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Réflexions/Dissertations
Electre : Raymond
 Publié le 22/01/17  -  14 commentaires  -  4904 caractères  -  97 lectures    Autres textes du même auteur

Une photo retrouvée.


Raymond


Deux ombres se dessinent sous la lumière. Le long d’un sentier de cailloux, la tête baissée, j’ai le bras tendu, main dans la main avec ce grand homme au regard triste.

L’herbe est jaune. La terre sèche. Les forêts de pins derrière nous présentent un paysage naturel de campagne française, aride comme l’est le Sud de la France en automne. Le ciel est clair. On sent qu’il fait beau et frais. Ce chemin de terre sèche mène à cette maison perdue dans l’Isle-sur-la-Sorgue dans laquelle nous avons vécu quelques années avant la naissance de ma petite sœur.


Novembre 1996 est encore lisible au dos de la photographie en couleur. Quand je la retourne, je vois mon grand-père paternel et moi. Lui presque à la fin de sa vie. Moi au début de la mienne. En 1996, il a quatre-vingt-trois ans. J’ai tout juste deux ans. Deux ans, c’est aussi le laps de temps qu’il lui suffira pour quitter cette terre.

La lumière qui éclaire la photographie dessine une fin de journée d’automne. Une belle après-midi aux couleurs chaudes. Après un repas peut-être, papa a proposé une balade digestive avec les deux petites et le grand-père qui est venu nous voir exceptionnellement. Non loin de l’objectif, j’imagine maman qui rattrape Camille. Mon aînée de dix-huit mois dont j’ai hérité la tenue trop grande.

De ce petit être qu’il retient du bout des doigts, je ne vois qu’une masse flamboyante, rouge et rose. Le manteau bouffant, mode incompréhensible de la fin des années 90, s’accorde avec le bonnet rose. Quelques mèches blondes s’en échappent. Une grande écharpe fait trois fois le tour de mon cou et cache à moitié ma bouche. Mes moufles pendent aux poignets. Ma petite main a disparu sous la sienne, on ne peut que la deviner.

Lui, il est tout en couleur sombre. De son long manteau kaki à ses chaussures noires. Son béret gris ombrageant à moitié ses yeux plissés. Sous le manteau on aperçoit une écharpe Burberry dont nous avons hérité depuis et que mon père porte de temps en temps.

Il n’a pas encore de canne, elle viendra sous peu.

Comme tous les hommes de ma famille, il est très grand. Comme mon père, il est très mince et très fier. Son regard grave est baissé. Il contemple le chemin sinueux, si attentif, trop attentif à notre marche, comme s’il voulait coordonner le mieux possible mon petit pas à la cadence du sien. Il a sa main droite dans sa poche. Le poing gauche, qui me retient, qui me guide, porte une alliance au majeur.


Ses yeux plissés par la lumière et la vieillesse fixent les cailloux amoncelés sur notre chemin. Je m’attarde sur ce triste regard de veuf inconsolable, que rien ne peut amoindrir.

Dans cette photographie, je tente de me représenter l’homme qu’on m’a toujours décrit, tout en prestance. J’essaye de faire correspondre son physique de jeune premier sur des clichés antérieurs à cet homme qui marche, le regard vague et perdu, le visage crispé.

Je l’imagine, ayant quitté sa grande maison pour venir nous voir un week-end. Maison qui deviendra pendant quelques années le rendez-vous des réunions de famille. Cette grande demeure que mes grands-parents s’étaient fait construire au fin fond de la côte d’Azur, à Valbonne, quittant leur petit appartement parisien pour vieillir ensemble au soleil. Là ils avaient passé les plus belles années de leur vie disaient-ils. Je les revois sur des clichés, assis tous les deux sur la terrasse donnant sur la grande piscine, lui enfoncé dans un fauteuil, fumant sa pipe, elle toujours à ses côtés en train de lire, un demi-sourire sur son visage ridé.


Mais cette image est maintenant balayée par cette photographie où nous marchons, tous les deux. Par cette photographie où, malgré ma présence, une grande solitude emplit l’air.

Si je suis là, à ses côtés, il est déjà seul. Elle est déjà morte. Partie, deux ans auparavant, en une paisible après-midi.


Son regard se fixe sur un ailleurs dont je ne ferai jamais partie. Peut-être parce que je suis trop petite et lui trop vieux. Il n’y a aucun égoïsme dans ce regard fuyant. L’affection est là, profonde, mais elle ne suffit plus.

L’enfant qui se dessine sur le papier, éclairée par cette lumière de fin d’après-midi, tout en rondeur, ne comprend pas encore ce mutisme des grands, réponse à la douleur de l’absence. Ce visage émacié et ridé, encore beau, porte en lui toute une histoire. Dans ses yeux perdus je retrouve le récit fait par mon père de toute une vie : la guerre, les belles années d’expatriés à Dakar, la mort de l’aînée, le petit appartement rue Boissière, la retraite sur la côte d’Azur.

Il avait survécu à tout, sauf à elle. Il la rejoindra quelques années plus tard.


Je n’ai aucun souvenir de cette marche. J’aurais aimé vouloir avoir la force de retenir cet instant dans ma mémoire, avant qu’il ne s’effile. Cette journée chatoyante a cependant survécu à nos deux mémoires, juste le temps d’une prise de vue dans l’angle d’un Nikon.


 
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   Anonyme   
26/12/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Un texte tout simple, touchant. Je trouve que vous réussissez à donner de la vie à cet instant impalpable par l'attention aux couleurs, aux détails, par petites touches. Un peu comme un tableau pointilliste qui, globalement, dégage toute une ambiance.

Pour moi, c'est le soin apporté à l'écriture, cette recherche de l'épure, qui font du texte une réussite. Peut-être un petit poil trop d'insistance à mon goût sur la perte de la grand-mère, le chagrin du veuf, avec ce
Il avait survécu à tout, sauf à elle. Il la rejoindra quelques années plus tard.
où le pathos pointe son nez, à mon sens, comme une tache de graisse sur un dessin à la pointe sèche.

   vendularge   
27/12/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,

Que voilà un portrait sensible d'un instant que l'on a pas pu retenir (parce qu'à deux ans on ne fixe pas l'instant quotidien). J'aime bien l'idée que la vieillesse vue par une jeune femme de 20 ans ne soit pas ce naufrage laid pour lequel nous n'aurions aucune empathie (la mode est au jeune, beau et si possible souriant).

L'écriture sert très bien l'histoire de ce regard, celui de la jeune femme et aussi celui du photographe.

Un joli travail
Vendularge

   plumette   
23/1/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
D'une belle écriture, précise et maitrisée, vous nous faites partager ce portait sensible de Raymond, votre grand père quasi inconnu de vous, qui suscite vos questions.
Vous interrogez l'image et la confrontez au récit de ceux qui vous ont précédé.
Texte touchant, pudique, qui aurait peut-être pu en dire un peu plus sur cet homme que son veuvage douloureux.
Je pense avoir été sensible !au fait de trouver à travers votre témoignage un regard doux et curieux d'une génération sur une autre.

A vous relire

Plumette

   Anonyme   
23/1/2017
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
J'aime beaucoup les textes qui s'appuient sur la "lecture" d'un instantané. J'aime que la pensée puisse dériver autour de l'image comme vous le faites plutôt bien avec quelques réserves si vous le permettez.
Je trouve inutile le paragraphe d'introduction "Deux ombres etc." et je pense que la phrase "Novembre 1996 est encore lisible etc." est en soi un magnifique incipit qui aurait pu nous dispenser agréablement de ce qui précède.
Il est toujours un peu excessif de réécrire un texte à la place de l'auteur mais il y a des images qui auraient gagné à plus de concision. Par exemple : "Non loin de l'objectif etc." me semble inutile et la présentation de la sœur aînée aurait pu être contenue toute entière dans la phrase suivante.

Autre chose qui me gêne: "Je m’attarde sur ce triste regard de veuf inconsolable, que rien ne peut amoindrir." [sic]

Rien ne justifie l'usage du verbe "amoindrir" dans cette phrase un peu bancale vous en conviendrez (je ne parle pas de la syntaxe mais "amoindrir un regard" me semble très mal choisi en l'occurence.

Enfin je trouve inutile la description de la maison à partir de "Je l'imagine etc."

D'une manière générale je pense que l'adulte qui regarde la photo ne rend pas assez justice à l'enfant qui est sur la photo.
On trouve mêlées assez confusément des impressions d'adultes et d'enfant et surtout des précisions un peu inutiles (par exemple que l'écharpe ait échu au père en héritage me semble alourdir inutilement le propos, sur la photo c'est l'écharpe qui retient l'attention pas ce qu'elle deviendra plus tard)

Au final, je trouve votre texte très intéressant mais perfectible. C'est pourquoi je lui donne une appréciation plutôt flatteuse non exempte cependant de critiques.

   MissNeko   
24/1/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
C est une bien touchante réflexion. C est vrai que c est étrange ces photos où l'on est dessus avec une personne partie rejoindre les étoiles. C est troublant de savoir qu on y etait mais qu on ne se rappelle de rien.
Vous menez ici une réflexion teintée de nostalgie, de souvenirs et d analyses familiales. J ai beaucoup aimé. Et puis j habite tout près de Valbonne :)
Par contre, l ensemble est largement perfectible. Certaines phrases peuvent améliorées. Par ex : J’aurais aimé vouloir avoir [...] Ca fait beaucoup de verbes ça ! Il faut simplifier.

Merci pour ce partage. A vous relire

   Tadiou   
26/1/2017
 a aimé ce texte 
Un peu
Moment intimiste. Souvenirs, impressions... Du doux-amer.

Mais à mon sens trop pudique, trop peu approfondi, trop peu généreux en émotions, trop retenu, pour pouvoir émouvoir.

Dommage...

Ecriture précise, ciselée avec maîtrise, presque sèche.

   CharlesMark   
28/1/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Très belle écriture, fluide et précise en même temps. j'ai juste des doutes sur ce moment et le peut-être "Après un repas peut-être, papa a proposé une balade digestive avec les deux petites et le grand-père qui est venu nous voir exceptionnellement". Même si je peux comprendre qu'il s'agit de souvenirs reconstruits.

Une belle page de journal intime, mais qui à mes yeux manque peut-être de la tension littéraire propre à une nouvelle. Ce n'est que mon avis...
au plaisir de vous lire encore.

   antonio   
29/1/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Emouvante description d’une vieille photo de son grand-père lui tenant la main lorsqu’elle avait deux ans.
Maintenant, jeune femme, elle regrette de ne pas l’avoir vraiment connu « elle était trop petite, il était trop vieux »
Elle observe cet homme « au regard triste » qui semble se diriger vers l’au-delà et comme dans un relais, lui transmettre le témoin de la vie.
C’est écrit avec une grande sensibilité, le style est fluide, les phrases courtes donnent au texte un rythme .
Bravo ! On attends d’autres lectures.

   PierrickBatello   
30/1/2017
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
"On sent qu’il fait beau et frais." Cette phrase est une cicatrice dans votre joli texte.
Pour moi, il ne s'agit pas d'une nouvelle car je n'y trouve aucun des éléments propres à cette forme. C'est joli, mélancolique à souhait mais cela ne m'a pas emporté.

   Clavil   
31/1/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Electre,

J'ai pris plaisir à vous lire et je vous fais part de mon ressenti.
C'est un texte touchant, pudique, nostalgique de souvenirs d'enfance. Une écriture simple et fluide, peut-être trop superficielle.

Bravo.
Clavil.

   micherade   
4/2/2017
 a aimé ce texte 
Bien
Un joli arrêt sur image. Comme toutes les photos celle-ci incite à la nostalgie, à une mythification des êtres disparus. A une recomposition aussi de son propre passé par bribes comme vous le faites ici. Par bribes, ce qui explique que la construction de ce texte ne soit pas rigoureuse.
Vous avez évité le pathos, et j'apprécie.
Texte simple, écriture simple qui pourrait cependant être enrichie ( répétitions des verbes ou auxiliaires avoir et être par exemples).

   klint   
10/2/2017
 a aimé ce texte 
Un peu
C'est un joli texte tout en finesse et en pudeur. J'aime bien la construction, le départ à partir de la photo et tous les souvenirs qui s'enchainent paisiblement

Petites remarques :
"Lui presque à la fin de sa vie. Moi au début de la mienne. En 1996, il a quatre-vingt-trois ans. J’ai tout juste deux ans. Deux ans, c’est aussi le laps de temps qu’il lui suffira pour quitter cette terre."

Je pense que j'aurais supprimé les deux premières phrases, elles sont redondantes avec la suite et votre texte aurait gagné en non-dit

Une répétition aussi pour les "yeux plissés" répétition qui se voit dans un texte aussi court

Il me manque quelque chose pour être réellement touchée par ce texte peut-être donner plus d'épaisseur à la narratrice ?

   Anonyme   
13/3/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonsoir Electre,
Heureuse d'avoir lu votre nouvelle, si emplie de tendresse, de tact, de délicatesse.
J'ai été touchée par l'authenticité de vos mots tellement en accord avec votre texte et par les différentes lumières évoquées aussi...
Le traitement du regard de votre narratrice sur la photo m'a fait penser à une nouvelle-instant. J'étais avec la narratrice devant la photo, avec ses émotions, ses questions aussi.
Merci pour ce beau partage.
Nadine

   FANTIN   
19/1/2019
 a aimé ce texte 
Bien
La charge d'émotion que conservent les photographies du passé, ce qu'on cherche toujours et qu'on interroge en elles sans, la plupart du temps, le découvrir. Ici, deux membres d'une même famille, aux deux extrémités de l'âge. Le survivant regarde l'image et mesure, au temps écoulé et à l'absence, la rapidité et la ténuité de la vie. On est, sans mots pompeux, au cœur de la condition humaine, emportés par un courant qu'on ne maîtrise pas mais que la conscience et les sentiments dominent.
Un bel échange et une écriture profonde de racines malgré quelques maladresses formelles.


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