis.

– Tu déconnes.

– J’entends trop d’histoires de deals où les mecs comme nous se retrouvent en caleçon avec zéro thune et nib de marchandise.

– La dernière fois ne t’a pas suffi ?

– On était des gamins.


Des gamins. Elle est bonne celle-là. Parti comme ça, on ne va jamais devenir des adultes, ça c’est garanti sur facture. Je l’ai appris durant mes années à slalomer dans les douches, à éviter les gros bras, à calmer les junkies, à devenir invisible des matons. Manu se la coulait douce pendant ce temps, à mater des films bourrins où Al Pacino et Robert de Niro s’affrontent à coups de tirades pourries, de mimiques ringardes et d’humour italo-américain. Je l’imagine bien en train de frimer devant les petites beurettes de son quartier à jouer au bandit de grand chemin dans l’espoir d’une petite pipe vite fait sur le gaz dans sa pauvre décapotable allemande tombée du camion.


– Tu n’as pas confiance en ces gars ?

– Non.

– Alors, pourquoi on les voit ?

– Parce qu’il y a un paquet à la clé, de quoi voir venir pendant un bon bout de temps.

– Tu sors ça d’où ?

– Tu ne veux pas savoir.


Si, j’aimerais savoir mais je ne suis pas en position de la ramener. Je suis raide de chez RSA. Mes vieux ne me parlent plus depuis que je leur ai mis la honte en me faisant embarquer par les condés devant tout le monde, leur univers de coincés, la troisième division de la bourgeoisie lyonnaise, des gars trop occupés à surveiller les allées et venues de migrants syriens pour regarder au-delà de leur gros tarin.


La lune se cache derrière les nuages gris. Je l’envie, elle n’a pas à supporter les conneries d’en bas où des milliards de branleurs essaient de s’entuber entre eux, de remplir leur existence vide avec des articles argentés vendus par des chaînes de téléachat. Manu tente de se donner une contenance en roulant un pétard d’afghane. Soudain, une voiture pointe son capot à l’horizon, les phares éteints, avec les seules veilleuses en guise de lumière.


– Le business commence, me sort mon pote en levant la main.


Trois hommes sortent du véhicule. Ils ne ressemblent pas à mes camarades de promenade à la centrale de Corbas. Leur regard pue le sens interdit, l’interdiction de pisser en dehors des clous. Je n’ai pas spécialement un sixième sens pour détecter les emmerdes mais chat échaudé craint l’eau froide comme disait ma grand-mère. Manu bombe le torse puis démarre son cinéma.


– Vous avez la fraîche ?

– Tu es Manu ?

– En personne.

– Et tu as les deux kilos ?

– Dans ma tire.

– Et elle est où, ta poubelle ?

– À deux cents mètres, à l’abri des regards indiscrets.

– Qu’est-ce que tu attends, alors ?

– De voir le blé.


Les trois marioles se regardent un moment puis se mettent à se marrer. Il est comme ça, Manu, un clown qui s’ignore. Visiblement, son public apprécie son humour. Le trio s’approche de nous puis le plus grand sort de son blouson une grosse enveloppe en papier kraft. Mon pote en scrute l’intérieur, en sort deux petits cailloux brillants qu’il ausculte attentivement, hoche la tête et déclare la transaction conforme.


– C’est bon, je reviens avec le matos.


Je le vois s’éloigner vers la planque, là où il a caché son carrosse. Je suis étonné que les clients restent calmes, comme si aucun coup fourré n’était possible dans ce monde pourtant imparfait. En réalité, je m’en tape, j’ai hâte que tout ceci finisse, qu’on se casse de ce trou pourri pour revenir dans notre grisaille et reprendre notre petite vie de tricard, avec un peu de monnaie en poche pour agrémenter le souper. Les mecs contemplent leurs pieds. Je n’ai jamais compris pourquoi les gens regardaient toujours leurs pompes quand ils ne savaient pas quoi dire. Ce n’est pas grave, leur conversation ne m’intéresserait pas de toute manière.


Manu revient avec un sac de sport. Il le pose sur le capot de la voiture des clients. Le plus grand des marioles fait un signe à l’un des deux autres. Ce dernier s’approche de mon pote, ouvre le sac, en sort un paquet kaki et commence à l’ouvrir avec un couteau suisse. Ce manège me fatigue tellement je le connais. Je détourne les yeux pour regarder au-delà, loin de toute cette merde où des rectangles compactés d’herbe folle s’échangent contre des cristaux arrachés péniblement de la terre africaine par des enfants sous-alimentés. Le temps s’écoule lentement dans mes veines et je me sens mieux.


Quand je reviens à la réalité, une scène ubuesque se fige sous mes yeux. Manu pointe un pistolet sur la tempe du testeur tandis que ses camarades de galère nous braquent avec de la vieille artillerie estampillée « Police Nationale ». Je lève les bras et commence à élaborer des scénarios improbables où Al Pacino et Robert de Niro n’ont pas leur place, où parler italien avec l’accent new-yorkais ne sert pas à grand-chose et dont la fin se décline entre des barreaux métalliques ou dans un sac mortuaire. Mes oreilles entendent enfin le son déchirant des balles sortant de canons brûlants puis je me retrouve plaqué au sol, un genou sur le dos, agressé par des cris gutturaux. Je regarde une dernière fois mon ami d’enfance avec qui je ne partagerai plus jamais rien d’autre qu’un champ d’osselets quand je serai redevenu poussière.


 
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   cherbiacuespe   
17/6/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↑
L'auteur fait le choix d'une ligne et l'exploite jusqu'au bout d'une façon magistrale. Manu n'a pas le rôle sympathique et dans cette histoire courte, ce bref passage de la vie de deux minables petites frappes ne décrit rien de très rose.

Dialogues minimalistes et efficaces avec le langage approprié de deux potes de mauvaise fortune. On pige tout facilement, on devinerait presque comment ça va finir et c'est peut-être le seul hic de ce théâtre de paumés. Si le sixième sens du héros lui fait des signaux d'alarmes désespérés, il devrait se préparer à fuir, trouver une porte de sortie. Au nom d'une amitié discutable, j'ai du mal à imaginer quiconque attendre sagement que le couperet tombe.

Pas si important. Pas au point, en tout cas, de détruire l'ambiance finement installée de cette tranche de vie, vouée à l'échec. C'est une bonne mini, noire à point !

   Anonyme   
23/6/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Entre flics et voyous, le narrateur nous concocte quelques scènes où des dialogues dégagent un humour particulier. Ce petit « polar » original, très bien ficelé, finit irrémédiablement par intriguer le lecteur que je suis, pour complètement le séduire car il n’a pas fini d’être surpris jusqu’à la fin. Forcément, on s'attendait à quelques étincelles. Bref ! Un suspense bien mené. Une réussite !

Merci pour ce genre que j'affectionne tout particulièrement.
dream

   Anonyme   
2/7/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Hello,

Sale temps pour les malfrats... ça pue la trahison...

Bon petit polar, avec en prime une critique de la société : "leur univers de coincés, la troisième division de la bourgeoisie lyonnaise, des gars trop occupés à surveiller les allées et venues de migrants syriens pour regarder au-delà de leur gros tarin", "des milliards de branleurs essaient de s’entuber entre eux, de remplir leur existence vide avec des articles argentés vendus par des chaînes de téléachat".

En prime, une réflexion sur les *je ne dirai rien pour rester poli* qui regardent avec avidité les films de gangsters amerloques, starring R. De Niro et A. Pacino, et y voient un modèle à suivre. Plus dure est la redescente sur terre...

Une histoire courte et rythmée, où l'argot est roi !

   Luz   
2/7/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Donaldo75,

Je n’ai pas beaucoup de mémoire, mais il me semble que ce texte s’est encore amélioré par rapport à celui du défi du printemps dernier. J’aime bien cette nouvelle courte et haletante.
Il y a beaucoup d'humour, en particulier : "Je suis raide de chez RSA", " la troisième division de la bourgeoisie lyonnaise"...

Bravo !

Luz

   hersen   
2/7/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
En fait, dans cette histoire, le narrateur semble surnuméraire tellement il a l'air loin de tout ça.
Amitié oblige. Amour oblige.
Se croire ainsi lié à quelqu'un d'un autre tonneau, c'est impressionnant;
car le narrateur évoque beaucoup de choses carrément au-dessus de la pensée de Manu.
par exemple les herbes folles séchées (poésie quand tu nous tiens !) contre des diams arrachés à la terre par des gamins.
Surtout qu'il s'est déjà fait entuber une fois grave, de la taule, quand même !
Alors manu est le menu fretin, il passe à travers les averses, sauf celles des balles.
peut-être alors qu'il est temps de se demander, pour le narrateur : est-ce qu'échanger son goûter avec un gamin engage pour toute la vie, toute les conneries ?
Sacré Manu.
merci de cette lecture !

   Myo   
6/7/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Dommage, le narrateur semblait mûr pour rentrer dans les clous... c'était sans compter sur ce passé qui le rattrape et l'influence de ce soi-disant ami.

Un style enlevé et en totale adéquation avec le personnage.
Une réflexion intéressante sur ses états d'âme, ses émotions, et ce qui guide ses choix.

Une histoire dans laquelle on se laisse embarquer sans difficulté.

Bravo!

   Ombhre   
2/8/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Donaldo,

j'ai bien aimé cette courte nouvelle qui oscille entre satyre sociale, humour argotique (je suis raide de chez RSA: excellent) et ambiance de polar. Les dialogues coulent facilement, l'atmosphère bien posée et le lien entre les deux principaux protagonistes expliquée succinctement mais très clairement. On voit très bien ces deux loosers tenter une fois de plus de gagner facilement de la "fraîche" pour pouvoir exister dans un système où ils n'ont plus leur place.
La chute, triste et emplie d'humour noir ("Je regarde une dernière fois mon ami d’enfance avec qui je ne partagerai plus jamais rien d’autre qu’un champ d’osselets quand je serai redevenu poussière."), conclue parfaitement ce mini thriller empreint de désespoir.

Merci pour la lecture.

Ombhre

   Babefaon   
19/8/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Donaldo,

Il y a déjà un moment que j'avais l'intention de commenter ta nouvelle, mais je suis incorrigible, me laisse vite déborder, remettant souvent au lendemain. Je n'ai pas eu le besoin de la relire, juste de la parcourir, pour me remémorer les faits. preuve qu'elle m'avait marqué !

J'ai beaucoup aimé sa construction, ses dialogues pertinents, sa chute que je n'avais pas vue venir. L'écriture est de surcroît vivante et très cinématographique. Elle pourrait se prêter à l'élaboration d'un scénario pour un court, sans ajouter grand-chose car l'essentiel est déjà là.

Voilà, c'est dit, je peux à nouveau me laisser déborder :-)

@ bientôt pour de nouvelles découvertes...

   Anonyme   
6/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Hola Don !

Une nouvelle à la tonalité triviale qui rappelle un peu certains films de gangsters avec un humour assez décapant qui ne fait de cadeau à personne, aux mères comme aux Syriens, mais l’irrévérence reste maîtrisée par le style enlevé et quelques passages de « belle écriture efficace » comme ce : « La lune se cache derrière les nuages gris. Je l’envie, elle n’a pas à supporter les conneries d’en bas où des milliards de branleurs essaient de s’entuber entre eux, de remplir leur existence vide avec des articles argentés vendus par des chaînes de téléachat. »

J’ai un étrange sentiment qui me traverse la tête en me disant qu’un américain aurait écrit cette nouvelle que je n’aurais pas tiqué une seconde. On assiste à deal qui finit mal pour Manu et le désespoir très bien transcrit par le narrateur.

Une très bonne nouvelle qui fuse comme une balle de 45.

Merci pour la lecture et le temps passé dessus.

Anna Carbone


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