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Réflexions/Dissertations
Goldmund : Le temps de l'évolution
 Publié le 10/07/10  -  12 commentaires  -  5585 caractères  -  149 lectures    Autres textes du même auteur

Il arrive que le monde bascule imperceptiblement et nous fasse entrevoir un infini singulier. Sous nos yeux apparaissent de longs chemins sinueux, sans but ni raison ; des visions craintives, blafardes, incohérentes... et nous plongeons au-dedans comme au travers de nous-mêmes.


Le temps de l'évolution


La Machine exhale un ronronnement continu, un son uniforme venant s'écraser mollement contre les murs de la cabine. Le monde tout entier est pris de convulsions. Il vibre au son de cette note achromatique, comme s'il cherchait dans son agitation à échapper à quelque chose ; l'effervescente absence...


J'ouvre les yeux : il est assez difficile de se rendre compte s'il fait jour ou nuit. Alors même que je reprends conscience, une angoisse bizarre me serre la poitrine, et j'étouffe un peu. C'est la même excitation, le même trouble qui revient chaque matin : toujours plus oppressant. D'un geste ample je repousse les couvertures et me précipite vers la porte close, sautillant entre les piles de vêtements. Par l'interstice, je vois pulser faiblement la lumière pâle du couloir. Je me rapproche et m'agenouille afin de procéder à l'examen rituel. Fébrilement, je découvre mon bras gauche, puis le droit. De mes deux mains je recouvre ce visage fin et anguleux. Cette apparence me répugne. Je soupire parce que je sais que l'heure n'est pas encore venue. La Machine émet une sorte de toussotement - un rire narquois -, aussi, je décide de finir de me préparer, afin de ne pas être en retard.


Je franchis la porte. Me voici dans un long couloir d'un blanc clinique, traversé par de nombreuses ouvertures latérales. Les spots fixés au plafond vomissent une lumière diffuse, sale, vaguement tangible. Une sorte de brouillard fluorescent. Une fois habitué à la luminosité, je remarque une multitude de jeunes gens vêtus d'uniformes compliqués et somme toute assez laids - répliques exactes de celui que je porte en ce moment même.


Ils me ressemblent.


Je sais que nous éprouvons des sentiments assez proches : des joies moroses, des peines toujours mitigées. Je devine à leurs regards concentrés qu'ils ne pensent à rien, car leur génie c'est d'aller le regard pétillant, l'esprit vide, les mains dans les poches. Oui, je me doute bien qu'ils ne sont pas très satisfaits eux non plus de la vie qu'ils mènent, ils sont trop blasés pour être honnêtes, et à dire vrai, ils ne sont pas très beaux eux non plus. Deux bras, deux jambes, des poils disséminés dans les endroits les plus improbables : je leur rirais au nez si je n'avais pas dû arracher à la hâte, pas plus tard qu'hier, mon premier poil de barbe.


Quelque chose sur le sol attire mon attention, comme une large coulée de bave, semblable à celles que laissent les escargots entre deux feuilles à moitié grignotées. Sur cette surface miroitante, je vois se refléter les couleurs nuancées de l'arc-en-ciel, et c'est un très joli spectacle. Un assez joli spectacle. Je crois. Tous, oui tous, nous suivons dévotement la trace, ce qui ne veut pas dire que j'en ai besoin, moi, pour me repérer : le bruit régulier de la Machine me guide plus sûrement que toute autre chose. Plus je me rapproche, et plus je l'entends distinctement. La Machine c'est une valeur sûre, elle est toujours là.


Nous voici maintenant au bout de l'un de ces innombrables couloirs, en face d'une nouvelle porte. Nous entrons dans une salle immense et paradoxalement assez sombre. Très dépouillée. Nous repérons immédiatement l'origine de la traînée gluante maculant le sol. Sur l'estrade, au centre de la pièce, se dandine une larve d'une envergure tout à fait respectable : elle est de taille humaine. Sa peau brune et visqueuse se plisse exagérément à chaque mouvement, tandis que ses deux yeux pédonculés balayent la salle de leur regard mou, menaçant à chaque tressautement du tronc de s'emmêler l'un à l'autre.

Nous avons bien évidemment reconnu le Sage. Il y a longtemps qu'il n'a plus décroché un seul mot, cela est peut-être dû à la dissolution de sa langue et de ses autres organes buccaux, faisant de sa bouche un petit renfoncement lisse et inutile. La larve ne se déplace jamais par elle-même, tout au plus se laisse-t-elle choir dans les moments de grande indignation, et son corps en heurtant le sol émet un petit "plok" rhétorique. Le Sage est considéré de par le monde comme le stade le plus avancé de l'évolution. Sa forme la plus glorieuse, triomphante. Nous aspirons tous à lui ressembler un jour, même si nous savons dans le secret de notre âme que seule une élite accèdera à cet insigne honneur. À ses côtés, il y a une sorte de prêtre très vieux et très respectable : d’innombrables rides et un amollissement des chairs confèrent à sa peau une texture assez semblable à celle du Sage. Il va sans dire que c'est l'une des raisons pour lesquelles il est si respecté.


Tour à tour, nous approchons, saluons ces deux êtres d'exception, et nous asseyons en cercle autour de l'estrade afin de bénéficier de leur enseignement. Nous sommes là pour apprendre, nous aussi, à liquéfier nos muscles, boursoufler nos corps dans des proportions virtuoses, ordonner la dissolution de nos masses graisseuses. Désapprendre à parler, "surparler", et entortiller les pédoncules que nous n'avons pas encore - ce pourquoi cet exercice, peut-être l'un des plus difficiles, demande un peu d'imagination.


Le prêtre fait un pas vers nous, et les rouages de la Machine s'affolent. Ils tournent de plus en plus vite. Le vacarme est maintenant si fort que nous ne voyons plus rien, nous n’entendons plus rien. Tout juste devinons-nous aux gestes du prêtre que la leçon a débuté. Un vacarme ? Non, à vrai dire ce n'est pas un bruit, ce n'est plus un bruit : ce sont des mots. Visqueux. Je réalise que la Machine s'exprime aujourd'hui par la bouche de l'homme à la peau fissurée. Elle parle, et nous l'écoutons.


Nous nous sentons écrasés.



 
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   florilange   
22/6/2010
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Je n'ai pas du tout accroché à cette nouvelle, dans laquelle il ne se passe rien. Par ailleurs, on ne comprend pas très bien le rapport entre cette larve si sage et la machine à parler.
- "Par l'interstice, je vois..." - quel interstice?
- "... qu'il n'a plus décroché un seul mot,..." - langage bien familier pour parler de ce "Sage" respecté par tous, non?
- "... ce pourquoi cet exercice, ..., demande un peu d'imagination." Formulation lourde de cette phrase.

   jaimme   
10/7/2010
 a aimé ce texte 
Vraiment pas
Cette nouvelle me fait penser à certains essais de science-fiction spéculative des années 70. Mais autant, parfois, je les appréciais pour leur côté novateur, autant je perçois bien peu l'objectif de l'auteur. Il faut penser au pauvre lecteur qui n'a pas suivi le cheminement de pensée qui a accouché de ce texte. La réflexion qui est à la base de cette nouvelle, la démonstration qui est l'objet de ce texte m'échappent. Cela provoque l'ennui chez le lecteur, du moins chez moi.
Je comprends (un peu) pourquoi cette nouvelle est dans la catégorie réflexion/dissertation": elle se veut être une proposition de réflexion sur le devenir possible de la race humaine.
Ce stade (ultime?) de l'homme m'a fait penser au stade ultime de la Guilde dans Dune.
Ce qui m'échappe c'est en fait l'intérêt de cette nouvelle. Montrer la répulsion envers le corps humain dans un futur possible? Que la forme de notre corps n'est que transitoire dans l'Histoire? Il n'y a pas de réflexion à ce sujet et cela me gêne.
L'écriture n'est pas vraiment à la hauteur de la tâche envisagée ici. Je pense que tout en restant dans ce cadre il aurait fallu lui donner plus de puissance et/ou de poésie.
Merci pour cette lecture.

   Perle-Hingaud   
2/7/2010
 a aimé ce texte 
Un peu
Un texte bien écrit, une structure narrative cohérente. Certes. Cependant, je suis déçue. Je pense que l’auteur est passé à coté de son intention. S'il veut démontrer quelque chose, il ne donne pas suffisamment d'arguments, du moins pour mon esprit relativement ignare. Cette histoire reste trop premier degré, l’auteur n'apporte pas les pistes pour que je puisse me détacher du scénario, pour nourrir ma réflexion. Peut être un parti pris trop cérébral pour moi ? Pas assez d’aide au pauvre lecteur lambda, qui reste alors englué sur l’histoire ? Or, au premier degré, c'est très limite, coté inventivité et développement, une simple esquisse. Il me semble que l’auteur en connait un rayon dans le genre SF et peut, s’il le souhaite, nous emmener ailleurs : ce n’était donc pas son propos ici. Maintenant, Kafka, j’ai toujours trouvé ça verbeux et incompréhensible, alors… cette appréciation n’engage que moi.

   Anonyme   
6/7/2010
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bon. Je n'ai pas compris grand chose là. Enfin si, j'ai compris les mots bien sûr, mais je n'ai pas compris où l'auteur voulait en venir (j'ai même été vérifié : non je ne suis pas en train de lire une nouvelle de SF. Cela aurait pu.)
Pourquoi cette abondance d'adjectif exprimant la laideur face à l'apparence biologique ? Et que vient faire là cette espèce de "deus ex machina"?
Bref, sans doute parce que j'étais trop occupée à me demander où on voulait me conduire, ma lecture a été laborieuse. Certaines tournures de phrases, sans me choquer particulièrement, me paraissent obscures. C'est peut-être voulu. Je n'apprécie pas vraiment. Il doit me manquer une connexion synaptique ou deux là.

Désolé.

Bonne continuation.

   placebo   
10/7/2010
bon, je plussoie largement les commentateurs précédents, je n'ai pas compris ce texte ou ses finalités

pour la partie SF, j'ai cru voir dans la machine une sorte d'incubateur de clones ? ''une lumière pâle du couloir'' : un vaisseau ? une colonie d'humains, mais à quelle époque ? Je vois peut être une analogie avec notre comportement régressif (sous un certain angle) actuel, dans l'obésité et la non-pensée (là encore, ce n'est qu'un des points de vue possibles sur l'humanité)

comme les autres, la catégorie m'interroge.

le style est parfois lourd, des phrases bizarres ''paradoxalement assez sombre'', malgré quelques recherches

quelques virgules mal placées aussi

je ne note pas, le commentaire que j'ai fait est incomplet ; j'attends d'autres personnes, voire de l'auteur, des pistes d'éclaircissement.

placebo

   brabant   
10/7/2010
 a aimé ce texte 
Bien ↓
La machine, à l'origine exosquelette, s'est en quelque sorte approprié la pensée, englobée dans un corps visqueux déliquescent, pour devenir le sage, évolution suprème de l'homme devenu substance "conceptuante", au bout de la perte de son corps.
Ceci semble l'accomplissement d'une métamorphose.
L'homme enfin débarrassé des contingences corporelles passe d'un endosquelette handicapant simple support qui lui est propre à un exosquelette dont le problème est peut-être qu'il lui échappe pour lui voler sa pensée.


Ceci me semble une métaphore de notre monde où l'homme a nourri les ordinateurs de sa pensée (données et structure) et où c'est désormais l'ordinateur qui pense pour lui. Les décisions d'achats de valeurs par les grands organismes bancaires sur les marchés mondiaux ne sont-elles pas déjà prises par de gigantesques programmes informatiques qui font corps avec les ordinateurs machines, et non plus par les hackers ?

Pauvre Jérôme Kerviel qui appartient déjà au passé !

Reste à savoir si l'on veut conserver des boucs-émissaires ou non, car je ne vois pas une machine recevoir une volée de bois ou une pleine brassée de tomates vermeilles, fût-elle pensante !

Ainsi va le monde...


Texte surprenant quoique ardu voire abscons, j'ai déjà croisé des larves (dans les récits de science fiction, rassurez-vous !) mais à un tel point de déconstruction, jamais !

A ce niveau, vous faites preuve d'originalité.
Vivent donc le pas vierge, le mou et le pas beau Demain !

L'écriture est correcte, mise au service d'un récit déstabilisant.

   Anonyme   
10/7/2010
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Je lis rarement de nouvelles (ici) mais j'ai plutôt bien apprécié celle-ci.
Visuellement, le décors planté m'a renvoyé à "2001, l'odyssée de l'espace" avec un soupçon de "La montagne sacrée" (enfin certains passages) de Jodorowski.
Je trouve intéressant (dans l'imaginaire de l'auteur) cette évocation de l'ultime évolution de l'homme. Une larve supérieurement intelligente ou quelque chose approchant.
C'est ce dont "devrait" aboutir l'espèce humaine (ici).
Plus de muscles, de membres et d'extrémités qui deviendraient sans doute inutiles à l'avenir et dans un monde où dès lors, les machines auraient remplacé et assisté définitivement l'homme.
Seul l'esprit (et/ou l'intelligence) serait hyper développé contrairement au corps physique qui régresserait finalement.
Je trouve cette approche intéressante et apprécie le contraste. Voire même un certain cynisme quelque part.

L' écriture est belle, quoique parfois pompeuse à cause de termes un peu trop sophistiqués à mon goût.
J'ai fortement apprécié le terme d "uniformes compliqués" (allez savoir pourquoi?) mais ce n'est qu'un détail.

Sinon, je ne pourrais pas dire que c'est une "histoire" originale et inédite. On a tous lu ou vu (en film) des scénarios approchant mais j'ai sérieusement apprécié le fait qu'il n'y ait ni début, ni fin. Juste une tranche de futur (possible ?) et puis une fois encore cette approche.

Cela étant, je n'ai jamais compris ce que représentait la "Machine", un processus ? une sorte de matrice ?
J'ai pensé à quelque chose comme ça.

   doianM   
11/7/2010
Titre intéressant car paradoxal. Il s'agirait, d'après une lecture simple, d'involution plutôt.
Je ne suppose pas que Goldmiund n'a aucun message à transmettre.
Au contraire, son texte laisse, du moins chez moi, un paquet d'hypothèses.
Difficile à se décider entre, au rez-de-chaussée, sur une vision simplement pessimiste qui voit dans l'être humain un candidat à la décomposition programmée, aux étages supérieures des idées plus élaborées.
La Machine reste un mystère, elle-même susceptible d'hypothèses.
Pour être bref l'ensemble donne l'impression de faire partie d'un ouvrage dont on ne nous présente qu'un fragment.
Difficile de noter car l'écriture est bonne, l'intention est là, c'est le résultat qui manque: la communication.

   alpy   
12/7/2010
 a aimé ce texte 
Pas
Bonjour Goldmund,

La première question que je me suis posé est pourquoi en réflexions/dissertations. A mon avis c'est un mauvais choix.

Au niveau de l'écriture, on remarque toujours la maitrise du langage même qu'on trouve quelques phrases longues et certaines tournures sont un peu recherchées : "note achromatique", "l'effervescente absence", "uniformes compliqués",...

Au niveau du contenu, je pense ne pas avoir été meilleur que d'autres à comprendre le message :
- De quoi s'agît tout ça ? Qui sont ces personnes ? Pourquoi ils sont là ? Où sont-ils ?
- C'est quoi cette machine ? Quel est le rapport avec le sage ?
En bref, quel est l'objet de cette nouvelle ? Je ne l'ai pas trouvé.

Il me semble plus le début d'un roman de SF qu'une nouvelle toute complète. Une petite description introductrice où rien ne se passe.

Je vois un peu de Jonathan le Goéland derrière mais il faut vraiment aller le chercher très très au fond.

Cette nouvelle ne m'a pas du tout convaincu.

Bon continuation,

Alpy

   widjet   
13/7/2010
 a aimé ce texte 
Pas
Avec "La planche", l'auteur avait crée un petit évènement, mélange d'univers lynchien et kafkaien qui personnellement m'avait enchanté et envoûté. Ce bel essai, j'attendais sa transformation. Disons que c'est partie remise car ce nouvel opus est pour le moins décevant.

L'écriture déjà est nettement moins convaincante, même assez poussive ("uniformes compliqués"?). Le rythme, lui, est indolent et passablement ennuyeux. Pour preuve, le texte est court, mais il m'a semblé interminable. Contrairement au texte précédent, le lecteur (et son imagination) n'est pas stimulé et surtout les évènements (la machine, les gens qui gravitent autour du héros, le prêtre...) ne semblent lier par aucun fil (même infime). Tout est trop décorellé et surtout terriblement confus (s'agit -il d'une évolution à l'envers ? Redevenir à l'état sinon primaire, différent, la perte de notre humanité, de ce qui nous caractérise aujourdhui comme le laisse sous entendre le "désapprendre à parler" ?). Conséquence, rapidement, la curiosité laisse place à un ennui profond.

Cette fois-ci la séance d'hypnose a raté. Et puis, contrairement à la catégorie, cela ne m'a pas fait réfléchir. Désolé.

W

   silene   
14/7/2010
 a aimé ce texte 
Pas ↑
Je ne sais pas trop, ou plutôt si ; j'ai un certain rejet de tout ce qui utilise les ressorts flapis de la SF et tutti quanti, ça m'ennuie à mourir, sauf harponnage dès la première ligne, qui n'a, pour mon goût, pas lieu là. Ni aux suivantes, d'ailleurs.
Je n'ai suivi que distraitement l'intrigue, et me suis ennuyé plus qu'autre chose, désolé.

   Yaya   
25/7/2010
En quoi le fait de devenir une larve pourrait-être un signe d'évolution, doublé d'une situation enviable? La "désincarnation" est souvent associée à une libération. Ici, nous sommes dans une réincarnation... Bref, je n'ai pas compris. Il m'a manqué des indices pour répondre à cette question. Mais ma curiosité est piquée.


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