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Policier/Noir/Thriller
in-flight : Les financiers [Sélection GL]
 Publié le 06/09/20  -  15 commentaires  -  19266 caractères  -  115 lectures    Autres textes du même auteur

Lors d’un séminaire, de riches entrepreneurs mangent grassement. Le serveur vient leur livrer un récit terrifiant en guise de dessert.


Les financiers [Sélection GL]


C’était l’une de ces petites sauteries qui rassemblent autour de la même table quelques acteurs de la finance anglaise. Directeurs de banque, gestionnaires d’actifs, analystes financiers et avocats fiscalistes composaient ainsi un comité d’une dizaine d’hommes. Ils avaient choisi Letterfrack ─ un petit village irlandais planté au bord du Connemara ─ pour traiter plusieurs affaires liées à des rachats de franchises et échanger sur l’optimisation fiscale. En cette fin de repas, les discussions allaient bon train sur les fonds d’investissement, la gestion des portefeuilles d’actions et plus généralement les techniques les plus efficaces pour bichonner son bas de laine. Lorsque des clients de ce genre débarquaient dans son restaurant, le patron enjoignait toujours ses serveurs à soigner leur service. Ce soir-là, Trevor reçut donc la consigne de dorloter cette table et d’y mettre les formes : voyant que la ripaille touchait à sa fin, il s’en alla proposer un café accompagné de quelques pâtisseries.


– Qu’est-ce que c’est ? demanda l’un des deux avocats fiscalistes.

– Des petits gâteaux, répliqua le serveur.

– Oui, je vois bien ! s’énerva-t-il, craignant d’être pris pour un imbécile devant la tablée. Mais d’où ça vient ?

– C’est une spécialité française, répondit Trevor.

– Ça ressemble à un petit lingot d’or, rigola le directeur d’un gros établissement bancaire, en observant la pâtisserie avec des yeux enthousiastes. Et ça s’appelle comment ?

– On appelle ça des financiers. Trempez-les dans la noirceur du café et vous verrez, ils vont se dissoudre.


Sentant une pointe de sarcasme dans le dernier propos, le directeur attaqua le garçon bille en tête et droit dans les yeux :


– L’essentiel c’est que les comptes-épargne soient étanches.

– Sans doute, répliqua Trevor avec une indifférence manifeste. Mais ça n’empêchera pas le système de s’effondrer un beau jour.

– Qu’en sais-tu, jeune homme ?

– J’ai compris que la concentration extrême du capital dans de moins en moins de mains engendre des crises qui mèneront le système actuel à sa perte.

– Oh, voyez-vous cela ! s’esclaffa le directeur. Tu as fait quelques études en économie.

– Oui, mais ce n’est pas à la faculté que j’ai appris ça.

– Nous avons donc là un camarade de classe, je ne parle pas de la classe sociale bien entendu, si tu me permets cette boutade.

– Dans votre club, on ne rentre pas sur simple invitation, lança Trevor.

– Tu m’as l’air perspicace, tu n’as pas trouvé meilleure situation que serveur dans ce trou paumé ?

– Dans ce trou paumé, comme vous dites, on n’a pas vraiment le choix. Et puis, mon métier me plaît.

– Un métier ça ? s'exclama un analyste financier. Petit, si tu es si malin, tu pourrais faire le choix de rejoindre ce club comme tu dis.

– Je suis attaché à mon village. Je suis né à Letterfrack et j’ai tout simplement envie d’y rester.

– C’est ton choix, mais à part le tourisme, je ne vois pas d’activité ici.

– Il y avait la manufacture de poupées qui faisait vivre le coin, mais elle a été délocalisée le mois dernier.

– Sans doute pour le bien de l'entreprise, enchaîna un investisseur qui officiait à la City.

– Non, elle fonctionnait bien mais le dernier dirigeant a fait un plan de licenciement.

– Plan de restructuration, coupa l'un.

– Plan de relance de l’activité, corrigea un autre.

– Messieurs, vous n’êtes plus à la page : plan de sauvegarde de l'emploi ! affirma un grand actionnaire de l’assurance.

– Bref, reprit le serveur, ça a mis beaucoup d'ouvriers dans la panade et…

– Et quoi ? s'énerva l’actionnaire. C’est le jeu du libéralisme, tout le monde veut payer le moins cher possible et dans le même temps, tout le monde veut un gros salaire.

– Ce n’est pas ce que je voulais dire… C’est juste que l’histoire de cette entreprise n’est pas banale.


Cette dernière phrase éveilla la curiosité de la table, mais Trevor fut rappelé par le patron qui lui fit remarquer que des clients attendaient l’addition. Les convives s’amusèrent alors à tremper les financiers dans le café, puis reprirent le cours de leur conversation : cigare aux lèvres, on parlait comptes offshore et lois antitrust dans un coin de la table, tandis qu’à l’autre bout, on racontait des blagues salaces en changeant un cran de sa ceinture.


Bientôt, ils furent les derniers clients du restaurant et, après une autre tournée de café et une ronde des desserts, une bouteille du meilleur whisky de la région passa de mains en mains. Et puis, on demanda au serveur de venir à leur table afin de reprendre son histoire d’entreprise de poupées là où il l'avait laissée. Le récit d’une histoire locale clôturerait parfaitement ce repas.


– Alors, qu’est-ce qu’il s’est passé avec cette manufacture ? dit l’un d’eux en reculant son siège, comme s’il se préparait à une émission de divertissement.

– Raconte-nous un peu cette histoire p’tit gars, lança un gros type en inondant la pièce de l’épaisse fumée de son cigare.


Ne pouvant se soumettre à un tel mépris, le serveur tourna le dos et s’en alla débarrasser les derniers couverts. Mais le patron, qui avait vu la scène, lui ordonna de retourner à la tablée des grands ducs, tout en frottant son index sur son pouce d’un air enjoué. Trevor estimait la situation absurde : il avait l’impression d’être une sorte de clown dont on attendait une représentation devant des pantins de la finance qui pensaient tirer des ficelles. Son public l’attendait pourtant et, comme on le fait avant d’entrer en scène, Trevor attendit que soient passés les derniers toussotements et les ultimes bavardages pour entamer son récit :


– Comme je le disais tout à l’heure, il y avait une manufacture de poupées à Letterfrack. La marque misait sur un savoir-faire d’une cinquantaine années dans le domaine du jouet et officiait uniquement sur le marché national : sa zone de chalandise se bornait volontairement aux frontières de l’Irlande, il n’était pas question de vendre aux Anglais, si vous voyez ce que je veux dire… Les tissus et les accessoires étaient dessinés par une équipe de stylistes avant d’être façonnés à la main par des couturières et des sculpteurs. Cela représentait une cinquantaine de salariés dirigés par un patron qui avait été lui-même artisan sculpteur. Ma mère y a travaillé quarante-deux ans et, indirectement, c’est grâce à la manufacture que j’ai eu une enfance heureuse.


Trevor se surprit lui-même à confier cette vérité devant une tablée d’inconnus. Il poursuivit sur l’histoire de l’entreprise en prenant soin d’employer des termes appris durant ses trois années d’études en faculté d’économie.


– Avec la modernisation des jouets, l’arrivée de l’électronique et des jeux vidéo dans les années 80, l’entreprise a révisé sa politique et a décidé de monter en gamme pour s’orienter vers d’autres segments : les poupées de collection. En parallèle, elle essaya de survivre sur le marché du jouet malgré une concurrence de plus en plus féroce... Mais à la fin des années 90, les ventes se sont effondrées, le chiffre d’affaires de l’entreprise a plongé et les quinze années suivantes ont été une lutte constante pour sa survie. Par la suite, le patron historique fut écarté et un groupe d’investisseurs proposa une restructuration qui promettait de conserver l’aspect artisanal tout en s’ouvrant sur le marché international : en investissant dans du nouveau matériel pour baisser les coûts de production et en travaillant sur l’image de l’entreprise, ils certifiaient que la marque pouvait être distribuée dans une vingtaine de pays et que 40 % du chiffre d'affaires pouvait être réalisé à l'export dans un premier temps. Cette hausse de la production s’accompagnerait d’embauches pérennes et d’ouverture sur de nouveaux métiers, notamment dans la communication et la maintenance. Tout cela devait dégager des marges confortables assurant un avenir florissant à la manufacture.


La tablée suivait le récit avec enthousiasme : il y avait des chiffres, des pourcentages, quelques mots techniques et de l’argent à se faire. De son côté, Trevor se rappelait aux bons souvenirs des cours de théâtre qu’il avait suivis à l’université. La situation dans laquelle il se trouvait commença à le stimuler.


– Mais rapidement, les consignes passées furent de mobiliser les fonds dans la rationalisation des lignes de production et d’investir dans le merchandising et la publicité. La qualité de production baissa d’année en année, on licencia les dessinateurs et les stylistes pour standardiser seulement trois modèles de poupées, on ne remplaça pas les couturières qui partaient en retraite et on utilisa des matériaux moins onéreux.


Trevor laissa passer un moment car quelques voisins de tablée commencèrent à faire de la prospective sur la situation, chacun y allant de sa solution pour redresser cette usine qui s’échouait. S’amusant de son pouvoir, Trevor poursuivit son récit :


– Les nouveaux modèles de la marque ne rencontrèrent aucun succès. En parallèle, les campagnes de publicité n’accrochèrent pas le public ciblé. L’entreprise se retrouva alors en défaut de paiement auprès de ses fournisseurs, puis le nouveau groupe de dirigeants déclara la faillite après avoir partagé les dividendes. Un nouvel investisseur fit alors une offre de rachat pour finalement délocaliser entièrement la production le mois dernier…


Trevor s’arrêta car tout le monde discutait de part en part de la table et certains commençaient même à s’écharper par rapport à la façon dont avait été gérée la situation et ce qu’il aurait fallu faire pour sauvegarder la rentabilité de l’usine. Dans la cacophonie qui régnait, une bouteille de leur meilleur whisky fut à nouveau commandée, puis la tablée demanda à Trevor ce qu’il était advenu de la manufacture. Il répondit qu’il n’en savait pas plus, mais que quelque chose de bien plus étrange résidait dans cette histoire, quelque chose qui concernait le dernier investisseur en question :


– Vous ne le savez peut-être pas, mais un horrible meurtre a été commis à Letterfrack. Un acte absolument inexplicable dans lequel il n’y a aucun témoignage direct, seulement des faits troublants.


Trevor savait que pour ce genre de récits, l’audience est toujours au rendez-vous. On resservit une tournée de whisky, on se rassit un peu plus profondément dans les fauteuils et on pressa le serveur d’aller au bout de son histoire.


– Il est arrivé quelque chose de terrible à cet homme, il y a de cela quelques semaines. Accompagné de deux personnes, il se trouvait à l’une des tables de notre restaurant, là-bas juste au fond, indiqua Trevor en levant son doigt. À la fin du repas, il semblait particulièrement enjoué et je me souviens qu’il nous a chaudement félicités pour la qualité de notre gastronomie. Il m’a ensuite indiqué se rendre à l’abbaye de Kylemore, non loin de là. Il y avait réservé deux nuits, le temps de réaliser la paperasserie relative au changement de propriétaire de la manufacture.

– Kylemore ! C’est là-même où nous dormons ce soir, s’étonna l’un des analystes financiers.


Trevor s’empressa de continuer.


– C’est dans un couloir de l’abbaye que l’on a retrouvé son corps. Un corps en lambeaux, dans un état absolument désastreux : d’après ce qu’en dit l’enquête, l’homme était lacéré en de nombreux endroits par des coups portés à l’arme blanche. Vous ne le savez peut-être pas, mais les couloirs de Kylemore sont peu lumineux, on cherche à garder l’authenticité des temps anciens en éclairant les pièces à la bougie. Il n’est donc pas aisé de distinguer un éventuel intrus dans cette semi-obscurité.

– Si tu cherches à nous faire peur petit, c’est raté ! lança le grand actionnaire de l’assurance. Si tu dis vrai, l’établissement devrait être fermé pour la durée de l’enquête.

– Les lieux ont déjà été investigués et la scène du crime n’a plus besoin d’être réservée aux enquêteurs. Je ne relate que des faits connus de tous ici, mais dont personne n’ose parler. D’ailleurs, auriez-vous seulement réservé dans l’abbaye de Kylemore si vous aviez eu connaissance de cette histoire ? Je ne le crois pas et comme vous le savez, il n’y a que le tourisme qui fasse vivre la région. Seuls quelques journaux locaux ont écrit sur ce fait divers, mais à vrai dire, il y a un tel mystère et de telles spéculations dans cette affaire que je peux comprendre le silence actuel.

– Ah vraiment ? Qu’y a-t-il de si étrange ?

– Le cadavre, comme je vous le disais, était lacéré : les phalanges de ses doigts coupés et ses deux talons d’Achille sectionnés. Les policiers affirment que ces détails ont souvent un sens pour le meurtrier et peuvent donner de précieux indices. Dans ce cas précis, il apparaît évident que l’homme a d’abord été attaqué au niveau des tendons, puis a cherché à s’enfuir, mais face à l’incapacité de réceptionner son pied au sol, la victime a dû s'effondrer à terre. C’est alors qu’on a tranché ses doigts pour qu’il ne puisse pas avancer en rampant au sol.

– Comment sais-tu tout ça ?

– Mon meilleur ami est dans la police.

– Et tu viens nous livrer ça alors que l’enquête est toujours en cours.

– Qu’ai-je livré ? Ce ne sont que des faits et des pistes à approfondir pour l’instant. Rien de secret ! Mais évidemment, les habitants ne vous en parleront pas ici.

– Mais l’homme a dû crier pour demander de l’aide ? interrogea le directeur de banque. On a bien dû l’entendre !

– Il ne le pouvait pas, on l’avait bâillonné.

– Mais au moment où il a vu son meurtrier, quand il comprit qu’on lui voulait du mal, il n’était pas encore bâillonné ? insista le gérant d’un gros fonds d’investissement.

– C’est vrai, mais les lumières de l’Abbaye sont faibles et les murs y sont épais : quand bien même il eût crié, personne ne l’aurait entendu. Et puis, les chambres ne sont jamais toutes occupées.

– Il a été bâillonné seulement une fois à terre alors ? lança-t-on en bout de table.

– Exact.

– Bâillonné avec quoi ?

– J’allais y venir, poursuivit Trevor, car c’est un aspect terrifiant de l’histoire : sa bouche était pleine à craquer de jupons de poupées.


Le serveur marqua une pause, étonné lui-même de ce qu’il venait d’affirmer. La table accueillit cette remarque dans un silence gêné, on ne savait s’il fallait en rire ou en être effrayé, les regards fuyaient dans le fond des verres et aux lustres du plafond.


– La police a retrouvé des vêtements de poupée dans la bouche de la victime ? voulut s’assurer l’un des convives.

– Tout à fait…

– Cela peut-être un ancien salarié mécontent de son sort, proposa un analyste financier. Comme on le disait, il aurait volontairement laissé un indice pour signer son méfait.

– Tu reconnaîtras qu’il ne faut pas être très malin, répliqua un avocat. C’est un peu grossier comme signature.

– D’autre part, enchaîna Trevor, toutes les personnes liées de près ou de loin à la manufacture disposent d’un solide alibi pour la nuit en question : ils étaient avec femme et enfants dans leur maison ou tout simplement en déplacement, hors du village.

– Vous en concluez quoi ? demanda le directeur du gros établissement bancaire.

– Oh, je ne conclus rien du tout, affirma Trevor qui avait noté le passage du tutoiement au vouvoiement. Comme je le disais, je relate simplement des faits. Si l’on essaie de reconstituer la scène qui a eu lieu ce soir-là, on aurait un ou plusieurs individus armés de couteau s'élançant sur leur victime, sectionnant d’abord ses talons d’Achille pour l’immobiliser, tranchant ensuite les phalanges de sa main pour l’empêcher de ramper, avant de lui placer un bâillon composé de jupons de poupées. Je ne sais si je dois vous raconter la suite : vous sortez d’un repas copieux et… disons que la suite nous ramènerait au contenu de votre plat de résistance !


La tablée se lança des œillades discrètes et l’un d’eux finit par affirmer que tout cela était tout à fait récréatif et distrayant. Il demanda au serveur de poursuivre son récit, voulant par là prouver aux autres que ces balivernes ne l’impressionnaient pas.


– Eh bien, suite à l’autopsie, le médecin légiste a constaté des chairs déchiquetées et de profondes morsures sur le corps, certaines allant parfois jusqu’à l’os… Comme si on avait cherché à le dévorer vivant.

– Franchement, c'en est presque ridicule ! affirma l’homme qui avait des choses à prouver.


Scandalisé, il se leva de sa chaise dans un geste pataud en attendant que les autres fassent de même. Mais, à sa grande surprise, tous restèrent sagement assis, attendant la suite de l’histoire dans un silence de cathédrale. L’homme se rassit à contrecœur.


– Je peux comprendre votre réaction, renchérit Trevor. Mais voyez-vous, et ce sera là ma conclusion car l’enquête est bloquée à ce stade, un dépôt de plainte a été déposé la veille du meurtre. Un dépôt de plainte dans lequel le propriétaire cédant la manufacture au nouvel investisseur déclarait le cambriolage de ses stocks : le vol de plusieurs dizaines de poupées… Tout bonnement disparues, évadées dans la nature ! Dans certaines contrées comme les nôtres, on dit que les démons prennent parfois possession des objets… C’est un avis personnel, mais, je sais qu’il existe sur cette Terre de véritables démons, lança le serveur en fixant l'assemblée.


Trevor était d’une terrifiante constance dans son propos et on ne pouvait deviner s’il était totalement sérieux ou bien s’il jouait une comédie savamment orchestrée face à son auditoire. Il avait séduit son public avec des analyses économiques rationnelles et fondées, il avait montré qu’il disposait de certaines connaissances sur la réalité du monde économique ; alors même si cette histoire de poupées vengeresses semblait complètement aberrante, elle sortait de la bouche d’un individu à la mentalité structurée, qui semblait avoir la tête sur les épaules et qui ne relatait, comme il aimait à le rappeler, que des faits.


– Messieurs, pour conclure cette soirée, souhaitez-vous commander une dernière bouteille ?


Ils refusèrent la proposition et se levèrent de table avec une grande difficulté. La panse déraisonnablement pleine, plusieurs d’entre eux faillirent chuter en prenant appui sur l’accoudoir de la chaise. Certains avaient prévu d’aller commander quelques escort-girls pour finir la soirée en apothéose, mais ce récit d’horreur avait coupé leur élan et sans oser se le dire, tous appréhendaient la nuit qui se profilait dans l’abbaye de Kylemore. Ces lions de la finance s’apparentaient désormais à de jeunes minets qui allaient docilement rentrer dans leur chambre pour se blottir sous les draps, les yeux pleins d’angoisse et le ventre gonflé par la peur.


Derrière son comptoir, le patron du restaurant encaissa l’énorme addition de la tablée dans un silence qui le surprit. Quand la salle fut vide, il alla vers Trevor afin de connaître le montant de son pourboire. Puis, il sortit une calculatrice pour prendre sa part de 20 %.


– Bravo mon garçon, lança-t-il en lui adressant une chaleureuse tape dans le dos.


Trevor s’éloigna pour débarrasser les couverts de ses derniers clients. En saisissant les tasses de café, il remarqua que des miettes de pâtisseries stagnaient dans le fond.


Il sourit un instant, puis soupira en regardant l’heure à sa montre.


 
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   Anonyme   
18/8/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,

D'emblée on sent la grande leçon d'économie. Celle ci oscille entre termes qui raviront les amateurs du genre et préoccupations du conteur de ravir, tout en lui donnant un bonne leçon, son public de circonstance.

Le suspense est bien mené, ces financiers, je parle des as de la finance, se dissolvent aussi bien que les pâtisseries dans le café à l'écoute du récit...

Bref, l'histoire est aussi efficace sur son auditoire que sur le lecteur !

En Espace Lecture.

   ANIMAL   
19/8/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une histoire plutôt amusante en ce sens que les roublards habituels (aréopage de financiers-banquiers-fiscalistes) tombent sur plus roublard qu'eux et se laissent manipuler, diminués il est vrai par un estomac trop bien rempli et quelques whiskys de trop.

Le petit jeu du barman semble être destiné à gonfler son pourboire, ce qui réussit parfaitement. Mais s'il poursuit un autre but, ce n'est pas assez clair. J'imaginais que des membres de sa famille avaient pâti de la fermeture de l'usine de poupées et qu'il cherchait une vengeance.

La nouvelle est bien écrite et distrayante. J'aurais bien vu un dernier paragraphe sur l'arrivée de ces messieurs dans leur chambre, ambiance lugubre et peut-être un crime à huit-clos en sus.

en EL

   maria   
27/8/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,

J'ai trouvé la narration lente jusqu'à ce que Trévor se justifie : pour séduire son public "il avait montré qu'il disposait de certaines connaissances sur la réalité du monde économique".

J'ai trouvé l'idée de faire passer une mauvaise nuit "à quelques acteurs de la finance anglaise" savoureuse et la description du meurtre digne d'un roman noir, très noir.
L'histoire de la manufacture de poupées illustre bien "le jeu du libéralisme" et j'ai été sensible au fait que Trévor rappelle que "ma mère y a travaillé quarante-deux ans".

La cohérence du récit permet une lecture agréable.
L'auteur(e) a choisi de différencier les protagonistes par : l'avocat fiscaliste, le directeur, l'un d'eux, un autre...
Je pense que des détails visuels ( sur leur physique, leur place autour de la table, leur posture, leurs gestes) les auraient rendus plus vivants.

Merci du partage et à bientôt.
Maria en E.L.

   Donaldo75   
27/8/2020
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Je suis mitigé quant à cette nouvelle. Il y a des incohérences sur certaines parties – du genre, comment distribuer les dividendes d’une société qui perd de l’argent ? – propres aux explications économiques. Je ne suis pas du genre à chercher la petite bête mais ça fait désordre. Il y a également des scories du genre le serveur s’appelle Stan dans un passage alors qu’il se prénommait Trevor jusque-là. Enfin, même si la narration est prenante, l’histoire que raconte Trevor ne légitime pas la catégorie. Loin de moi l’idée d’enfermer les textes dans des tiroirs mais en fait, je ne vois pas de réel pitch dramatique. Pourtant, c’est prenant, j’ai lu au moins les trois quarts de cette histoire avec intérêt mais la fin s’avère décevante.

   IsaD   
6/9/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Décidément, j'aime votre écriture.
Cette nouvelle est vraiment prenante. Mais (mon bemol), quel dommage la fin ! Au regard de la qualité de l'écriture, de la vivacité des dialogues, du suspens que vous avez su habilement distiller, de l'atmosphère étrange, je m'attendais à un final en apothéose...
Je suis restée sur ma faim.
Mais merci tout de même de nous l'avoir partagée. Et qu'importe si je reste sur ma faim... J'en redemande !!!

   Anonyme   
6/9/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
IN-FLIGHT, bonsoir

Nos deux compères, le patron du restaurant et son complice Trevor le serveur, ont trouvé une combine géniale pour se faire un max de blé, bienvenu dans cet endroit reculé d’Irlande, et rouler ainsi dans la farine le monde de la finance qui se croit invincible. Dans ce récit bien rythmé, intelligent et caustique, l’on voit notre Trevor mener sa farce tambour battant, prenant un plaisir visible à dire ce qu’il pense. L’on sent bien qu’il réserve son mépris aux financiers corrompus, accrochés comme des sangsues dans des jeux d’intérêts, de manipulations et où s’emballe l’engrenage de l’arrivisme. Oui, la suite de l’histoire aurait pu être plus dramatique, ce qui n’aurait pas été pour me déplaire, mais je trouve que ces quelques mots de la fin « En saisissant les tasses de café, il remarqua que des miettes de pâtisseries stagnaient dans le fond. », finalement, me suffisent.

Un grand BRAVO !

   Anonyme   
6/9/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Les financiers viennent pour la première fois dans ce restaurant. L’histoire ne dit pas comment Trevor sait qu’ils couchent à l’abbaye de Kylemore ni comment une société en faillite peut verser des dividendes. Mais bon, on est en Irlande… Elle ne dit pas non plus comment une telle réalité macabre pourrait être inconnue de l’ensemble des protagonistes ni comment le patron du restaurant pourrait ignorer les agissements de Trevor. S’il est complice c’est encore moins crédible, eu égard à la réputation de son établissement et de ses clients. Tout ça pour gonfler une addition de deux ou trois bouteilles de Whisky.

Ce que je veux dire c’est que le récit qui se veut fantasmé mais réaliste et gentiment immoral, repose sur du sable. Il ne va pas assez loin dans l’argument de la leçon que Trevor souhaite asséner à tout ce beau monde. On imagine bien que dès leur retour à l’abbaye, voire même par téléphone, les financiers vont interroger la réception de l’hôtel ou n'importe qui d'autre. Prendre juste plaisir à se payer leur tête ne me semble pas crédible, compte tenu des conséquences possibles.
Passons sur le raccourci de la leçon économique et sur ces hyènes d’investisseurs qui sont toujours là pour faire pire que les prédécesseurs, lesquels étaient devenus incapables de gérer leur affaire… D’autant qu’on ne sait pas s’ils ont payé ou non l’entreprise qu’ils ont récupérée. Ils y ont peut-être laissé eux aussi des plumes.

Côté style, je n’aime pas les suites ininterrompues de trop longs dialogues. Les vôtres comptent parfois plus de vingt répliques. Je sais que certains auteurs de grandes maisons pratiquent cette méthode d’écriture cursive, mais je trouve que cela contrevient à l’esprit du roman. Pendant que les gens parlent, l’atmosphère du lieu doit continuer de vibrer un peu, sinon on a l'impression de lire les dialogues d'un scénario avant qu'il ne soit mis en scène. Une dizaine de répliques sans pause me paraît un dosage acceptable. La partie narrative est mieux maîtrisée et même plaisante à lire.
Bellini

   Corto   
6/9/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Voici une histoire rondement menée. Mais pas vraiment un "récit terrifiant".
La mise en scène générale, le serveur qui réussit à s'imposer face à ce rassemblement de requins de la finance, qui réussit à les captiver et même à les 'faire marcher', voilà qui est réjouissant.
Le tempo est bien mené et la tension monte régulièrement.

Oui, mais ! à la fin de la lecture j'ai envie de dire "tout ça pour ça ?"
Où est la chute qui nous conduira jusqu'à l'horreur, la peur, le crime peut-être ?
En guise d'apothéose on devra se contenter de "on dit que les démons prennent parfois possession des objets… C’est un avis personnel, mais, je sais qu’il existe sur cette Terre de véritables démons, lança le serveur"

Et tout ce petit monde va se coucher gentiment soi-disant "les yeux pleins d’angoisse et le ventre gonflé par la peur." ?
Il me semble que cette nouvelle manque d'un final à la hauteur de ses ambitions. C'est plutôt dommage.

Merci à l'auteur de m'avoir embarqué dans cette aventure car tout au long de cette soirée mon attention a été retenue. En espérant néanmoins un peu plus de corps à la chute.

   plumette   
7/9/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour In Fligth

La fin ( un peu décevante) me fait reconsidérer toute la nouvelle que j'ai lu avec plaisir grâce à ton sens de la narration.
Est-on dans une fiction totale habilement servie par Trevor, complice du patron du resto? Ou plutôt on peut penser qu'il y a une part plus ou moins grande de réalité dans ce récit qui serait donc transformé dans une double intention: faire flipper cet aéropage de financiers Anglais ( et non Irlandais) et augmenter les recettes de la soirée.

j'ai beaucoup aimé l'accroche de Trévor au départ avec le financier à tremper dans le café.Un peu d'humour avant un discours d'économiste qui n'est pas ma tasse de thé!

une nouvelle qui se lit bien, un angle de vue assez plaisant : ces "gros plein de soupe"sont finalement roulés par ce petit serveur obscur qu'ils méprisent.

Un détail de forme: j'aurai utilisé le passé composé plutôt que le passé simple dans le paragraphe qui commence par " Avec la modernisation des jouets ..."

   in-flight   
12/9/2020

   hersen   
15/9/2020
 a aimé ce texte 
Un peu
L'histoire se passant en Irlande avec une tablée de financiers anglais, je n'ai pas compris le tutoiement.
Et encore moins qu'on passe, à un moment de l'histoire, du tutoiement au vouvoiement. Ce qui, en français, pourrait dénoter un changement dans l'attitude, ou l'intérêt, mais dans ce restaurant irlandais ?

Ce détail est représentatif de mon impression en fin de lecture : je ne suis pas imprégnée d'une ambiance d'épouvante, je ne crois pas à ces hommes qui seraient réellement morts de frousse d'aller dormir à Kilemore après l'explication de Trévor.

Pour moi, toute l'ambiance est absorbée par un trop plein d'explications. Cela me rappelle beaucoup une de tes histoires qui n'avait pas marché non plus sur moi, une histoire de dentiste, car justement, il y avait le même défaut : le lecteur était noyé sous des détails, une narration scrupuleuse, au détriment de l'ambiance.

Personnellement, je ne crois pas un instant que ces clients du restaurant soient impressionnés par l'histoire de la factory de poupée. Des faillites, des entreprises en difficulté, ils en ont vu un paquet, ils n'y mettent pas d'âme, et je ne les sens pas imressionables pour se laisser embarquer par cette histoire.

Il manque, pour moi, un ou des éléments extérieurs à ce que raconte Trévor pour donner du corps à l'épouvante. Pour que de façon crédible, je puisse penser que les financiers seront atteints par cette histoire.
Il me manque, en fait, de savoir si, en voyant une robe de poupée accrochée au rétroviseur d'un chauffeur de taxi au sourire prétendument sardonique, les emmenant vers l'abbaye, les aurait mis mal à l'aise. Ou d'entrevoir une petite fille, à cette heure indue, jouant avec une poupée, en les fixant, dans le hall de l'hôtel, ou je ne sais quoi d'autre. C'est l'ambiance qui cloche pour moi dans cette nouvelle.
Tu joues trop peu sur le fait que les clients n'osent pas s'avouer l'un à l'autre qu'ils ont un début de peur. Or, c'est l'autre ressort que tu pouvais utiliser pour augmenter l'ambiance délétère s'installant.

Beaucoup ont déjà parlé de l'aspect financier de la nouvelle. Moi, les sous, c'est pas mon truc, mais je suis prête à parier que si le lecteur avait été davantage pris pas l'ambiance, il aurait moins buté sur ces détails.
Et pourtant, le choix d'une abbaye en Irlande est excellent pour installer ce genre d'histoire.

Donc, tu l'as compris, je ne suis pas trop cliente de cette histoire censée me faire peur, ou en tout cas créer un malaise.

En fait, je passe du temps sur ce commentaire car j'ai lu en forum que tu en attends des retours, que tu te demandes si ça fonctionne.

   Alfin   
16/9/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour in-flight,
Peu importe les considérations d'exactitude, personnellement je salue la narration de qualité, la suite des séquences qui s'enchaînent. J'aime beaucoup l'idée que Trevor ne se laisse pas démonter devant un parterre de financier imbu d'eux-mêmes. J'ai également apprécié la fin qui montre que pour le patron et son serveur, c'est Business as usual, c'est un non-événement.

J'ai préféré l'histoire de la pluie de zèbres pour son côté vraiment loufoque et réaliste. Mais dans les deux cas, je trouve l'écriture très légère et fluide, vous avez un vrai talent de conteur ! Bravo

   Alcirion   
19/9/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
L' histoire tient bien la route tout au long des 20 000 signes. J'ai été un peu déçu par la chute que j'imaginais plus spectaculaire mais elle a la qualité d'être inattendue.

Pour le reste, j'ai trouvé les éléments "d'ambiance économique" un peu caricaturaux au début de la nouvelle : les financiers s'arrêtent sont dans un village qui a été victime de leurs méfaits par exemple.

Mais une fois l'intrigue lancée, on lit cette nouvelle avec l'envie de connaître la chute. Le suspens est bien manié. Une lecture agréable donc.

   Anonyme   
16/10/2020
Bonjour in-flight,

Vers le milieu de l’histoire, lorsque Trevor se rappelle ses cours de théâtre à l’université, je me suis mis à imaginer la suite : Trevor, qui n’y avait pas songé jusque-là, prend conscience de ce qu’il peut tirer de la situation et se met par opportunisme à faire une bonne blague aux financiers, consistant à attiser leur curiosité, ensuite leur convoitise pour une société valant des clous, afin de ramener quelques sous dans le patelin, voire dans sa propre famille. Mais l’histoire n’a pas été préparée de la sorte et Trevor n’aurait vraisemblablement pas pu construire tout ceci en un instant.
J’ai donc abandonné la piste et suivi la vôtre, d’autant plus volontiers que vous avez ajouté cette histoire de meurtre dont je ne voyais pas l’utilité pour ma propre piste.

L’histoire contée par Trevor ne me parait pas avoir été improvisée, et je me retrouve alors avec un problème. La plaisanterie ne tardera pas à être découverte et pourrait avoir des suites fâcheuses, au moins pour Trevor lui-même, et éventuellement pour son patron. Trevor pourrait avoir décidé de se saborder et de se faire plaisir avant de passer à autre chose. Admettons ! Mais Trevor reçoit les félicitations de son patron, et je vois alors un nouvel embranchement dans les possibles :
1. Le patron était complice ;
2. Il ne l’était pas, mais n’a pas dû manquer de chercher à connaître la raison de l’attrait de la tablée pour son employé… et de la découvrir.
Dans un cas comme dans l’autre, je ne pense pas que quelques dizaines ou même centaines d’euros de plus à une addition puissent justifier le risque de la perte de réputation de son établissement. La crédibilité aurait pu être maintenue si le patron avait engueulé Trevor, mais pas avec des félicitations.
Finalement, je ne comprends pas bien le ressort de l’intrigue. Aurais-je manqué quelque chose ?

J’ai été surpris par l’évocation d’escort girls, que j’ai du mal à imaginer présentes dans un village, à moins qu’on ne les fasse venir de plus loin ? Enfin, c’est un détail.

La narration ne repose que sur les dialogues, interrompus uniquement pour planter un peu de décor et de mouvement et, plus probablement, justement pour que les répliques ne soient pas interrompues. Ceci peut s’envisager au cinéma, lorsque la voix d’un personnage devient une voix off tandis qu’est montré en images le déroulement de l’action racontée, mais je trouve que dans un texte, ceci ne fonctionne pas. D’ailleurs, les répliques parfois fort longues de Trevor ont très clairement l’apparence d’une voix off prenant valeur de narrateur. En outre, le style n’est pas différencié entre les dialogues et les passages formellement narratifs.

Sans être expert en fonctionnement des entreprises, j’ai tout de même quelques doutes quant à la crédibilité de certains éléments, d’autant que le texte insiste plusieurs fois sur cette crédibilité. J’ai dès lors des doutes également quant à la crédibilité des financiers. On peut éventuellement les présenter comme des personnes de peu de morale, mais comme des crétins, je ne crois pas.

Il demeure malgré tout une écriture assez agréable à suivre et, malgré tout ce que j’ai pu y relever, ce texte ne m’as pas été désagréable à lire.

Une coquille, je crois : « La marque misait sur un savoir-faire d’une cinquantaine (d’)années »

   cherbiacuespe   
2/3/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
On est à la limite d'une histoire d'horreur.

Maîtrise totale d'une conversation dans un restaurant, pas forcément simple à mettre en texte. Langage succinct, histoire bien développée, petit décryptage de la finance, très précis. Et puis le serveur, Trevor, qui fait la leçon aux requins en réunion. Pour ces derniers, on est dans la caricature, mais avec ceux-là, c'est souvent le cas.

Une nouvelle fort intéressante.


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