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Réalisme/Historique
Jedediah : Anarquia
 Publié le 21/10/07  -  13 commentaires  -  5158 caractères  -  25 lectures    Autres textes du même auteur

Un combattant espagnol de l'époque de la guerre civile vit ses derniers instants, des suites d'une blessure mortelle.
Au seuil de la mort, saura-t-il rester fidèle à ses valeurs ?


Anarquia


La balle lui traversa le flanc gauche.
Il tomba à terre.


Ainsi, c'en était fini de lui.
D'une certaine façon, cela le soulageait. Il n'en pouvait plus de cette guerre civile, qui depuis peu avait tourné à leur désavantage, et qui faisait chaque jour plus de morts. Le pays comptait déjà des dizaines de milliers d'hommes en moins, et les fascistes en étaient venus à massacrer les femmes et les enfants.


Mais plus rien de tout cela n'avait désormais d'importance pour lui. Déjà, il sentait la vie le quitter lentement, son cœur battre plus lentement. Sa poitrine ne le faisait pas souffrir, à vrai dire il sentait même comme de légers chatouillements. Il ne voulait pas ouvrir les yeux, car il n'y aurait vu que de la fumée et du sang.
Les sons de la bataille lui parvenaient toujours, mais plus sourds : c'était comme si le combat se poursuivait toujours, mais plus loin. Comme si son corps à terre avait eu le pouvoir de taire les coups de feu et les cris des blessés, ou de déplacer la zone de conflit.
Une botte heurta sa tête.
Il ne sentit pas la douleur, mais sa conscience vacilla dangereusement.
Il avait hâte de quitter ce monde de haine et de violence, aussi voulut-il s'évanouir tout de suite.


Carla.


S'il était bien quelqu'un qui eût pu le pousser à se battre jusqu'au bout pour ne pas mourir tout de suite, c'était bien elle. Mais les franquistes l'avaient fusillée, alors qu'il était parti au combat, la laissant seule avec les autres femmes du village.
Cela aurait dû le pousser à se venger, à déchaîner sa haine et sa colère pendant les batailles, mais ce fut tout le contraire : un véritable coup de massue, le rendant complètement affaibli et indifférent.
C'était à ce moment-là qu'il avait pris conscience qu'il s'était jusque-là battu non pas pour ses idéaux, mais pour sa femme.
Pour l'amour de sa vie.


À travers le voile de silence qui le séparait désormais du monde extérieur, il entendit la voix de Fernandez, qui implorait une retraite générale.
Fernandez lui manquerait, lui qui était resté fidèle à ses valeurs depuis le début; depuis l'appel du syndicat à la grève générale.


Mais il lui pressait de mourir enfin, de ne plus penser à tout cela.
Il n'espérait pas rejoindre un monde meilleur dans sa mort; il ne croyait pas en Dieu. Alors même qu'il vivait ses derniers moments, aucune de ses pensées n'allait vers des prières, ni dans l'espoir de retrouver Carla au paradis ou en enfer.
Ni Dieu, ni maître.
Une grenade explosa à quelques mètres de lui. Un éclat brûlant vint se loger dans sa gorge, et il pensa qu'il avait été touché à la carotide.


Ah ! Pauvre de lui ! Tout allait tellement bien jusqu'à la mort de sa femme ! La guerre civile ne lui faisait alors pas peur, il filait le parfait amour, et la révolution allait bon train !
Dans les semaines qui avaient suivi son deuil, les combats s’étaient intensifiés, et ces traîtres de communistes, fidèles à la lointaine mais puissante Moscou, s'étaient retournés contre eux, semant la zizanie dans le camp républicain !
L'Espagne semblait s'être effondrée en même temps que lui, après que le corps de Carla ait été incinéré, sans office religieux.


L'Espagne pouvait bien tomber sous la botte de Franco, il s'en souciait bien peu, à présent. Du sang tout chaud coulait abondamment le long de sa gorge, il s'en rendait à peine compte, et bientôt ses pensées s'embrouillèrent.
Sa naissance à Madrid, en octobre 1917, son engagement dans le syndicat, puis sa rencontre avec Carla, enfin la victoire du Frenze Popular aux élections de 1936, puis la guerre civile.
Et maintenant, sa mort, le 8 février 1938, trois mois après celle de sa femme.


***


Sa poitrine le faisait atrocement souffrir. Sa gorge aussi. C'était comme si on lui avait enfoncé une épée dans le ventre. La douleur l'empêchait de penser, ou plutôt il ne pensait qu'à elle. Il avait l'impression de n'être qu'une boule de souffrance, et non pas un être de chair et d'os.
Il réussit à ouvrir les yeux, et ne vit qu'un plafond miteux à moitié en miettes.
Ils l'avaient secouru. Ils ne l'avaient pas oublié en battant en retraite. Ils auraient pourtant tout aussi bien pu le laisser pour mort, vu son état.
Ils auraient bien mieux fait de le laisser pour mort.


Un visage bouffi et balafré apparut dans son champ de vision. L'homme avait des yeux minuscules, et ses grosses joues le faisaient ressembler à un gros hamster.
Il lui sourit, découvrant aussi des dents de hamster.
D'une main, l'homme lui désigna alors une scie à métaux, et de l'autre un énorme marteau.
Son sourire s'élargit.


Il essaya de remuer, mais fut incapable de soulever autre chose que sa tête.
Ils l'avaient enchaîné à une table.
Les fascistes.


- Vous allez me dire tout ce que vous savez sur les livraisons d'armes en provenance de l'URSS, expliqua lentement l'homme à la face de hamster.
Son cœur fit un bond dans sa poitrine : il n'en savait rien.
Intérieurement, il se mit à prier, pensant très fort à Carla.



 
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   Anonyme   
23/10/2007
 a aimé ce texte 
Bien
J'aime beaucoup les idées, les émotions que véhicule cette nouvelle.

Le ton détaché est d'à propops mais pas toujours ce que je regrette.

J'aurais vu des mots, des expressions percutantes comme des coups de feu.

   Anonyme   
23/10/2007
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
l'histoire est intéressante, bien racontée dans un style qui gagnerait à être amélioré Ce dernier relève plus de la narration. Et c'est dommage

   guanaco   
25/10/2007
 a aimé ce texte 
Bien ↓
L'idée d'un instantané sur le champ de bataille est intéressante et la guerre d'Espagne est peu (voire pas?)traitée sur le site (je parle du thème de fond, il ne s'agit pas de faire un cours d'histoire)
Cette nouvelle est suffisamment longue si on s'attache à l'épisode du blessé qui se sent partir et qui vit ses derniers instants. La possibilité existe de faire un portrait psy suffisamment argumenté pour donner une dimension au personnage.
Mais je constate que tu donnes des infos sur le conflit. En ce qui me concerne, je pense qu'il est difficile de parsemer le texte d'infos de-ci de-là sans en donner un peu plus, et là évidemment, la nouvelle doit être plus élaborée.
Ce qui montre bien que l'auteur doit faire des choix et que ce n'est pas simple du tout. Je respecte ton choix, ta perspective, je n'ai pas été ému par le personnage et son sort mais j'adhère à l'originalité du thème (qui est d'une atroce complexité!)
Quant à l'écriture, j'ai passé un agréable moment, les mots sont simples et précis et je suis d'accord avec Emry's sur le côté percutant qu'il manque de temps en temps.
Merci pour ce texte.

   Oli   
15/11/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
La nouvelle est bien écrite, le titre vraiment adéquat.
Juste 1 petit commentaire -
le mot fascistes est peut être trop fort pour désigner l'extreme droite espagnole du régime de Franco (ça aurait été plus adéquat nationalistes) Je dis cela car le régime en Espagne n'est pas comparable à celui d' Italie où d' Allemagne qui étaient encore plus extrémistes.

   strega   
25/2/2008
 a aimé ce texte 
Bien
C'est vrai que le style est très narratif, mais j'aime bien cette idée de caméra qui nous montre sans vraiment nous influencer.

Ceci dit, l'épisode de la blessure et de l'abandon à la mort est assez bien décrit je trouve. Elle nous évite tout un tas de clichés à ce sujet et montre le personage fidèle à ses opinion jusqu'au bout, j'aime bien cette idée "mourir pour des idées d'accord mais de mort lente..."

Il est vrai aussi que le thème est peu courant, et ne serait-ce que pour cette raison, la nouvelle m'a été très agréable. Enfin agréable n'est pas vraiment le mot qui convient mais vous m'avez comprise.

Bravo et merci.

   widjet   
25/3/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Après "l'oiseau" cela ne fait plus aucun doute : l'auteur aime faire souffrir ses personnages !
En ce qui concerne les deux histoires (celle du personnage et la guerre civile), on aurat aimé en savoir un peu plus ! Je regrette que le dénouement me laisse aussi sur ma faim.
Mais ce qui précède se lit sans encombre. Je vais en lire une autre. Merci

W

   Flupke   
8/8/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Uranium,
Bien écrit. Bonnes descriptions. Des idées intéressantes.
Surpris à la fin donc un petit plus.
Amicalement,
Flupke

   leon   
16/11/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Excellent : je ne m'attendais pas du tout à la chûte.

C'est dit en peu de mot : assez pour créer une consistance et une ambiance.

La fin est atroce : j'adore.

Le récit est très bien mené puisqu'il nous amène d'un homme à qui la mort ne fait finalement plus peur à qqc de terrible !!!

oui : excellent !!!

   Anonyme   
21/12/2008
 a aimé ce texte 
Bien
C'est ce qui s'appelle tomber de Charybde en Scylla.
Une bonne idée de chute et un texte qui se lit avec plaisir.
A bientôt

   Anonyme   
21/12/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Un sujet fort qui prend aux tripes.
Une vraie nouvelle.
C'est à dire, une histoire écrite avec le seul souci de captiver le lecteur, sans fioritudes inutiles.

   Menvussa   
21/12/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bien écrit et véritablement atroce... La chute plutôt inattendue relance l'intérêt en même temps qu'elle nous glace d'effroi et le récit s'arrête là.

Bravo

   marogne   
19/7/2009
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Le désordre de la pensée dans les derniers moments – si c’est l’hypothèse que l’on fait sur la façon dont ça se passe, ça se passera – est assez bien rendue par le désordre des sujets abordés. Mais ce désordre n’apparait pas toujours cohérent avec la profondeur, ou la richesse de certaines pensées. Cet amalgame donne un sentiment d’artificiel, et fait que l’on n’y croit pas. L’émotion n’est pas là, n’est plus là après quelques lignes. Peut être le partie prit de décrire et de ne pas se mettre à la place du mourant a participé à cet effet. L’écriture me semble aussi un peu trop légère, enfantine pour de tels instants, peut être quelque chose de plus lourd, de plus sombre aurait mieux fait passer la situation.

Carla ? Elle apparaît, mais comme une excuse, comme une aparté, on ne la visualise pas, être de chair ou seulement rêve. Dommage là aussi.

Oui il fallait une fin, mais le personnage de bande dessinée (on se croirait chez Franquin – un épisode de Spirou et Fantasio) qui apparaît à la fin fait encore plus tomber la tension – on se prendrait presque à attendre les saucissons…..

Détails :
• le « aussi voulut-il s’évanouir tout de suite » détonne un peu par rapport au contexte
• la phrase « les franquistes l’avaient fusillées ….village », avec la partie entre virgules au milieu se lit comme si les franquistes l’avaient fusillée pour la laisser seule !

   Anonyme   
4/4/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je viens de voir que vous êtes présent sur Oniris; je n'avais jamais vu apparaître votre surnom (je déteste ce mot avatar).
Donc j'ai lu votre nouvelle et l'ai trouvée absolument émouvante, éprouvante et relativement pingrement évaluée.
Et quand je dis cela, je suis gentil...
J'ai aimé ce ton et cette écriture simple, précise, contenue.
En espérant que d'autres viennent vous lire et que vous publiiez à nouveau...


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