Pygmalion n'aimait pas les femmes. Beaucoup de gens trouvaient étrange qu'un sculpteur aussi célèbre et renommé que lui ne trouvât pas femme à son goût. Ce n'était pourtant pas les propositions qui manquaient ! Mais, quelque chose au fond de lui-même lui interdisait d'aimer, et de trouver un intérêt quelconque à ce sentiment fulgurant propre à l'homme. De plus – et il ne pouvait s'en empêcher en regardant les femmes – il leur trouvait bien trop de défauts pour accepter de s'avilir avec de telles créatures. Sans cesse, de petits détails lui sautaient aux yeux, et blessaient son âme d'artiste. Des sottises de proportions, des erreurs de texture, de consistance. Les cheveux. Voilà un point qui le dérangeait particulièrement chez les femmes, pour ne parler que de leur physique. Ces longues crinières flottaient au vent comme autant d'impudiques injures aux Dieux ! Ne pouvaient-elles donc pas, à défaut de les couper, au moins les attacher ? Que cachaient-elles, derrière cette longue et souple barrière ? Quelque secret honteux, quelque ignoble infamie dont elles avaient le secret... Pygmalion en était persuadé. C'est la perte des Mâles qui se trouvait dissimulée derrière ces longues boucles flottantes au vent... Mais Pygmalion savait... Il avait déjoué leur stratagème et les fuyait comme l'armée d'Hadès. Mais cela n'était que leur principal défaut physique, il serait très difficile de décrire toutes les imperfections que Pygmalion voyait sur le corps des femmes, marquées pour son œil sensible et exercé d'artiste encore plus visiblement qu'avec un fer. Mais il y avait pire, bien pire : leurs défauts moraux. Elles étaient si hautaines, que Pygmalion avait parfois envie de les gifler. Se croyaient-elles si bien nées et si supérieures, pour regarder les hommes d'une telle façon, alors que, imbéciles et envoûtés, ils quémandaient à genoux un peu d'amour ? Il y avait autre chose, qui l'agaçait aussi nettement qu'un bourdonnement ininterrompu à ses oreilles, sans qu'il puisse s'en débarrasser. Il s'agissait du bavardage incessant et insipide des femmes. N'arrêteraient-elles donc jamais ? À toute heure du jour et, parfois même, de la nuit Pygmalion les entendait rapporter des ragots sans importance, en murmurant assez fort pour que tous ceux qui seraient par hasard présents puissent clairement entendre le secret public qu’elles ne pouvaient s'empêcher de déballer. Et l'on voulait qu'il se marie ! Étaient-ils tous devenus fous ? Ou avaient-ils succombé au charme terrible de ces sorcières ? Jamais il ne se marierait ! Il se satisfaisait pleinement, seul dans son atelier personnel, que beaucoup qualifiaient de sinistre, voire de morbide.
Il est vrai que pour le profane, son atelier n'était pas un lieu où l'on se plaisait. Les gens pénétraient toujours à contrecœur dans ce repaire inquiétant qui en effrayait plus d'un. Aussitôt l'affaire pour laquelle ils étaient venus, réglée, ils partaient, la poitrine opprimée par une étrange gêne. Mais Pygmalion, lui, y passait le plus clair de son temps, entouré de ses statues inachevées, corps mutilés auxquels il manquait souvent un bras, une jambe, plus rarement une tête. Il n'était pas rare de voir d'immenses et diaphanes toiles d'araignées suspendues à ces sculptures imparfaites, comme pour marquer encore un peu plus le caractère impulsif de Pygmalion. En effet, ce génial sculpteur ne taillait que ce qui l'inspirait, et rien d'autre. Souvent, le modèle qui le mettait dans un état d'exaltation hors du commun quelques jours plus tôt le lassait soudain, et il laissait la statue telle quelle, inachevée, ne pouvant se résoudre à s'en séparer. Le sol était couvert d'immondices : restes de repas pris dans son atelier, mélangés à la poussière blanche produite par la taille du marbre. En voyant son atelier, il était facile de deviner l'aversion de Pygmalion pour le ménage, cette occupation qu'il trouvait exclusivement réservée aux femmes.
Mais depuis quelque temps, et malgré cette formidable réputation, Pygmalion s'ennuyait. Il n'arrivait plus à ressentir le besoin presque primaire de sculpter. Cela faisait bien longtemps que ce sentiment puissant ne s'était emparé de son corps, de son âme. Autrefois, cela l'avait souvent forcé à quitter toute occupation pour se saisir d'un ciseau et buriner la première pierre qu'il croisait. Bien sûr, il pouvait se passer financièrement de cette perte quelque temps, tant la richesse qu'il avait accumulée était immense. Mais la perte de cette habitude que son organisme même avait prise lui pesait. Il sentait au plus profond de lui-même que quelque chose lui manquait. Il ne savait pas quoi. Mais cela lui manquait terriblement. Et ce point d'interrogation l'obsédait plus que tout. C'était en partie cela qui l'empêchait de se concentrer lorsque sa Muse de la sculpture le visitait enfin. Souvent, pendant la saison froide, il lui arrivait de trouver son atelier morne et froid. Alors seulement sa solitude profonde se dévoilait, sous la forme d'une légère nostalgie, un petit pincement au cœur. Toutes ces statues emplissaient d'ombre son atelier, et Pygmalion prenait peur comme un garçonnet. Il fuirait certainement, s'il avait quelque part où aller...
Pygmalion s'ennuyait. Peu à peu, il se rendait compte qu'il n'avait jamais rien sculpté de fondamentalement nouveau : toujours son art se répétait de la même façon douloureuse et constante. C'était peut-être cela qui l'oppressait. Le problème, c'est qu'il ne savait rien sculpter d'autre, à part ces vieillards barbus à l'air farouche. Toujours il avait cru en la suprématie de l'homme, et c'est pour cela qu'il n'avait jamais sculpté autre chose que ce sujet, parfait à ses yeux. Mais à présent, il en venait à se questionner... Est-ce qu'un véritable artiste ne doit sculpter que ce qui est parfait ? Ou doit-il tenter de rendre parfait par son art ce qui ne l'est pas ? Ces questions tourmentaient Pygmalion jusque dans ses nuits, alors qu'il se retournait sans cesse dans sa couche, assailli par le flux et le reflux de ses pensées, qu'il ne pouvait empêcher. Finalement, il en était venu à une conclusion que jamais il n'aurait imaginée. Il voulait s'extraire de ce cercle vicieux et infini qui était la répétition perpétuelle de son art. Pour une fois. Rien qu'une seule fois. Il voulait tenter quelque chose de nouveau. De totalement nouveau. Quelque chose que jamais personne avant lui n'avait tenté de sculpter. Mais quoi ? Peu à peu, seule cette question vint à occuper l'esprit de Pygmalion. Tant qu'il finissait par oublier de dormir, de manger. Il ne vivait plus que pour la réponse à cette question.
Enfin il avait trouvé ! Il savait. Il savait comment faire. Mais il faillit rejeter l'idée, avant même de l'avoir examinée attentivement. Elle lui semblait si sotte et si impie ! Une femme. Il allait sculpter une femme. C'était le seul moyen qu'il avait trouvé pour éviter la pénible répétition de son art. Malgré tout, cela représentait quelques problèmes majeurs : il s'était promis de ne jamais représenter cette branche bâtarde et imparfaite de l'homme. Mais qu'importe. Il ne parvenait pas à se défaire de cette idée, bien que son mépris pour les femmes soit si grand qu'il se demanda plusieurs fois s'il n'était pas devenu fou ! Soit. Il sculpterait donc une femme. Mais pas un de ces vulgaires et quelconques spécimens que tout mortel pouvait croiser, non... Il taillerait une femme parfaite. La seule femme au monde parfaite à ses yeux. Une femme si belle que les Déesses Bienheureuses elles-mêmes la prendraient pour une de leurs sœurs, la jalousant, peut-être. Il parviendrait à recréer la Beauté, la Perfection, uniquement à l'aide de ses trois seuls amis : son marteau, son ciseau, et son Art. Un frisson parcourut le corps de Pygmalion. Un frisson de peur à l'idée d'échouer, et de ne produire qu'une œuvre terne, mais un frisson de joie aussi, car il avait enfin trouvé un défi à la hauteur de son Talent. Rendre parfaite par son art une chose qui ne l'était pas par essence.
Alors il se mit à l'œuvre. Ne pas connaître les détails précis de la femme importait finalement peu. Il savait qu'elle ressemblait approximativement à l'homme, mais possédait une poitrine plus développée, ainsi que de longs cheveux. Mais ces détails n'avaient pas beaucoup d'importance. Il voulait une femme à lui, sortie tout droit de son imagination. Submergé par l'émotion, il s'approcha lentement du bloc d'ivoire qui trônait au milieu de la pièce, les yeux au bord des larmes. La pierre était d'une blancheur immaculée. La femme aurait une peau d'albâtre, aussi pure que la neige qui tombe des monts, lorsque le soleil est caché par de lourds nuages.
Il s'approcha doucement de sa statue, si proche qu'il pouvait ressentir le froid dégagé par la pierre inanimée. Il effectuait ce rituel avant chaque sculpture. Il la caressa du bout des doigts, et murmura :
- C'est pour ton bien. Aie confiance en moi. Ai-je une seule fois déçu tes compagnes d'ivoire ?
Il continuait de caresser la pierre, passait délicatement sa main sur l'ivoire, comme un amoureux le ferait sur la peau d'une femme. Soudain, il s'arrêta, et marqua l'endroit de son index tendu. C'était là que résidait le cœur de la pierre. Il devrait porter son premier coup à cet endroit précis, ni trop fort, ni pas assez. Trop fort, il tuerait l'âme de la pierre en brisant son cœur. Pas assez, son cœur ne serait pas à nu, et il n'obtiendrait qu'une statue terne, qui ne dégagerait aucune émotion. Il posa son ciseau sur l'ivoire, et d'un coup ferme, assena le premier coup. Le premier morceau se détacha, et tomba sur le sol avec un bruit mat. Il avait réussi ! Sa statue posséderait une « âme » bien à elle. Le cœur n'était pas atteint. Il était intact, et pouvait être vu par tous, pourvu qu'ils aient la volonté de le voir. À présent, à lui de ne plus tailler près de cet endroit, de peur de le briser par inadvertance.
Le marteau s'éleva dans les airs, une seconde fois, et s'abattit fermement. Puis une troisième, une quatrième, et une cinquième... Le ciseau volait dans les airs, comme animé par une vie propre. Possédé, Pygmalion sculpta sans relâche trois jours et trois nuits, sans jamais s'arrêter une seule seconde. Tout entier à son Art, Pygmalion oubliait le monde pour se consacrer uniquement à l'œuvre qui naissait de ses mains. Après trois jours entiers d'une sculpture ininterrompue, le ciseau de Pygmalion caressa une dernière fois la femme qui était née. Hagard, Pygmalion recula de quelques pas pour la regarder. Parfaite. Elle était parfaite. Puis il s'évanouit, éreinté par la fatigue.
Lorsqu'il se réveilla, une déesse était près de lui. Il prit soudain peur. Avait-il offensé les dieux d'En-Haut, pour avoir osé sculpter une femme parfaite ? Peut-être était-ce Aphrodite elle-même qui était venue le châtier, lui, Pygmalion, l'homme qui avait tenté de faire mieux que les dieux. Effrayé, il était presque en train de fuir lorsqu'il remarqua un détail : Aphrodite était dénuée de tout mouvement. Elle était aussi fixe que le marbre, mais semblait pourtant si vivante. Étrange paradoxe, si difficile à faire comprendre... Il se rendit compte qu'il s'agissait en fait de sa statue. Celle qu'il avait prise pour Aphrodite elle-même n'était autre que sa statue. La seule femme qu'il trouvait parfaite en ce monde. Elle était sublime.
Il en tomba aussitôt éperdument amoureux. Il lui avait suffi d'un seul regard pour savoir qu'il serait à jamais torturé par la vue de sa statue inerte, qui avait réveillé dans sa poitrine son cœur, auparavant froid comme le marbre qu'il taillait, et le faisait battre à un rythme qui lui était inconnu. Aucun écrivain ne peut décrire la Beauté. Pygmalion, lui, à l'aide de son simple ciseau, y était parvenu. Il avait réussi à tailler pour l'éternité le plus beau portrait de la femme qu'aucun homme n'avait fait, et qu'aucun homme ne ferait jamais. Une brûlante passion lui ravageait les entrailles à la vue de la créature qui venait de naître. Passion d'autant plus douloureuse qu'elle lui était totalement inconnue. Tout occupé à fuir les femmes, Pygmalion n'avait pas vraiment eu le temps d'en déguster les douces saveurs...
Au commencement, il crut qu'il s'agissait d'un châtiment d'Aphrodite, pour avoir osé sculpter une femme que Pâris lui-même aurait choisie sans hésitation, au détriment de la déesse de la Beauté. Mais après quelques semaines de martyr brûlant, Pygmalion sut qu'il n'en était rien. Personne ne pouvait infliger tel supplice à un mortel, pas même un dieu, sous peine d'aller rôtir en enfer à côté d'Ixion, Sisyphe, et les autres damnés pour l'éternité. Quelle torture inhumaine de voir la seule femme qu'il n’ait jamais aimée, inanimée, inerte, inconnue à ce flot puissant nommé Vie. Jamais il ne pourrait sentir la chaleur de sa peau, la douceur de son regard, de ses caresses, l'étreinte de ses bras. Jamais.
La seule chose à laquelle il aurait droit, ce serait ce regard de pierre, cette froideur glaciale de l'ivoire, cette tête parfaite qui le poursuivrait même lorsqu'il tenterait désespérément de se jeter dans les bras délicats de Morphée, pour échapper à son supplice.
Que faire ? Il ne pouvait pas passer sa vie à regarder son amour ainsi, comme pétrifiée par le regard de Méduse. Il souffrirait trop. Mais il ne pouvait pas non plus concevoir de la quitter des yeux un seul instant. Toutes ses journées, il les passait sur un tabouret rudimentaire qui lui brisait le dos. Il ne mangeait plus. Il ne sculptait plus. Il restait là, à se délecter du moindre trait de la statue. Il ne dormait que quelques heures par jour, afin de pouvoir profiter un peu plus longtemps de la vue sublime que lui offraient son visage, son corps au galbe parfait.
Il était tiraillé par l'envie de rester à contempler son amour pour l'éternité, et celle de libérer le torrent de Vie qu'il endiguait à force d'immobilisme, qui grondait tel un monstre en lui. N'y tenant plus, il invoqua Aphrodite, même si la voix sournoise de sa conscience lui murmurait que cela ne servait à rien.
- Aphrodite, psalmodia-t-il, comme déjà gagné par la folie, Aphrodite, vous, ô déesse puissante parmi les puissantes, belle parmi les belles, je vous en supplie à genoux, moi, l'humble sculpteur Pygmalion, qui a osé vous faire un tel affront. Délivrez-moi de ce démon qui me ronge, de nuit comme de jour, qui me tourmente et qui m'affaiblit. J'embrasse la poussière qui est sous vos pieds, et c'est en suppliant que je vous adresse cette prière : délivrez Galatée des terribles nimbes où elle est plongée, ni vivante, ni morte, juste là, à me faire souffrir. Je vous rendrai hommage comme il est dû à une déesse. Je vous sculpterai des statues si belles que le roi des Dieux lui-même en sera jaloux, lui pour qui des nuées de sculpteurs se sont dévoués corps et âme. Je les surpasserai tous, et vous serez la déesse la plus admirée des monts Olympe, par la beauté de vos représentations. Je vous en conjure... insufflez le souffle de vie à cette statue... Vous l'avez bien fait pour les machines d'or d'Héphaïstos ! Alors pourquoi pas pour elle ? Lisez en mon cœur. Voyez-vous comme je souffre ? Cela ne vous fait-il pas culpabiliser, vous et Éros, d'avoir torturé un homme qui ne demandait rien qu'à sculpter ? Moi qui ai toujours fui les femmes comme l'armée d'Hadès, je comprends à présent mieux pourquoi : elles peuvent mieux vous faire souffrir que cent mille bourreaux réunis. Mais pourtant, vous ne pouvez vous empêcher de les aimer comme un fou, passionnément, vous qui êtes déjà tout prêt à pardonner alors qu'elles vous arracheraient un œil. Voyez comme mon supplice est inhumain ! J'aurais cent fois préféré être Tantale. Lui, au moins, ne souffre que d'une faim et d'une soif physiques. Moi je souffre de la faim de ses baisers, de la soif de son amour. Je vous en supplie une nouvelle fois, Aphrodite, déesse parmi les déesses. Entendez ma prière. L'humble homme que je suis vous en implore à genoux.
Depuis trois jours, Pygmalion attendait. Il espérait vaguement un miracle, quelque chose d'extraordinaire. Mais rien ne venait. Aphrodite l'avait-elle oublié ? Ou avait-elle tout simplement trouvé le moyen de se venger de celui qui avait osé sculpter une femme plus belle qu'elle ? Les yeux de Galatée continuaient de fixer le supplice atroce du pauvre Pygmalion. Il pleurait. Depuis trois jours, il ne cessait de pleurer. Voir son amour aussi proche de lui, mais en même temps éloigné par la barrière puissante de la Vie lui était insupportable. Parfois, il pensait à la détruire. La haine coulait dans ses veines comme un feu ardent, et faisait vibrer son corps. Il aurait voulu briser ce corps si parfait qu'il en devenait presque inhumain. D'autres fois, il se laissait emporter par l'ardeur de sa passion, et aurait voulu mourir, pourvu que son œuvre puisse vivre... Il se laissait alors emporter par le désespoir, et c'était un miracle s'il ne s'était pas encore tué à coup de burin, mourant de la main qui avait fait naître son amour.
Un insecte se posa sur sa joue, et le piqua violemment. La soudaine douleur le fit sortir de la sorte de catalepsie dans laquelle il était plongé. Hagard, il se leva, et déambula dans son atelier, comme si c'était la première fois qu'il le voyait. Toutes ses statues inachevées lui firent soudain peur. Une nouvelle fois, son regard se posa sur sa statue. Sa position, rendue impudique par sa nudité totale fit rougir Pygmalion. Il se saisit de l'une de ses toges, et en habilla maladroitement la statue. Il était si proche d'elle. Il n'avait plus touché à ce corps depuis qu'il avait été achevé. Doucement, il passa sa main sur le cœur de sa statue. Il caressa l'endroit où il avait donné son premier coup de burin, sans savoir ce qui l'attendrait par la suite, inconscient des tortures profondes que sa statue lui infligerait. S'il avait su. Peut-être ne l'aurait-il pas fait. Mais il aurait sûrement fini par sculpter la statue. Mais cela n'a pas d'importance. Plus rien n'avait d'importance à présent. Lentement, un peu apeuré, Pygmalion approcha ses lèvres de celles de Galatée, et y déposa un doux baiser. Une larme naquit dans son œil, glissa sur sa joue, sur ses lèvres, et roula dans celles entrouvertes de Galatée. Une seule et unique larme. La seule qu’il n’avait jamais versée de sa vie par amour. Il passa sa main autour du cou de la statue, puis caressa ses cheveux. Il la serrait dans ses bras, comme une personne de chair et de sang. Quiconque serait entré en cet instant dans son atelier l'aurait indubitablement traité de fou. Mais cet instant était le plus beau de la vie de Pygmalion, car il savait que ce serait le dernier. Après ce baiser, il le savait, il n'aurait plus la force de vivre, et de contempler son amour pétrifié. Soudain, une étrange sensation parcourut le bout de ses doigts, qu'il tenait toujours posés sur le cœur de son amour. Un court frémissement, une infime pulsion. Les cheveux de Galatée devenaient soyeux, quittaient peu à peu l'immobilité rigide de la pierre, et finirent par retomber en cascade autour de son visage. Les lèvres prirent peu à peu consistance vivante et répondirent à son baiser. Le corps chaud de Galatée dégageait un parfum, une odeur, suave, sauvage, indomptée. Pygmalion ouvrit les yeux et vit un regard animé de la même flamme vivace qui habitait le sien, celle de l'Amour.
- Merci Aphrodite, murmura-t-il.
Elle vivait.
25 janvier 2008 - 27 février 2008 Pont de l'Arche
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