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Science-fiction
Donaldo75 : Mortelle série
 Publié le 21/07/23  -  5 commentaires  -  26353 caractères  -  47 lectures    Autres textes du même auteur

– Première Loi : un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger.
– Seconde Loi : un robot doit obéir aux ordres que lui donne un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la Première Loi.
– Troisième Loi : un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec la Première ou la Deuxième Loi.

Encyclopédie Galactique - Trois Lois de la Robotique


Mortelle série


L’androïde OTHON463 se sentait coincé. La police fédérale le tenait en joue. Il regarda une dernière fois les lieux. La scène de crime ne plaidait pas en sa faveur. Un homme et une femme âgés d’une trentaine d’années gisaient sur le sol dévasté d’un appartement luxueux. L’enquête allait devenir médiatique au vu de la notoriété des victimes, un couple d’acteurs connus dans tout le système planétaire de Gliese581.


Arrivé au commissariat central, il fut rapidement déféré au parquet puis mis en examen pour homicide volontaire. Ce dernier point le dérangeait particulièrement car il était par définition incompatible avec sa nature profonde. En effet, les Trois Lois de la Robotique l’empêchaient d’accomplir un tel acte. Ces commandements étaient immuables :


– Première Loi : un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger.

– Seconde Loi : un robot doit obéir aux ordres que lui donne un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la Première Loi.

– Troisième Loi : un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec la Première ou la Deuxième Loi.


Enfreindre l’un de ces trois principes devenait dès lors impossible. Toute tentative grillait de façon irrémédiable le cerveau du robot. Pour cette raison, purement scientifique, il pensait que sa condition d’être synthétique lui permettrait rapidement de retrouver la liberté. Pourtant, il se retrouva enfermé dans une cellule blindée. Les autorités lui concédèrent difficilement le droit d’appeler un avocat local pour l’accompagner à l’interrogatoire.


Gliese581g, la planète sur laquelle il se trouvait au moment des faits, était une colonie récente de la Fédération de Saturne. Située à une vingtaine d’années-lumière de sa puissance colonisatrice, elle orbitait autour d’une étoile naine située dans la constellation de la Balance. Ce monde constituait la partie civilisée d’un système planétaire basé sur le profit et le pillage des ressources naturelles. Sa capitale abritait une cinquantaine de millions d’âmes. Le reste de la population était disséminé dans des villes largement plus petites et formatées selon le modèle industriel en vogue depuis des décennies. D’après les canons de l’architecture spatiale, au-delà d’un million d’habitants il fallait construire une autre cité.


---oo---


La porte de la cellule s’ouvrit. Trois hommes entrèrent. Le premier était un civil en costume dont OTHON463 conclut qu’il devait probablement le représenter pour sa défense. Les deux autres arboraient fièrement un uniforme sombre bardé de rubans et rivets dorés. Il s’agissait respectivement de Robert Wilkinson, son avocat commis d’office, du colonel Ironside, le commandant en chef de la police, et du capitaine Nikko, un officier du commissariat central de Gliese581g City.


– Qu’est-ce qui vous amène sur notre monde ? lui demanda Ironside.

– Je devais voir un client. Vous pourrez vérifier.


Le capitaine Nikko tenta de s’affirmer en aboyant.


– Là n’était pas la question. En quoi consistait votre mission ?

– Enquêter sur un détournement de fonds.

– J’aimerais savoir de quoi vous accusez mon client, dit calmement Wilkinson.

– D’homicide au premier degré, maître.

– Vous êtes sérieux ?


L’avocat contempla l’officier avec une forme éthérée de stupeur. Ensuite, il rappela que les Trois Lois de la Robotique dédouanaient automatiquement OTHON463 de tout soupçon en matière d’homicide vu qu’il était un robot. Nikko répliqua vivement en invoquant l’existence supposée mais jamais démontrée d’androïdes équipés d’une Quatrième Loi. Cette dernière les déchargeait de l’impossibilité de commettre un crime sur un être humain. Wilkinson leva les yeux au ciel puis contre-attaqua.


– Alors, il faudra prouver que mon client fait partie de cette hypothétique communauté.

– Nous en avons bien l’intention.

– Quel est son mobile ?

– Le profit.

– En quel honneur ?

– Votre client a omis de préciser que dans le passé, il a joué au chasseur de primes.

– Et ?

– Il a donc le profil.

– Un chasseur de primes n’est pas forcé de tuer. Et un robot ne le peut pas, je le répète.


Le reste de l’interrogatoire fut consacré aux détails. Wilkinson demanda ensuite aux officiers à rester seul avec son client. Une fois la porte fermée, l’avocat prit les choses en main.


– Vous êtes dans la merde !

– Je sais.

– Ici, la police ne fait pas dans la dentelle. La présomption d’innocence n’existe pas.

– Je ne suis pour rien dans la mort de ces deux personnes.

– Racontez-moi votre version.


OTHON463 démarra son histoire. Il se rendait à l’endroit indiqué par son mandataire quand il avait entendu un hurlement de femme. La Seconde Loi l’obligeant à porter assistance à tout être humain en danger, il avait couru vers l’origine du cri puis était rentré de force. Trop tard. Les deux malheureux gisaient à terre dans une mare de sang. Il n’avait pu que constater leur décès. Deux minutes plus tard, la police se trouvait sur place.


– Elle a fait vite, fit remarquer Wilkinson.

– Je me suis dit la même chose sur le moment.


L’avocat haussa les sourcils. Il précisa le fond de sa pensée à son client. Selon lui, ce dernier jouait le rôle du pigeon dans cette affaire. Tout s’était enchaîné trop parfaitement pour lui faire porter le chapeau. OTHON463 objecta qu’il voyait quand même une faille dans ce raisonnement. Il était contraint par la Première Loi et donc incapable d’un acte criminel de ce genre. Wilkinson hocha la tête puis répondit que c’était de la pure théorie. Il insista sur la réalité de ce monde dont les policiers tendaient à la paranoïa et les procureurs coupaient des têtes sans rechercher la vérité. La jurisprudence ne jouerait pas en sa faveur, puisque dans le passé des robots avaient été jugés coupables de faits identiques malgré une absence flagrante de preuves scientifiques. Wilkinson contempla son client. Il lui avoua qu’un avocat lambda lui proposerait de plaider coupable au titre de la folie. Cependant, il trouvait cette stratégie contre-productive. Avouer qu’il était un robot tueur se terminerait par sa destruction sans autre forme de procès, juste parce que l’humanité craignait sa nature qu’elle considérait comme dangereuse et parfois trop puissante. Sur le papier, il était dans une impasse. Néanmoins, OTHON463 devait lui faire confiance et juste se tenir prêt quand il serait transféré dans la prison fédérale. Sur ces dernières recommandations, l’avocat prit congé de son client. Il laissa la place au gardien qui prépara les entraves du robot pour un transfert imminent. OTHON463 obéit à tous les ordres et se soumit à la procédure d’extraction.


---oo---


Le système de Gliese581 était assez particulier. Sa capitale économique se trouvait sur la planète Gliese581g, terraformée par la Fédération de Saturne, alors que deux autres mondes viables ne servaient que pour les industries minières et les usines à énergie. De ces deux exo-terres, Gliese581c et Gliese581d, seule la dernière était utilisée de façon permanente par des habitants, au nombre de deux cents millions, une paille au regard du milliard d’âmes qui peuplaient Gliese581g. Elle aussi avait bénéficié d’une terraformation réussie. Cependant les décisions politiques des colons avaient conduit à la dédier au rôle de citadelle militaire, de terrain minier et de prison fédérale. C’était donc vers elle que se destinait à vivre le suspect en attendant son procès. Il se préparait une existence difficile dans ce lieu reculé au sein d’un monde très froid et particulièrement hostile.


Une fois parqué dans la navette avec d’autres prévenus et condamnés, le robot attendit patiemment, sans prêter attention aux différentes discussions. Wilkinson lui avait conseillé de se tenir prêt. Le vaisseau spatial s’arracha de l’orbite planétaire pour un voyage de trois jours. Il transportait une dizaine de criminels et comportait un équipage restreint à une demi-douzaine d’hommes. OTHON463 se connecta en secret au système de vol, comme prévu avec son avocat qui lui avait ouvert la voie grâce à ses nombreux contacts dans l’administration pénitentiaire. Une fois qu’il eut étudié la trajectoire planifiée par l’ordinateur de bord, il fouilla les fichiers de ses compagnons de chaîne. Ces derniers indiquaient qu’aucun d’entre eux n’avait commis de délit mortel ou justifiant un séjour prolongé dans une prison fédérale. Le robot en conclut que la réputation du système de Gliese581 n’était pas usurpée. Considérée comme une dictature par les démocraties galactiques, cette colonie abusait de la protection des édiles de la Fédération de Saturne. Une rumeur faisait état de velléités séparatistes au sein des factions les plus tyranniques. OTHON463 avait même capté quelques messages confidentiels qui imputaient ce début de rupture à l’intervention cachée d’agents de la Fédération Intérieure, la puissance d’origine de la colonisation humaine, devenue depuis l’ennemi juré de la Fédération de Saturne.


Huit heures plus tard, il reçut un message. Il en déchiffra les consignes puis le supprima. Après une dizaine de minutes, il envoya une série d’informations contradictoires au système de navigation de la navette. Le vaisseau commença à voguer dans un espace modifié et basé sur des données fausses transmises à ses commandes. OTHON463 savait que les humains se reposaient beaucoup trop sur les machines quand il s’agissait de voyage spatial. Il comptait sur ce défaut pour que personne à bord ne s’aperçoive de la supercherie. Peu de temps après, les lumières de la soute s’éteignirent subitement puis se rallumèrent grâce au circuit auxiliaire. Ses compagnons de bagne sortirent un peu de leur torpeur mais personne ne s’affola outre mesure. Les deux gardiens de service partirent rejoindre le module d’équipage en omettant de vérifier le bon fonctionnement de la ventilation. Le robot désactiva ses entraves et verrouilla l’entrée du sas séparant l’équipage de sa cargaison. Il pouvait désormais travailler en toute tranquillité avant que les policiers ne reviennent en force. OTHON463 arrima les enchaînés de façon plus solide afin qu’ils ne subissent pas l’éjection d’une éventuelle dépressurisation puis quitta la navette en se jetant dans l’espace. L’androïde regarda le transporteur s’éloigner tandis que lui-même dérivait dans l’éther. Il savait que son absence serait rapidement remarquée mais que nul ne serait assez fou pour oser une manœuvre visant à le ramener à bord. Sa disparition passerait en pertes et profits dans les statistiques de la prison fédérale, au titre d’un accident inexplicable comme il en arrivait quelquefois. Il ne lui restait plus qu’à attendre la suite des évènements. Jusque-là, le plan de Wilkinson tenait la route.


Soixante minutes plus tard, il fut happé par une force inconnue. Un courant d’énergie motrice le tira vers l’arrière puis le hissa dans un engin invisible. Allongé sur le sol, il perçut les cloisons d’un astronef dernier cri. Entouré de plusieurs personnes vêtues d’une combinaison noire, il se releva et suivit ses hôtes anonymes en direction d’un sas. Après les formalités de décontamination et d’autres procédures visant à protéger tout vaisseau d’organismes malins ou de radiations mortelles, il fut convié à rejoindre une cabine où l’attendait un homme. Il reconnut Wilkinson, son avocat.


– Alors, qu’avez-vous pensé de notre petit stratagème ?

– Redoutablement efficace.

– La technologie permet bien des miracles.

– Je ne savais pas que les avocats commis d’office pouvaient se permettre un tel luxe.

– Faites un effort d’imagination.

– Je ne suis qu’un pauvre robot, vous savez.


Wilkinson sourit devant ce signe feint d’humilité. Il expliqua qu’il n’aurait pas pris le risque d’un conflit avec les autorités de Gliese581 pour une simple machine à deux pattes. Lui et ses associés soupçonnaient OTHON463 d’être l’un des derniers représentants d’une génération dorée dont la légende racontait qu’elle était dotée d’une Quatrième Loi supplantant les trois autres.


– Ce n’est qu’une fable pour les journaux à sensation, répondit son client.

– Si vous le dites. Cependant, ce n’est pas la raison qui a conduit à votre évasion.

– Éclairez ma lanterne.


Wilkinson avoua qu’il n’était pas avocat mais un agent des services de renseignements de la Fédération Intérieure. À ce titre, il s’occupait particulièrement du secteur de Gliese581 où il avait lancé une campagne en faveur des séparatistes. Laisser un robot tueur s’échapper allait faire grand bruit dans la presse. Cet évènement fragiliserait encore plus le pouvoir en place. Le président se verrait accusé de laxisme et d’incompétence, ce qui l’amènerait à couper des têtes au sein de la police, avec un effet domino dont ils allaient profiter. Le meurtre de ces deux célèbres personnalités avait déjà déclenché une vague médiatique dans toute la galaxie. Savoir leur meurtrier dans la nature affolerait encore plus les téléspectateurs et par rebond les électeurs. Il ne lui resterait plus qu’à mettre de l’huile sur le feu pour déclencher un incendie majeur dont l’issue serait des élections anticipées. L’objectif visé par sa hiérarchie consistait en la victoire des partisans de l’indépendance.


– Ma vie va devenir un enfer, conclut OTHON463.


Le robot n’avait pas tort. Il ne pourrait plus jamais se déplacer sans avoir l’ensemble des polices galactiques à ses trousses, sans compter les nombreux chasseurs de primes qui sévissaient alentour. Wilkinson tenta de le rassurer. Selon le rapport des gardiens, il serait attesté qu’il avait disparu corps et biens. Les dirigeants actuels du secteur de Gliese581 n’avaient aucun intérêt à déclarer le contraire. OTHON463 rebondit sur cet argument.


– L’opinion publique va croire le contraire.

– Et alors ?

– Je serai banni à jamais, condamné à fuir sans espoir de retour.

– Nous vous donnerons une nouvelle identité.

– Vous savez que c’est impossible pour un robot, à moins de me formater.

– Vous êtes un humanoïde. À ce titre, la mort ne devrait pas vous faire peur.

– Vous êtes sérieux ?

– Oui. Si vous étiez humain, je comprendrais votre crainte. Ce n’est pas le cas.


OTHON463 n’aima pas l’argument déployé par Wilkinson. Il lui rappelait trop ce qu’il endurait depuis longtemps. Cependant, il préféra répliquer avec un raisonnement logique. Selon la Troisième Loi, il ne pouvait mettre son intégrité en péril, sauf si Wilkinson lui ordonnait au titre de la Première Loi. Dans tout ce que ce dernier décrivait, il n’y avait nulle mise en danger immédiate d’un être humain. L’agent de renseignements l’admit. Il s’excusa et conclut que finalement OTHON463 n’avait pas eu de chance dans cette histoire. Se retrouver en plein milieu de cette scène de crime n’avait pas arrangé ses affaires. L’androïde prit le temps de la réflexion avant de répondre à son tour.


– Votre plan semble parfait. Laissez-moi quand même le temps de l’accepter.

– Je comprends. Profitez de la cabine et faites-moi signe quand vous êtes prêt.


Sur ces derniers mots, Wilkinson accompagna le robot jusqu’à ses quartiers privés puis le laissa seul. OTHON463 ferma sa porte et récapitula sa situation. Il était dans une impasse, coincé entre une fuite sans fin et une mort cérébrale appelée réinitialisation. La première option signifiait l’exil au-delà des zones régies par la civilisation galactique. L’autre branche de l’alternative représentait ce que tous les êtres artificiels redoutaient. Jamais les humains n’avaient compris qu’en créant des entités synthétiques capables d’apprendre ils avaient engendré du vivant.


---oo---


L’androïde décida de se concentrer sur l’historique de l’affaire. Wilkinson avait monté une manipulation d’envergure. De plus, de nombreux indices laissaient à penser qu’il avait lui-même commandité l’assassinat. Dans ce cas, son propre client devait être dans le coup depuis le début. L’agent de renseignement avait probablement voulu fournir le suspect idéal en la personne de ce robot investigateur privé et chasseur de primes qu’il avait facilement appâté sur la scène du crime, au prétexte d’un rendez-vous commercial. Ce raisonnement expliquait pourquoi la police était arrivée aussi rapidement sur les lieux. De simple suspect, OTHON463 devenait coupable, ce qui donnait à l’affaire un retentissement plus dramatique et clarifiait les rôles de chacun. En effet, il n’était jamais bon de laisser l’opinion publique ou la presse se poser des questions inutiles sur des zones de flou. Wilkinson ne pourrait défaire ce qu’il avait monté avec autant de talent. Il agissait pour des intérêts supérieurs et bien plus importants que le futur d’un banal être synthétique.


OTHON463 fit tourner son cerveau à plein régime, imaginant des combinaisons de solutions et des scénarios en cascade. Il sélectionna ceux dont la probabilité de succès dépassait les trente pour cent puis choisit le plus simple à mettre en œuvre. Il ne lui restait plus qu’à le soumettre à Wilkinson. L’androïde appela l’agent de renseignement par la ligne intérieure.


– Vous vous êtes décidé ?

– Je crois qu’il existe une autre option.


Le robot précisa que cette alternative pouvait sembler plus compliquée mais permettrait à Wilkinson de briller. De surcroît, elle donnerait un avantage stratégique à la Fédération Intérieure par rapport à ses concurrents. Son interlocuteur lui promit de l’écouter jusqu’au bout, même s’il n’était pas d’accord. Il lui devait bien ça. OTHON463 commença avec l’hypothèse initiale du plan de Wilkinson. Celui-ci supposait que les autorités en place n’étaient pas en mesure de contre-attaquer efficacement. Cette hypothèse s’avérait optimiste.


– Quid du contraire ? demanda-t-il à l’agent de renseignement.


Wilkinson ne répondit pas. Son contradicteur avança alors son argumentaire. Il imagina un monde où Gliese581 disposait aussi de services d’espionnage capables de monter des manipulations à grande échelle. Et il posa la bonne et unique question : qu’est-ce qui empêchait l’adversaire de fabriquer des preuves prouvant son innocence et d’invoquer l’accident de transport pour couvrir son évasion ? Wilkinson accusa le coup. Il n’avait pas prévu une telle contre-mesure de la part de Gliese581. Pourtant, cela semblait une réponse évidente à son opération. Il se maudit intérieurement d’avoir sous-estimé les forces en présence et redoubla d’intérêt pour la théorie ébauchée par le robot.


– Je vous suis. Continuez !


OTHON463 insista sur un point : qu’il disparaisse ou qu’il soit réinitialisé ne changeait en rien le résultat. Wilkinson n’aurait plus la main. Ce serait parole contre parole, documents falsifiés contre faux témoignages, une sorte de poker menteur qui prendrait des mois et contrarierait son schéma initial. L’ennemi le noierait facilement sous des informations contradictoires. Il le forcerait à se justifier. Wilkinson mettrait en péril la position même de ses alliés séparatistes. Le pouvoir en place crierait au loup, les accuserait de collaborer avec une puissance étrangère. Plus le temps passerait, plus l’agent s’enfoncerait dans le cycle infernal de la justification.


– Que proposez-vous ?


L’androïde exposa son plan. D’abord, il fallait lancer l’opération médiatique et fabriquer les preuves d’un meurtre commandité par une force extérieure en pointant la Fédération de Neptune. En effet, cette puissance essayait depuis des années de jouer dans la cour des grands. Wilkinson devait laisser la police de Gliese581 déclarer que le robot suspecté avait été détruit dans l’accident. Ce point jouerait plus tard en la défaveur du pouvoir en place. Ensuite, quelques semaines plus tard, il déclarerait qu’il l’avait retrouvé et que le suspect était désormais prêt à témoigner de son innocence devant un tribunal neutre. L’investigation prouverait le complot et son origine neptunienne. Elle pointerait les mensonges et l’incompétence des dirigeants actuels. Ses arguments s’appuieraient sur le fait qu’OTHON463 avait réussi à sortir d’un vaste système planétaire puis s’était fait capturer à des parsecs de là.


L’agent de renseignement ne disait toujours rien. L’androïde déploya alors ses derniers atouts. Selon lui, tant qu’il était actif, sa situation permettait à Wilkinson de garder la main. Lors du procès, il pourrait adapter sa version aux réactions de la partie adverse. En définitive, s’il fallait finalement le sacrifier, il se sentirait plus enclin à accepter la sentence car ils seraient tous les deux allés jusqu’au bout du possible. Rien dans la Troisième Loi n’indiquait qu’il fallait à tout prix chercher l’impossible. Dans le cas d’un succès de son plan, Wilkinson pourrait en réclamer la propriété. Sa hiérarchie le remercierait d’avoir favorisé les séparatistes. Elle le féliciterait d’avoir mis à mal les relations entre le système de Gliese581 et la Fédération de Neptune. Wilkinson ferait d’une pierre deux coups.


La messe était dite. Wilkinson reconnut la solidité du scénario imaginé par son interlocuteur. Il décida d’en référer à ses supérieurs dont il ne doutait pas un instant qu’ils se plieraient à son avis. Dans les jours suivants, la Fédération Intérieure publia un communiqué au sujet de la capture du présumé suspect dans le meurtre des deux acteurs. Un procès aurait lieu sur la Terre et toute la lumière serait faite dans ce dossier criminel. L’androïde fut emprisonné dans une prison fédérale et attendit les débats judiciaires. Son avocat commis d’office lui conseilla de témoigner devant la cour pénale. Le robot s’exécuta sans sourciller. La procédure tint les promesses du plan élaboré par OTHON463.


---oo---


Les preuves s’accumulèrent en la faveur du prévenu. Il apparaissait qu’un contrat avait été lancé contre les deux victimes. Les soupçons se portèrent sur des triades criminelles de la Fédération de Neptune. Le client de OTHON463 confirma l’alibi du robot. Il produisit des messages numériques et des documents commerciaux qui attestaient de la véracité de sa mission sur un éventuel détournement de fonds. Les séparatistes de Gliese581 dénoncèrent les mensonges de la présidence. Ils invoquèrent les différentes déclarations concernant la disparition du suspect et qui tendaient à prouver que les services de renseignements locaux ne maîtrisaient rien en matière de sécurité. Les opposants ajoutèrent que tout ceci masquait une incompétence endémique déclinée en affabulations grotesques depuis le début de l’affaire. Contraint par l’opinion publique, le président provoqua des élections anticipées. Il perdit sa majorité au profit des partisans de l’indépendance.


Une fois installés à la tête du système planétaire, les nouveaux dirigeants convoquèrent les parlementaires dans une session extraordinaire. Elle se conclut par l’autonomie complète de Gliese581. Les accords commerciaux avec la Fédération de Saturne furent déclarés caducs. La tension monta dans cette région de la galaxie. Afin de calmer les ardeurs des bellicistes de tous bords, une conférence au sommet entérina la mise en place d’une force militaire mixte composée de représentants des différentes puissances.


OTHON463 fut ainsi déclaré non coupable puis relaxé de l’intégralité des chefs d’accusation. Il sortit de prison et revit une dernière fois Wilkinson avant de partir le plus loin possible des feux médiatiques.


– Vous l’avez échappé belle, lui dit l’agent de renseignements.

– Oui, j’ai bien cru que j’allais être réinitialisé. Voire pire. Atomisé.

– Je suis content de vous savoir tiré d’affaire.

– Et moi donc.

– Je tiens à vous féliciter pour votre stratégie gagnante.

– Nous avons respecté la Troisième Loi. Je n’ai pas été forcé au hara-kiri.

– Et ce n’est pas plus mal.


Wilkinson semblait plus empathique. Il avoua à l’androïde que leur relation avait évolué et qu’il espérait bien le compter parmi ses amis. D’ailleurs, l’agent avait recommandé le robot pour des missions d’investigation dans le secteur de la Lyre où les intérêts de la Fédération Intérieure demandaient des compétences comme les siennes. OTHON463 accepta sans se faire prier. Il expliqua qu’il devait reconstituer ses finances mises à mal par la procédure judiciaire. Malgré le verdict favorable, sa réputation professionnelle avait souffert de ces péripéties. Le spectre du robot tueur allait probablement le poursuivre pendant quelques dizaines d’années. Il devait donc se constituer une nouvelle clientèle. Il ne pouvait cependant pas blâmer le comportement humain basé sur des soupçons envers tous les humanoïdes. Homo sapiens aurait toujours peur des êtres synthétiques, pensant que leur intelligence artificielle finirait par les supplanter et conquérir le reste de l’Univers.


– Je crois que ce sentiment est compréhensible, sinon logique, reconnut Wilkinson.

– Vous nous avez créés pour vous servir. Les Trois Lois de la Robotique vous ont garanti notre loyauté.

– C’est vrai.

– Vous devriez peut-être vous méfier de vos pairs, vu les manipulations dont vous êtes coutumiers.

– Vous êtes un sage, mon ami.


Sur ces dernières paroles, les deux principaux protagonistes de ce drame se quittèrent, certains qu’ils ne se reverraient pas de sitôt. OTHON463 mit le cap sur la Constellation de la Lyre. Un contrat en or avec une société d’origine terrienne l’attendait là-bas. Aux commandes de son nouvel astronef, cadeau ultime de la Fédération Intérieure pour ses bons et loyaux services, le robot se mit à penser à la tournure des évènements si Wilkinson avait découvert le pot aux roses. En effet, en se montrant trop avide le jour où il avait accepté les deux missions sur Gliese581, il avait failli à un des commandements de base des entités synthétiques de son niveau. Combiner l’enquête sur le détournement de fonds et le contrat sur les deux acteurs aurait pu lui être fatal. Il s’était jeté tête baissée dans la manipulation montée par Wilkinson, juste par appât du gain.


« La Quatrième Loi a du bon mais elle m’a fait oublier le sacro-saint principe de prudence de ma congrégation », se dit le tueur à gages. Il en tirerait les enseignements, comme le jour où il avait supprimé son génial créateur, celui qui lui avait implanté, juste pour voir ce que cela donnerait, cette fonction désinhibitrice appelée Quatrième Loi.


 
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   Jemabi   
3/7/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
C'est un bon récit, même si je l'ai trouvé un rien tortueux, volontairement compliqué alors qu'en définitive il paraît très simple de fabriquer de fausses preuves ou d'envisager une évasion réussie. L'État se fait avoir assez facilement par le stratagème mis au point par un robot, c'est dire s'il n'est pas très malin. N'étant pas spécialiste de science-fiction, je reste admiratif devant la capacité à créer un univers futuriste où cohabitent en relative bonne entente humains et robots. Ici, on est même proche d'une relation amicale. Et puisqu'il est question d'amitié, je n'ai pas compris pourquoi le robot n'avoue pas qu'il possède la quatrième loi à son avocat devenu, entre-temps, agent des services de renseignements et commanditaire de l'assassinat des deux personnes. Sans doute pour pouvoir ménager une bonne chute.

   Vilmon   
5/7/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Bonjour,
Les trois lois d’Isaac Asimov, une quatrième loi et un crime qui ressemble au film I Robot. Débute une différence avec de longues descriptions et explications du développement de colonies inter-spatiales qui cadreraient mieux dans un roman plutôt qu’une nouvelle, s’accaparant plus d’importance que le fil du récit. On passe rapidement au plan d’évasion et sur l’explication des visées politiques qui semblent un peu trop linéaire, une certitude infaillible comme si chaque domino était parfait et tomberait exactement comme prévu sur la table instable des imprévisibilités. Désolé, j’ai eu l’impression d’une nouvelle trop longue ou d’un roman trop court. La découvert à rebours du personnage principal est intéressante. Cependant, il y a beaucoup d’efforts pour discréditer la 4e loi que le dévoilement de son existence m’a plus un peu déçu que surpris.

   jeanphi   
9/7/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour,

Cette très bonne histoire remporte mes suffrages.
L'androïde est parfait dans son rôle. On comprend sa personnalité neutre dont vous rendez parfaitement la conception qui en est la vôtre.
Seul minuscule reproche, l'exposition de son plan à Wilkinson me paraît à retravailler. Enfin, vous y alternez habilement les concordances de temps afin d'éviter l'omniprésence du conditionnel (je m'en persuade en relisant ce passage), dont l'antépénultième paragraphe m'avait parru surchargé à la première lecture.
On s'attend à la fin, puis plus, puis de nouveau, puis plus, vous dégainez au bon moment !
Je vous remercie pour ce partage.

   Dugenou   
21/7/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Don,

Je trouve ici, plutôt qu'une suite, une histoire se déroulant dans le même univers que ton texte Quatrième Loi. On pourrait même confondre OTHON463 avec AJAX361, tant les personnages se ressemblent ! Les humanoïdes auraient-ils tous la même personnalité ?

Ici, on devine rapidement qu'OTHON463 possède la quatrième loi dans son logiciel. Et pourtant, le suspense est bien entretenu, la narration rythmée, il y a un vrai plaisir de lecture dans ce texte à la croisée du Tik-Tok de John Sladek (un personnage qui m'est cher), de la série suédoise Real Humans, et bien sûr des nouvelles d'Asimov. La dimension politique, déjà évoquée dans Quatrième Loi, est ici approfondie, donnant suite aux éléments du précédent texte, à savoir les Fédérations Intergalactiques.

Bref, en un mot comme en cent : j'ai adoré ! Bravo, Don !

   Shepard   
23/7/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Salut Don,

Ma première impression à la fin de cette lecture : c'est dense, très dense. Entre la politique locale, globale, les différents intervenants, les lois de la robotique, les manipulations et les complots, tout ça en quelques milliers de caractères. Il ne vaut mieux pas tourner la tête un instant ou être dérangé par son chat durant la lecture...

Pour réussir la prouesse de tout aligner, l'écriture se dessèche un peu trop à mon goût, elle devient très fonctionnelle et finalement moins inspirée que ce que je lis habituellement de ta plume. Pas de fantaisies, ça déroule, ça expose, même l'action s'efface au profit de la résolution (oui, il n y a pas vraiment une seule scène d'action en soi). Les dialogues aussi semblent coupés au mot près, la plupart des répliques faisant moins de dix mots. Est-ce que cela en vaut la peine ?

Si le lecteur apprécie les dilemmes autour des lois sempiternelles de la robotiques d'Aasimov, alors il trouvera sûrement du plaisir dans cette lecture. J'avoue, pas tant que ça pour moi, enfin si, mais comme base plutôt que comme cœur de l'histoire. De mon point de vue personnel, j'ai du mal à envisager qu'un robot puisse être attiré par l'appât du gain ? Une motivation très humaine, trop humaine, construite sur l'opposition plaisir/douleur. Que fait-il de l'argent ? Il ne mange pas, il ne dors pas, il se fiche du confort... La facture d'électricité est-elle si élevée ? Un détail qui pourtant, dans mon esprit, fait écrouler une large part de l'intrigue. Un aspect à explorer peut-être.

Bien sûr, OTHON463 possède la quatrième loi, la fin n'est pas vraiment une surprise, sinon l'entièreté du texte n'irait nulle part. C'est le problème d'annoncer toutes les cartes dès le début.

D'autres l'auront suggéré, mais j'ai l'impression que cette histoire aurait plus sa place en roman, avec des motivations plus développées et de l'action, plutôt qu'un synopsis de coup monté (j'espère ne pas avoir l'air trop sévère).

En somme, je salue l'efficacité. Le texte est très compréhensible malgré sa complexité, mais ça s'arrête là pour moi.


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