Cette nouvelle est une participation au concours n°3 : Le Conte de Noël (informations sur ce concours).
Il était une fois deux chats qui bavardaient sous le sapin de Noël la veille du réveillon. Valder, fier norvégien de couleur rousse au jabot immaculé, avait pour l’instant abandonné son allure majestueuse et se présentait les quatre coussinets en l’air. Cette position lui permettait de taper allègrement d’une patte ou de l’autre sur les décorations de Noël à sa portée. Près de lui, Usul, birman aux yeux d’azur et aux courbes généreuses et grisées, écoutait la conversation de son compagnon, les yeux mi-clos et la tête posée sur ses pattes avant. Le premier essayait de convaincre le second des avantages de cette époque festive :
– Déjà, il y a le sapin, avec toutes ces choses qui pendent et qui me donnent envie de taper dedans. Et hop ! dit Valder en accompagnant la parole d’un coup de patte bien assené dans un petit moulin rouge et jaune ! – Si mon maître te voit, prévint Usul en bâillant, il ne va pas être content ! – Bah, il n’est pas là, tu sais, il est très occupé à travailler dans son bureau, et puis, c’est plus fort que moi, je ne peux pas m’en empêcher, c’est trop amusant ! dit-il en recommençant. – Fais ce que tu veux, moi, ce que j’en dis… je crois que je vais plutôt faire un petit somme, c’est une bonne idée qu’ils ont eu de mettre le sapin près du radiateur, cela fait un abri confortable…
Et Usul reposa la tête sur ses pattes et ferma les yeux.
– Mais réveille-toi donc ! Tu ne penses qu’à dormir ! Réfléchis plutôt à tout ce qui va se passer ! – Quoi ? répondit le birman d’une voix à peine audible, visiblement plus intéressé à l’idée de repartir dans sa somnolence que par le fait de prêter attention à la conversation de son ami. – Eh bien, déjà, demain il va y avoir plein de monde ici : que de caresses en perspective ! – Et du bruit aussi ! Oh ! Là là ! Le « chaton » des maîtres va crier et courir partout et, en plus, il va encore te tirer sur la queue si tu ne fais pas attention ! Je crois que la meilleure solution pour moi est d’aller me couler sous la couette toute la journée… – Oui, tu as raison, leur « chaton » est un vrai problème ! Eh bien, moi, je resterai dans la cuisine, là où le petit monstre n’a pas le droit d’aller. De toutes les façons, demain, ce sera la meilleure place au monde… – Pourquoi dis-tu cela ? demanda Usul soudain intrigué. – Pense à la nourriture, c’est toujours très bon ce jour-là. Tu sais bien que quand le sapin est installé, les repas sont excellents, surtout quand il y a des invités, hum !!! – Oui… le saumon fumé… je m’en lèche les babines d’avance ! – Ah, tu vois ! – Et dehors, la neige… continua Usul d’un air rêveur. – Quoi, la neige ? demanda Valder dont c’était le tour d’être étonné. – Eh bien, dehors, quand il neige, moi, j’aime bien, ça fait des chatouilles aux pattes, et je joue à attraper les flocons ! C’est plus intéressant que de taper dans les boules du sapin et ce n’est pas interdit, cela, au moins ! – Mais la neige c’est tout froid, frissonna Valder, et puis ça colle sous mes pattes, j’en ai plein les poils, quelle horreur ! – Mais pourtant, toi, tu viens de Norvège, là-bas, les chats sont habitués à la neige ! – Oui, mais moi, je préfère la chaleur d’ici. En fait, le seul avantage de la neige, c’est que quand elle tombe, ton maître fait un bon feu bien chaud dans la cheminée parce que ma maîtresse a froid !
Usul acquiesça et ferma les yeux. Valder, toujours sur le dos, fit de même en pensant aux merveilles qui l’attendaient… Tout à coup, dehors, un miaulement déchirant se fit entendre…
Valder, les oreilles dressées, se mit aussitôt en alerte. Le cri reprit : c’était un appel quelque part dans la nuit, une bête blessée qui demandait de l’aide. Valder réveilla Usul en lui sautant dessus.
– Viens vite ! Dehors, quelqu’un a un problème !
Usul, assez mécontent de ce réveil un peu brutal, grommela :
– Mais que veux-tu que cela me fasse ? – Il faut aller voir, répondit Valder dont la curiosité était aiguisée, je suis sûr que c’est un chat qui a besoin d’aide !
Usul finit par se laisser convaincre. Oui, mais comment sortir ? La porte donnant sur l’extérieur était fermée. Valder décida d’appeler sa maîtresse, qui s’affairait quelque part à l’étage. Il miaula à fendre l’âme devant la porte, une fois, deux fois, dix fois et comme prévu, des pas se firent entendre dans l’escalier. Une jeune femme apparut : « Eh bien mon Valder, que t’arrive-t-il ? J’ai cru que tu t’étais encore fait enfermer quelque part ! Ah ! Tu veux sortir ? Mais tu sais, dehors, il fait froid ! Et voici Usul ! Tu veux sortir aussi ? » Et Usul de se frotter longuement contre les jambes de la maîtresse pour bien lui faire comprendre que la réponse était « oui ».
La porte s’ouvrit et les deux complices se glissèrent promptement dehors. Ils s’arrêtèrent, aux aguets, Usul huma l’air longuement. Une plainte provenant du jardin se fit entendre à nouveau. Valder se précipita de toute la force de ses pattes, suivi quelques mètres derrière par Usul.
Au milieu de la pelouse, le premier stoppa net : à un mètre de lui, un chat tout blanc gisait sur le flanc : sa taille était impressionnante. Pourtant Valder et Usul, du fait de leur ascendance respectivement norvégienne et birmane, étaient déjà de belle taille, mais l’inconnu faisait au moins la taille de « deux Usul », estima Valder. Et ce dernier, peu téméraire, fit prudemment le tour de l’étranger en reniflant longuement pour savoir de quelle direction il venait. Mais il n’y avait aucune odeur inconnue alentour. Valder leva le museau au ciel : ce chat n’était tout de même pas venu de là-haut ?!
À ce moment précis, l’inconnu bougea légèrement ce qui fit sursauter Valder. Usul observait la scène à quelque distance, laissant le soin à son compagnon de prendre tous les risques. Le chat blanc ouvrit les yeux, Valder recula d’un bond. Son étonnement était sans bornes car le chat mystérieux avait un œil bleu comme ceux d’Usul et un œil orange comme les siens ! Celui-ci n’avait jamais rien vu de pareil !
– N’aie pas peur, dit le chat blanc, je ne te ferai point de mal. – Mais qui es-tu et d’où viens-tu ? répondit Valder. – Je viens de la maison du Père Noël. Je suis un de ses nombreux chats et je m’appelle Tilc.
D’un naturel curieux, Usul s’était finalement approché pour pouvoir entendre la conversation.
– Je me suis écorché la patte en frôlant une étoile, repris Tilc.
Usul et Valder pensèrent que ce chat avait complètement perdu la raison mais ils décidèrent de se taire pour le moment. Tilc poursuivit :
– Il faudrait que vous appeliez vos maîtres pour qu’ils me soignent. – Les maîtres… Cela me semble être une bonne idée, acquiesça Valder, mais comment faire pour les amener jusqu’ici ? Quand on leur demande quelque chose, en général, ils ne comprennent rien. – Vous êtes tous les deux des chats intelligents, assura le blessé, je suis sûr que vous allez y arriver !
Avant de partir, Usul, très au fait de la bienséance, se présenta :
– Au fait, je m’appelle Usul et là-bas, dit-il en montrant Valder qui était déjà reparti vers la maison, c’est Valder. Nous allons revenir très vite, tiens bon !
Et Usul courut vers la maison. Arrivé sur le seuil, il commença par gratter à la porte, pendant que Valder restait en lisière du jardin. Ce fut cette fois le maître qui ouvrit : « Ah ! Usul, tu veux rentrer ? Dépêche-toi un peu, il fait froid dehors ! » Mais au moment de passer la porte, Usul fit brusquement demi-tour et rejoignit Valder. Ils se mirent alors à miauler tous les deux à l’unisson. Le maître referma la porte en râlant : « eh bien puisque vous ne voulez pas rentrer, vous aller rester dehors ! » Mais à peine avait-il tourné les talons qu’Usul recommençait à gratter à la porte. Au bout de la troisième fois, le maître comprit (enfin !) qu’il se passait quelque chose d’anormal. Il mit son manteau et sortit : « que veux-tu donc me dire ? » demanda-t-il à Usul, tu veux que j’aille dans le jardin ? Valder (qui avait rejoint Tilc) a un problème ? Bon, je te suis… »
Quand le maître arriva près de Tilc, il s’accroupit doucement et le caressa. Il vit très vite que sa patte saignait. Il expliqua alors aux six oreilles attentives qu’il allait chercher un carton pour déplacer le chat blessé sans risquer de lui faire mal.
Cinq minutes plus tard, Tilc était dans la maison, en compagnie d’Usul et de Valder qui ne voulaient pas quitter leur nouveau copain d’un « coussinet ». Le maître était en train d’allumer un bon feu, parce que « ce beau chat devait avoir eu bien froid à rester ainsi dans le jardin avec une patte abîmée, il fallait absolument qu’il se réchauffe ! » Pendant ce temps, la maîtresse, très doucement, nettoyait la patte blessée. Elle posa ensuite un pansement et fit un gros bisou sur la tête de Tilc qui se mit à ronronner comme un bienheureux. Confortablement installé devant la cheminée, une gamelle d’eau et une de croquettes à portée de museau, il était comme un coq en pâte !
Valder et Usul restèrent toute la nuit auprès de leur nouvel ami. Celui-ci passa toute la soirée à leur raconter des histoires étonnantes car c’était un chat très voyageur qui avait vécu des choses qui paraissaient extraordinaires à nos deux sauveteurs, eux qui n’avaient jamais dépassé le bout du jardin. La nuit était déjà fort avancée lorsqu’ils s’endormirent enfin, la tête pleine de rêves…
Le lendemain, Tilc put marcher sans trop s’appuyer sur sa patte et commença à découvrir sa nouvelle maison. Il y avait beaucoup d’effervescence dans la cuisine pour préparer le repas du réveillon. Éwan, le « chaton » des maîtres, n’osait pas trop s’approcher de Tilc qui devait sûrement paraître gigantesque pour un petit bonhomme de deux ans. Par contre, dans l’énervement général, Usul se fit deux fois marcher dessus et disparut rapidement dans une des chambres, où il se « coula » sous la couette jusqu’au soir. Quant à Valder, il se fit tirer la queue à de nombreuses reprises et finit par s’installer durablement sur le haut du réfrigérateur d’où il pouvait, sans risque, surveiller les préparatifs du repas.
La journée passa très vite et le soir, comme prévu, les invités arrivèrent. Ils furent tous immédiatement conquis par la beauté de Tilc et aussi très étonnés par sa taille qui était véritablement peu commune pour un chat. Mais Usul et Valder eurent aussi leur compte de caresses et tous les trois bénéficièrent d’un repas spécial à base de saumon fumé et de quelques morceaux de chapon : ce fut délicieux ! La soirée fut très animée et très gaie, et même Tilc réussit à jouer dans les emballages cadeaux, malgré sa blessure.
Puis, quand tout le monde fut couché, Tilc, avec un air mystérieux, appela ses nouveaux amis.
– En fait, si vous vous souvenez bien, je vous ai dit que j’étais un des chats du Père Noël, mais je ne vous ai pas tout dévoilé… – Comment cela ? Que veux-tu dire ? répondirent à l’unisson Usul et Valder qui avaient complètement mis de côté cette histoire abracadabrante de Père Noël. – En fait, comme mon maître, je distribue des cadeaux mais sous la forme de souhaits. Comme vous m’avez aidé et accueilli dans votre maison, pour vous remercier, je vais réaliser trois de vos vœux les plus chers.
Usul et Valder n’en revenaient pas ! Un chat magicien ! Ou fou ? Peut-être Tilc racontait-il des mensonges, et pourtant, en regardant dans ses yeux si particuliers, ils surent qu’il disait la vérité.
– Alors, qu’aimeriez-vous changer dans votre vie ? reprit Tilc. – Ce qui me simplifierait vraiment le quotidien, commença Usul, c’est que la porte du jardin soit ouverte à chaque fois que je veux entrer ou sortir. Car je n’en peux plus d’attendre le bon vouloir des maîtres ! – D’accord, répondit Tilc, c’est fait. Et toi Valder, de quoi as-tu envie ? – Moi, je veux qu’il y ait un grand feu dans la cheminée tous les soirs d’hiver ! – Voilà ! Clama Tilc.
Et tout à coup, le feu moribond recommença à flamber dans la cheminée.
– Ensuite ? Continua Tilc, vous avez encore droit à deux vœux chacun.
Usul reprit :
– Il faudrait qu’il y ait toujours à ma disposition une gamelle de croquettes bien remplie, et pas seulement le week-end, comme c’est le cas actuellement. – Va dans la cuisine, répondit Tilc, ta gamelle t’attend.
Usul ne se le fit pas répéter deux fois et quelques secondes plus tard, un bruit de craquement de croquettes sous les dents se fit entendre.
Valder avait trouvé ses deux autres vœux :
– Si c’est possible, je souhaiterais que le chaton des maîtres ne tire plus jamais sur ma queue. À force, j’ai le croupion tout endolori ! Et je voudrais aussi pouvoir jouer avec les boules du sapin toute l’année sans que cela me soit interdit.
Usul qui venait de réapparaître avait lui aussi trouvé son dernier souhait :
– Moi, ce que j’aimerais vraiment, c’est qu’il y ait toujours un endroit très confortable et bien abrité où je puisse dormir, quel que soit le moment de la journée.
Tilc leva la patte avant droite et assura que tout était à présent réalisé. Puis, d’un air grave, il annonça à ses nouveaux amis qu’il devait maintenant les quitter, car sa mission auprès d’eux était achevée. Et sous les yeux ébahis d’Usul et de Valder, Tilc disparut dans un jaillissement d’étoiles.
À partir de ce jour, comme Tilc l’avait promis, la porte s’ouvrit toujours quand Usul en avait besoin, il y eut toujours une gamelle de croquettes bien remplie à sa disposition et un endroit bien douillet et « bien abrité » pour sa sieste. Et pour Valder, à la surprise de tout le monde, la maîtresse suspendit une belle boule de Noël sous l’halogène : « pour que Valder puisse jouer toute l’année, puisqu’il a l’air de tant aimer ça ! » avait-t-elle expliqué. Et, bien sûr, Éwan se désintéressa totalement de la queue de Valder. Quant au feu dans la cheminée, il brûla tous les soirs jusqu’au printemps, que le maître l’ait allumé ou pas…
Bien sûr, les humains ne comprirent pas comment Tilc avait pu disparaître en pleine nuit alors que toutes les portes étaient fermées, ni comment Usul réussissait à passer de la maison au jardin et vice-versa comme bon lui semblait et pourquoi il avait toujours des croquettes à sa disposition. Le mystère du feu qui s’allumait tout seul les soirs où le maître avait oublié de s’en occuper ne fut évidemment jamais éclairci. Ce dernier eut beau poser toutes les hypothèses avec son épouse, ces bizarreries les laissèrent complètement démunis. Et pourtant…
Pourtant c’était si simple ! Ils auraient dû savoir qu’en cette période des fêtes, tout peut arriver ! C’est cela le miracle de Noël. Il suffit juste d’y croire suffisamment. Mais les humains, décidément, ne comprendront jamais rien à la magie qui les entoure !
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