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Humour/Détente
FRITMAN : Thé ou café
 Publié le 11/01/15  -  9 commentaires  -  7571 caractères  -  109 lectures    Autres textes du même auteur

Pour avoir une vie sexuelle épanouie, faut-il être plutôt thé ou plutôt café ?


Thé ou café


1


Ma grande sœur possède un petit carnet à secrets. Elle le dissimule dans la table de nuit sous ses nuisettes et ses slips à côté d’un vibromasseur, d’une paire de menottes, d’un tube de vaseline et d’un paquet de préservatifs. Elle y tient la comptabilité de ses amants.

Pour Alicia, l’homme, quel qu’il soit, est de passage à l’inverse du désir qui lui est permanent. C’est un objet à plaisirs pour dissiper les idées noires et le stress, un jouet sexuellement utile à insérer dans le décor pendant un temps variable, une nuit, une semaine, un mois, tout au plus. Après c’est envahissement de l’espace vital, perturbation des habitudes et soucis permanents.


Je suis curieuse, je ne m’en cache pas.

Je n’ai pas résisté. J’ai feuilleté le petit carnet. Les trois dernières pages étaient partagées en deux colonnes. Au-dessus de celle de droite, Alicia avait écrit T, au-dessus de celle de gauche, C. Dans chaque colonne figuraient une vingtaine de noms et de prénoms, avec date de rencontre, durée de la liaison, numéros de téléphone et adresse e-mail pour les derniers entrés. À côté de chaque nom était écrit un chiffre de 1 à 10, 10 signifiant plus que certainement très performant et 1, plus que probablement lamentable.

Certains de ces noms, trois ou quatre pas plus, étaient surlignés ou entourés de rouge, d’autres, bien plus nombreux, étaient biffés rageusement.


Alicia a une théorie. Elle me l’a exposée lorsque je l’ai interrogée après le viol de son intimité. J’ai estimé sa théorie farfelue. Mais quand j’y ai repensé, je ne l’ai pas trouvée plus insolite que bien d’autres systèmes de classement.

Pour Alicia, il existe deux catégories d’hommes, les buveurs de thé et les buveurs de café. Ceux qui préfèrent le thé seraient sérieux parfois jusqu’à l’ennui, se livreraient fort peu et s’en tiendraient à des positions hyper traditionnelles au lit. Ceux qui plébiscitent le café seraient plus enjoués, se confieraient plus facilement et parfois trop facilement et seraient des amants inventifs.

Du posé limité rassis, côté thé, de l’amusant susceptible d’être volage, côté café.


La vie amoureuse d’Alicia semble donc être bien organisée et bien remplie. Elle devrait être pleinement heureuse à sauter – ou à se faire sauter, c’est selon – d’un amateur de thé à un aficionado du café, pourtant elle ne l’est pas, enfin pas entièrement.

Alicia a 35 ans et se sent vieillir. Elle a un poste important, beaucoup d’argent, quelques amies chères. Elle a presque tout réussi – jusqu’à présent, ai-je parfois envie de lui dire – mais tout au fond d’elle, elle éprouve un grand vide. Elle voudrait un enfant.


Je lui parle mariage, pacs, concubinage. Elle a un imperceptible mouvement de recul, son visage se glace, ses yeux s’emplissent d'inquiétude. S’encombrer d’un homme à demeure, même s’il s’agit du géniteur de son futur enfant, n’entre pas dans ses plans d’avenir. L’intrus, car il ne pourrait à la longue devenir qu’un intrus, serait un obstacle à son indépendance.

Je lui dépeins tous ces malheureux petits enfants aux grands yeux tristes qui, tout autour du monde, espèrent qu’un jour, quelqu’un s’intéressera à eux. Pas émue pour un sou, elle se lamente longuement sur les obstacles administratifs, les délais d’attente et le choc des cultures.

J’évoque l’insémination artificielle. Elle me répond trop impersonnel, trop clinique, trop peu naturel. Son enfant, c’est clair, c’est net, Alicia le veut d’un homme, un vrai, un frétillant, un brûlant chaud à enlacer, et pas d’un artifice de la médecine.

Et du haut de la candeur de mes seize ans, je chuchote : « Alors arrête la pilule et laisse faire la nature… »

Elle me fixe pensive, puis elle sourit.


2


Alicia ne prend jamais le petit déjeuner chez elle. Elle fréquente un bistrot de son quartier. Elle s’y plaît bien, et puis son appartement lui a toujours semblé trop grand et trop vide. Elle y mange un œuf sur le plat avec une tranche de lard ou un jambon-beurre, accompagné d’une pression ou d’un verre de rouge, du costaud, du solide, de quoi bien commencer la journée.

Peu de jours après notre échange de confidences, un grand balèze vient s’installer à la table voisine de la sienne et s’absorbe dans la lecture du Canard enchaîné.

Alicia le jauge sans retenue comme un maquignon le ferait d’un taureau. Il a les cheveux blonds, les yeux bleus, la poitrine large, des bras musclés et pas de défaut physique apparent. Le côté viril de l’inconnu lui plaît, mais elle doit aussi admettre qu’il semble réunir toutes les qualités du bon reproducteur.

Elle regarde sa main et remarque qu’il ne porte pas d’alliance – ce qui en soi ne prouve rien. À part cela, elle ne se lève pas pour aller vers lui, elle ne lui dédie pas un sourire, elle continue simplement à déjeuner en le reluquant en douce pendant qu’il commande son repas et qu’il le mange avec une délicatesse de type bien élevé.

La seule chose qui tracasse un peu Alicia ce jour-là, c’est qu’il ne boit ni café, ni thé et qu’il se contente d’une eau plate.


Le lendemain, il ne vient pas et Alicia se dit qu’elle a raté une occasion. Mais le jour d’après, il s’assied derrière elle et elle peut même sentir son odeur, un parfum très mâle de savon à barbe et de lotion après rasage. Puis il sort un portable et elle tend l’oreille pour savoir s’il parle à une femme.

Elle l’entend lâcher : « OK, OK, Marc, à ce prix-là, tu vends ! ». Soulagée, elle expire un grand coup.


Cette valse hésitation dure comme cela pendant plusieurs jours sans qu’elle ose faire le premier pas et sans que l’inconnu ne daigne ne fût-ce que remarquer sa présence.

Puis un matin, elle se décide, ce manège ne peut se poursuivre éternellement.

Elle se maquille légèrement, elle met une robe un peu plus courte que d’habitude et elle fait en sorte d’arriver devant le bistrot juste au moment où l’inconnu s’apprête à y pénétrer.

Ce plan, si on peut appeler cela un plan, fonctionne parfaitement. Il lui cède le passage, elle sourit. Il la fixe avec une petite lueur amusée au fond des yeux, elle rougit comme une première communiante. Il murmure : « Si j’osais… », elle le devance et l’invite à sa table. Il accepte d’un hochement de tête, puis ajoute d’un ton ironique : « Cet incident survient à point, n’est-ce pas mademoiselle ? Depuis plusieurs jours, je me demandais comment vous aborder… »


3


Alicia se tait, le regard perdu dans le vague, puis elle me regarde et rit, un rire franc et enjoué de gamine pour qui la vie n’est encore que promesses.


– Le reste, ma puce, tu peux le deviner, je n’ai pas besoin de m’étendre plus avant. D’ailleurs pour ce qui est de s’étendre, j’estime avoir assez donné…


Je ne relève pas ce jeu de mots salace et j’ose un rougissant : « Et alors ? »

Alice sourit et se caresse le ventre, une caresse étonnamment gourmande et possessive, puis les yeux baissés dans une pose à la Cranach, elle fait : « Ça y est… »

Elle n’ajoute rien, tout est contenu dans ces trois mots.

Je bats des mains, vais pour l’embrasser, mais une dernière question me taraude.

Et le père, est-il thé ou est-il café ?

Le sourire de ma grande sœur s’élargit. Ce n’est plus le ris mièvre d’une Vierge à l’enfant, c’est un grandiose sourire moqueur, un sourire qui se moque des autres, un sourire qui se moque d’elle-même.


– Ni l’un, ni l’autre, s’esclaffe-t-elle. Imagine-toi, ma puce, que Bernard ne boit que du cacao… Tu me vois, dis, tu me vois à table, tous les matins, avec deux grands gosses qui trempent leur tartine dans un bol de cacao…


Et elle rit, elle rit, elle rit…


 
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   Anonyme   
1/1/2015
 a aimé ce texte 
Bien
Une histoire légère et plutôt sympathique, je trouve, d'une femme qui se sert des hommes sans vergogne et s'en trouve bien ! Je ne vois pas tellement l'utilité de la narratrice petite sœur, je pourrais très bien imaginer une narration à la troisième personne pour parler d'Alicia ; pour moi, cette narratrice à la première personne pour présenter le personnage principal a quelque chose d'artificiel.
Simple impression de lectrice, bien sûr.

   in-flight   
2/1/2015
 a aimé ce texte 
Un peu
Une histoire qui met en relief quelques caractéristiques des relations sociétales modernes: l'égoïsme à tout crin et la difficulté de se stabiliser avec un homme ou une femme (l'envers vaut l'endroit en pareil cas).

J'ai souri certes, notamment grâce à la maîtrise de votre écriture, mais sans toutefois rire franchement: je n'arrive pas à me réjouir devant ce personnage qui réclame un bébé comme on réclame un verre de jus d'orange, parce que les autres en ont, parce que l’horloge sociétale (et biologique dit-on dans certains cas) a dit que c'était maintenant...
Je m'attendais à un texte qui dénonce les diktats modernes avec humour. Les diktats sont comme les modes et là, il y a de la matière. Mais ces histoires de café, de thé et de chocolat...

Si vous faites allusion au peintre, la référence à Cranach me semble un peu trop érudite pour un texte comme celui-ci.

"Du posé limité rassis"--> Je pense que l'auteur(e) a voulu écrire "limite". Ou alors je n'ai pas saisi le sens de la phrase.


Une autre fois peut-être.

   Asrya   
3/1/2015
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Pour ne rien vous cacher, le petit résumé m'a clairement incité à vous lire. (Le titre n'est pas mal non plus !)
J'écris mon commentaire au fur et à mesure de la lecture et je vous avoue que la première ligne m'intrigue fortement.

Au final, c'était juste intrigant.

L'écriture est agréable, le récit est plutôt bien rythmé, l'histoire en elle-même par contre est plutôt décevante.
Assez banal, ordinaire, sans rebondissement ; l'histoire du cacao hum... je ne vois pas vraiment ce que cela apporte. Une nouvelle vision de la vie pour la sœur ? Les hommes ne sont pas que thé ou café, qu'importe, ils sont ce qu'ils sont (pas grand chose à priori - si ce n'est des reproducteurs).

"Et du haut de la candeur de mes seize ans, je chuchote : « Alors arrête la pilule et laisse faire la nature… »"
--> je ne sais pas ce qui est le pire, l'idée de la petite sœur ou son exécution.

Bref, une nouvelle qui portait une idée intéressante (Thé ou café) mais qui se dissipe au fur et à mesure pour suivre une direction plus ordinaire.
Le tout est agrémenté de quelques traits d'humour, heureusement.

Merci pour le partage,
Au plaisir et à bientôt.

   Anonyme   
3/1/2015
 a aimé ce texte 
Un peu
Je traduis : ma grande-sœur aime le sexe et pratique le one shot.
Et merde ! je bois du thé !!
La suite est bien un marché au bétail, pas d'amour, pas de poésie, on évalue sur pied. On jauge la bête, pour un peu, on mesurerait ses abats. Cranach, fichtre, boit-il du thé ou du café ? L'étalon boit de l'eau et au final du cacao, de là à ce qu'il lui demande tous les matins un cacao chaud !!
C'est un petit billet drôle, qui révèle des vérités sur notre époque : thé, café et finalement cacao, les critères de choix finissent en mictions. Plaisant mais sans suite.

   Dupraievna   
11/1/2015
 a aimé ce texte 
Un peu
Je trouve le texte bien écrit, si ce n'est un peu trop classique. Ça se lit vite, mais ça aurait pu être plus enlevé, sensuel, touchant. Les choses sont peut etre trop installées, je ne sais...

   molitec   
12/1/2015
 a aimé ce texte 
Un peu
J’ai trouvé l’histoire un peu légère, pourtant on sent qu’il y’avait un peu de marge après le début du texte ; un manque de rebondissements aussi, qui aurait pu être compensé par une fin, donnant une tournure inattendue de par sa force, mais ce ne fut pas le cas pour moi.
Le personnage principal est bien décrit, mais il n’y avait pas de contrariétés ou quelque chose qui aurait pu lui résisté, on sent que tout va dans un seul sens, même la petite sœur fond gentiment dans l’histoire.
On comprend le personnage, on comprend ce qu’il veut, et il aura ce qu’il voulait, et c’est tout ; peut être que la tournure voulue était que, sa dernière relation avait fait perdre finalement tout le sens à sa méthode habituelle de classement ? Je ne sais pas, mais, je n’arrive pas à ressentir et mesurer l’importance qu’avait cette idée chez Alicia.
Une belle écriture, avec une idée de départ sympathique, dont le titre et certains passages, d’ailleurs même la fin reste sympathique, mais le fond de l’histoire n’est pas assez exploité peu être.

   Neojamin   
12/1/2015
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour,
J'ai bien aimé la manière dont l'histoire est contée. Le point de vue de la petite soeur qui observe et narre en même temps. Je ne crois pas trop à ses 16 ans, son analyse me paraît trop posée mais bon, elle a le droit d'être précoce !
Les premières lignes m'ont données envie de continuer. Un seul petit accroc:
"Après c’est envahissement de l’espace vital, perturbation des habitudes et soucis permanents."
Il manque une virgule à mon sens et, de toute façon, la mise en forme pourrait être mieux, sans cet affreux "c'est".

Ensuite, l'histoire se déroule sans suprise. L'écriture est fluide, le portrait bien brossé. Ça manque un poil d'excentricité et d'originalité pour savoir ce qui va se passer. Elle veut un enfant sans un mari, OK, un balèze arrive et c'est dans la poche. Un peu rapide je pense...et la chute m'a laissé sur ma faim. Cacao... oui, bon.

Pour la détente, c'est très bien, mais j'aurais imaginé qu'un peu plus de psychologie aurait pu ajouter du charme à cette histoire bien menée. Qu'en pense réellement la petite soeur ? Est-elle degoutée ?blasée ? Jalouse ? Son regard sur sa grande soeur me paraît trop détaché. Et la grande soeur ? Ce vide ne serait comblé que par un enfant ? C'est un peu simpliste comme idée, quoique commune, pour que ça marche, je pense que nous devrions en savoir plus sur ce vide. Comment se sent-elle exactement ?Qu'est-ce qui la creuse ?

Merci en tout cas, ce fut agréable à lire!

   dodo-chan   
21/1/2015
 a aimé ce texte 
Bien
Bonsoir FRIT,

L'idée n'est pas nouvelle, mais sous votre plume elle reprend de la fraicheur, ce qui est agréable. On sent en revanche une peur de froisser, de choquer, en même temps qu'une grande envie d'y aller plus en profondeur dans la perversité, le sexe, le voyeurisme...et j'ai l'impression que vous n'avez pas osé. C'est dommage.


A bientôt.

   carbona   
6/8/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Votre texte a piqué ma curiosité dès le départ et je ne me suis pas ennuyée une seconde. Votre écriture simple, concrète et vive y est pour beaucoup et donne un rythme très agréable au récit.

Merci pour cette lecture légère, amusante. J'ai assurément passé un bon moment.

A vous relire !


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