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Fantastique/Merveilleux
Jemabi : Du mouvement perpétuel
 Publié le 21/10/22  -  9 commentaires  -  8601 caractères  -  38 lectures    Autres textes du même auteur

On aimerait que tout reste tel quel, que rien ne change, mais malheureusement tout finit par bouger.


Du mouvement perpétuel


Il m'avait bien semblé que l'immeuble – je devrais plutôt dire le grand bâtiment de sept étages, sans compter les chambres de bonnes, tourelles et autres colonnes qui se dressaient à son sommet en guise d'art architectural – cet immeuble, dis-je, situé juste en face de notre maison et que j'avais toujours connu là, imposant, qui avait bercé mon enfance car j'imaginais que c'était un paquebot qui m'emmènerait peut-être à l'autre bout du monde ; cet immeuble, donc, s'éloignait chaque jour davantage. De façon imperceptible, certes, de quelques centimètres à chaque fois et sans laisser de marques, mais de façon certaine. À partir d'un moment, j'en étais obsédé au point qu'aussitôt réveillé, je courais à la fenêtre afin de vérifier ma thèse. Je suis bien obligé de dire « ma thèse » puisque nul autre que moi n'acceptait d'ouvrir les yeux assez grand pour constater l'évidence. C'était pourtant simple – trop simple ? – de se pencher sur notre réalité quotidienne en tentant de savoir si celle-ci était ou non conforme à celle des jours précédents. Quand j'appelais ma sœur afin qu'elle partageât ce suspense avec moi, elle me répondait qu'elle était pressée et devait se préparer. Ou bien elle me regardait moi, d'un air accablé, comme si j'étais en train de blaguer. Quand je me confiais à ma mère, elle acquiesçait gentiment et passait à autre chose. Je sentais bien que personne ne prenait mes dires au sérieux, personne même ne prenait la peine de venir voir, ne serait-ce que pour m'apporter un début de contradiction. À force, cet étrange phénomène qui commençait, pour ma part, à m'inquiéter, était devenu un sujet de plaisanterie à la maison. Parfois, ma sœur me lançait, tout en passant devant la fenêtre : « Tiens, ton grand paquebot part sans toi… »

D'autres fois, c'était : « T'as pris ton ticket ? C'est bientôt le départ… »

Elle était décidée à mettre cela sur le compte de mes lubies passagères.

Persuadé d'être dans le vrai, je me contentais de hausser les épaules. Ma mère, plus compatissante, plus subtile aussi, me réveillait le matin en m'annonçant non pas l'heure d'aller à l'école mais l'heure de contempler mon beau bateau. Elle savait qu'ainsi je ne ferais aucune difficulté pour me lever. Quoique indifférent aux critiques, je me sentais plus seul que jamais.

Et puis, ce qui devait arriver arriva. Un dimanche matin, alors que je m'extirpais avec peine et regrets d'un sommeil plus long qu'à l'ordinaire, j'entendis des cris provenant de l'extérieur. Ils s'apparentaient à ceux que lancent les supporters d'une équipe de football pour l'encourager. Des applaudissements ponctuels confirmèrent cette première impression. Tandis que je concentrais peu à peu mes forces afin d'ouvrir les yeux, un trouble s'empara de moi : à ma connaissance, il n'y avait aucun terrain de jeu à proximité, et, vu l'étroitesse de notre rue, il était impossible d'y pratiquer le moindre sport. Il n'en fallut pas davantage pour me réveiller tout à fait, la curiosité aux abois. En un instant, j'étais debout et me précipitai vers la fenêtre. Ce que je découvris sur place me figea et me secoua en même temps, me soumettant ainsi à un curieux vertige auquel il fallut d'abord résister. J'avais beau m'être fait à l'idée de voir disparaître un jour ou l'autre l'immeuble d'en face, fin hélas prévisible tant l'éloignement était permanent, le fait que cela se produise vraiment fut pour moi une surprise de taille. Il était bel et bien parti, il n'y avait aucun doute là-dessus, et, tout en constatant ce départ, je ne parvenais pas à comprendre comment pareil phénomène était possible, car il défiait toutes les lois connues. Et ce n'était pas ce grand terrain de football, qui s'y était substitué, qui était en mesure de me rassurer. Habité par ce mystère qui me replongeait dans mes rêves d'enfant, à cette différence près que le paquebot m'avait abandonné sur le quai, je décidai d'aller chercher ma mère et, au risque de lui faire subir un choc, de la confronter à l'indiscutable réalité. Elle ne pouvait plus nier, à présent, et au fond j'étais assez content d'avoir eu raison contre tout le monde. Si l'on m'avait écouté, peut-être aurions-nous pu stopper le départ, puisqu'il avait l'avantage d'être progressif et non pas brutal. Maintenant, il était trop tard, il nous fallait accepter sans protester ce misérable terrain et ses bruyants joueurs qui ne manqueraient pas de nous réveiller de bonne heure chaque dimanche.


– Tu trouves ça normal ? dis-je en la plaçant bien en face de la fenêtre et tant pis pour son cœur.

– Quoi ?

– Ne me dis pas que tu ne vois rien, cette fois. Il n'y a plus d'immeuble en face ! Plus rien ! insistai-je au cas où elle n'aurait toujours pas remarqué.

– C'est vrai ! se contenta-t-elle de confirmer.

– Et qu'est-ce que t'en penses ?

– Je trouve ça mieux, me répondit-elle. Il nous cachait le soleil, de toute façon. Tu ne devrais pas t'attacher aux choses comme ça. Rien ne dure, dans la vie, tout bouge, c'est pourquoi il faut profiter à plein de l'instant présent. Maintenant, le salon va être plus clair, tu vas voir. On pourra rester jusqu'en fin d'après-midi sans allumer la lumière…


Elle continuait de parler mais je n'entendais plus. La tête me tournait. Même devant l'évidence absolue, je ne parvenais pas à la sortir de sa passivité. Qui d'autre appeler au secours ? Sûrement pas ma sœur, elle se serait encore moquée ou m'aurait accusé de lui faire perdre son temps. Je me frottai le visage d'une main, et de l'autre je tentai d'attraper une chaise afin de m'asseoir un petit peu. J'en avais besoin. Ne la trouvant pas, je supposai qu'on l'avait changée de place et je me mis à la chercher du regard. C'est à l'autre bout de la pièce que se trouvaient maintenant la table et les chaises. On avait dû tout changer pendant mon sommeil ; cette surprise de dernière minute, ajoutée au reste, ne fit qu'empirer mon état d'accablement. Puis, tout à coup, je crus défaillir réellement. Le changement était gigantesque, il touchait non seulement les meubles, dont aucun n'était à sa place, mais aussi les murs, qui avaient tous reculé depuis la veille. Le salon avait doublé de dimension, comme ça, brutalement. Comment n'avais-je rien vu venir ? Je m'en voulais d'avoir été si distrait. Peut-être avais-je été trop occupé à regarder en face ; on ne peut pas s'intéresser à tout, non plus. La main de ma mère, munie d'un mouchoir, entra à ce moment dans mon champ de vision et commença à me serrer le nez avec énergie.


– Souffle ! me dit-elle. Souffle fort !


J'obéis sans rien dire ; je ne savais plus quoi dire, de toute façon. Ensuite, je fus un peu soulagé.

Mes proches, depuis le début, semblaient adopter une drôle de stratégie, qui consistait à faire comme si rien ne se passait. C'était, il est vrai, la meilleure façon de ne pas s'alarmer. Moi, je ne pouvais pas. Jusqu'à quand allaient-ils se taire ainsi ? De par sa proximité, ce changement-là aurait dû les inquiéter, il était cent fois plus important que l'autre, il l'éclipsait. Eh bien non, ils continuaient à ne laisser paraître aucune émotion, comme si leurs yeux ouverts étaient en réalité fermés. Au fil des jours, devant l'indifférence générale, j'avais fait de la résolution de cette crise une affaire personnelle. En cet instant pourtant, perdu au milieu d'un chamboulement qui prenait les apparences du quotidien pour mieux nous tromper, je doutais de tenir bien longtemps. Comme avant une bataille incertaine, j'éprouvai la nécessité de dénombrer mes quelques repères essentiels. Ils n'étaient guère nombreux, et leur faiblesse me fragiliserait à coup sûr : il y avait ma sœur, ma mère… Me tournant vers elle, je remarquai qu'elle aussi s'éloignait, mais ce n'était pas si grave puisqu'elle se dirigeait simplement vers la cuisine. Non : elle allait dans la salle de bains. Au fait, pourquoi la salle de bains se trouvait-elle désormais à la place de la cuisine ? Et qui avait posé cette moquette beige sur notre bon vieux parquet ? Beige, en plus ! Le monde entier, à commencer par les membres de ma famille, m'apparut complice de cette mascarade. Voilà pourquoi ils vaquaient à leurs occupations malgré ma détresse. Tout devint clair dans mon esprit, et ces événements qui s'étaient déroulés derrière mon dos pendant que je regardais naïvement par la fenêtre, ils en étaient peut-être les principaux investigateurs. Peu m'importait à qui en revenait la faute, il me fallait réagir. Je m'apprêtais à hurler ma volonté inébranlable de donner mon avis en matière de décoration… lorsque je me souvins que nous venions de déménager. Ce qui me calma aussitôt.


 
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   Angieblue   
28/9/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une histoire avec un début digne de la quatrième dimension. La première moitié m'a vraiment captivée et intriguée avec cette histoire d'immeuble qui s'éloigne. Idem pour le salon qui s'est agrandi. Joli également le fait que l'enfant imagine un paquebot.
Mais, la chute de l'histoire, quelle déception ! J'aurais aimé que l'on reste dans l'irrationnel. Je m'attendais à autre chose. Et puis, ça n'est pas très crédible, je trouve, car un garçon aussi soucieux des détails, comment aurait-il pu zapper un aussi gros évènement ?
Sinon, c'est bien écrit, pas de soucis de ce côté, excepté deux petites remarques:
-" il y avait ma sœur, ma mère... Me tournant vers elle, je remarquai qu'elle aussi s'éloignait"
Ici, on s'attend à: "me tournant vers elles (pluriel comme elles sont deux. ) ou bien il aurait fallu écrire " Me tournant vers cette dernière".
- Vers la fin, vous avez écrit "les principaux investigateurs" au lieu de "les principaux instigateurs".

Angie en EL, vraiment déçue par la fin.

   Anonyme   
21/10/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Jemabi

Gros point positif, on est directement happé par le ton et le mystère. J’aime beaucoup la description initiale de cet immeuble et de l’étrangeté de son déplacement qui intrigue le narrateur. Ce dernier commence à frôler une névrose encouragée par sa mère qui rentre dans le jeu de son fils. La fin tombe comme un couperet plutôt frustrant car je m’attendait à quelque chose de moins prosaïque et je suis un peu restée le bec dans l’eau. A mon sens, l’idée est bonne, mais je trouve que vous n’en avez pas exploité le potentiel. Peut-être aussi que de naviguer entre le fantastique et l’humour dessert l’ensemble qui a le cul entre deux chaise, si vous me passez l’expression. Ca n’en demeure pas moins une nouvelle fort agréable à lire et très bien écrite.

Merci pour ce texte fantastique et gratuit et au plaisir de vous relire bientôt.

Anna qui vérifie si ses meubles n’ont pas bougé pendant la nuit.

   Cyrill   
21/10/2022
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour Jemabi,

Un titre prometteur en matière de fantastique, me dis-je. Et ça démarre bien avec cette histoire d’immeuble-paquebot dérivant lentement. Hélas, les remarques incessantes du narrateur visant à expliquer que ce qui se passe n’est pas normal viennent gâcher le récit, comme des scories qui empêchent le lecteur que je suis d’adhérer au fantastique. Tout comme les réactions familiales, qui indiquent avec trop d’insistance où se situe la limite entre la réalité et l’illusion.
L’idée est pourtant, je trouve, diablement bonne de cet enfant ( ado ? ) rêveur, qui dans un désir d’immuabilité des choses, tâche de conserver ses repères d’avant le déménagement, s’y accroche au point qu’il oublie l’élément essentiel qui expliquerait ce qui lui paraît incroyable. L’épisode où la mère fait se moucher l’enfant, qui me laisse penser un moment que pour lui le temps n’a pas passé et qu’il n’a pas grandi, est hélas mis de côté à peine abordé. Quant à la chute, elle me semble expédiée assez maladroitement.

Le canevas de cette nouvelle m’a paru tout à fait intéressant, je n’ai rien à reprocher à l’écriture, soignée, mais les fils que vous avez tissé m’ont semblé assez grossiers, quelquefois brouillons, ils ne m’ont pas permis de trouver naturel le bizarre. L’exergue ne m’a pas paru tenir ses promesses, l'histoire est restée en surface.

Une autre fois, j’espère.

   JohanSchneider   
22/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Nous voilà en plein réalisme fantastique ou merveilleux façon Murakami.

Et il est vrai que c'est moche comme couleur, le beige (d'ailleurs est-ce une vraie couleur ?).

Il est vrai aussi que la fin nous fait un peu brutalement tomber de haut.

Très bonne idée de départ, bien exploitée jusqu'à un certain point.

L'ensemble est porté par un style alerte et vif .

De la belle ouvrage.

   Malitorne   
23/10/2022
 a aimé ce texte 
Bien
Un conte qui s’inscrit dans une veine surréaliste, assez plaisant à lire je trouve. L’absurde va crescendo jusqu’à la pirouette finale qui surprend mais semble, cependant, quelque peu précipitée. On dirait que l’auteur ne savait plus ou aller. Autre petit reproche, l’expression du narrateur, soutenue, ne correspond pas à son âge. Est-ce devenu adulte qu’il raconte ? Il faudrait plus d’indications car il y a ici un décalage flagrant.

   plumette   
25/10/2022
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
je suis perplexe à la fin de ma lecture.
le récit n'est pas désagréable et il est intriguant.
je suis tout de même un peu gênée du niveau d'expression de cet enfant auquel d'ailleurs je n'arrive pas à donner d'âge.
l'étrangeté de cet "éloignement et "agrandissement " que l'enfant est seul à percevoir me laissait espérer quelque chose de beaucoup moins prosaïque que cette fin qui casse un peu la baraque!
Pas facile d'exploiter jusqu'au bout l'étrangeté. J'aurai bien voulu vous faire une autre suggestion pour une autre fin mais j'avoue que mon imaginaire est un peu en panne.

   Anonyme   
27/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je viens de lire quelque chose de très étonnant, un mélange de surnaturel et aussi très ancré de le réel avec cette enfant qui ne réalise pas ou n’as pas envie de comprendre que ses parents ont déménagés. Je me suis fait bien avoir avec cette fin que je n’attendais pas. Vous avez super bien amené votre suspens. Une histoire vraiment chouette !

   Donaldo75   
15/11/2022
Intéressante histoire que l’exergue introduit bien. Je l’avais lue en Espace Lecture mais n’avait pas pris le temps de commenter mais vu que l’auteur a pris la peine de commenter l’une de mes nouvelles – ce qui correspond à l’esprit du site – je ne peux que lui rendre la politesse. Dans mon souvenir de première lecture, j’avais trouvé le récit inégal mais consistant quand même, avec une mention spéciale pour la dernière phrase qui en porte tout le sel. J’aime bien la densité narrative, déjà dans le découpage et dans l’agencement du texte sur la page. Je trouve que les descriptions et les détails donnent un petit côté Jules Verne à la manière de raconter. J’aime bien Jules Verne surtout dans ses nouvelles. Jusqu’au premier réel dialogue, je suis dans le trip. Ensuite, moins. Je vois où la narration veut m’emmener – du moins je le crois car la dernière phrase m’a quand même bien calmé – mais je trouve le récit moins riche, différent. Je trouve que ça tourne un peu autour du pot alors que c’est une accélération que j’attendais – a posteriori vu que je n’ai pas vue venir la fin – histoire d’ancrer le suspense dans quelque chose d’achevé ou d’achevable. La dernière phrase correspond bien à un point d’orgue sur un récit accéléré mais il y a comme un hiatus entre la première partie, la seconde et cette fin, comme si l’équilibre difficile n’avait pas été atteint et que la balance penchait définitivement sur la première partie, rendant la seconde artificielle, pas assez incarnée ou visuelle. Je ne prétends pas expliquer à l’auteur comment écrire sa nouvelle, loin de moi cette idée, c’est ici simplement une impression de lecture, après avoir lu une première fois ce texte sans le commenter et une seconde fois dans le but de le commenter, donc avec plus d’attention et d’analyse critique (dans le bon sens du terme). C’est pourquoi ma première impression, celle d’un récit inégal, a perduré et je pense qu’elle résume bien ma lecture.

   Tadiou   
17/11/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai lu ce texte avec un grand sourire et presque avec attendrissement.

De belles naïvetés et de beaux enthousiasmes d'enfants. L'ambiance est légère, comme dans un conte de fées; le danger n'existe pas. La mère et la sœur sont bienveillantes. Je m'interroge sur l'absence du père.

Comme en ombres chinoises, comme en filigrane, un humour délicat est omniprésent.

L'écriture est vive et dynamique. Le lecteur est embarqué.
J'aime bien le titre, intriguant, avec un clin d'œil à la physique.

J'attendais avec beaucoup de curiosité le fin mot de l'histoire. Hélas trois fois hélas, c'est un prosaïque déménagement... Du coup peut-être eût-il mieux valu laisser une fin ouverte. Tant pis. Ça n'enlève rien au charme précédent.

À vous relire à plaisir.

Tadiou

Dans un 2ème temps et après un peu de cogitations, m'est venue l'idée suivante pour la fin qui semble décevoir quelques commentateurs (trices) :
...en matière de décoration...lorsque je me souvins que...

"Un univers parallèle, ou monde parallèle, est un univers possédant ses propres dimensions d'espace et de temps."
FIN


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