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Sentimental/Romanesque
gage : En six lettres commençant par « s »
 Publié le 04/01/22  -  9 commentaires  -  7760 caractères  -  68 lectures    Autres textes du même auteur

Fruste.


En six lettres commençant par « s »


C'est une sorte de froissement qui l'a réveillé. Il a ouvert les yeux et ça l'a un peu ébloui ; comme il ne distingue rien d'autre qu'une lumière trop claire, il referme les paupières, encore ensommeillé. Les craquements légers se répètent tout autour de lui, tout contre lui. En même temps, il sent son corps se libérer d'une contrainte, d'une gêne qui l'enserrait. Se dépliant peu à peu, il se rend compte qu'il est la tête en bas. Il n'a pas peur. Tout est normal.

Se déplaçant sans y réfléchir, il s'extirpe de ce qui ressemble à une grande gousse translucide, puis effectue un rétablissement qui l'installe sur une sorte de passerelle verte et souple. Il ressent maintenant comme un ample balancement. Les yeux cette fois grands ouverts, il ne discerne pas grand-chose pour autant.


***


— Franck ! Franck ! Promenade !

— Attends, je cherche un mot… « fruste » ça veut dire quoi ? En six lettres qui commencent par « s » ?

— Simple ! Allez, secoue-toi !

— Ça va pas j'ai un « a ».

— Je te corrigerai ça tout à l'heure, mais magne-toi ! Pro-me-na-de !

— Tu me rendras les solutions ?

— Jamais ! Tu te contentes de les recopier ! Allez, Franck !

— Ok. « Fruste », jamais entendu. Pis c'est « frustre », non ?

— Non, c'est comme ton « arbustre » de l'autre jour. Allez, dégourdis-toi. T'as une sale tête !

— Mal dormi…


***


J'ai un drôle de truc sur le nez. C'est quoi ce rouleau qui se déplie comme un tuyau de pompier ? Ou non, ça ressemble à de la réglisse. Tu sais, on déroulait toujours complètement en tenant avec les dents, et on le laissait pendre en l'avalant petit à petit. En secouant la tête pour faire les dégueus. Mais là c'est carrément mon nez, je crois, comme une trompe d'éléphant, en plus long et plus mince, et noir. Hop je la déroule, hop elle s'enroule. Bizarre. Je comprends pas à quoi ça sert. Pis ça me fait loucher j'suis sûr. N'importe quoi ce machin.


***


— Franck, c'est quoi cette histoire de bagarre, encore ?

— Y s'foutent de ma gueule !

— Par rapport, à quoi ?

— Par rapport que j'ai des cernes, ils m'appellent le panda.

— Tu devrais plutôt faire la sourde oreille, et pas les cogner. T'as encore reçu un blâme. Tu t'étais pourtant calmé ces derniers temps.

— Bah j'suis crevé. J'arrive même plus mes mots fléchés.

— Tu bloques ?

— Oui : « affranchi » en six lettres, ça devrait être « timbré », non ? Bah ça colle pas. Pourtant je suis sûr du « i », et ça finit par « ré ».

— Essaie « libéré », va !

— Quel rapport ?

— Bah c'est compliqué. Affranchir un esclave par exemple, c'est le libérer.

— Ah ouais… Ça colle, en plus… Merci mon pote. « Libéré » J'en suis pas là, moi…

— Dis pas ça Franck, dis pas ça. Pis arrête de te battre.

— J'suis crevé.


***


Je suis en plein soleil. C'est agréable cette chaleur sur moi. Je suis à plat ventre sur un tronc, on dirait. Je suis bien. Je comprends pas trop ce qui se passe. De chaque côté de moi il y a deux grandes toiles qui s'agitent. Deux grands draps ? Le tissu est luisant au soleil. D'un beau bleu un peu mauve. Les draps de ma grand-mère de Nice peut-être. Les draps se lèvent et redescendent, comme dans ces spectacles de fin d'année à l'école quand on veut faire comme la mer avec un tissu. Avec les draps de ma grand-mère de Nice. Agités par les enfants aux bras bronzés. J'ai l'impression que quand je remue les bras, ça remue les toiles. Et ça me fait un peu d'air, et ça brille au soleil.


***


— Franck ! Tu fais tes mots fléchés en slip maintenant ?

— Bah mes pantalons tiennent plus, faut que j'en demande d'autres à la lingerie.

— T'as encore maigri ?

— Ça se voit pas tu trouves ?

— Si, bien sûr que si, t'es plus que l'ombre de toi-même. Non je déconne, mais cette fois je te prends un rendez-vous chez le toubib, t'as pas le choix !

— C'est quoi « larcin » en trois lettres ?

— « Vol » !

— Comme s'envoler ?

— Non comme voler un truc.

— Ahh, ok, je me disais…

— Quoi ?

— Non rien.


***


Je vole, y a pas de doute là-dessus. Je plane plutôt, même. Des courants d'air me soulèvent très haut, puis me lâchent et je redescends mollement. Parfois j'aperçois une fleur énorme, alors j'agite les bras pour m'en approcher, et ça marche. J'éprouve le même plaisir que quand, dans un manège, j'étais dans un petit avion, et que tirer sur le manche le faisait monter. Peut-être que ce plaisir venait, d'ailleurs, qu'un avion sur deux ne s'élevait pas, et alors, quelle frustration de tirer le levier et qu'il ne se passe rien. Quelle sensation de puissance par contre, quand je m'envolais… On les avait repérés, les mauvais. Moi je prenais toujours le vert pour être sûr. Me voilà debout sur cette grande fleur dorée. Puis c'est plus fort que moi, ma grande trompe se déroule et je m'en sers comme d'une paille pour boire les gouttes transparentes qu'il y a à l'intérieur. Bordel qu'est-ce que je fous !


***


— Franck ! Qu'est-ce que tu fais encore au lit ? T'es malade ?

— J'ai pas dormi.

— De la nuit ? Mais pourquoi ?

— Je veux plus… J'ai peur.

— Quoi ? Mais t'es une montagne ! Un type d'un mètre quatre-vingt-onze, cent quinze kilos de tatouages, de poils noirs et de crâne rasé. De quoi un mec comme toi peut-il avoir peur ? C'est à moi que tu fais peur, avec tes yeux fixes ! C'est quoi tes cauchemars, dis-moi ?

— J'peux pas te l'dire.

— Il a dit quoi le toubib ? Il t'a donné des trucs pour te détendre ?

— J'l'ai pas encore vu. C'est demain après-midi, en fait.

— Ok ! Allez, lève-toi, faut que tu manges. Allez, debout !

— « Vulnérable » en sept lettres qui commencent par « f » ?

— « Fragile » Franck, je pense. Ou peut-être « faibles » si c'est au pluriel.

— Ok, non, c'est au singulier, merci.

— Allez, habille-toi.


***


Il a ouvert grand ses ailes. Il se sent à la fois puissant et fragile. Délicat et invulnérable. Il survole les prés et les animaux qu'on y aperçoit. La brise est douce et le porte mais il se dirige où il veut. Vers cette rivière étroite par exemple, qu'il longe un moment en trouvant plaisant le jeu des reflets sur l'eau. Il se pose enfin sur la margelle d'un lavoir. La lumière, par taches, l'environne au hasard des mouvements de l'eau. Ses ailes bleu-mauve palpitent doucement. Un rayon de soleil glisse parfois sur lui et l'éclat bleuté, fugace, qui teinte la pierre sous ses ailes le fait frémir d'un plaisir profond. Le vent léger fait osciller les branches au-dessus de lui et rien n'est plus doux que le murmure des feuilles qui se mêle à celui, ténu, de l'eau qui passe.


***


— Alors, Franck, c'est quoi ce passage à vide ?

— Docteur, aidez-moi !

— Bah faut pas vous mettre dans un état pareil, prenez ce mouchoir.

— J'en peux plus docteur, je sais plus quoi faire !

— Vous avez l'air exténué mon pauvre, nerveusement lessivé. Exposez-moi votre problème.

— J'peux plus dormir, docteur ; j'veux plus, mais j'en peux plus et je m'endors quand même.

— Heureusement, Franck, on ne peut pas vivre sans dormir. Mais vous vous rendez malade. Pourquoi ne voulez-vous plus dormir ?

— À cause de mes rêves, docteur !

— Vous faites des cauchemars ?

— Pas vraiment, docteur.

— Mais que craignez-vous donc tant ?

—…

— Franck, si vous ne me dites rien, je ne peux pas vous aider !

—…

— Allez, un effort mon garçon. Je suis là pour ça. Vous êtes venu me voir pour ça, alors allez-y !

—…

— Arrêtez de pleurer, Franck, tout va s'arranger, à la condition que vous m'expliquiez ce que vous redoutez tant dans votre sommeil.

— Docteur…

— Oui ?

— Docteur, je n'en peux plus, toutes les nuits je rêve…

— Oui, Franck…

— Toutes les nuits je rêve que je suis un putain de papillon bleu !


 
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   Anonyme   
5/12/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Je trouve la fin gravement ratée. J'aimais vraiment les parties « papillon » du texte, la perplexité du narrateur humain devant son nouvel état, j'ai apprécié la joliesse de la description dans le paragraphe
Il a ouvert grand ses ailes. (…) l'eau qui passe.
En même temps je me demandais le rapport avec le Franck taulard (c'est ce qu'il m'a semblé, peut-être est-il en hôpital psychiatrique ; en institution en tout cas), mais je n'imaginais pas du tout quelque chose d'aussi éculé que « c'est un rêve ». C'est vraiment dommage à mon avis parce que, par ailleurs, votre écriture m'a paru assurée et surtout souple, sachant s'adapter selon les différents stades du récit.

Mais la fin, à mes yeux, n'est pas à la hauteur. Vraiment pas.

   Marite   
9/12/2021
 a aimé ce texte 
Bien
Désarçonnée par le début de cette nouvelle car je ne voyais pas du tout où allait me conduire la succession des pensées de cet insecte, découvert dès le premier paragraphe, et des dialogues bien limités entre Franck que j'ai imaginé d'abord comme un adolescent un brin perturbé et sa mère qui le raisonnait. La suite nous révèle une réalité inattendue car j'avais pensé à autre chose : la seconde vie d'un troisième personnage dans le corps de l'insecte ... l'intrigue est bien menée dans ce récit, elle pourrait donner envie d'en découvrir une suite qui nous transporterait dans le domaine de la métamorphose ...

   Corto   
12/12/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Honnêtement j'ai été accroché par le titre et par l'exergue de cette nouvelle grâce à leur caractère foutraque.
Je n'ai pas été déçu par la suite qui bondit et rebondit, toujours en polissant l'incompréhensible et repolissant l'incongru.
A chaque fois qu'on cherche une solution elle s'avère trop bizarre ou inadaptée. On passe son temps à se dire "encore raté"...

Le fil conducteur du mot à trouver est une belle idée car il y a là un peu de rationalité qui permet de se dire, mais oui, on va y arriver.

Et finalement le "papillon bleu" nous réconcilie avec tout ce qu'on a lu, même si décidément Franck a vraiment besoin d'être suivi jusque dans ses profondeurs inconscientes.

Bravo.

   Donaldo75   
16/12/2021
 a aimé ce texte 
Bien
J’ai trouvé ce texte original, décalé, drôle, avec une fin très poétique ; c’est justement cette fin qui donne la tonalité – une fois que tous mes neurones se sont rassemblés pour débriefer la lecture – d’ensemble de ce texte dont il ne s’agit pas de chercher le sens profond dans une analyse détaillée sur moindre caractère imprimé sur la page. Non, c’est comme un tableau cubiste, il fait se laisser aller, rentrer dans l’impression, sortir des sentiers battus de la lecture, écouter couler les dialogues. En tout cas, c’est ce que j’ai fait et l’expérience m’a plu.

   Myo   
4/1/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Je trouve ce texte très original et personnellement j'ai accroché à l'histoire rapidement même si on ne sait trop où elle va nous mener.

Ce décalage presqu'irrationnel entre la légèreté du papillon et le prisonnier qui se réfugie dans des mots fléchés (un fil rouge intéressant) pour oublier qu'il est privé de liberté.

Et j'aime beaucoup la fin, comme si l'homme ressentait une forme de honte à faire un rêve... plein de poésie. Je trouve cela touchant.

Ce qui se cache dans les tréfonds de l'âme ne se voit souvent pas.

Bravo pour le style aussi.

Myo

   Anonyme   
6/1/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Je me suis laissée harponner par cette jolie petite aventure drôlement bien inspirée. C'est original, et même si je suis restée frustrée (en douze lettres commençant par « i ») de n'avoir ni tenant, ni aboutissant pour étayer l'histoire, l'écriture agréable qui coule bien et la poésie qui illumine tout le texte, surtout dans les parties ''rêve'', m'ont fait passer un bien agréable moment.

Je mettrais la main au feu, que l'inspiration a été donnée par le film « Papillon », le roi de l'évasion (?) ^^

En tous les cas c'est joliment amené. Et puis j'aime beaucoup l'espèce de tendresse qui règne entre Franck, un prisonnier attendrissant, et son ''geôlier'' qui semble si bienveillant à son égard.

Merci, Gage.


Cat

EDIT : je constate que j'ai déjà commenté et apprécié une de vos nouvelles. Pas étonnant donc que je retrouve dans cette dernière cette aura de tendresse familière, ainsi que ce rapport tout en douceur et poésie que vous semblez entretenir avec la Nature (la scène où Franck papillon survole les prés, par exemple ici) où je me retrouve complètement...

   hersen   
7/1/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
C'est une nouvelle dont la construction est très originale. On suit Franck par les mots qu'il cherche, et à chaque fois, ils lui sont expliqués.
On découvre aussi ce qu'il voudrait être, un joli papillon bleu au lieu du gros balourd qu'il est. Et qu'il rêve de libération.
Cette nouvelle est une sorte de jeu de piste, j'en comprends tout dès que je lis "papillon bleu", c'est à dire à deux mots de la fin.
le texte ne menait pas vraiment à cette surprise, elle en est d'autant meilleure.

Merci de la lecture !

   Lariviere   
7/1/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour gage,

J'ai beaucoup aimé votre nouvelle. Un petit pus pour les dialogues qui sont truculents. J'ai aimé le contraste entre Frank le taulard et son désir d'évasion très poétique. La fin est particulièrement impactante et à la fois tendre et drôle...

Merci pour cette lecture et bonne continuation !

   gage   
9/1/2022


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