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Humour/Détente
Jemabi : Oscar ou la phobie des livres
 Publié le 29/08/24  -  5 commentaires  -  7485 caractères  -  37 lectures    Autres textes du même auteur

Oscar, sa mère, ses livres, et tous les malentendus qui en résultent.


Oscar ou la phobie des livres


On l'avait toujours surnommé l'intellectuel de la famille et, jusqu'à un passé récent, Oscar n'avait pas compris pourquoi. Ses amis le désignaient comme l'intello de service, sans que rien pourtant dans les relations qu'il entretenait avec eux ne pût justifier ce sobriquet. Le simple fait de porter des lunettes semblait suffire à le ranger dans cette catégorie, lui qui n'avait jamais possédé de bibliothèque sous une autre forme que trois ou quatre rangées de livres auxquels il n'était guère attaché. À l'école, il fallait le forcer pour lire toutes les pages des romans que la classe étudiait. Une fois l'ouvrage achevé, il poussait un ouf de soulagement, mais celui-ci était de courte durée sachant qu'un autre du même acabit allait remplacer l'ancien. Ni les grands romanciers français, ni les auteurs étrangers, n'étaient parvenus à le passionner. Quand des gens en parlaient devant lui, il acquiesçait pour faire bonne figure, puis préférait enchaîner sur un autre sujet.

Pour Oscar, la révélation survint un soir comme un autre. Sa mère ayant cuisiné des cuisses de poulet rôti à l'ail et aux herbes dont elle soutenait avoir réussi la cuisson à merveille, elle l'invita à dîner en sa compagnie.

Une fois à table, elle dut déchanter.


– Tu t'es lavé les mains ?

– Oui Mère, répondit posément Oscar.

– C'est bien. Enlève au moins le livre que tu as sous le bras.

– Je n'ai pas de livre sous le bras.


Il avait répondu de manière spontanée, sans même songer à l'incongruité de la remarque. Au moment où il s'apprêtait à se servir, sa mère revint à la charge.


– Je comprends que tu aies du mal à t'en séparer, mais c'est l'heure de manger et ce ne sera pas pratique, avec le poulet.

– Je n'ai rien sous le bras, vraiment !

– Parfois, insista-t-elle, on garde son livre sous le bras pendant si longtemps qu'on finit par l'oublier. C'est comme avec les lunettes. Il arrive qu'on se mette à les chercher alors qu'on les a sur le nez. C'est d'un comique. Je sais que c'est un déchirement et qu'un livre, pour toi, c'est sacré.

– Mère, enfin !


L'entêtement de sa mère commençait à l'exaspérer. Aussi, Oscar voulut lui prouver qu'elle se trompait. Mais à peine avait-il levé le bras, qu'un livre tomba à terre.


– Oh mon Dieu, cria-t-il, j'avais un livre sous le bras !

– Tu es drôle. Je ne cesse de te le répéter.

– Depuis quand ?

– Depuis tout à l'heure.

– Non, le livre. Depuis quand ?

– Depuis toujours, mon chéri.

– Toujours ? Mais alors pourquoi personne ne m'en a jamais parlé ?

– Ce n'est pas une tare d'aimer la littérature. Et puis tu sembles y prendre un tel plaisir.

– Quel plaisir peut-on y prendre ? C'est affreux, oui !

– C'est un livre d'horreur ?

– Non, c'est affreux d'avoir en permanence un livre sous le bras. Mettez-vous à ma place.

– Oh moi, je ne suis pas une grande intellectuelle.


Avec elle, les choses paraissaient toujours plus simples qu'elles ne l'étaient en réalité. Oscar, lui, prenait conscience de la situation pour le moins gênante dans laquelle il se trouvait. Pour n'avoir jamais aimé lire et avoir fait semblant du contraire, une punition divine lui imposait un livre sous le bras. Tant qu'il vivait dans l'ignorance, ça allait encore, mais maintenant qu'il savait d'où venait l'origine du malentendu dans ses relations avec autrui, le problème devait être réglé de façon définitive. Au fil du temps, ce livre lui avait donc fait de l'ombre, dissimulant au regard de tous sa véritable personnalité. Maintenant libéré, un nouveau jour pouvait advenir.

Sa mère le sortit de sa rêverie.


– Tu ne vas tout de même pas te mettre à lire à table. C'est un comble.


Alors Oscar réalisa que, tandis qu'il contemplait le tome I cloué au sol tout en songeant à son avenir, le tome II, encore plus sans-gêne, s'était confortablement installé dans l’assiette, à la place réservée au poulet. Grand ouvert, il exhibait comme une provocation ses pages prêtes à la lecture. Oscar eut alors la nette impression d'être un jouet entre les mains d’une force diabolique qui s'amusait de ses lacunes littéraires en lui imposant la compagnie de livres qu'il n'appréciait guère, tels ceux qu'on le forçait à lire au lycée. À leur façon, ces livres se vengeaient du peu d'intérêt dans lequel il les avait toujours tenus. Sur le moment, il n'envisagea qu’une solution.


– Excusez-moi, dit-il à sa mère en se levant de table.


Et au lieu d'aller sagement ranger les deux tomes sur une étagère, il se dirigea directement vers la poubelle de la cuisine afin de s'en débarrasser. Après avoir pris soin de bien refermer le couvercle, pour qu'ils ne reviennent pas le hanter, il éprouva un profond soulagement. Puis il retourna s'asseoir comme si de rien n'était. À peine rassis pourtant, il ressentit une gêne au niveau de son fessier. Quelque chose l'empêchait de se sentir à l'aise sur sa chaise. Une fois la main sur l'objet en question, il comprit que le cauchemar continuait, et qu'un tome III avait profité de sa brève absence pour prendre sa place. Ainsi donc, une coalition se formait contre lui. À ce petit jeu, Oscar possédait quelques avantages. En attendant, il serrait bien fort dans la main le petit malin, et pas question de lui laisser la vie sauve.


– Ça recommence ? lança sa mère. Tu ne peux donc pas t'en empêcher.

– Ce n'est pas de ma faute s’ils me poursuivent.

– Très drôle ! Range-le et reviens vite, veux-tu.


Il allait en effet se faire une joie de le ranger. Avec son idée en tête, Oscar retourna dans la cuisine et lui fit subir le même sort qu'aux deux autres. À la poubelle, l'intrus ! Un de moins, pensa-t-il. À qui le tour ? Ceci étant fait, il revint tout léger vers sa mère mais, au moment où il pénétra dans la salle à manger, il trébucha sur une pile de livres qui ne s'y trouvait pas auparavant.


– Ma parole, j'ai failli me casser la figure, s'exclama-t-il.


Le sortilège était sans fin. Soudain pris de sueurs, il dut se rendre à l'évidence : ce n’était plus un, ni deux, ni même trois tomes qu'il devait affronter désormais, mais une armée entière qui semblait lui déclarer la guerre, avec des combattants prêts à se sacrifier les uns après les autres. Il imaginait la maison envahie et devenir un véritable champ de bataille. Se sentant en situation de légitime défense, il n'hésita pas à empoigner toute la pile dans le but précis de faire le grand ménage.


– Tu as passé l'âge de ces enfantillages, tu ne crois pas, lança sa mère. Vas-tu enfin te décider à manger ?

– Il faut d'abord que je m'occupe d'eux, répondit Oscar en plein effort.

– Mais le poulet va refroidir.

– Qu'il refroidisse ! J'ai plus faim.

– Tu as tout le temps de les lire, bon sang.

– Vous ne comprenez décidément rien à rien, conclut Oscar en désespoir de cause.

– Qu'en termes désobligeants tu t'adresses à ta mère, aujourd'hui !


Et alors qu’il s'apprêtait à retourner dans la cuisine, les bras chargés d’un tas d’ennemis, Oscar entendit :


– C'est comme ça que tu me remercies ? J'avoue, j’ai tout manigancé.


Il stoppa net son offensive.


– Comment ça ? fit Oscar.

– Tout ! répéta sa mère. Connaissant ton amour immodéré pour la littérature, j’ai tout combiné. Le livre qui tombe, celui dans ton assiette, et l'autre posé sur ta chaise. Je voulais t'offrir cette collection en te faisant, comment dire, d'agréables surprises. Visiblement, j'ai eu tort. Dès que tu vois un livre, tu deviens fou, tu te précipites dessus et tu oublies même de manger.


À ces mots, Oscar éclata en sanglots.


 
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   jeanphi   
29/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Jemabi !

C'est à mon sens une très chouette nouvelle. J'emploie le terme chouette certes quelque peu équivoque parce que cela correspond vraiment à mon ressenti. Une belle énergie, des dialogues agréables à lire, avec quelques tournures caractéristiques d'un milieu familial stable et aimant, je trouve que vous tirez bien vos épingles du jeu en ce qui concerne les dialogues. Là où les formules auraient pu paraître ampoulées ou tarabiscotées, vous jouez justement de ces constructions particulière pour leur donner un côté réaliste et attendrissant.
L'idée de base me paraît originale et intéressante, suffisamment exploitée dans une forme courte ce qui me paraît également relever d'une ingéniosité certaine.
On reconnaît parfaitement votre griffe, votre inventivité au service de l'art du quiproquo dans cet opus ma foi tout à fait savoureux.

   Yakamoz   
30/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Jemabi,

J'ai lu cette nouvelle avec plaisir, d'abord au premier degré, puis après une deuxième lecture je me suis demandé si on ne pouvait pas considérer ce texte comme un conte fantastique, avec des livres qui se vengent de ne pas être aimés, qui apparaissent ça et là, de plus en plus nombreux, on peut imaginer qu'Oscar soit submergé par une avalanche de livres, jusqu'à une fin tragique ?

Le personnage de la mère m'a questionné : elle me paraît un peu distante, elle « l'invite à dîner en sa compagnie », Oscar la vouvoie et l'appelle « Mère », ou peut-être est-ce un rêve (ou plutôt un cauchemar) que fait Oscar et cette mère est donc imaginaire ?

Merci pour ce texte qui suscite plusieurs pistes de réflexion, et nous dit qu'il faut aimer les livres sinon ils peuvent se venger !

   Skender   
30/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Bonsoir Jemabi,

J'ai vraiment aimé le côté loufoque de ce court texte et ses situations improbables, j'ai cru pendant un long moment qu'il y avait vraiment un élément sous-jacent de fantastique ou merveilleux, avec ces livres qui sortent de nulle part. Le texte est court, dynamique, les dialogues sont fluides avec une touche d'humour potache ("C'est un livre d'horreur ?"), la chute est bien amenée, bref tous les critères qui font une bonne nouvelle sont respectés pour moi.

Il y a aussi un côté attendrissant dans le fait que l'on ressent bien la douleur d'un Oscar qui n'aime vraiment pas les livres (on a tous eu des amis pour lesquels les lectures imposées du collège/lycée étaient un cauchemar) mais dont l'entourage est persuadé du contraire.

Un agréable moment de lecture pour moi, merci pour le partage. Skender.

   Malitorne   
31/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Quel dommage que vous ne soyez pas resté dans le registre fantastique ! Vous teniez une histoire loufoque, intriguante, gâchée à mon avis par une fin très décevante. Ainsi tout n' était que manigances de la mère, pirouette facile en contradiction avec l'originalité du reste. Je ne comprends pas cette volonté de revenir au réel, il était bien plus intéressant de continuer à exploiter la revanche incongrue des livres. Par ailleurs le langage de la mère est trop soutenu, trop littéraire : "Qu'en termes désobligeants...."
Une lecture donc frustrante pour ma part.

   Jemabi   
4/9/2024


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