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Science-fiction
hersen : Isatis [concours]
 Publié le 10/06/24  -  6 commentaires  -  8909 caractères  -  46 lectures    Autres textes du même auteur

Photo du portail bleu.


Isatis [concours]


Ce texte est une participation au concours n° 35 : Arrêt sur image

(informations sur ce concours).



L’image souvent me revenait, mais elle s’estompe de plus en plus avec le temps. Mes oreilles ne me démangent plus, mon corps s’est habitué à ces nouveaux outils de communication.


C’était naturellement très intelligent de leur part de nous attirer par un accessoire de mode. J’étais loin de penser que mes plaquettes de lobes nouveau style, aux couleurs changeantes observées à la loupe d’une IA, n’étaient que des espions d’un nouveau genre, des espions vides, neutres, informatiques. J’avais huit ans, et je jouais mon artabane d’avoir été choisie dans ma classe pour tester une innovation technologique.


De temps en temps, j’ai encore des débris de l’image, des vestiges d’une vie passée, sans doute pas seulement la mienne, mais aussi celle de mes parents ou grands-parents, comme un tissé de liens indénouables. Il y a ce portail ouvert fait de planchettes de bois, des lattes toute simples peintes d’un bleu simple, isatis, parmi la verdure du bord de rivière. Je l’ai franchi tant de fois ! Sitôt la clenche tirée, une paix m’envahissait.

Mais aujourd’hui ces lattes sont mon enfer. Le souvenir est de plus en plus douloureux, des décharges, assez minimes mais éreintantes, secouent ma vision bleue, secouent le monde qui me concerne et dont je m’éloigne en perdant chaque fois un peu d’espoir. Et un peu de mon corps, de ma matérialité.


Mes plaquettes de lobes ont été ma renommée, il suffisait que j’apparaisse sur n’importe quel écran, ou en hologramme n’importe où, pour que des Oh ! et des Ah ! surgissent dans mes oreillettes. J’étais l’égérie d’un style nouveau, je transmettais mes rayons et l’on adoptait mes plaquettes, on payait en « conditions », l’argent nouveau qui n’était plus une monnaie d’échange, mais un aller sans retour. Ces conditions, nouvelle monnaie non plus fiduciaire mais obligataire, devenaient toujours plus exigeantes au fil du temps qui passait. Mes admirateurs auraient accepté n’importe quoi, sans regard en arrière, sans comprendre qu’on ne revient pas de ce pays-là, ce pays où nous ne devenons plus que des conditions à remplir, sans fin. De la ressource.

Et puis, subrepticement, j’ai rencontré une résistance, une démangeaison qui s’est transformée en chatouillis. J’ai surtout rencontré des hauts et des bas sans que nul s’en aperçût. J’ai mis du temps à comprendre que quelque chose clochait dans le concept. C’est sûr, je faisais recette, une foule de fans conquis par mes lobes chatoyants et intelligents demandaient cette intervention chirurgicale légère à cor et à cri. On apposait son ADN au bas d’un règlement, qui disait en substance que pour être admis dans le monde nouveau on devait perdre ses souvenirs, cette vie fade sans la saveur d’une Intelligence imbattable, indiscutable.

Que puis-je dire ici, moi qui ai pris le même chemin qu’eux, moi qui les ai conduits à leur effacement, les ai réduits à ne couvrir plus que des conditions, de tous ordres, aussi indiscutables que l’Intelligence qui maintenant les habitait ? Tout ça pour être une égérie d’un supposé bijou. La vanité nous a tués plus certainement que nos ressources qui diminuaient drastiquement. C’est ainsi que nous sommes devenus des pré-morts. Après avoir tant pris, sans jamais donner, notre vanité nous a transformés en ressource humaine.


Il a fallu un incident dans un parcours qui ne devait en comporter aucun. Je n’en parle à personne et c’est un cauchemar. Mes souvenirs me reviennent petit à petit, plus clairs, plus bleus. Les lattes de bois ont continué leur parcours sans moi. Elles sont maintenant pourries, mangées par les vers, et ne forment plus qu’un tas disgracieux au bord d’une rivière qui de toute façon n’existe plus, elle est devenue un cabduc, un énorme cylindre qui va d’un bout de notre monde à un autre, transmettant aux poinçonneurs d’une ère nouvelle ceux qu’ils doivent marquer du sceau de l’Intelligence. Les plaquettes de lobes ne sont plus maintenant un bijou, c’est un terne morceau de métal composite.


Quand mon Intelligence a dérapé, j’ai été perdue, complètement démunie. Je tentais par tous les moyens de continuer à appliquer les conditions, je devinais qu’en ne le faisant pas, je risquais l’effacement inéluctable. Je parle d’un effacement total, dont il ne subsisterait rien dans la mémoire spatiale.


C’est parallèlement à cette période que les bijoux de lobes se sont subrepticement transformés, devenant de plus en plus quelconques et l’obligation d’en accepter l’implantation n’en faisait plus un choix. Mais une « condition ». LA condition. L’imposition finale n’a pas connu de résistance, la population avait depuis longtemps perdu son libre arbitre et les questions d’eau, de nourriture, autrefois devenues insolubles, n’avaient plus cours puisque l’organisme se changeait en cellules à durée de vie indéfinie, la faim n’existait plus, la mort non plus, la soif réduisant les porteurs à des pastilles accrochées à des lobes transparents. Un morceau de métal a-t-il jamais eu soif ?


Sans que j’y prenne garde, une question fondamentale a commencé à me titiller l’Intelligence dérapante, insoumise : à quoi sert-il de fabriquer des êtres réduits à rien ? Quel est le but de vivre dans un monde de câbles et de processeurs d’une infinie puissance ? Pourquoi ne pas laisser s’épanouir une intelligence naturelle, même imparfaite, mais capable de sensations, et non plus de conditions ? Capable d’idées.


Mais des idées, je n’en avais plus. Je me suis rendu compte que je perdais de l’énergie, je pense que mon Intelligence n’alimentait plus assez l’Intelligence et que je devenais une Oubliée. Mon système tournait en rond, sur lui-même. Purement et simplement.

Un électron qui perdait de sa puissance sans trouver de quoi la régénérer. Je ne pensais plus assez dans le courant admis, je me déconnectais moi-même par ma propre existence devenue insuffisamment rentable, je m’éteignais doucement.


Parfois, je revoyais le tas de lattes mitées ne diffusant plus qu’un bleu froissé, un bleu incolore, et puis c’est revenu de plus en plus souvent, le bleu est redevenu lumineux comme le pastel et certaines de mes connections se sont affaiblies, je ne remplissais plus autant de conditions.

L’immortalité m’a alors fait peur. Je venais, je crois, de toucher du cerveau, du processeur central, la panique pure et simple de vivre certes richement lobée, mais immatérielle au sens organique.


J’aurais bien voulu m’enlever ces plaquettes, mais mon corps n’existait plus, je n’avais plus de matérialité, de force physique, pour le faire. J’étais un feu follet sans que personne croie en moi, l’invisibilité venue de l’aveuglement me réduisait à une idée. L’idée d’un portail isatis au bord d’une rivière… La seule qui me restât.


Le robot mit la pile dans la machine. Rien ne se passa. Instantanément un signal se déclencha et un humanoïde s’approcha. Il tapota le clavier, retira la pile et la retourna : des traces bleues apparurent sur la surface brillante. Il s’en doutait : encore une pile d’humanium défectueuse !

Franchement, cette source d’approvisionnement en énergie était vraiment pauvre, irisa-t-il sur son écran en jetant la pile dans l’entonnoir sidéral. On perd notre temps avec cette planète exsangue. Tout est pauvre. Il n’y a plus rien à en tirer.

Il se transporta dans le sas, mais fut violemment arrêté par un éclair bleu. Avant de réaliser ce qui lui arrivait, il vit un portail pourri aux vers, un vieux bleu isatis, de la verdure et respira des odeurs printanières.


Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ? On ne lui avait jamais parlé de « ça ». Et pourtant, « ça » avait l’air si beau, si bleu, si vivant.


Si vivant… Il s’approcha du lieu difficilement après un si long voyage à cause de son carapaçonnage et tous ses voyants se mirent au rouge. Il n’en tint pas compte, il restait focalisé sur un ressenti – notion nouvelle –, un quelque chose qui bougeait dans sa construction complexe quand il fut surpris par un mouvement dans les herbes ; une fillette en surgit, toute rouge à force de crier. Un attroupement se fit autour de l’humanoïde dont le système était déjà bloqué.


Avant qu’il n’ait pu faire un geste vers la petite fille pour lui enlever les processeurs de ses oreilles, pour que cette destruction cesse enfin, il fut réduit en bouillie par une armée de villageois.


Remonter le temps n’a pas suffi, ce qui avait été fait resterait irrémédiable.


La petite fille, remise de ses frayeurs, fut soulagée de n’avoir pas perdu ses boucles d’oreilles dans cette bataille : elle y tenait comme à la prunelle de ses yeux.


___________________________________________

Ce texte a été publié avec trois mots protégés par PTS.


 
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   Donaldo75   
25/5/2024
trouve l'écriture
convenable
et
n'aime pas
Mitigé je suis, comme dirait laconiquement un célèbre héros de science-fiction cinématographique. Oui, il y a de l'imagination et de l'idée dans cette histoire. Les adeptes de l'originalité ont de quoi trouver chaussure à leur pied. Cependant, je ne suis pas fan de la narration. Je comprends le questionnement mais au bout d'un moment poser trop de questions, noyer la lecture sous des points d'interrogation, même invisibles, nuit au récit. Pour moi - attention, je n'en fais pas un théorème c’est juste mon avis - raconter une histoire ce n'est pas ce que je viens de lire. Certes, il y a une histoire mais en tant que lecteur j'ai lu de l'indirect, du subliminal, de l'effleuré narratif. A vouloir écrire de manière trop subtile le conteur éteint son public - ou l'endort, c'est une affaire de graduation - progressivement. La fin de la nouvelle permet de réconcilier le peut-être ressenti ou perçu dans ce hiéroglyphe de narration mais cela ne change rien à ce qui s'est déroulé avant à la lecture. Et la chute est du même tonneau, effleurée, évidente probablement pour l'auteur mais pas transcendante pour le lecteur.

   Perle-Hingaud   
25/5/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
J'ai beaucoup aimé ce texte. Pourquoi ? parce que j'ai eu le sentiment d'un grand souffle de liberté en le lisant: un texte qui me laisse imaginer un univers très riche, qui me transporte sur le sommet d'une colline en plein vent, avec là, en bas, un monde dont je n'aperçois que quelques éléments mais dont je devine la complexité.
Pour autant, je ne suis pas totalement perdue, quelques cailloux sont semés. Dès les premières phrases, le personnage et le cœur de l'intrigue sont présentés: une petite fille, une technologie au service de forces hostiles ("leur"). Il y a du fond, une histoire, une fin. Et, depuis Matrix (je cite le premier exemple qui me vient à l'esprit), l'exploitation de l'homme est un cadre connu, on peut facilement projeter nos propres représentations mentales.
L'image choisie, le bleu, est précisément le cœur du souvenir, la contrainte est respectée.
Cerise sur le gâteau, c'est bien écrit, j'aime le rythme des phrases, la touche de créativité (la petite fille qui joue son artabane, j'ai mis un peu de temps à comprendre !).
Bref, une réussite, bravo !

   jeanphi   
10/6/2024
trouve l'écriture
perfectible
et
aime beaucoup
Bonjour,

Je trouve beaucoup de défaut à l'écriture, pour ne prendre que les derniers paragraphes :
"pourri aux vers" qui pourrait paraître très littéraire dans une écriture extrêmement riche, mais pas ici.
"bordel" l'utilisation de ce mot est peu adéquat à mon sens, en tout cas trop spontané, pas suffisamment amenée.
"ça" la tournure répétitive donne l'impression que l'auteur n'a pas voulu faire l'effort de chercher une construction plus élaborée.
"Réduire en bouillie avant de", eh ben, on peut dire qu'ils n'y vont pas molo ces villageois, d'où sortent-ils, d'ailleurs ? Je veux dire que leur apparition peut paraître incongrue, passant de "un attroupement se forme" à "les villageois", sans plus de précisions...
La derniere phrase relève à mon sens d'une platitude décourageante, bien que le sens qu'elle produit complète merveilleusement l'idée que vous vouliez faire passer dans ce texte.

Désolé si je parais un peu difficile.

Par contre, j'adore le thème, le traitement qui est fait des sujets de la déshumanisation par le progrès technologique (eh oui, on y est), de l'impunité totale des dirigeants et des lobbys, du désœuvrement des consommateurs à faire valoir une quelconque notion d'intérêt commun, et l'asservissement dès le plus jeune âge à des valeurs telles que l'individualisme et l'intolérance.

   Robot   
14/6/2024
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
J'ai lu ce texte comme une métaphore de la soumission au progrès de la technique envahissante au point de dépersonnaliser l'individu qui accepte volontairement sans mesurer les conséquences.
J'y vois une alerte sur les risques de l'I.A. en cas de perte de contrôle.

Curieusement j'ai pensé à "W ou le souvenir d'enfance" de G. Perec. Notamment sur la référence indirecte à l'utopie du bonheur imposé.
Par contre, je suis moins emballé par l'écriture qui ne m'a pas toujours parue trés claire dans sa démonstration.

   Cristale   
21/6/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
J'avais écrit un commentaire étayé mais une mauvaise manip sur mon clavier me l'a fait disparaître et impossible de faire un retour arrière. Tant pis, je reviens juste pour dire que j'ai aimé cette histoire où la réalité se fond dans la fiction jusqu'à ce que la fiction replonge dans la réalité et ramène l'enfant devant ce portail isatis au bord de la rivière après de ses parents et grands-parents.
Tout ça à cause de ces boucles d'oreilles récemment posées et dont les petits inconvénients qui s'ensuivent jusqu'à la cicatrisation des lobes ont provoqué quelques divagations dont on peut lire plusieurs scènes fantastiques nées de l'imaginaire fécond de l'enfant bien dans l'ère des nouvelles technologies... c'est le scénario que je me suis raconté pour rester les pieds sur terre.
La fin me rassure : "La petite fille, remise de ses frayeurs, fut soulagée de n’avoir pas perdu ses boucles d’oreilles dans cette bataille : elle y tenait comme à la prunelle de ses yeux."

   hersen   
1/7/2024


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