Le train arriva en gare de New York ; Tom se réveilla au son de l’annonce égrenée par le haut-parleur du wagon. Il observa ses voisins de banquette plier leurs affaires et préparer la prochaine étape de leur journée ou leur transit vers une autre destination, un ailleurs programmé dans des horaires de bus et des lignes de métro. Tout ceci lui rappelait d’anciennes sensations, comme une impression de déjà-vu dans une vie antérieure mais en partie oublié. Les voyageurs commencèrent à se lever. Il remarqua leur routine ordonnée, celle de centaines de fourmis aux réflexes bien huilés, installées dans leur gestuelle mais inconscientes de leur destination finale.
La gare grouillait de monde ; Tom se dirigea vers la station de métro pour rejoindre la ligne de Central Park. Il acheta son ticket dans un distributeur automatique, suivit tranquillement les cohortes de passagers et rejoignit le centre du quai. La rame fit son apparition deux minutes plus tard. Il monta à bord puis s’adossa contre la paroi. Les occupants de la voiture semblaient confortablement installés dans leur bulle personnelle, un monde isolé et étanche. L’univers observable se réduisait à des dizaines d’individus absorbés par leur téléphone mobile, leur journal gratuit ou la musique déversée dans leurs oreilles par des écouteurs aussi gros que leur tête. Ces entités paraissaient séparées les unes des autres par des années-lumière de vide interstellaire, comme si le Big Bang originel avait accéléré leur dispersion au point de les atomiser. Pourtant, en dépit de cette distance entre les atomes, un schéma se détachait, formalisé par un comportement homogène. Tom se demanda si le grand ordonnateur de cette réalité avait souhaité en arriver là quand il avait décidé de créer l’espèce humaine, de lui fournir la matière et les moyens de s’élever, de dépasser sa condition de bipède fragile et de s’équiper de béquilles pour continuer sa marche vers l’horizon. Il se retourna et scruta son reflet dans la vitre ; il vit alors un grand homme noir comme l’ébène et habillé sobrement mais avec soin. Cette apparence allumait des flashs dans sa mémoire, ceux d’une population bigarrée et hétérogène, pas complètement réconciliée avec ses différences au point de se déchirer au nom d’un prophète improbable, de pères fondateurs morts depuis longtemps, de territoires infinis et pourtant sources de conflits entre leurs anciens occupants et leurs nouveaux propriétaires autoproclamés. Les riches stigmatisaient les pauvres. Les pauvres acceptaient leur condition mais empruntaient parfois des voies hasardeuses pour en sortir. Les noirs, les roses, les gris, les bleus, les jaunes, les verts, les rouges, tout un kaléidoscope de masses colorées se mélangeaient, s’affrontaient, s’alliaient les unes contre les autres, se mentaient constamment sous couvert de valeurs érigées en principes mais rarement vérifiées par les faits. Pourtant, malgré cette diversité tous restaient des fourmis, du moins dans le métro de New York. Après un rapide changement à Lexington, Tom se retrouva à la station de la Cinquième Avenue, au sud de Central Park. Il descendit de la rame, quitta le quai par la sortie ouest puis emprunta les escaliers mécaniques.
///
Le soleil brillait de tous ses feux, éclairant l’avenue et le parc. Peu de voitures circulaient à cette heure ; quelques rares joggeurs couraient sur la voie pavée attenante. Tom se dirigea vers Park Road, un endroit tranquille dans ses souvenirs même s’il ne parvenait pas à se remémorer à quelle occasion il l’avait parcouru. Ses jambes prirent le relais comme si elles avaient toujours arpenté ce rouleau de bitume ; il se laissa conduire par son réflexe conditionné. Après quelques minutes de marche, il remarqua un vieil homme noir assis sur un petit tabouret de bois et arborant une petite pancarte où s’inscrivait en lettres rouges « Dieu a mangé Dieu ».
– Quel drôle de slogan, dit Tom en s’approchant. – Il n’y a malheureusement rien de comique dans cette réalité, mon frère. – Je voulais dire étrange. – J’avais compris.
Tom vit la sébile posée par terre. Il fouilla les poches de son pantalon, trouva un billet de cinq dollars et le déposa dans la coupelle.
– Merci mon frère. Je ne suis pas certain que Dieu te le rende. – Je n’en attends pas tant de sa part. – Tu fais bien. Je crois qu’il a d’autres chats à fouetter en ce moment. – Comme quoi ? – Se pardonner d’avoir mangé Dieu, pardi !
Le vieil homme le regarda comme s’il était un monstre vert avec des tentacules et un bec de perroquet à peine descendu de sa soucoupe volante pour acheter un hot dog au cœur de Manhattan.
– D’où viens-tu, mon frère ? – Du Mississippi. – Et qu’est-ce qui t’amène à New York. – Ma résurrection.
Visiblement, Tom avait surpris son interlocuteur avec cette réponse spontanée aux accents de sincérité.
– Comment tu t’appelles, déjà, mon frère ? – Tom. – Moi, c’est Moe. – Ravi de te connaître, Moe. – Tu crois en la résurrection ? Et à New York en plus ? – Oui.
Moe scruta Tom en se demandant si c’était du lard ou du cochon. Après quelques secondes de silence mutuel, il éclata de rire dans un élan franc et massif. Dieu avait peut-être mangé Dieu mais il n’avait pas oublié de laisser aux humains la fonction zygomatique, une forme d’échappatoire ultime à leur destinée mal embarquée.
– C’est la première fois que je l’entends, celle-là, mon frère. Je vais la consigner dans mes tablettes, peut-être même en faire une pancarte, du genre « Dieu a mangé Dieu et les fous croient en la résurrection à New York ». – C’est un bon début. – Pour quoi ? – Recommencer. Reconstruire. Revivre. – Tu ne vivais pas dans le Mississippi ? – Si. – Et alors. – J’ai commencé, j’ai construit puis je suis mort.
Moe cracha par terre. « Putains de Sudistes, toujours prêts à tuer nos frères », lâcha-t-il rageusement. Tom lui rappelait quelqu’un, un leader noir, un grand gaillard du Sud mort pour ses idées d’égalité entre les peuples, de justice et de fierté pour tous les défavorisés d’une Amérique bouffée par la ségrégation raciale. Pour lui, dans les États-Unis du vingt-et-unième siècle, crier sur Central Park le nom de ce héros posait plus de problèmes que chanter des gospels de Mahalia Jackson ou montrer son cul aux bobos venus courir avec leur chien. Seuls l’ancien président Obama et les grenouilles de bénitier du Washington Post croyaient le contraire. Moe le savait d’autant plus qu’il avait donné plus que quiconque pour la cause, porté haut et fier le béret noir des Black Panthers, subi les assauts de la police de New York, du FBI et des nombreuses milices racistes en vogue dans les années soixante-dix et quatre-vingt.
– J’ai l’impression qu’on se connaît, mon frère. – Peut-être. Je ne me connais pas moi-même. – Pourtant, tu sais que tu es mort. – Je le sens. – Et tu vas revivre à New York. – J’ai envie de dire « si Dieu le veut » mais je crois que c’est mal embarqué s’il s’est boulotté lui-même. – Il va falloir trouver ta voie tout seul comme un grand, Tom. – Je pense, oui. – Bonne chance ! – Merci, mon frère.
Moe se leva de son tabouret et prit Tom dans ses bras, l’enlaçant comme au temps où il était encore un homme digne, avant sa chute dans les poubelles puantes de New York.
///
Tom marcha dans Central Park sans se préoccuper du temps qui passait. Il admira la sérénité des lieux, l’apparente joie de vivre des badauds et la propreté de ce poumon vert dans l’immensité bétonnée de la plus grande ville du pays. Il pensa à Dieu qui avait mangé Dieu, au Mississippi et au rire de Moe quand il lui avait annoncé son projet de résurrection à New York. Sans s’en rendre compte, il se retrouva en dehors du parc quelque part sur Madison Avenue. Le contraste avec Central Park était saisissant ; au-delà de la foule de passants et de la horde de voitures, c’était l’impression de richesse, d’opulence affichée sans vergogne qui dominait. Les magasins de luxe proposaient des articles somptueux, brillants, clinquants, à des yeux hypnotisés par autant de promesses de vivre quelques minutes autrement. Les vitrines montraient des poupées de plastique revêtues de fabuleuses parures et semblant dire au quidam « habillez-vous comme moi et vous deviendrez moi ». Le rêve américain prenait sa forme la plus artificielle sous des airs de paradis où le luxe et le mauvais goût se disputaient les suffrages du consommateur conditionné par des écrans publicitaires en quatre par trois. Tom vit s’afficher dans son cortex cérébral des tableaux minimalistes où les mots « mange » et « meurs » remplissaient tout l’espace de la toile jusqu’à en devenir viraux. Ces images lui rappelaient un passé tumultueux dans le New York culturel de la seconde moitié du vingtième siècle, quand des artistes courageux détournaient les symboles de l’Amérique toute puissante pour en montrer les scories, les injustices, les errements, au nom de la fonction première de l’art, celle de faire réfléchir « homo sapiens » et lui montrer le monde au-delà de son univers de chasseur cueilleur devenu producteur de viande froide.
Tom se demanda si des gars comme Moe, les oubliés du système, traînaient quelquefois dans cette grande avenue, s’ils admiraient les articles de luxe exposés aux yeux de tous. De vagues souvenirs lui renvoyaient des instantanés où des policiers et des agents de sécurité procédaient à un ménage systématique avant l’ouverture des magasins et débarrassaient cette artère commerçante de ses scories humaines. Chaque matin, les éboueurs vidaient les poubelles dans des requins de fer ; eux, les cerbères des riches et des puissants, ramassaient les déchets de la société et les emmenaient loin, à l’abri des regards. La proximité des pauvres n’incitait pas les plus favorisés à consommer. Il continua de marcher tranquillement jusqu’à la 112e Rue puis obliqua sur la gauche pour rejoindre Lenox Avenue et suivit enfin la direction de Harlem. La faim commençait sérieusement à le tenailler. À l’angle de la 124e Rue, il repéra un restaurant à la terrasse bien agencée. Il décida de déjeuner sur place. L’endroit ne croulait pas sous la clientèle, probablement du fait de l’heure encore matinale. Tom décida d’occuper une petite table proche de la fenêtre. À peine installé, il vit arriver une jeune serveuse noire.
– Bonjour, monsieur. Qu’est-ce que je vous sers ? – Vous avez une spécialité ? – Le hot dog Harlem Shake Special. – Qu’est-ce qu’il a de spécial ? – Si je vous le dis, mon boss va être obligé de nous enterrer dans un terrain vague de Brooklyn. – Vaste programme. Et c’est risqué de demander avec quel accompagnement vous le servez ?
La serveuse l’observa longuement sans rien dire, regarda à droite puis à gauche, approcha son poignet de sa bouche et parla dans une langue étrangère. Après une bonne minute, elle cligna de l’œil en direction de son client.
– Nous avons le go du management. Je vous apporte la carte du Harlem Shake Special. – Merci. – De rien, je ne peux rien refuser à un beau gars comme vous, surtout quand il ressemble autant à Malcolm X.
Sur ces mots, la jeune femme repartit vers le comptoir. Tom pensa aux paroles de Moe ; peut-être que ce dernier avait perçu cette ressemblance avec le dénommé Malcolm X. D’ailleurs, ce nom lui rappelait vaguement quelque chose. Il leva les yeux et s’aperçut que la rue portait également la référence à ce personnage ; un souvenir fugace s’alluma alors dans son esprit. Des milliers de personnes dans la rue, la main dans la main, défilaient silencieusement devant des policiers surexcités. Le cortège affichait des mots lourds de sens écrits en grosses lettres sur de larges pancartes. Le son restait diffus, comme si la mémoire saturait l’ouïe pour mieux montrer ce film en noir et blanc, le rendre plus prégnant. Tom ressentit des frissons dans sa nuque. Il ferma les yeux, tentant de fixer la pellicule et de passer la scène au ralenti.
– Vous êtes en transe ? entendit-il.
Les files d’ombres noires et blanches commencèrent à s’évanouir du décor. Tom sentit une forme de lassitude envahir son cerveau. Il ouvrit lentement les yeux et revint à sa réalité du moment. La serveuse se tenait face à lui, avec dans ses mains la carte promise. Elle le regardait d’un air doux tout en lui souriant. Ses propres yeux paraissaient virer au gris, la couleur du bitume avalant le défilé quelques secondes auparavant, quand Tom quittait son souvenir pour un retour au présent.
– Vous avez vu la même chose que moi ? demanda-t-il. – Un macadam plein de gens marchant dans le calme. – Vous aviez du son ? – Des murmures. – Rien d’autre ? – C’est confus. – Dites quand même. – Un coup de feu.
Cette seule évocation assombrit encore plus ses pensées. La jeune femme avait raison ; l’odeur de la poudre se mêlait aux images, au flux de marcheurs arpentant le pavé new-yorkais un jour d’été sans peur devant des cohortes surarmées. Il se sentit mourir avec cette foule bigarrée de sœurs et de frères silencieux. Le silence s’imposa entre la serveuse et lui. Le temps défila à son tour. Lenox Avenue se figea dans un fondu enchaîné, entre passé et présent, rêve et réel.
///
L’église s’affichait dans toute sa splendeur ; Tom se dit à nouveau qu’elle lui rappelait quelque chose mais il n’arrivait pas à mettre un nom dessus. Il décida d’entrer. L’intérieur était somptueux, pas au sens luxueux du terme mais dans sa dimension esthétique. Le plus impressionnant résidait dans l’orgue trônant au-dessus de l’horloge, encadré par de superbes vitraux en arche. Le jeune homme vit un prêtre occupé à placer les livres de chants sur les bancs. Il s’approcha de lui.
– C’est magnifique, mon père.
Le prêtre se retourna et regarda Tom sans dire un mot ; dans ses yeux des sentiments variés semblaient se mélanger tels des nuages dans un ciel orageux. Son langage corporel trahissait une profonde émotion, comme s’il venait de voir Jésus-Christ réincarné ou un extra-terrestre descendu de sa capsule spatiale. Le silence s’installa entre les deux hommes. Tom laissa son interlocuteur muet reprendre ses esprits. Ce dernier revint dans leur espace-temps et tendit la main.
– Révérend Paul A. Johnson. – Tom, répondit le jeune homme.
Le contact rétabli, le révérend tendit un livre de chants, regarda Tom droit dans les yeux et posa la question qui le taraudait depuis le début.
– Vous êtes déjà venu ici, Tom ? – Je ne sais pas. Il me semble que oui mais je ne m’en souviens pas. – De quoi vous souvenez-vous ? – De chansons, de personnes en fleurs marchant dans la rue. – Et ? – D’un coup de feu puis la douleur et enfin le néant. – On dirait une chanson de feu James Brown, répondit le prêtre en souriant tristement.
Ce nom résonna dans la mémoire de Tom. Il se souvint d’une musique lancinante et cuivrée supportant des paroles où les Noirs déclaraient qu’ils étaient fiers d’être noirs et qu’ils le diraient haut et fort. Une mélodie prit forme dans son esprit et il commença lentement à murmurer un texte. Le révérend le regarda, un peu surpris, puis frappa dans ses mains et se mit à chanter. Tom l’accompagna en rythme, haussant sa voix et passant du murmure au chant. Les deux hommes chantèrent durant plusieurs minutes sous les regards pétrifiés de statues de pierre et d’icônes en plâtre probablement habitués au gospel dominical. Le jeune homme ferma les yeux et vit de nouveau la longue marche dans des rues ensoleillées où des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, des Noirs et des Blancs s’égrenaient telles des centaines de fleurs dans un jardin paradisiaque. Le ciel affichait un bleu universel et les rares nuages semblaient presque danser en rythme. Il se vit, grand, majestueux, en tête du cortège, frappant dans ses mains et encourageant les autres à procéder de même. La paix. La sérénité. L’amour entre les peuples. Tom pensa à Moe et à leur discussion dans Central Park. Elle prenait du sens, un peu comme si le sans-abri représentait l’après, la grisaille après le beau temps.
Il ouvrit les yeux d’un coup. Le révérend Johnson se tenait toujours en face de lui mais il ne tapait plus dans ses mains. Son regard était triste, ses yeux voilés comme si des larmes ne pouvaient se former et se concentraient en petits cumulus.
– Vous les avez vus, mon père ? – Oui. – Et ? – J’étais présent ce jour-là. – Vous deviez être sacrément jeune. – J’étais encore enfant.
Tom le regarda avec douceur puis lui raconta sa conversation avec Moe où Dieu avait mangé Dieu et les fous croyaient en la résurrection à New York. Le prêtre hocha plusieurs fois la tête sans interrompre le récit. Le jeune homme pensa que le révérend Johnson et Moe constituaient finalement les deux faces de la même pièce dans un pays où le dollar s’érigeait en maître, où la couleur noire représentait le deuil pour certains, le mal pour d’autres, le néant pour lui. Une fois son histoire terminée, il prit les mains de Paul A. Johnson, un homme d’Église certes mais avant tout un frère d’armes de lui et de Moe et de millions d’autres durant toutes ces décennies depuis la fin de la guerre de Sécession. Leurs adieux silencieux semblèrent durer une éternité.
///
Le révérend Paul A. Johnson regardait ses ouailles mais ne pouvait pas chasser de son esprit l’image de ce jeune homme. Pour lui, Tom représentait la résurrection de l’homme noir sous la forme d’un Malcolm X pacifié, presque vierge de son passé et de ses luttes mais changé par son vécu et sa mort. Cette impression restait difficile à formaliser et il ne se sentait pas de l’expliquer à un tiers ; pourtant, elle influençait sa perspective et sa manière de conduire le gospel hebdomadaire, du moins cette fois-ci. Il avait décidé de remplacer les chants religieux par une seule chanson de James Brown intitulée « Say it loud - I am black and I am proud » ; à cet effet, Herbie son organiste avait arrangé la musique afin qu’elle s’accorde avec le lieu, le chœur et la tradition de cette église. Et ils avaient tous les deux rédigé un petit fascicule pour l’occasion en lieu et place du livre de chants habituel. Il était maintenant entre les mains de ses paroissiens qui en découvraient le contenu.
– Vous souvenez-vous de 1968 ? demanda-t-il à l’assistance. – Oui, répondirent d’une seule voix les plus âgés. – Que s’est-il passé cette année-là ? – Le pasteur King a été assassiné, répondit une grosse femme. – Et ? – Nous nous sommes réveillés.
Cette réponse surprit le révérend. La grosse femme le regardait fièrement, les yeux brillants. Il pensa alors de nouveau à Tom, au regretté pasteur King, à Malcolm X et à tous les pauvres hères oubliés comme Moe le philosophe sans abri. Il se souvint de la marche dans les rues de New York, la plus belle ville du monde, quand il n’était encore qu’un petit garçon pour qui l’égalité entre les hommes et les femmes du monde entier quelles que soient leur couleur de peau et leur origine restait un concept lointain parce que dans sa vie quotidienne il était noir et les autres, ceux qu’on voyait à la télévision dans les publicités pour des sodas et des voitures, les symboles de l’Amérique victorieuse et éternelle, juste blancs. Il se remémora la ferveur collective, l’envie de paix et la beauté du cortège bigarré. Cette journée avait été magnifique. Oui, ils s’étaient tous réveillés après des années de soumission où seules quelques poignées de courageux avaient risqué leur vie pour changer le cours de l’Histoire. Cette grosse femme avait probablement marché avec lui ce jour-là et la lumière s’était allumée pour elle aussi. Ce feu sacré ne devait plus jamais s’éteindre et c’était sa mission à lui, l’homme de Dieu, l’éducateur des âmes perdues, d’en raviver la flamme dans ce temple de l’amour et de la paix. Le révérend Paul A. Johnson ouvrit les bras et lança un chant.
|