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Policier/Noir/Thriller
DrRictus : Seul dans le noir (1e partie)
 Publié le 30/11/07  -  3 commentaires  -  9303 caractères  -  11 lectures    Autres textes du même auteur

La descente aux enfers d'un flic qui y était déjà.


Seul dans le noir (1e partie)


Il est six heures sept du soir, un lundi de janvier. La nuit tombe prudemment sur Paris. Je suis bloqué dans cet embouteillage depuis vingt bonnes minutes, à regarder la pluie qui fouette le pare-brise de ma Peugeot de simple flic, rythmée par les couinements de mes essuie-glaces mourants. Optimiste, j’allume la radio pour égayer ce morne début de soirée, et aussitôt une mélasse infecte essaie d’envahir mes oreilles : deux mesures de funk passées en boucle, agrémentées de mugissements autosuffisants et de rythmes en boîte. Ce foutu bruit s’appelle hip-hop et a le don inexplicable de me donner la nausée. En un réflexe, j’éteins la radio. Je respire, la musique de mes essuie-glaces me semble bien meilleure au final. Ils ont au moins le mérite de ne pas débiter des conneries plus grosses qu’eux en étant persuadés d’être des artistes. D’ailleurs je trouve irritant cette tendance de plus en plus fréquente à appeler Artistes ces brailleurs télévisuels qui pour le mieux ne sont rien d’autre que les bouffons de l’enfant-roi. Eux-mêmes n’y sont pour rien bien entendu, la plupart étant de pauvres abrutis mis en scène par leurs producteurs-marketeurs dans l’unique but de faire cracher la monnaie aux ados, au moins à ceux qui n’ont pas encore ruiné leurs parents. Ou alors c’est moi qui à quarante-deux ans deviens un vieux con…


Ceci me rappelle deux jeunes gens qui étaient assis en face de moi dans le bus la semaine dernière. Ma voiture était en panne, ce qui pour moi est la seule raison valable d’emprunter les transports en commun. Ils avaient tous deux la même allure : écouteur dans l’oreille, dreadlocks semi-décolorées, baskets multicolores et pantalons trop larges et visiblement trop courts aussi puisqu’on pouvait voir presque en entier leurs magnifiques caleçons. Ils étaient probablement de retour du lycée et l’un des deux se donnait beaucoup de mal à rouler un pétard, pendant que l’autre s’écoutait parler du haut de ses 15 ans, vantant les mérites universels du cannabis, et concluant à peu près ainsi, d’une voix nasillarde :


- Tu sais quoi ? C’est pas un hasard si tous les pacifistes fument de la weed à mon avis. Tu sais les hippies, tout ça. Si tout le monde fumait, mec, y’aurait plus jamais de guerre ! On serait tous là… Déchirés… Tran-quilles !


Conneries ! me dis-je. Fumer ne rend pas pacifique, ça aide certains pacifistes à ne pas voir que l’homme et la guerre ne font qu’un. Ca leur évite de se rendre à l’évidence et leur donne la force de mener leur vain combat, leur guerre contre la guerre. Sans compter que, avantage non négligeable, cela leur assure aussi de rester dans l’ignorance de leur propre agressivité.


Mais revenons à nos deux moutons blancs. Ils étaient tellement affairés qu’ils ne remarquèrent pas la vieille dame qui venait de monter péniblement dans le bus, épuisée par l’effort qu’elle venait de fournir pour plier trois fois de suite chacun de ses deux genoux rouillés jusqu’à la moelle. Elle resta à côté d’eux, visiblement essoufflée mais stoïque et n’osa pas leur demander de lui laisser une place. Je la regardai, lui fis un sourire qu’elle me rendit sans se faire prier.


- Hé les p’tits gars, leur dis-je, la dame aimerait probablement s’asseoir. Elle est fatiguée.

- Hé ho mon vieux t’as qu’à lui laisser toi la place, moi je suis occupé, me dit le rouleur.

- Tu rouleras ton joint plus tard, petit, et c’est mieux comme ça parce que visiblement t’es déjà trop défoncé pour y arriver. Et si tu continues ton cinéma avec moi je vais m’énerver.

- T’es flic ou quoi ? D’où tu nous donne des ordres ? lança l’autre, qui s’était levé d’un bond et tremblotait vaguement.


Je venais visiblement d’ébranler sa toute-puissance boutonneuse.


- Précisément je suis inspecteur de police, répondis-je en lui montrant ma carte. Je ne travaille pas aux stupéfiants mais j’ai quelques connaissances là-bas qui adorent faire la leçon aux jeunes rigolos comme vous. Je leur lance volontiers un petit coup de fil si vous voulez.


Ils se décomposèrent à la seconde où ils virent ma carte. Toute leur arrogance de surface était brusquement tombée au fond de leurs chaussettes. Bien sûr ils ignoraient que personne n’allait se déranger pour un pétard mais la menace les fit presque tourner de l’œil si bien qu’ils ne purent que gémir des supplications misérables que j’oubliai aussitôt.


- Ok, leur fis-je, alors vous allez me confier ces substances et débarrasser le plancher illico et peut-être que j’oublierai tout ça.


Ils s’exécutèrent immédiatement, la vieille dame put s’asseoir, me remerciant du bout des lèvres, visiblement gênée d’avoir été au centre de l’attention à cause de moi. Peu importe, me dis-je, elle est quand même mieux assise que debout. Puis je me levai et sortis. C’était mon arrêt.


Et cet embouteillage qui n’en finit pas… J’avais oublié cette scène et je me demandais bien ce que j’avais pu faire de ce petit sachet d’herbe que je leur avais confisqué. Je devais encore l’avoir dans une poche, sûrement… D’habitude je perds patience dans le trafic. Il m’arrive même de faire des détours immenses pour ne pas être à l’arrêt. Mais là, je m’en fous. Je m’en fous parce que depuis deux semaines je ne suis pas pressé de rentrer à la maison où il n’y a plus personne qui m’attend. Ma femme Sonia et ma fille Lisa sont parties, parce que je travaille trop il paraît. Cela faisait plusieurs années que Sonia tirait la sonnette d’alarme de temps en temps, au début je faisais quelques efforts mais à force je ne l’entendais même plus. Et cette fois-ci je l’ai entendue, difficile de faire autrement à vrai dire…


Elle devait me rappeler hier pour faire le point, mais je n’ai eu aucune nouvelle pour le moment. Demain, sûrement. De toute façon, elle ne m’a laissé aucun moyen de la contacter moi-même, et puis je suis censé avoir réfléchi à notre avenir, notre couple, notre enfant. Mais à chaque fois que j’essaie de penser à tout ça, je ne peux rien faire d’autre que sentir mes paupières inférieures se remplir de larmes avant que le trop plein ne s’évacue en coulées épaisses et chaudes. Et puis il y a ce nœud dans ma gorge qui se serre et m’inflige une douleur à chaque fois plus grande et me fait presque suffoquer, comme une sorte de pendaison de l’intérieur. Sans compter que depuis que je me retrouve seul, mes nuits sont devenues infernales, remplies de cauchemars semi-éveillés.


Il y en a un qui revient toutes les nuits : je suis en service de nuit, à la recherche d’informations sur un crime dégueulasse (ma spécialité) commis récemment et j’entre dans un bistrot des bas quartiers, crasseux, enfumé et sombre. Le bar est en face de la porte d’entrée et au milieu de ce décor sordide, face à moi, une jeune femme à la longue chevelure lisse et brune se tient debout, accoudée dos au bar avec nonchalance et un déhanché qui accentue ses formes déjà généreuses. Elle porte une robe de soirée satinée rouge vif et cette tenue détonne fortement avec le lieu, la faisant ressortir dans le tableau comme un coup de pinceau jaune canari sur de vieux pastels. Elle me fixe du regard et dégage une impression de danger hypnotique qui, contrairement à la robe est fort à propos dans cet établissement. Je sens qu’elle sait que je suis flic et je me sens irrésistiblement attiré vers elle. Je m’approche calmement, mes yeux plongés dans les siens et sans que nous échangions un mot, elle me prend par la main et m’emmène chez elle où à peine entrés nous baisons sauvagement à même le sol. L’instant d’après, je me retrouve au lit avec une sensation bizarre d’étourdissement, des bourdonnements dans les oreilles et une douleur sourde à la tête, comme si je venais de me réveiller après un K-O. Il n’y a plus personne à côté de moi. Paniqué et confus, je m’habille précipitamment et je m’aperçois que mon arme de service a disparu. Du fond de la pénombre, j’entrevois une lueur qui vient de la salle de bains. Il n’y a pas un bruit. Je m’approche doucement dans le noir, je pousse la porte et je vois un spectacle d’horreur comme je n’en ai jamais vu. Les murs et le sol de faïence blanche sont couverts de traînées de sang et de bouts de chair à demi-séchées, et je vois par terre le cadavre d’un garçon d’environ 5 ans, les bras et les jambes dépecés au rasoir et la moitié haute de la tête littéralement arrachée par un coup de feu. Mon arme est posée à côté. Je suis alors pris d’un vertige et j’entends derrière moi un rire de femme que je connais sans pouvoir l’identifier précisément. Ce rire me glace les veines. C’est toujours à ce moment que je me réveille en sursaut, le cœur au galop, trempé de sueur et envahi d’une culpabilité qui m’angoisse jusqu’au plus profond de mon âme. Ce cauchemar signe à tous les coups la fin de ma nuit. Impossible de fermer l’œil après ça. Depuis deux jours, le goût amer de ce rêve me poursuit toute la journée et je commence à avoir la nette impression de perdre les pédales par moments.


Je suis enfin arrivé chez moi. Le temps de déposer la voiture, d’acheter du tabac et me voilà enfin confortablement installé dans mon canapé. Je roule une cigarette et y ajoute un peu de l’herbe qui était effectivement restée au fond de ma poche. Je tire quelques bouffées, et toute la tension accumulée retombe en même temps que s’effondrent mes paupières.


 
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   irisyne   
13/12/2007
J'ai accroché. C'est bien écrit. Je verrais bien une suite et surtout continue !

   nanardbe   
13/12/2007
J'ai aimé aussi, le style me plait beaucoup.

continue

   Maëlle   
16/4/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Personnage d'anti-héros réelement bien campé... trés noir, mais avec quelque applats de lumières...
Un début fort prometteur.


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