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Humour/Détente
Jean_Meneault : Art de vivre [Sélection GL]
 Publié le 12/08/16  -  17 commentaires  -  4177 caractères  -  196 lectures    Autres textes du même auteur

Un homme en quête d'absolu


Art de vivre [Sélection GL]


Il bandait, c'était sa passion.


Bander oui, mais attention, il ne bandait pas pour bander, comme cela, vulgairement. Non, lui savait bander avec élégance, avec distinction.

Il bandait en artiste.


La bandaison du matin était rêveuse. Elle dessinait son ombre massive dans la pénombre de la chambre, aux premières clartés de l'aube. Une apparition solide, rassurante ; protégeant la pièce comme un père veille sur son enfant.


Celle du bureau fleurait bon l'interdit, hameçonnée par les replis de la jupe sur les jambes blanches de Mélissa. C'était celle de l'évasion fantastique, de la cavalcade impossible. Incarner un nouveau Don Juan, ne passer qu'une nuit avec chaque amante, et disparaître.


À la pause déjeuner, elle passait à l'improviste, non désirée. Une bandaison par surprise. Un impromptu. Ou bien était-ce cette Poule suprême au menu qui l'invitait à la table ? Cumin, paprika… Puisqu'elle était là, elle serait relevée.


L'après-midi ne connut aucun épisode d'afflux sanguin. Bander en artiste, c'est aussi ne pouvoir toujours être inspiré. Il faut en outre savoir mettre l'ouvrage en suspens.

Rien, pas la moindre esquisse.


À la tombée du soir, au bureau, elle revint avec audace, faisant face au patron. Sublimée en ses contours par la mode des jeans serrants, elle se pâmait, impudique, revendicatrice. Encore une qui échappa au conscient de l'artiste, impuissant et visiblement gêné par le regard jeté par son supérieur en direction de l'œuvre. La bandaison de l'augmentation ne se planifie pas, elle exulte parfois comme ici en coulures abstraites. Chacun peut y lire ce qu'il ressent.

Chagriné, l'esthète ne parvint pas à réaliser le doublé en reprenant place aux côtés de Mélissa, qui pourtant mordillait en souriant son crayon bicolore.


Mélissa était sa muse. Il lui devait ses plus grands chefs-d'œuvre. Si ses travaux du matin, là-bas, dans la pénombre de la chambre, étaient dit-on purement biologiques, lui n'en croyait rien. Non, il avait foi en la force de l'esprit. Cette œuvre des premiers instants du jour, la plus poétique, la plus aboutie, il la devait à Mélissa. Parfois galopante, souvent gymnaste, elle dansait en lui, insufflant à l'homme l'énergie de cette saillie créatrice.


Mais le drame d'un artiste c'est d'être incompris.

Après une dure journée, rentrant enfin chez lui, il retrouvait son épouse Gisèle, flanquée de leurs deux enfants. Gisèle faisait chuter chez lui toute créativité ; la bandaison ne faisait plus partie des possibles. Jadis, il avait cru trouver en cette femme la promesse d'une source intarissable, jaillissante. Mais de source rapidement elle devint bourbier, engloutie sous les gaines et autres chaussettes de contention. Alors il avait cédé, un soir, le pinceau triste et résigné, accepté de vendre son art au rabais. Basculer dans un mainstream formaté. Et c'est ainsi que naquirent les jumeaux.


La vie d'un artiste n'est pas toujours à la hauteur de son œuvre. Il souhaitait partir, de tout cœur. Partir de la maison. Avouer à Mélissa, l'emporter avec lui, loin d'ici. Ils vivraient de leur art, au-delà des bienséances. Une production épanouie, généreuse, libérée des contraintes.

Alors il franchit le pas, un beau matin. Il quitta la maison, comme à son habitude, mais avec cette certitude chevillée au corps de ne plus jamais y revenir. Il ne laissa pas un mot, que dire de toute façon ? Le chemin lui parut interminable. Il arriva un peu plus tôt, le premier au bureau. Il attendit Mélissa, lui prépara un café. Court mais serré, elle préférait. Puis elle arriva, nappée dans une robe chamarrée près du corps, les cheveux ondulés caressant ses épaules dont l'une s'était affranchie du contact de la bretelle rouge. S'il n'avait pas été si empressé et anxieux, il aurait pu signer à cet instant son plus grand chef-d'œuvre.


Mais ce chef-d'œuvre, ironie du sort, c'est Gisèle sa femme qui le découvrit en rentrant du travail. Mélissa était mariée, attendait un enfant. Elle repoussa les avances du créateur.


Il se pendit au lustre du salon.


Était-ce en souvenir de sa muse ou une simple réaction biologique à l'action de la corde ? Sa plus belle œuvre était posthume.


 
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   Anonyme   
15/7/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai beaucoup aimé ce texte presque jusqu'à la fin. Mais à partir de
Mais ce chef-d’œuvre
je n'ai plus compris à la première lecture. En revenant dessus, j'ai saisi ; le fait que la conclusion ne m'ait pas sauté aux yeux, que la chute se soit montrée alambiquée pour moi, montre qu'elle ne me correspond pas. Peut-être conviendra-t-elle à d'autres lecteurs.

Bon, l'artiste a une superbe bandaison de pendu, et c'est pour cela que vous avez choisi cette fin, mais en l'occurrence je trouve qu'elle nuit au mouvement général du récit que j'aurais plutôt vu rester gratuitement en suspens telle une éternelle bandaison. Bref, c'est votre choix d'auteur, rien à dire. Comme lectrice, il a tendance à me gâcher la fin.

Cela n'est pas bien grave, j'ai apprécié dans l'ensemble cette balade insolite, ce point de vue décalé. Une mention pour
La bandaison du matin était rêveuse. Elle dessinait son ombre massive dans la pénombre de la chambre
C'est bien dans le ton d'une virilité qui se veut triomphale, cette "ombre massive" !

   carbona   
17/7/2016
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bonjour,

Je me suis moyennement laissée porter par ce texte. Le traitement de l'objet de la lecture "la bandaison" est peut-être trop linéaire, trop terre à terre, quelques brins de folie auraient été appréciables, situations cocasses ou fantaisistes sans tomber dans l'obscène comme vous avez largement réussi à la faire. Je n'apprécie pas non plus pleinement la chute, la pendaison / bandaison tombe dans un humour que je n'estime pas dans la lignée de la lecture.

Merci

   hersen   
18/7/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Nous sommes face à un auteur qui, sans aucun doute, prend son pied à écrire cette histoire.

L'écriture est rodée. Elle est belle, elle est juste, on sent un auteur habitué à d'autres registres.

Si on dit qu'on n'aime pas, on passe pour prude, bonnet de nuit (bonnet d'amish ?) et si on dit qu'on aime, on pourrait, et ce serait fâcheux, passer pour dévergondée.

L'humour sauve tout, le parallèle entre l'érection et l'art est osé peut-être, mais sauve l'histoire et l'auteur sait très bien où il va et ne prend rien au sérieux et le fait comprendre.

je dois avouer que la fin m'a fait éclater de rire, l'auteur ose tout, et du coup, j'ai relu le texte avec, je me l'imagine, le pétillant de l'esprit de l'auteur pour compagnon de lecture.

Voici pour moi venue l'heure d'évaluer. Alors dans le but de rester dans cette ambiance que l'auteur s'est donné la peine de peindre, en artiste, j'affuble ma note d'une flèche érectile.

merci de cette lecture.

   plumette   
19/7/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Voilà un texte qui n'est ni vulgaire ni lourd alors qu'il aborde un sujet qui aurait pu l'être!
on entre dans le vif du sujet ( hi hi!) sans complexe et c'est assez réjouissant.
Ce texte a même certaines envolées lyriques et sympathiques!

je salue en particulier:

"elle arriva, nappée dans une robe chamarrée près du corps, les cheveux ondulés caressant ses épaules dont l'une s'était affranchie du contact de la bretelle rouge. S'il ne fut pas si empressé et anxieux, il aurait pu signer à cet instant son plus grand chef-d’œuvre."

Mais:

Gisèle est un peu trop chargée à mon goût avec gaine et bas de contention!
Quant à la chute, elle m'est apparue comme une ultime pirouette de l'auteur car si Mélissa mérite une bandaison, je trouve qu'elle ne mérite pas une pendaison!

   MissNeko   
12/8/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour

Je me suis bien amusée à lire votre texte que je trouve drôle sans tomber dans la vulgarité que le sujet aurait pu entretenir. Au contraire ! En élevant l'érection en art on y trouverait presque de la délicatesse et du raffinement !!!
Bref j ai vraiment aimé vous lire : votre style est fluide.
Terminer l'odyssée de la "bandaison" par une "pendaison" c est bien trouvé ! Se pendre ou comment mourir en bandant éternellement .
On disait d'ailleurs qu aux pieds des pendus mâles poussait de la mandragore. Mais je doute que le sol du salon soit propice à cela !

Au plaisir de vous lire !

   vendularge   
12/8/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Voilà une histoire qui me fait penser au "zizi" de Perret, des grands, des longs de mous...etc histoire de rire un peu des tabous de l'époque..

Bon, ce type passe son temps en mode "rigide", sa secrétaire, une augmentation, le matin, à l'occasion du mot "poule" sur un menu. On est plus dans le presque pathologique que dans le côté

"jonc poétique au grès du vent de l'inspiration".

Le portrait de la pauvre Gisèle, est un tout petit peu caricatural (je suis sûre que la petite Mélissa 15 ans plus tard aurait cessé de fasciner Monsieur "je bande à tout va parce que vous le valez bien")

C'est une historie triste et même tragique racontée d'un ton léger, le tout ponctué des diverses érections du héros qui cherche absolument à leur donner une sens.

C'est original comme point de vue
vendularge

   Anonyme   
13/8/2016
Pauvre Gisèle tout de même, qui avec un abruti de mari, se retrouve seule avec ses deux enfants, qui sont les siens aussi à cet enfoiré, mais sachant que sa poufiasse de Melissa ne veut pas de lui, préfère se pendre en bandant, délaissant sa famille à son égocentrisme démesuré.
Bien sûr, ce n'est qu'une histoire, mais qu'il aille se faire foutre ce con, et tant mieux si il crève, moi j'embrasse Gisèle, car c'est elle qu'à du cran, et lui c'est un branleur de première.

   Anonyme   
15/8/2016
 a aimé ce texte 
Bien
C'est rigolo et bien tourné, jamais vulgaire, c'est toute la difficulté de l'exercice. Il ne faut pas croire non plus que ce soit très original, des célébrations de ce type il y en a eu beaucoup. A toutes les époques et sous toutes les lattitudes. Ben oui, figurez-vous que j'ai dans ma bibliothèque "L'anthologie de la poésie érotique" de... Pierre Perret ! Si, si... un bijou.
Pas grand chose d'intéressant à dire de plus. Le final, bien sûr, presque inévitable quand on a entendu parler de ce phénomène post mortem. Peut-être quelques raccourcis abrupts, des sauts de paragraphes trop rapides, mais qui n'enlèvent rien à la vigueur ironique du texte.

   Anonyme   
15/8/2016
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bof !

Le terme "bandaison" apparaissant dès les premières lignes, tellement proche de "pendaison", laisse rapidement augurer la fin, mais ceci n'est pas très grave.

Entre le début et la chute, je n'ai rien trouvé qui me fasse palpiter, ni dans le style ni dans le déroulement qui aurait pu être plus coloré, plus cocasse, plus tendre ou plus cynique, plus... enfin bref, plus quelque chose, quel que soit ce quelque chose.

J'ai trouvé le déroulement plutôt plat et je me suis ennuyé à cette lecture qui, heureusement, était courte. Le sujet est certes plus original que ceux qu'on découvre d'ordinaire, mais son traitement est sans surprise aucune, sans aucun relief littéraire. L'originalité ne peut suffire et je banderai sans doute plus vigoureusement pour un texte prochain.
Prenez plutôt cela comme un compliment à l'égard de votre texte précédent. Il était original également, mais il était littérairement beaucoup plus intéressant. Selon moi, bien entendu.

Dans ce texte, finalement, une seule formulation a retenu mon attention : "dont l'une s'était affranchie du contact de la bretelle rouge".
C'est beaucoup trop peu.

Désolé. J'avais aimé le précédent, j'aimerai sans doute le prochain.

   David   
16/8/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Bonsoir jean_Meneault,

J'ai pensé un moment à un jeu de mot, que ça n'allait pas vraiment parlé de sexe, mais bifurquer sur une analogie quelconque pour faire la blague. Donc non, le sujet est bien le sujet, narcissiste à tous crins j'ai envie d'écrire, et c'est assez drôle comme ça. Ça parodie le genre érotique et toutes les mascarades de l'érotisme aussi, pour appeler un chat autrement qu'un chat, genre qui est quand même une sacrée autoroute de la littérature, ce contrepied en rajoute sur l'humour. Encore un anti-héros aussi, tiens, comme pour une lecture précédente, les personnages féminins sont bousculés mais s'en tirent mieux que le héros au final (ou presque, il y a quand même une veuve, des orphelins, snif... ) un certain art de la fugue en quelque sorte, dans ce très court récit.

   GillesP   
18/8/2016
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai bien aimé ce petit parallèle entre l'esprit (l'art) et le corps (bander). Comme d'autres lecteurs, la phrase sur la bretelle m'a plu. J'ai eu un petit souci de détail sur la première partie du texte: elle commence à l'imparfait incarnant l'habitude, mais elle se poursuit au passé simple, comme si c'était une action ponctuelle, ne se déroulant qu'une seule fois, alors que vous racontez manifestement la suite des journées quotidiennes de l'artiste es bandaison.

   Jean_Meneault   
23/8/2016
Voici le lien vers le forum de discussions, j'avais oublié de le placer ici; c'est un peu tard mais je voulais que les choses soient d'équerre.

http://www.oniris.be/forum/un-certain-art-de-vivre-t22378s10.html#forumpost298122

   Anonyme   
2/9/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J’entre dans le vif du sujet dès le titre, et, dans un réflexe de pruderie culturelle, aussitôt sur mes gardes je freine un peu mon enthousiasme à lire la dernière petite nouvelle de Jean Meneault.

Ouf ! Rien du trivial que j’exècre et qui rabaisse la dignité des femmes et de l’être humain en général. Bien au contraire ! Et moi j’aime quand les choses crues et vraies sont dites avec intelligence et des tonnes d’humour.
Ici, c’est triste et léger à la fois. Je ne peux m’empêcher de penser à Brassens, réputé, vous en conviendrez, pour mettre en musique les choses profondes.

Seules les névroses féminines sont à ma portée, et pour cause, mais il me semble que vous résumez avec justesse ce qui représente un réel problème pour certains hommes en quête d’absolu : l’obsession de prouver leur virilité pour exister.

En partant de la constatation qu’il vaut mieux rire de certaines choses plutôt que d’en pleurer, le ton de dérision malicieuse, voire carrément poétique dans vos premières lignes, est le pendant judicieusement choisi au fond dramatique de l’histoire que vous nous contez.

Bien sûr, tout cela est rondement mené par une plume agréable, ayant des qualités d’écriture affirmées, sans lesquelles il n'y aurait du plaisir pris.

Je ressors de ma lecture avec beaucoup de compassion pour ce bandeur compulsif.

Merci et à bientôt de vous relire


Cat

   Pouet   
2/9/2016
 a aimé ce texte 
Bien
La pendaison papa ça n'se commande pas.

Bien aimé dans l'ensemble.

Bon un peu ressassé le fait de ne plus dresser le pavillon lorsque le temps passe, que les enfants arrivent... Mais probablement pas faux, pas dans tous les cas heureusement.

Autant j'ai cru à l'artiste bandant, autant son suicide ne me convainc pas trop.

Mais fallait oser, ce n'est pas vulgaire, ça fonctionne bien.

Bonne continuation.

   Muscadet   
18/1/2017
 a aimé ce texte 
Bien
Un texte engagé sur la condition de l'homme en couple qui déclenche un réflexe primordial de solidarité à la fois intellectuelle et physiologique.
Au diable l'originalité, le quotidien n'est pas un film à suspense.

   silvieta   
22/1/2017
 a aimé ce texte 
Passionnément
Au delà de tout jugement moral envers ce Don Juan de pacotille j'ai adoré ce catalogue de situations, "culotté" (hé hé),
divinement écrit, divinement croqué, mené de main de maître et à la chute imparable.

ça c'est l'humour que j'aime.

   Anonyme   
17/9/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Jean Meneault

L"accroche est bonne, et le thème bien sympathique.

Dans l'énumération des situations, il me manque un tout petit quelque chose pour en profiter pleinement. Un peu plus de folie, certainement.

Par contre, j'ai aimé la chute (si je puis dire, puisque là c'est plus d'élévation dont il s'agit).

Au final, un texte bien sympa et bien écrit.


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