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Sentimental/Romanesque
janelle : Je me souviens
 Publié le 01/04/08  -  9 commentaires  -  7706 caractères  -  31 lectures    Autres textes du même auteur

Une jeune femme qui a attendu cinq ans pour tomber enceinte perd son enfant à la naissance.


Je me souviens


Je me souviens de ce jeudi ensoleillé, où la pluie battait, enragée, sur les vitres de la maison, et où le bâton blanc a viré au bleu au bout de quelques minutes. Une explosion de joie tout au fond de mon cœur, qui a irradié le reste de mon corps, enivré ma tête et fait pleurer mes yeux.

On attendait depuis si longtemps ! Cinq ans je crois ? Cinq ans sans pilule, sans espoir à force de désespérer un peu plus mois après mois, sans plus d’attente, juste l’habitude de voir réapparaître mes règles au bout de quelques jours. « Un jour, ça viendra », me disait-on, « peut-être… ! » rajoutais-je en mon for intérieur. Et puis, ce jour est venu, après quelques jours de plus de retard dans mes menstruations irrégulières.

J’ai pris mon sac, le test encore accroché aux doigts, et j’ai couru sur son lieu de travail, un sourire à me déchirer les joues, des paillettes dans les pupilles comme jamais auparavant, et des sauts de cabris dans les jambes, indignes d’une secrétaire bien placée.


- Pascal ! Pascal ! Ça y est ! Hurlai-je à travers tout l’atelier.


Des paires d’yeux étonnés se retournaient sur mon passage remarqué, et moi qui ne les voyais même pas.


- Pascal ! Pascal ! Je lui sautai dans les bras ; ses mains pleines de cambouis n’osant me toucher. Ça y est ! Ça y est ! On a réussi ! Lui murmurai-je à l’oreille.


Aucune réaction.


- Tu entends ? On a réussi, JE-SUIS-EN-CEIN-TE !


Il restait planté là comme sa machine, inerte, le regard douteux.


- Regarde, c’est bleu ! On a réussi !


Une larme a coulé de son œil gauche, un sourire a étiré ses lèvres, un cri de joie a déchiré l’atmosphère, et sa force m’a écrasée contre son torse dont j’entendais les bruits sourds taper tout au fond. Il était heureux.


Je me souviens de la vie qui a changé, d’une joie permanente, palpable, qui avait tout imbibé : les baisers de mon chéri, les draps de notre lit, les repas que nous prenions, ensemble ou pas, les touches du clavier qui me jouaient la musique de la vie, les tâches ménagères qui prenaient un sens sacré, les nausées qui égayaient mes matinées et cassaient la routine de notre couple ! Tout était joie, pas besoin de presser les événements et les choses, ils suintaient d’eux-mêmes la joie de vivre et l’insouciance.


Je me souviens aussi de ces mois sans règles, de ce ventre qui s’étirait, de ces seins qui s’alourdissaient, de ces cheveux qui séchaient et se cassaient, de ces tâches qui apparaissaient sur mon visage, de ces hanches qui s’empâtaient. Une merveille ! Mon corps subissait une deuxième révolution, après celle de la puberté, et je me régalais de cette déformation progressive. Ma taille de guêpe ? Les mensurations de mannequin ? Aux oubliettes. À ma joie et à celle de mon Pascal aussi pour une fois ! Et ces barres de chocolat, et ces glaces même en fin d’automne, et ces choucroutes, et ces gâteaux à la crème sans vergogne ! Qu’il est doux d’être engrossée ! Je sentais que ça allait me plaire ! Mon Pascal aussi prenait du ventre, qu’importe ! Il fallait manger bien pour que Bébé grossisse correctement. On s’occuperait de nos enveloppes corporelles personnelles une fois la tâche accomplie.


Puis, il a été temps de préparer la chambre de Bébé.

« Déjà ? Les trois premiers mois pas encore terminés ? Et l’assurance de ne plus faire de fausse couche pas encore passée ? » Et alors ? C’est mon bébé, je fais comme je veux, quand je veux. Bébé aura sa chambre dès à présent. Non ? Alors au moins un petit habit ou deux ? Pascal a peur de le perdre déjà, il est venu si tardivement !

De petits habits ! C’est le cas de le dire ! Un petit pied que je tiendrai à peine dans mes doigts, un petit corps qui sera si fragile et aura tellement besoin de moi ! Je vais l’allaiter c’est sûr ! Rien de meilleur pour démarrer la vie terrestre. Serrer son petit corps tout chaud contre mes seins demandeurs et nourriciers. Le regarder se remplir de la substance céleste, le caresser d’un regard benêt, admiratif à l’excès. Attendre son rot comme on attendrait la musique de la résurrection. La plus belle de toutes les mélodies !


Je me souviens du jour où nous sommes allés choisir la poussette de notre petit être. On la voulait avec traction avant et arrière pour l’emmener partout avec nous. On la voulait confortable et sécurisée. On la voulait comme on te voulait toi, Yanis, avec impatience. Avec toutes les options.


Je me souviens de sa venue. Les premières contractions et l’appréhension qui les accompagne, les premières douleurs, plus vives et le papa qui s’affole. Puis la perte des eaux dans le couloir de l’hôpital, les mots rassurants des infirmières qui me voyaient grimacer. Et Pascal qui suivait à petits pas hésitants et anxieux. Dans la salle de travail, une autre maman à l’ouvrage. Même pas le temps d’installer la péridurale, Yanis était pressé.


- Allez, madame, poussez !


Sept poussées, trois heures à peine et Bébé était là. Enfin la délivrance !


Voilà deux jours que je voulais le voir, pour vérifier. Mon imagination maternelle ne m’avait pas trompée. Son visage si doux, une fine couche blanche sur tout le corps. Son petit nez, ses yeux clos, ses tout petits doigts. C’est mon Bébé, mon Enfant.

Mon tout petit bébé ! Si fragile ! Il est sage, il ne hurle pas ; Pascal le nettoie à l'aide de la sage-femme, puis l’habille, l’embrasse tendrement et me le pose près du visage.


« Je suis Maman ! » Des mots magiques qui tambourinent entre mes tempes mouillées de fatigue. Maman d’un si petit enfant, si fragile.

Je suis Maman… d’un enfant mort depuis deux jours au fond de mon ventre meurtrier.

Je voulais l’allaiter ! Rien de meilleur pour démarrer la vie terrestre. Mais c’est un petit corps froid que je serre contre mes seins demandeurs et nourriciers. Je l’ai tué, au creux même de son foyer.


Je me souviens de ce jeudi ensoleillé, où la pluie battait, enragée, sur les parois meurtries de mon cœur de mère, et où le cercueil a glissé lentement dans la terre sèche. Une explosion de douleur tout au fond de mon cœur, qui a irradié le reste de mon corps, enivré ma tête et fait pleurer mes yeux.

On attendait depuis si longtemps ! Cinq ans je crois ? Cinq ans sans pilule, sans espoir à force de désespérer un peu plus mois après mois, sans plus d’attente, juste l’habitude de voir réapparaître mes règles au bout de quelques jours. « Un jour, ça viendra », me disait-on, « peut-être… ! » rajoutai-je en mon for intérieur. Et puis, ce jour est venu, après quelques jours de plus de retard dans mes menstruations irrégulières.

J’ai pris mon sac, son doudou encore accroché aux doigts, et j’ai descendu les escaliers de l’Église, un sourire à me déchirer les joues, des paillettes mortelles dans les pupilles comme jamais auparavant, et une lourdeur dans les jambes, indigne d’une femme venant d’accoucher.


- Yanis ! Yanis ! Hurlais-je à travers les tréfonds de mon âme écorchée.


Des paires d’yeux désolées se retournaient sur mon passage, et moi qui ne les voyais même pas.


- Pascal ! Mon Yanis !


Je me retenais à ses bras ; ses mains pleines de douleur n’osant me toucher.


- Ça y est ! Il est parti ! Lui murmurai-je à l’oreille en jetant la première rose blanche.


Aucune réaction.

Il restait planté là comme ce cercueil, inerte, le regard fiévreux.


- Regarde, le ciel est bleu ! Il est parti !


Une larme a coulé de son œil gauche, un sourire amer a étiré ses lèvres, un rayon de soleil a déchiré l’atmosphère, et sa force m’a écrasée contre son torse dont j’entendais les bruits sourds taper tout au fond. Il avait mal.


Je me souviens, là, devant cette petite tombe fleurie de blanc.

Je me souviens et il ne me reste plus que ça.


 
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   studyvox   
1/4/2008
C'est poignant.
Bravo

   clementine   
3/4/2008
Cela respire l'authentique, c'est un peu maladroit et extraordinairement touchant, plein d'amour, plein de chagrin.
Un coeur à nu qui dit, qui crie sa peine.
Impossible de noter.

   Anonyme   
3/4/2008
Les larmes aux yeux, à la fin de cette lecture.
Pas de commentaire. C'est trop vrai.

   Mimi-Crazy   
4/4/2008
pas de mots
texte très touchant

   Maëlle   
23/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
La douceur considérable qu'il y a dans la forme en fait un texte magnifique. J'aime bien critiquer: alors, vous n'auriez pas du raconter tout le texte dans le résumé.

   jbacon   
20/11/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Que d'émotion dans ce texte. Vraiment, toutes mes félicitations ! C'est un très bon début, et qui s'implique vraiment dans différents sentiments ( la compassion, la tristesse, l'envie de s'infiltrer dans l'histoire et réconforter cette jeune femme...)

   Flupke   
20/11/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Janelle,
Désolé si c’est du vécu, mais j’ai trouvé cela un peu trop arrache larmes vers la fin. Un peu comme un dessert top sucré sur fond d’Adagio d’Albinoni.
Bien sûr c’est facile à dire en tant que lecteur, qui a eu plus de chance à deux reprises. (Je recommande d’Anna Gavalda la nouvelle sur le même thème, « I.I.G » (dans son premier recueil). Beaucoup plus de pudeur et de retenu dans l’expression de la douleur).
Par contre c’est vraiment très bien écrit, très agréable à lire, ça foisonne de plein de petits détails ultra-réalistes, essentiels. C’est concis et percutant. Bravo.
Amicalement, Flupke

   monlokiana   
5/8/2011
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Poignant, touchant…Je n’ai pas mes mots.
L’écriture est fluide, l’histoire se laisse lire facilement. C’est rythmé…
J’ai bien senti l’émotion de cette femme. Attendre cinq ans et un jour, ça vient et un autre, tout disparaît. Il faut attendre encore et compter encore.
J’ai aimé mais aussi, j’ai trouvé que l’histoire a été racontée trop vite. L’auteur aurait pu prendre son temps, plus de description… Pourquoi pas une double narration ? Un de Pascal et un autre de la narratrice. Ce n’est pas seulement cette femme qui a attendu, ils ont attendu ensemble le petit Yanis. Je trouve Pascal présent oui, mais un peu à l’écart aussi. Je ne l’ai pas beaucoup senti.
Mais écrit comme cela, c’est poignant, c’est… alala…
Je mets la grande note quand ça me touche à l’extrême.
Bravo, vraiment

   Palimpseste   
5/8/2011
Il y a l'écriture-plaisir et puis l'écriture-thérapie...

Est-ce au nom de cette dernière que vous avez écrit "Je l’ai tué, au creux même de son foyer." ? Il n'entre pas dans le champ des commentaires d'ici de statuer sur la pertinence médicale d'un tel aveux de culpabilité. Qui serions-nous pour en parler ?

Pourtant, on remarque qu'à égale distance de cette terrible déclaration, vous reprenez des phrases et des structures de paragraphes ("j'ai pris mon sac, le XX encore accroché aux doigts (...)" "des paires d'yeux étonnés XX se retournaient (...)" ...)

[Je viens de voir que "janelle" ne semble pas s'être connectée depuis le dépôt de ce texte - mon commentaire part donc dans les Limbes]

Ce "je l'ai tué" est un pivot de votre texte, qui donne du relief à la symétrie des propos.

Si c'est de l'écriture-plaisir, c'est plutôt réussi comme forme... Merci d'avoir su la partager.

Dans l'autre cas, la réussite est déjà d'avoir écrit le fond... Bravo s'avoir pu le partager.


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