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Science-fiction
fergas : Le cycle infernal
 Publié le 24/08/14  -  8 commentaires  -  34595 caractères  -  152 lectures    Autres textes du même auteur

Une hypothèse raisonnable de la vie de l'Univers, pas moins.


Le cycle infernal


1e époque : La bulle originelle


BANG !


Et c’est ainsi que tout commença.


Énergie pure.


Au temps 10-67 seconde, ou à peu près, Quarki vibrionna et se lança dans une occupation statistique de tout l’Univers, à la recherche d’un contact avec Kantia. Ils avaient beau partager la même simultanéité temporelle et spatiale, les relations plasmatiques qu’ils entretenaient étaient tout de même assez conflictuelles, et toutes leurs rencontres étaient sujettes à des explosions énergétiques qui n’étaient pas sans conséquence sur l’équilibre thermodynamique général. D’ailleurs, pour pouvoir rencontrer Kantia, Quarki devait la plupart du temps provoquer la catalyse d’un observateur afin d’aboutir à une réduction de son paquet d’ondes. Sinon, pas de détection et donc pas de rencontre ! À la longue, ça devenait proprement épuisant, et Quarki sentait fondre sa force originelle, qui se diluait peu à peu dans le milieu ambiant.


La belle Kantia, dans sa forme énergétique proto-corpusculaire, ne semblait guère s’en soucier. Elle tirait même sans doute avantage de leurs échanges pour augmenter en douce son propre potentiel. Quarki finissait par penser que sa compagne était somme toute égoïste de nature. Elle finirait probablement par l’absorber complètement s’il ne dressait pas une barrière de potentiel suffisante entre eux deux. Le problème était qu’elle pourrait sans doute très mal le prendre, et que leur attraction-répulsion naturelle risquait à la longue de n’y pas résister.


Alors quoi ? Devrait-il pour sa propre sauvegarde se convertir en un corpuscule, quasi-éternel aux dires de certains, tant qu’il lui restait suffisamment d’énergie ? Des idées de ce genre circulaient depuis peu dans son entourage. Quelques illuminés annonçaient même la fin de l’énergie pure, et aussi l’invasion de la matière dans un délai très court. Devait-on les croire ? Les plus ultras parlaient même (pouah ! que c’était dégoûtant) de particules matérielles de diverses natures, dont certaines ondulaient et produisaient même de la « lumière », concept obscur utilisé pour propager leurs idées et circonvenir les simples d’esprit. Quarki ne se comptait bien évidemment pas parmi ces derniers. Quoique, en y réfléchissant bien, avait-il eu suffisamment de jugeote quand il s’était épris de Kantia ? Peut-être que oui si l’on considérait la difficulté de détection menant à des échanges énergétiques entre partenaires : la sagesse populaire disait « cent mille de perdues, une de retrouvée ». Mais à quoi bon si c’était pour finir par être absorbé et se fondre dans le néant ? Et alors là hop, plus de Quarki !


Quel débat ! Que faire ? Où aller quand on remplit déjà potentiellement l’Univers ? Quarki ne voulait et ne pouvait décider : énergie suis, énergie reste, mais certainement pas énergie zéro !


Il ressentit soudain l’influence d’un paquet de gravitons qui le frôlèrent, sûrement une nouvelle émergence de Kantia qui se préparait car il reconnut sa signature énergétique. Non Kantia ! Assez ! Dans un autre Univers si tu veux !


Ah, maudite ère de Planck !




2e époque : L’amie B


Sarco s’énervait au fur et à mesure que la température s’élevait dans le milieu nourricier sans fin. La lumière du jour nouveau filtrait à travers l’immensité liquide, et il ressentait durement l’augmentation de son métabolisme. Il faut dire que sa faim croissait au moins aussi vite que la chaleur, et qu’il regrettait maintenant d’avoir donné rendez-vous à B aussi tôt.


Sa chère et tendre B, en fait B2783 4565 3991, mais il préférait l’appeler par le doux petit nom de B : c’était tellement plus romantique ! D’habitude, le simple contact mutuel de leurs membranes les faisait tous deux frissonner de plaisir, mais là c’en était trop ! Même les rois de la création, même les maîtres du monde, les superbes Eucaryotes qu’ils étaient, avaient des besoins. On ne pouvait jamais faire confiance à B pour se trouver où il fallait quand il le fallait.


Sarco commençait à lorgner avec envie sur les amas de phytoplancton qui dérivaient à proximité. Au passage il en absorba distraitement un bout sans pour autant cesser de penser à B et à son retard qui devenait réellement insupportable. Un protophyte à sa portée fit encore les frais de sa faim : il le goba carrément en un seul morceau !


– Alors Sarcomastigophore-KU927, on se met à table tout seul ? Et les copines, c’est juste bon pour se frotter ?


Il sursauta car il n’avait pas perçu son approche. Et quand elle le gratifiait ainsi de son nom complet, ce n’était pas bon signe, il fallait s’attendre à une bonne soupe à la grimace.


– Mais enfin B, je t’attendais ! Tu sais bien qu’on devait démarrer tôt ce matin : la zone de reproduction s’est beaucoup déplacée et il nous faut du temps pour y aller…

– Des clous oui ! Tu as démarré plus tôt pour pouvoir t’empiffrer afin de faire le beau devant les filles !


Il est vrai qu’un protozoaire bien nourri obtient plus de succès auprès de ces dames, mais Sarco trouvait la remarque injuste à son égard. B, comme beaucoup d’amibes qu’il connaissait, usait et abusait de remarques perfides de ce tonneau pour lui faire perdre ses moyens, et le pire, c’est qu’il ne trouvait jamais rien d’intelligent à lui répondre.


– Mais non, B, arrête ! Ce n’est pas parce que j’ai grignoté un peu en t’attendant ! Et puis tu n’as qu’à te joindre à moi, regarde tout ce qu’il y a à manger ici !

– Ah, les protoz’, de vrais estomacs ambulants ! dit-elle en croquant sans remords un paquet de phytos passant devant elle. Bon, on y va, mais tâche de garder ton flagelle tranquille. Je ne veux pas que tu te mettes à attirer ces femelles excitées de la zone de repro !


Sarco fit profil bas et ne répondit pas, mais par bravade il claqua son flagelle, ce qui lui fit faire un bond en avant un peu désordonné. Puis ils partirent tous les deux en direction de la repro, qui était assez éloignée en ce moment. Par chance la nourriture était abondante sur le trajet. La reproduction serait sûrement bonne cette fois-ci.




3e époque : Comme les vagues de la mer


Bien planté au fond sur ses membres polydactyles, en lisière de l’onde légèrement clapoteuse, Stégo laissait seulement dépasser ses yeux de la surface liquide. Il épiait soigneusement le monde-de-dehors en quête d’un mouvement, d’une menace qui l’aurait fait s’immerger promptement dans la mer rassurante.


À ses côtés, sa compagne Reinata faisait exactement de même, et copiait ses mouvements sur ceux de Stégo. Ils étaient tous deux prêts à faire une nouvelle excursion dans ce monde sec et attirant. Le monde-de-dehors avait été colonisé prudemment et à titre furtif par leurs congénères depuis de nombreuses générations, et malgré cela ils ne s’y sentaient pas encore assez à l’aise pour renoncer totalement à leur originel milieu liquide et salé.


Le monde-de-dehors avait pourtant des avantages attirants. Entre autres de la nourriture verte en abondance, à la condition de traverser le désert de sable qui longeait l’eau à perte de vue. De plus, on n’y trouvait aucun monstre prédateur comme ceux qui hantaient les mers à toutes les profondeurs, et qui à l’occasion faisaient grand carnage de petits stégocéphales comme eux. Seule la méfiance ancestrale et naturelle de Stégo et de ses congénères les empêchait de se ruer à tout moment dans ce monde-de-dehors si accueillant.


Rien ne semblant menaçant, Stégo donna le signal du décollage. Reinata et lui avancèrent d’une démarche saccadée hors de l’eau, et commencèrent à fouler le sable encore humide, puis de plus en plus sec au fur et à mesure qu’ils progressaient. Leur but était la lisière de la nourriture verte, qu’ils apercevaient au loin. Tout en avançant, Stégo restait aux aguets, et ses yeux mobiles parcouraient l’horizon autour de lui. Il pouvait voir que d’autres individus de son peuple suivaient le mouvement, et sortaient des vagues sur une large zone pour aller mi-rampant, mi-marchant dans la même direction qu’eux deux. Peu importait, la nourriture verte était si abondante et s’enfonçait si loin dans le monde-de-dehors que chacun pouvait y trouver largement son compte.


Comme à son habitude, Reinata, qui jusqu’ici était soigneusement restée en retrait sous la protection de Stégo, forçait maintenant son allure pour être la première à atteindre la nourriture. Autant elle était craintive et discrète dans l’eau, autant elle devenait agressive et insolente une fois à l’extérieur. Si un jour, pensait Stégo, son peuple décidait de s’établir en permanence dans le monde-de-dehors, il ne savait pas s’il pourrait s’accommoder de cette nouvelle personnalité révélée par Reinata, et qui semblait d’ailleurs être le lot commun de tous les membres femelles de leur communauté.


Reinata parvint la première à la nourriture verte, et se jeta goulûment sur une tige tendre et croquante. Stégo la suivit de près et s’enfonça dans les tiges vertes, qui faisaient bien trois fois sa hauteur.


Mais ces tiges n’étaient rien à côté des géants rugueux, qui portaient très haut la nourriture verte dans leur ramure. Tout en haut se trouvaient les succulentes baies, qu’il fallait mériter car seuls les plus audacieux et les plus vigoureux pouvaient grimper la grande colonne râpeuse qui supportait le géant.


Stégo fixa la cime d’un géant qui semblait particulièrement fourni. Reinata étant occupée avec les tiges vertes et ne lui prêtant plus attention, il se dirigea vers la colonne du géant et en entama l’ascension.


Ayant atteint non sans effort la première division de la colonne, ce qui allait l’obliger à décider de quel côté poursuivre, Stégo se reposa un instant et jeta un coup d’œil vers le bas. Reinata en était encore à son repas parmi les tiges vertes.


Il porta son regard vers la mer.


De nombreux congénères sortaient encore de l’eau et traversaient le désert sableux. Le soleil rayonnait à son maximum, les couleurs étaient violentes et belles : bleu profond était la mer, et jaune vif le désert de sable la bordant. Le vent léger apportait des senteurs merveilleuses des ramures environnantes.


Depuis longtemps, Stégo nourrissait en secret le dessein de s’établir à demeure dans la zone feuillue d’un de ces géants. La vie dans les géants, pour lui et tout son peuple, ce serait bombance tous les jours ! Pourquoi continuer la difficile et dangereuse vie marine, alors que ce monde était à conquérir ? Il essaya un instant d’imaginer la vie d’un peuple arboricole dans un monde d’abondance.


Puis il se détourna un peu à regret de ce spectacle grouillant de vie en contrebas et repris sa progression sur la nouvelle colonne rugueuse. Tout près, là, un bouquet de succulentes baies l’attirait inexorablement.



4e époque : La grotte du bonheur


Krron, assis sur un rocher et tenant distraitement sa lance d’une main, contemplait le bas des reins de Mah’ta qui s’activait, légèrement en contrebas, à déterrer quelques tubercules lesquels, agrémentés des fruits cueillis le matin même, allaient constituer l’essentiel de leur repas.


Il ne regrettait certes pas de l’avoir prise pour compagne. En fait il l’avait conquise de haute lutte quand son groupe de chasseurs, parti combattre le grand mammouth laineux, était tombé sur une bande de l’Autre Peuple qui essayait de passer furtivement sur leur territoire. Une courte bataille s’était engagée, la force et le nombre étant largement en faveur de Krron et de ses compagnons, ils avaient tué les trois guerriers du groupe adverse, et s’étaient donc retrouvés possesseurs d’une dizaine de femelles qui iraient augmenter la fertilité de la tribu. Lors du partage, le groupe avait décidé que lui, Krron de la Caverne Longue, s’étant particulièrement bien battu, aurait l’insigne honneur d’être le premier à faire son choix.


Il avait tout de suite repéré Mah’ta parmi les femelles résignées qui avaient assisté au combat sans y prendre part. Bien bâtie, d’une tête plus petite que Krron, mais très robuste et sans aucun doute dure au travail, elle ferait une compagne idéale pour Krron, qui malgré sa maturité confirmée n’en avait pas encore et se faisait sans arrêt moquer à ce sujet par ceux de son groupe.


Ceci s’était passé il y a près de trois mains de lunes, et maintenant encore il savourait sa chance d’avoir la compagne qu’il considérait comme la plus désirable de la tribu. Mah’ta de la Rivière Fourchue (l’origine de sa tribu), s’était vite faite à sa nouvelle existence, et elle s’était même rapidement éprise de Krron, dont la haute stature et la force physique l’impressionnaient autant que la toison noire et dense qui recouvrait son large torse.


Krron appréciait également à sa juste valeur la science des plantes que manifestait Mah’ta, et qui lui venait de ses congénères de l’Autre Peuple. Elle était devenue de fait la guérisseuse de la tribu de Krron, et même à l’occasion des tribus environnantes, ce qui permettait de fructueux échanges : médecine contre viande de fauve et objets fabriqués divers.


Avec sa force, alliée à la science de Mah’ta, Krron se voyait assez bien devenir chef de sa tribu. Le vieux chasseur qui occupait actuellement cette fonction avait presque le double de son âge et ne tarderait pas à se retirer. En outre, depuis qu’ils savaient tous les deux que Mah’ta portait en elle une nouvelle vie, et on ne pouvait en douter en regardant le début d’arrondissement de son ventre, Krron pensait même à fonder une dynastie. Mah’ta disait que ce serait un garçon, et elle ne pouvait se tromper. Le fils du puissant Krron et de la robuste Mah’ta serait sûrement un grand chef. Il réunirait les tribus avoisinantes, et il constituerait alors le plus grand peuple de la partie du monde que connaissait Krron.


Depuis que Mah’ta était là, Krron songeait aussi parfois aux semblables de sa compagne, que dans la tribu on nommait tantôt l’Autre Peuple, tantôt le Vieux Peuple, et qui disparaissaient peu à peu. Reconnaissables à leur menton effacé et leurs yeux très enfoncés, étaient-ils moins bon chasseurs et guerriers ? Était-ce en raison des coupes sombres effectuées par les razzias du peuple de Krron, avide de femelles ?


Oui, le monde était réellement fait pour Krron et ses semblables, les rois de la création. Il ne pouvait en être autrement. Krron avait déjà vaincu à lui tout seul un mammouth, et une autre fois un tigre à dents de sabre, les deux bêtes les plus puissantes de ce monde. Rien ne pouvait s’opposer à la puissance du peuple de Krron.


Le jour finissant, il décida qu’il était temps de regagner le foyer. Ils se mirent tous deux en route vers leur habitation, une cavité naturelle de la falaise, idéalement située un peu en surplomb du campement de la tribu. Krron pensa qu’ils pouvaient bien rester en ce lieu jusqu’à la naissance de l’enfant : les environs étaient riches en gibier et en fruits et racines comestibles.


Ils arrivaient presque à destination. Krron regarda en souriant sa compagne, qui marchait à son côté, puis reporta son regard sur l’entrée toute proche de leur logis. Il se sentit envahi de fierté et une bouffée de bonheur lui noua la gorge.


Il se baissa pour ramasser devant lui un fémur de phacochère qui traînait sur le sentier. Il le lança le plus fort possible au dessus de sa tête.


Il le regarda tournoyer, tournoyer dans le ciel, et abattit ses gros poings sur sa poitrine en partant d’un grand éclat de rire.




5e époque : Biospace dans l’azimut


– Satané matériel ! jura Alberto Schmidt IV en tentant encore une fois de connecter une main standard-multi-usages à son poignet droit.


Il venait de débrancher sa main fonctionnelle de travail, avec ses nombreux transmetteurs et outils intégrés. Il ne pouvait partir en vacances avec cette excroissance disgracieuse, et c’est pourquoi il avait opté dans sa panoplie de mains pour le modèle standard, insuffisamment performant à son avis, mais qui au moins avait l’air tout à fait naturel, et serait plus adapté à des activités de détente.


D’habitude il y arrivait tout seul, même si ce n’était pas recommandé sans l’assistance d’un biotechnicien, mais comme il en était un lui-même il aurait été mortifié s’il avait dû demander assistance à quelqu’un. Sauf à sa femme, bien sûr.


– Cindy ! Cindy, viens m’aider !


Cindy Fujimori, sa jeune épouse, parut au seuil de la pièce. Avec ses seins et ses fesses remodelés et munis d’un mécanisme viscodynamique interne lui permettant d’en modifier la taille et la forme à volonté, elle ressemblait idéalement au modèle publicitaire sexy que présentait dans tous les media la société FutureBioTech dans laquelle travaillait Alberto.


FutureBioTech, la plus importante compagnie terrienne à ce jour, qui depuis des siècles avait modifié en profondeur les conditions de vie des humains en leur proposant des pièces détachées corporelles de plus en plus sophistiquées. Peu de groupes humains étaient passés à l’écart de cette révolution. Les trois quarts de la population mondiale étaient aujourd’hui équipés de produits FutureBioTech à des degrés divers. C’était au point qu’on en était venu à se désigner familièrement par son taux d’organes remplacés. Certains gadgetophiles, peut-être quand même légèrement névrosés, atteignaient 82%, mais c’étaient des exceptions. Alberto était très fier de son 47% : les deux jambes, bras droit, ensemble cœur-foie-poumons, extension péri-encéphalique de calcul.


Cindy, qui elle se contentait d’un bon 19% car elle n’avait pas les besoins technologiques d’Alberto, ni surtout son âge, le plaisantait souvent sur ce point en le traitant de « 50% homme, 50% robot, 100% glandeur ! » quand il traînait à accomplir quelque nécessaire tâche ménagère.


Les prothèses corporelles mises au point par FutureBioTech devenaient si performantes que les activités sportives collectives étaient désormais tombées en désuétude. À quoi bon en effet jouer au tennis alors que tous les bras étaient munis d’autodirecteurs capables de détecter la balle avec une précision extrême, de servomécanismes assez puissants pour la renvoyer à un kilomètre, et que les jambes adaptatives des joueurs leur permettaient de sauter en un seul bond d’un bout du terrain à l’autre. Idem pour les courses à pied, où chaque nouvelle génération de modèles de jambes augmentait les performances de moitié. Alberto s’était d’ailleurs essayé à certains tests individuels et avait pu ainsi atteindre la vitesse de 122 km/h sur le plat, et aussi sauter à pieds joints à une hauteur de 7,70 mètres avec le modèle de l’an dernier.


Cindy alla aider son mari à s’équiper : retirer le manchon de protection, engager le moyeu central dans l’axe du bras droit, tourner un quart de tour pour verrouiller le dispositif à baïonnette, appuyer sur le mini-contact d’initialisation, presser la commande du mécanisme de fermeture. La peau synthétique de l’excroissance-main se referma sur le bras avec un très léger chuintement, et la jonction main-bras devint aussitôt pratiquement indétectable.


Alberto fit jouer ses doigts et bouger sa main dans tous les sens pour en vérifier le bon fonctionnement.


– Merci chérie, je devais être trop fébrile en pensant à notre départ.


Il regarda Cindy, qui s’était reculée de quelques pas. Elle était vêtue de la combinaison à volutes bleues et roses qui la rendait si désirable à ses yeux. Une combinaison si moulante qu’elle ne faisait en fait aucune discontinuité avec sa peau. Alberto ne regrettait pas de l’avoir convaincue de se faire remodeler l’apparence extérieure jusqu’à ressembler au modèle qu’avaient conçu les designers de FutureBioTech. Le seul inconvénient était le nombre d’autres Alberto en tous genres qui avaient également eu le même projet. On risquait à la longue de rencontrer de plus en plus de « Miss FutureBioTech » de par le monde. Alberto en avait d’ailleurs déjà rencontré une, à sa grande confusion quand il s’était aperçu de son erreur après l’avoir prise pour sa femme.


Ses yeux se posèrent pensivement sur une partie de l’anatomie de Cindy qu’il appréciait particulièrement.


– Cindy, si tu pouvais…


Elle pouvait ! Elle avait suivi le regard de son mari et sourit. Sur un ordre mental, sa poitrine gagna rapidement au moins deux tailles. Sa combinaison s’adapta aussitôt à cette nouvelle silhouette.


– Où en es-tu des bagages ? demanda-t-il avec un large sourire d’appréciation.

– C’est fait ! répondit-elle en désignant d’un mouvement de tête la valise autoporteuse qui la suivait en flottant à un mètre du sol.

– J’ai hâte d’être arrivé, mon collègue Fulvio a fait le même séjour au Palace Excelsior sur LA-1, il y a quelques mois, et il n’arrête pas de m’en parler depuis. Tu sais que cet hôtel bénéficie dans chaque chambre, juste en face du lit, d’une baie vitrée grossissante pointée sur la Terre ? Ça doit être génial !


Le signal d’arrivée du taxi à la porte externe de leur niveau retentit doucement. Ils habitaient au 207e étage d’un immeuble de standing qui en comportait 330. Depuis longtemps les ascenseurs avaient été relégués au rayon des antiquités. Maintenant, tout le monde accédait directement à son domicile par son propre véhicule flotteur, ou dans le cas présent par un taxi, qui s’amarrait automatiquement à un sas externe accessible depuis le salon.


Alberto et Cindy se dirigèrent vers le sas, automatiquement suivis par la valise, qui était verrouillée sur la position de Cindy. Le taxi les déposa au hall d’accueil de l’ascenseur spatial Paris 7, qui allait les propulser à grande vitesse et tout en confort vers le port spatial géostationnaire Lutetia Parisiorum, situé à 36 000 kilomètres au-dessus de leurs têtes. Le glissement de la cabine le long des câbles en monofilament de carbone n’engendra aucune vibration, malgré la vitesse qui atteignit bientôt plus de 12 000 km/h.


Arrivés au port spatial, ils prirent le vaisseau navette Altaïr, qui allait les emporter vers le point de Lagrange 1, où se trouvait le centre de loisirs qui devrait les héberger pour deux semaines. Confortablement assis dans la navette, en gravité réduite grâce à l’effet combiné de la propulsion du vaisseau et de la rotation de la cabine passager, Alberto dégustait un verre de Space Nirvana en songeant encore de manière apathique à son travail, dont il n’était pas encore arrivé à se déconnecter totalement. Il n’était qu’un tout petit rouage dans l’organisation de FutureBioTech, et sa plus grande contribution de chercheur avait été un modeste perfectionnement de la simulation d’un élément de foie électronique. Mais il gardait son enthousiasme de jeunesse à propos du projet Grande Amélioration de l’Espèce Humaine à laquelle il participait, même modestement, depuis près de trente ans dans les laboratoires de sa société.


Il pensa aussi aux bruits qui filtraient sur le projet Eterna, malgré la sécurité draconienne qui entourait cette activité. Si pratiquement tous les organes humains étaient remplaçables et même largement améliorés, par des produits fabriqués par FutureBioTech, le projet Eterna lui s’attaquerait, disait-on, carrément au remplacement du cerveau. Et, toujours selon des bruits de couloir, ce projet mobiliserait à lui tout seul la moitié des ressources de la compagnie, soit une quantité d’argent à peine imaginable.


Alberto songea à la possibilité de se doter d’un cerveau amélioré totalement artificiel, et aux nouveaux horizons que cela ouvrirait à l’intelligence humaine. Une super humanité était en route. Rien n’arrêterait le progrès.





6e époque : Ex machina


Jules Peschinsky était à sa vitesse maximum, soit un pour mille en dessous de la célérité de la lumière. En fait l’unité centrale personnelle de Jules était intégrée pour la durée du voyage dans l’extension astronef qui prolongeait ses nombreux sens. Ce vaisseau représentait la plus grosse des enveloppes corporelles qu’il utilisait couramment.


Pour cette mission, il était parti d’un petit système planétaire autour de Ross 882, à destination de l’étoile Lacaille 8760 afin de livrer à un système nouvellement colonisé environ un million d’unités centrales personnelles non activées. Un petit voyage en somme, à peine 28 années-lumière de distance, seulement 15 mois en temps réel de vol relativiste pour Jules. Seul événement notable du voyage : le passage au large de Sirius vers le premier tiers du parcours.


À l’origine de sa vie, Jules avait été fabriqué, puis activé, sur Planeta dans le système de Sirius, et cette proximité lors du voyage avait déclenché une certaine excitation des fonctions nostalgiques de son cerveau hypertronique. Il avait beau être âgé de 1283 années standards, il persistait à conserver ces vieilles fonctions liées à ses premiers temps d’existence, car elles lui procuraient parfois du plaisir, comme cette fois-ci.


Il avait encore du temps devant lui avant le jour de sa Neutralisation, qui interviendrait dans le courant de sa 2500e année. Ce jour-là, il serait désactivé, et sa mémoire serait transférée pour toujours dans les banques de données du Grand Serveur, qui déciderait éventuellement plus tard de réaffecter la personnalité de Jules à une nouvelle unité centrale personnelle.


Mais d’ici là le cerveau de Jules aurait été remplacé au moins une centaine de fois, avec des améliorations constantes dues aux avancées de la science hypertronique. Jules se mettait régulièrement en connexion avec le centre de prospective mentale pour être informé des progrès dans ce domaine. Depuis l’extinction définitive de la vie biologique animale et humaine, environ dix millions d’années auparavant, les capacités cognitives des unités centrales avaient été considérablement développées.


Jules, en plus de son activité principale en logistique intersidérale, s’était ainsi offert de nombreux talents, dont notamment ceux de poète et de compositeur de musique. Chaque année, ses créations étaient soumises à l’arbitrage d’experts artistiques. Certaines de ses œuvres avaient passé ce barrage et étaient maintenant mises à la disposition du Réseau Universel, où tout un chacun pouvait les copier et les intégrer dans sa propre personnalité, puis même les améliorer le cas échéant. Jules ressentait qu’il était heureux de cela, et pour rien dans la Galaxie il n’aurait renoncé à la fonction intégrée bonheur, qui lui procurait ce plaisir.


C’était une loi universelle que tout devait être partagé dans la civilisation hypertronique. C’était même le plus important moteur du développement personnel : percevoir, comprendre et intégrer les connaissances, les capacités, les visions des autres individus d’une communauté pratiquement innombrable s’étendant sur des milliers de galaxies !


Jules, comme beaucoup de ses congénères, s’était approprié le nom d’un individu de l’ère humaine. Les humains, êtres biologiques fragiles, avaient été leurs prédécesseurs pendant une courte période n’excédant pas quelques millions d’années. Les progrès technologiques de la science humaine avaient assez vite abouti à des supports de vie artificiels bien plus performants que le corps humain, et avaient finalement donné naissance au cerveau hypertronique actuel (largement amélioré depuis lors, il fallait bien le reconnaître).


Les archives de l’espèce humaine montraient, malgré la brièveté de son règne, une extraordinaire richesse d’événements. Jules avait donc intégré l’histoire d’une famille d’humains habitant dans une région nommée Europe, sur la planète dite La Terre, et il avait finalement choisi comme patronyme le nom d’un individu représentatif de cette famille. Jules Peschinsky, ce nom lui plaisait, il sonnait agréablement quand il le faisait passer par son canal sensoriel de création musicale.


Pour l’instant, il lui tardait surtout de terminer sa mission actuelle. Une fois son chargement livré sur le système de Lacaille 8760, il bénéficierait d’un temps d’intertransit. Il pourrait alors quitter son enveloppe-vaisseau, et choisirait probablement comme réceptacle une sphère multivariante autonome. Il avait prévu à cette occasion une connexion ultrasensitive avec des partenaires qu’il appréciait. Ce serait cette fois-ci une connexion octuple : outre Jules il y aurait Lorna, Gengis Khan, Cuillère, Miracle, De Dion Bouton, Amérique et Vélocipède. Tout était déjà déterminé et ils espéraient tous une réussite totale. Ils convergeaient actuellement vers la même zone de l’espace pour être tous à une distance maximum de deux minutes-lumière les uns des autres, première condition nécessaire. Et ils venaient de recevoir depuis peu l’accord du Grand Serveur, deuxième condition, absolument obligatoire pour la procréation.


Si cette connexion était couronnée de succès, et Jules n’en doutait pas un instant, une nouvelle unité centrale personnelle serait activée dans l’Univers. Elle serait animée par une synthèse des personnalités de ses huit géniteurs, et elle conserverait sa vie durant un contact privilégié avec eux. Cette pensée excitait les centres de plaisir de Jules presque autant que la connexion ultrasensitive elle-même. Il modéra le niveau d’excitation en réduisant l’énergie disponible pour certains centres cognitifs.


Une interruption soudaine émanant d’un canal de communication activa une priorité de traitement. Jules s’intéressait aux développements en cours dans les laboratoires centraux du Réseau Universel, et l’information reçue concernait une avancée décisive dans les recherches sur la dématérialisation du cerveau hypertronique :


« … et aux dires des unités supersavantes qui travaillent sur ce sujet, la chose apparaît maintenant comme certaine : dans un avenir pas trop lointain, la vie et la pensée quitteront tout support matériel. »



7e époque : Les jeux de l’esprit


L’Univers était froid.


Les esprits, ultimes refuges parcellaires de la vie, erraient parmi les décombres des astres morts. Les distances étaient incommensurables, comme était le désespoir de ces êtres immatériels face au néant d’événements.


L’Univers était obscur.


Les étoiles étaient éteintes depuis si longtemps que les esprits peinaient à se remémorer ce qu’avait été la lumière. De loin en loin quelque trou noir résiduel s’évanouissait dans un flash intense, mais ces éclairs étaient si rares…


Les particules élémentaires elles-mêmes devenaient instables à force de vieillesse. Elles étaient en train de se décomposer. Les protons, autrefois piliers des noyaux atomiques et de la matière, éclataient en morceaux infinitésimaux. L’Univers immensément étendu n’était plus qu’un champ de particules mortes.


Ce qui restait de matière dégénérée poursuivait son expansion accélérée sous l’effet de l’énergie sombre. L’Univers grandissait donc encore, sans aucun autre but que sa destruction finale.


Les esprits étaient perplexes. Par petits groupes de quelques milliards d’entités ils fusionnaient leurs pensées çà et là pour commenter la situation puis, n’en pouvant mais, se séparaient en éclatant en gerbes de mentalités individuelles, qui se regroupaient plus loin, et ainsi de suite…


Il n’en avait pas toujours été ainsi.


Par les temps très anciens, si anciens que les esprits, pourtant immortels, en venaient à penser que c’était dans une autre vie, régnait parmi eux une intense émulation mentale. La dématérialisation inéluctable des êtres vivants, but ultime maintes fois constaté de la vie, pour les innombrables civilisations ayant peuplé l’Univers, avait produit des esprits de natures et de pensées très variées. La confrontation de leurs identités avait eu pour conséquence durant si longtemps tant d’échanges enrichissants, que la vie en était devenue une fête perpétuelle.


Et à ces époques l’Univers était toujours là, dans sa majestueuse beauté, inépuisable source d’admiration et d’émotion.


Le contraste n’en était que plus fort avec la situation actuelle où, même immortels, ils commençaient à ressentir des symptômes de vieillissement.


Un jour, ou plutôt à un moment donné de cette nuit éternelle, jaillit l’idée salvatrice. Elle émanait d’un groupe ayant conservé des capacités scientifiques particulièrement pointues.


Il fallait rallumer le feu originel !


Par groupes épars d’abord, puis de plus en plus nombreux au fur et à mesure que l’enthousiasme renaissait, les esprits se mirent au travail. Ils y mirent tant d’ardeur qu’ils finirent tous sans exception par participer au grand projet. Ils retrouvaient enfin leur joie de vivre, comme dans les temps si reculés où ils avaient fait connaissance les uns des autres.


Le problème était simple à poser, mais difficile à résoudre. Les esprits devaient s’opposer à l’énergie sombre qui commandait l’expansion de l’Univers, afin de le faire entrer dans une phase de récession. Une fois la régression amorcée, l’Univers se contracterait peu à peu, puis de plus en plus vite, jusqu’à se concentrer en un seul point, en une apothéose finale qui préluderait à une nouvelle création du monde.


La tâche était extrêmement ardue, car l’interaction des esprits sur la matière s’était constamment amenuisée au fil des âges. Ils n’éprouvaient plus depuis longtemps la nécessité de commander à des phénomènes physiques, leurs échanges spirituels remplissant amplement leurs vies. Ils durent pourtant se mettre à influer sur les constantes cosmologiques qui régissaient le comportement de l’Univers, et dont la signification intrinsèque n’avait jamais été totalement élucidée.


Ils y mirent cependant toute l’obstination nécessaire. Le temps qu’ils y passèrent défie l’entendement, mais leurs efforts constants finirent par porter leurs fruits.


Ce fut un grand moment quand ils constatèrent le ralentissement de l’expansion. Puis, quand arriva enfin le moment de l’inversion, quand l’Univers commença à se contracter, l’émulation des esprits parvint à un sommet qu’ils n’avaient jamais connu.


De plus en plus vite l’Univers rétrécissait. Les esprits suivaient, passionnés, le résultat de leurs actions.


L’Univers se réduisait à une vitesse toujours plus grande.


Il retrouva des dimensions pouvant être mesurées avec des nombres exprimables.


Il poursuivit encore et encore sa réduction. Les esprits ne pouvaient plus contenir leur excitation.


Il fut enfin proche d’une dimension ponctuelle. Les esprits étaient totalement concentrés sur le phénomène en cours.


Il diminua encore de taille.


Puis, l’Univers étant soudain réduit à une dimension nulle, tout disparut, esprits compris, et…


BANG !


Et c’est ainsi que tout recommença.


 
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   Anonyme   
27/7/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↑
C'est marrant, ce texte me rappelle une nouvelle d'Asimov par son mouvement, sauf qu'elle (la nouvelle d'Asimov) démarre avec l'humanité moderne : au fil des époques, des cerveaux de plus en plus puissants et immatériels se penchent sur la question de l'origine de l'univers et, l'ayant élucidée, en font démonstration, ce qui recrée le Big Bang.

J'ai aimé cette ample fresque brossée, du quark aux "esprits", cette manière d'affirmer la primauté d'une volonté d'être universelle et intemporelle. Je me demande un peu comment peuvent subsister les "esprits" dans l'univers final de plus en plus vide, à la trame distendue : ne faudrait-il un minimum de support énergétique ? Mais enfin, admettons.

La partie la moins réussie, pour moi, est celle de l'homme des cavernes : l'imagerie m'en a paru déjà lue et relue. Il est vrai que le sujet a déjà été bien exploité, y compris la rivalité Sapiens-Néandertal.

Au final, un tableau que j'ai trouvé bien brossé, exaltant par moments. Vous avez créé une fin "qui boucle", et cela paraît presque obligatoire au vu du mouvement général. Je lui reprocherai toutefois de s'attarder un peu dans les tout derniers paragraphes : l'univers rétrécit, il rétrécit, oh là là alors, qu'est-ce qu'il rétrécit... et BANG !
Je pense que vous pourriez avantageusement resserrer cette partie, à mon avis cela donnerait une meilleure dynamique à l'histoire.

"Quelques illuminés annonçaient même la fin de l’énergie pure, et aussi l’invasion de la matière dans un délai très court." : j'adore !
"Krron avait déjà vaincu à lui tout seul un mammouth" : Ouah ! Là, faut qu'on m'explique...
"Il se baissa pour ramasser devant lui un fémur de phacochère qui traînait sur le sentier. Il le lança le plus fort possible au dessus de sa tête." : Euh... cela, ça déboule tout droit de "2001, l'odyssée de l'espace", et je ne vois pas la nécessité ; comme lectrice, j'aurais préféré que vous trouviez votre propre imagerie.

   Anonyme   
24/8/2014
 a aimé ce texte 
Passionnément
Eh bien, moi, j'ai adoré cette épopée de la vie ou plus exactement de la conscience qui m'est apparue, à l'instar de la genèse, comme une création en sept jours, sept jours cosmiques jusqu'au retour éternel. À tout moment, l'intérêt dramatique est présent et l'on vous suit sans faiblir.

J'ai beaucoup apprécié aussi l'inventivité des concepts qui projettent le lecteur dans un univers étonnamment possible à défaut d'être probable.

Une grande puissance imaginative servie par une expression et une langue de qualité dignes des meilleurs auteurs de science-fiction. Bravo ! Juste une réserve pour le titre qui n'est manifestement pas à la hauteur de la nouvelle.

   Robot   
25/8/2014
 a aimé ce texte 
Passionnément
La théorie de l'éternel recommencement (dont doute certains physiciens qui ne voit pas s'arrêter l'extension de l'univers) est présentée ici comme une nouvelle genèse dans ce récit découpé en 7 époques.
Dire que j'ai failli passer à coté à cause d'un titre qui ne m'attirait pas. Cela aurait été dommage. Important les titres...
Le récit appuyé sur des éléments scientifiques déborde d'une fantaisie bien agréable, d'autant que le texte est d'une écriture plutôt soignée permettant une lecture aisée.
Voilà la S.F. que j'aime, celle qui n'a pas besoin d'effets extraordinaires pour captiver mais, qui partant du réel et du connu, parvient à écrire un monde en décalage cohérent.
J'ai particulièrement apprécié la 2ème époque - amie B un sous titre amusant - et la 5ème.
Je vais mettre votre texte dans mon anthologie personnelle des nouvelles oniriennes pour pouvoir la relire comme je relis Asimov ou Sidmak.

   Louis   
25/8/2014
Un récit un peu dans la veine de Cosmicomics d'Italo Calvino.
Il illustre l'hypothèse, de façon originale, selon laquelle l'univers né du Big Bang aurait pour destin un Big Crunch ; à la phase d'expansion de l'univers ferait suite une phase de contraction, dans un rythme, une respiration de l'univers, un cycle perpétuel ( mais pourquoi « infernal »?) où sans cesse alterneraient ces deux phases.

Le texte distingue sept « époques » :

La première se situe peu après le Big Bang, ou peu après le temps 0 ( « temps » hors d'atteinte, qui se confond avec l'infini ) très précisément au temps 10-63 seconde, moment à partir duquel s'appliquent les équations actuellement connues de la physique.
Les atomes qui composent la matière ne se sont pas encore constitués. Nous avons affaire à de l'énergie, à des « quarks », futurs éléments constitutifs de la matière.
L'un des personnages se nomme donc « Quarki ». Un autre personnage se nomme « kantia » qui rappelle les « quanta » d'énergie et l'état quantique de la matière.
Tous deux partagent la même « simultanéité spatiale et temporelle » ( N'y a t-il pas un pléonasme dans l'expression « simultanéité temporelle » ? )

Dès cette première époque, l'anthropomorphisme est présent, et les « proto-corpuscules » déjà peuvent penser, comme l'homme pense, peuvent être « égoïstes » comme un homme peut l'être.
L'humour aussi n'est pas absent : « lumière, concept obscur pour propager leurs idées » !
Dès l'origine de l'univers sont présentes la pensée et aussi l'amour :
Quarki « s'est épris de Kantia ».
Il semble même que l'amour ( et son contraire ) soit une loi, non physique, qui régit l'univers.
Dans l'antiquité déjà, un philosophe resté célèbre, Empédocle d'Agrigente, à propos duquel une légende raconte que l'on aurait retrouvé ses sandales au bord de l'Etna, où il se serait jeté dans son cratère pour se suicider, soutenait que deux grands principes régissent l'univers, Amour et Discorde (ou Haine), autrement nommés Attraction et Répulsion. Le texte oscille entre cette pensée antique et la physique contemporaine.
« Maudite ère de Planck »: ainsi se termine la première période. N'y a-t-il pas là une erreur ? L'ère dite de « Planck » se situe à 10-43 seconde, or le récit commence à 10-63seconde.


Pus tard, bien plus tard commence la deuxième période, qui correspond à l'apparition de la vie dans le milieu marin , avec l'ami B ( joli jeu de mot )
On retrouve les mêmes constantes : une pensée présente dans des êtres unicellulaires, sans cerveau ; une tension entre l'égoïsme ( comme fermeture sur soi ) et amour ( qui ouvre sur l'autre ) ; même le « romantisme » se manifeste en cette période unicellulaire !
Une autre constante encore : la distinction entre le masculin et le féminin, présente déjà dans les proto-corpuscules et que l'on retrouve chez les eucaryotes.

La troisième période se situe à l'époque de la conquête du monde terrestre par les vivants apparus dans les océans primitifs.
On retrouve les mêmes invariants, mais du côté féminin, une nouvelle caractéristique apparaît : l'agressivité et l'insolence. Surprenant ! Le machisme serait-il apparu si tôt ?!

La quatrième période se situe au début de l'humanité.
Toujours les mêmes invariants, mais la violence apparaît cette fois du côté masculin, dans la lutte pour s'emparer des femelles, et dans celle de la défense d'un territoire.
On y reconnaît aussi le passage de l'homme de Néandertal (ou des australopithèques) à l'homo sapiens.
La fin de cette période est un clin d’œil au film de Stanley Kubrick, 2001 l'Odyssée de l'espace.

La cinquième époque n'est pas notre présent, mais un futur de notre civilisation hyper-technicienne. Nous sommes à l'ère bionique, à celle des cyborgs.
Le récit passe par-dessus le présent, saute du passé au futur.
Un futur de clones ( ou d'équivalents ), de tourisme spatial, d'eugénisme ( « projet Grande Amélioration de l'Espèce Humaine ) de cerveau et d'intelligence artificiels.

La sixième période nous place dans un futur encore plus lointain.
Epoque des voyages interstellaires ; époque des « humains » devenus complètements artificiels.
On ne naît plus, mais on est « activé » ; on ne meurt plus, mais on est neutralisé », après 2500 années d'existence. Plus de corps humain non plus, mais une « unité centrale personnelle ». A cette époque, «  l'extinction de la vie biologique animale et humaine » est « définitive », mais les artistes et les poètes n'ont pas disparu !
Bien qu'ils aient subi de considérables modifications, l'amour et la procréation n'ont pas disparu non plus dans ce temps d'un lointain futur, orienté vers une vie et une pensée  « sans support matériel ».

La dernière période est celle des « purs esprits », mais errants dans un univers froid et obscur, d'astres morts. L'univers depuis le Big bang a poursuivi son expansion, sa dilatation jusqu'à s'étendre dans un infini où il se « meurt ».
Mais le processus de contraction de l'univers qui pourrait se produire est présenté comme l'oeuvre d'esprits immatériels.
La pensée, présente déjà à l'origine, est encore présente à la fin, et c'est elle qui permet le cycle d'expansion et de contraction de tout l'univers.

Un texte intéressant, qui s'appuie sur les sciences, mais pour aboutir à des conceptions spiritualistes, qui donnent le beau rôle à l'esprit et à la pensée sur la matière.
L'affirmation : « La dématérialisation inéluctable des êtres vivants, but ultime maintes fois constaté de la vie » me semble fort contestable.
Enfin, nous sommes dans la fiction !
Si dans certains récits, le narrateur est omniscient, ici l'on peut dire ( mais c'est pour permettre cette épopée de l'univers ) que le narrateur atteint le comble de l'omniscience !

Dernière remarque : pourquoi le choix de sept périodes ? ( est-ce pour se rattacher aux écrits de la Genèse, dont votre texte est pourtant très éloigné, sauf pour le spiritualisme, qui considère l'Esprit comme transcendant la matière ?)

   Shepard   
25/8/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Fergas !

Ah je dois dire que j'ai beaucoup aimé votre histoire ! C'est amusant car il n y a quelques jours je me posais beaucoup de questions fondamentales de ce genre, et voilà que vous arrivez et suggérez une possibilité, on peut dire que vous tombez à pic !

J'aime beaucoup votre ère de planck et "Les plus ultras parlaient même (pouah ! que c’était dégoûtant) de particules matérielles de diverses natures, dont certaines ondulaient et produisaient même de la « lumière », concept obscur utilisé pour propager leurs idées et circonvenir les simples d’esprit.". Beaucoup de phrases à l'humour thématique recherché.

Par ailleurs vous choisissez le début de l'ère de planck à 10^-64 secondes, avez-vous choisis cette valeur au hasard ? La fin de l'ère étant estimée à 10^-43 secondes.

Je dois dire par contre que l'époque 2 ne m'a pas emballé plus que ça... La trois aussi j'ai un peu décroché. La quatre et suivante par contre sont à la hauteur de la première ! Toujours avec cet humour décalé mais pas trop que j'apprécie beaucoup. Mention à "« 50% homme, 50% robot, 100% glandeur ! »" que je trouve parfaitement humain !

Ensuite vous terminez sur une sorte de "big-rip", quoique. C'est assez amusant car la "mort" de la matière (disons au moins les protons) est d'au moins 10^33 ans, les estimations de la durée de vie de l'univers (à ma connaissance) sont généralement bien moindre, donc on imaginerait plutôt que l'univers se soit terminé avant la mort des particules. Enfin du coup vous introduisez l'idée que l'univers continuerait indéfiniment son expansion si il n'y avait pas "l'esprit" humain pour relancer la machine, c'est à ce demandez ce qu'est vraiment l'esprit humain : dans votre version peut-être pas juste un alignement particulier de spin mais quelque chose encore plus complexe.

La "conscience" que vous conférez aux particules au début de votre récit me fait également penser à l'article du mathématicien John Conway sur le libre arbitre des particules, en êtes vous inspiré ?

Je confirme, c'est une bonne histoire de science et de fiction, sans morale mais avec une idée c'est très bien ! Je pense juste que, si je devais ergoter, certaines "sous-partie" pourraient êtres raccourcies ou simplement retirées au bénéfice des autres, à ce point ça aurait été la perfection pour moi ! Mais ne changez rien au fond...

   caillouq   
31/8/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai adoré la première partie, digne de réconcilier n'importe quel réfractaire (j'en suis) avec la physique des particules. Un humour impeccablement dosé.
Les parties 2 à 4 sont plus classiques, et m'ont moins emballé.
Mais à partir de la partie 5, votre spécificité se redéveloppe (science, inventivité, humour), jusqu'à la fin en apothéose, avec son petit relent houellebecquien (j'y aurais pensé sans le clin d'oeil).
Un petit "encore plus" pour la poitrine ajustable de Cindy Fujimori.
J'ai bien ri. Que demander de plus ?
(oui, peut-être, un peu du désespoir houellebecquien, justement, pour se sentir un peu plus impliqué dans cette histoire de l'humain - mais ce n'était pas le propos)

   Edgard   
6/9/2014
 a aimé ce texte 
Passionnément
La vache ! Fergas, quelle imagination ! Et quelle science ! Et quel voyage ! Et quel humour !
On quitte vite les épaules de Darwin pour les particules élémentaires…ça pulse de tous les côtés.
C’est très fort, et fort bien écrit.
Une petite remarque…c’est toujours Cindy qui fait les valises… ?...Sacré univers ! (Vous auriez pu quand même commencer un chapitre par un élément féminin…)
J’ai adoré et je reprends un ticket pour le prochain voyage !
Très beau boulot !
Bien cordialement.
Edgard.

   Anonyme   
27/2/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'arrive un peu tard, donc tout a été dit, mais peut-être pas, puisque tout n'est qu'un éternel recommencement, à l'image du BIG-BANG originel vers un autre BIG-BANG.

Cependant cette théorie a été mise à mal par une autre théorie, celle dite de "Thérorie des Cordes", voire celle des "Supercordes" et son Univers à 11 dimensions (10 physiques + 1 temporelle). Ce qui me fait penser aussi aux branes, ou p-branes, mais ceci est une autre histoire... sans parler des "multivers".

Une belle exposition du BIG-BANG avec notre petit quarki le quark ; une nouvelle riche en informations !


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